Séance du lundi 3 juillet 2000
par M. Jean-François Mattei
Introduction
Depuis quelques mois nous avons changé de siècle et de millénaire. Au regard du calendrier, cette affirmation est d’une affligeante banalité mais j’y cède néanmoins car, coïncidence ou pas, nous changeons aussi de civilisation. Cette mutation est probablement le résultat de la conjonction de deux éléments très forts : l’achèvement d’un siècle de dupes et l’avènement d’une révolution scientifique.
Achèvement d’un siècle de dupes qui, de 1917 à 1989, nous aura fait vivre au rythme d’un affrontement vain entre deux idéologies. Celles-ci se sont imposées comme guides de nos engagements et de nos vies. Dans un monde opposant deux modèles, nous avons souvent oublié la plupart de nos valeurs traditionnelles pour tenter d’en bâtir de nouvelles et nous avons perdu, pour beaucoup, l’imagination créatrice de la pensée. Si bien que, lorsque les idéologies se sont effondrées et ont fait la preuve, l’une et l’autre, de leur incapacité à organiser un monde à la mesure humaine, l’homme est apparu dépouillé de ses repères et de ses références. Il a rarement semblé aussi fragile qu’en ce début de millénaire.
Mais dans le même temps où ce siècle nous quitte, survient la troisième grande révolution sociale des temps modernes. Après la révolution agraire et la révolution industrielle, voici la révolution scientifique. En cinquante ans nous avons davantage progressé dans le domaine de la connaissance qu’en cinquante siècles. Avec ce nouveau savoir, jamais l’homme n’a été aussi puissant, puisqu’il est en mesure de détruire la planète qui l’abrite et de modifier l’essence même de sa vie. Saisissant contraste entre la fragilité et la puissance ! Sur les décombres d’un siècle qui nous a trompés et grâce à cette révolution du savoir, l’homme est appelé à se redéfinir. Ses nouvelles connaissances le placent en effet dans de nouvelles situations devant lesquelles il lui faut faire de nouveaux choix. Or, faire un choix c’est exercer une liberté et à ces nouveaux choix correspondent de nouvelles libertés. Exercer une liberté, c’est assumer une responsabilité et le voilà donc avec de nouvelles responsabilités. Parlant de “liberté” et de “responsabilité”, je nomme deux des fondements essentiels de la dignité de l’homme et l’on voit bien que ce nouveau savoir nous conduit à nous interroger sur l’idée que nous nous faisons de la dignité humaine.
C’est cette reconstruction de l’homme qui suscite l’émergence de la conscience éthique et commence à dessiner un monde nouveau basé sur des rapports inédits entre le politique, le savant et le citoyen, entre le pouvoir, le savoir et le vouloir.
L’irruption de l’opinion entre pouvoir et savoir
Jusqu’à présent, le futur se décidait dans un jeu subtil variant selon les époques entre le savoir et le pouvoir. Tantôt le pouvoir, parce qu’il était puissant, sûr de lui et porteur d’une idéologie forte s’imposait au savoir. L’affaire de Galilée a suffisamment marqué les esprits pour qu’il ne soit pas nécessaire de la détailler. Néanmoins, elle illustre bien la domination absolue du pouvoir, religieux en l’occurrence, qui s’impose, y compris face à l’évidence de la démonstration scientifique. Tantôt le pouvoir a utilisé le savoir comme alibi pour justifier ses entreprises. C’est lui qui utilise les données d’une prétendue psychiatrie pour justifier l’enfermement de ceux qui s’écartent des normes d’un comportement politiquement défini. De même, c’est le pouvoir qui, ici ou là, fonde son action sur les données d’une prétendue génétique pour justifier ses choix en faveur d’une humanité meilleure. Sans qu’il soit utile d’insister davantage, il est clair que le savoir a souvent servi d’alibi au pouvoir.
Mais dans d’autres périodes, dont la nôtre, c’est l’inverse qui apparaît : le savoir s’impose face à un pouvoir faible et incertain, en proie à une idéologie déliquescente et en panne de convictions. En s’imposant, le savoir devient le paravent du pouvoir. Les discours ne font plus référence aux philosophes ou aux idéologues mais on entend venir des tribunes, pour justifier telle ou telle décision politique, des arguments tels que “il est scientifiquement prouvé..” ou “il est statistiquement démontré..”… Les experts deviennent les maîtres à penser. Une bonne illustration en a été le sommet de Rio en 1992, où certains scientifiques, afin de peser sur les décisions destinées à préserver la planète, ont lancé le fameux “appel d’Heidelberg” :”Nous, (…), nous mettons en garde les autorités responsables du destin de notre planète contre toute décision qui s’appuierait sur des arguments pseudo-scientifiques ou sur des données fausses ou inexactes”. Il faut naturellement faire confiance à la science, à la technologie et à l’industrie.
Ce qui est nouveau dans une telle situation, c’est la disparition du dogme de l’infaillibilité des scientifiques. Les politiques y ont tellement fait référence que, placés sur le devant de la scène, les savants ont révélé leurs contradictions et leurs erreurs. Depuis plus de trente ans les querelles d’experts ont pris d’autant plus d’importance qu’on attend tout d’eux. L’appel d’Heidelberg a naturellement été suivi de contre-appels développant un point de vue opposé :”Scientifiques et intellectuels impliqués dans la réflexion et l’action pour un développement durable ; nous nous élevons contre les comportements d’impérialisme scientifique qui prétendent sauver l’humanité par la science seule”. Les contradictions sur le nucléaire, sur la gestion des déchets, bref, sur presque tous les grands sujets de décision politique soulignent que le système est grippé. Comment s’étonner dès lors d’une crise profonde puisque désormais la science ne suffit plus et la politique n’assume pas assez !
D’où l’émergence d’un troisième partenaire, à côté du pouvoir et du savoir, le vouloir. Le vouloir, c’est-à-dire l’opinion publique qui découvre la finitude du monde physique et voit sa confiance ébranlée par des crises graves. Sang contaminé, hormone de croissance et maladie de Creutzfeldt-Jakob, prions et encéphalopathie de la vache folle, organismes génétiquement modifiés, amiante, sans porter de jugement sur la nature et les fondements de ces crises de santé publique, elles conduisent dans tous les cas à une crise plus grave et plus globale de la démocratie. Le citoyen, mieux informé, revendique de prendre part au débat. Cela se traduit par l’interpellation du pouvoir, par un doute vis-à-vis du progrès. L’opinion n’accepte plus qu’on lui impose des choix. . Peu à peu la démocratie représentative cède le pas à la démocratie d’opinion.
Tous les domaines de l’activité de l’homme liée aux nouvelles technologies sont concernés – au premier rang desquels, naturellement, le domaine de la biologie et singulièrement de la génétique. C’est pour cela que depuis plus de quinze ans, les pays les uns après les autres, l’UNESCO, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), et le Conseil de l’Europe parmi d’autres institutions, ont élaboré des textes et tenté de fixer des références à valeur internationale. Pour tenter de comprendre et mieux appréhender ces changements essentiels de notre société, le développement des technologies qui utilisent le vivant, à savoir les biotechnologies, constitue un paradigme exceptionnel. Il associe en effet les valeurs essentielles de la vie, la force du progrès et les enjeux du futur dans un même questionnement éthique. Il comporte aussi cette dualité impossible entre les convictions individuelles fondées sur les valeurs morales de chacun et la nécessité de définir, au-delà des différences philosophiques et politiques, des règles communes pour vivre ensemble puisque les choix individuels ont, comme jamais auparavant, des conséquences sur l’autre et sur demain. De fait, nous sommes désormais responsables de nous-même mais nous le sommes aussi des autres et du futur. C’est ainsi qu’il faut comprendre, sans s’attarder aux extrémismes ou intégrismes de tout bord, l’émergence des préoccupations écologiques, du développement durable, ou des initiatives comme la Fondation pour les générations futures.
Les biotechnologies
En toile de fond de ces technologies du vivant, se dessinent deux réflexions. D’une part, l’affirmation selon laquelle les biotechnologies vont révolutionner la médecine, l’industrie pharmaceutique, l’environnement, l’agriculture et qu’il faut donc les suivre, voire même les précéder. D’autre part l’image que l’homme a de lui-même et de l’idéal d’humanité qu’il poursuit, sachant que le vivant ne saurait être considéré comme toute autre matière première. On l’aura compris, c’est en quelque sorte un nouveau discours entre la foi et la raison qui s’impose, dont l’enjeu n’est rien moins que le vivant au travers de son identification, de son appropriation et de son utilisation.
L’identification du vivant au travers de ses gènes en premier lieu. De l’algue bleue à Homo Sapiens, la génétique a tendu le fil de l’ADN et décrypté le code de la vie. En démontrant l’universalité du code génétique, elle a démontré l’universalité du monde vivant et lui a donné toute son unité. Désormais se posent différemment la question de la place de l’homme dans l’ordre du vivant et de sa responsabilité à son égard. Car si la génétique a entrepris d’isoler les gènes, on voit surgir deux tentations essentielles. D’une part, la tentation d’un “généticisme” tout puissant annulant la réalité des effets du milieu et réduisant le destin de l’homme à son déterminisme génétique. D’autre part, la tentation de la sélection afin de garder les bons gènes et supprimer les moins bons. Les enjeux sont importants : si la nature exerce une pression de sélection sur les gènes, la sélection des gènes par l’homme ne pourrait-elle à son tour entraîner une pression sur la nature ? L’équilibre est fragile dans les écosystèmes. Ce qui est en cause à ce stade, c’est toute la biodiversité opposée à la biosélectivité.
Mais beaucoup plus encore que l’identification des gènes, l’éventuelle appropriation du vivant au travers de la brevetabilité des gènes ne laisse pas d’interroger. La discussion n’est pas facile entre des cultures qui s’affrontent au travers de leurs différences. On a beaucoup discuté sur la distinction qu’il convenait de faire entre découverte et invention. “La découverte” dont on prend connaissance et dont on ignorait tout, alors qu’elle existait déjà. “L’invention” qui procède de l’intelligence et de l’innovation et qui vient enrichir le patrimoine humain. Dans quelle mesure peut-on s’approprier le vivant qui par nature préexistait ? Peut-on, en exclusivité, exploiter une partie du vivant, une partie du patrimoine commun de l’universalité du vivant ? Le vivant n’est-il pas la copropriété de l’humanité ? En tant que tel, cela paraît inacceptable, d’autant que la confiscation du savoir est aussi une forme de confiscation de l’avenir. C’est l’organisation d’une autre forme de dépendance du point de vue économique, agricole et industriel.
Si la brevetabilité est souhaitable dès lors que sont remplies les trois conditions traditionnelles de la propriété industrielle, à savoir la nouveauté, l’activité inventive et l’application industrielle, je ne pense pas que l’on puisse s’approprier la séquence d’un gène. Le problème est d’actualité et l’opinion publique réagit avec force en réalisant les enjeux d’un débat trop longtemps confisqué par les seuls spécialistes du droit des brevets et des procédés industriels.
Il ne faut pas d’ailleurs à cet égard s’arrêter au génome humain car un autre problème apparaît. Derrière la question de la brevetabilité des gènes surgit avec une force renouvelée la question de la frontière entre l’humain et le non-humain, sachant que la proximité des séquences géniques humaines et non-humaines peut être telle que la confusion s’installe. Un gène humain n’est pas fondamentalement différent d’un gène non-humain. Les règles devraient-elles, alors, être très différentes entre humains et non-humains ou s’appliquer à l’ensemble du monde vivant ? Va-t-on breveter une cellule animale dans laquelle on aurait transféré un gène humain et au bout du compte des modèles d’animaux transgéniques humanisés ? En bonne logique de symétrie, on devrait alors pouvoir breveter une cellule humaine modifiée, et après un tissu, un organe et l’homme transgénique tout entier. Au-delà du seul argument moral concernant le respect de sa dignité, l’homme prend soudain conscience que le monde de la vie est le sien et il s’oppose spontanément à ce qu’il puisse directement ou indirectement, faire l’objet d’une appropriation aux fins d’exploitation.
C’est toute la question de l’utilisation des gènes qu’il faut donc maintenant aborder. D’abord marquée par des repères classiques qui sont avant tout des repères de bon sens : oui à l’utilisation des gènes si cela peut guérir, non si cela n’a pas de justification évidente. S’agissant des biotechnologies, comme dans beaucoup d’autres domaines, il faut bien admettre que le mot thérapie fonctionne comme un sésame magique. Lorsqu’il s’agit d’introduire des gènes dans des cellules pour obtenir la production de substances à effet thérapeutique comme l’insuline, l’hormone de croissance ou l’interféron, on salue la naissance d’une nouvelle forme d’industrie pharmaceutique. Il n’y a pas de critique majeure dans l’opinion publique.
Il n’y a pas eu non plus beaucoup de critiques quand il s’est agi d’introduire des gènes dans des végétaux ou des animaux à des fins thérapeutiques. L’utilisation des végétaux est bien connue, du tabac à l’hémoglobine aux bananes à effet vaccinant contre le choléra. L’utilisation des animaux transgéniques est également bien acceptée si les règles d’éthique animale sont respectées. Ainsi la production d’albumine humaine ou de facteur VIII de la coagulation dans le lait de vache, et plus récemment d’antithrombine III dans le lait de chèvre, est également une chose admise sans difficulté, tout comme d’ailleurs l’humanisation du cœur de porc en vue de xénotransplantation. Même le clonage animal n’a pas soulevé de problème majeur dans l’opinion publique. Ce n’est que lorsqu’il est apparu que sa transposition à l’homme était possible, sinon imminente, que l’indignation s’est manifestée. Les prises de parole de certains scientifiques qui se voulaient rassurants en expliquant qu’il ne fallait pas s’alarmer car les difficultés techniques restaient trop grandes pour que le procédé soit réellement utilisé n’ont pas rassuré. L’opinion publique a parfaitement compris instinctivement que les arguments techniques ou économiques en la matière n’ont aucune valeur pour rejeter une méthode, car lorsqu’ils sont surmontés et dominés, l’on s’aperçoit, démuni, que l’on avait légitimé par avance la technique dans son principe.
L’homme réagit dès lors qu’il se sent menacé par une entreprise dont l’enjeu ne lui paraît pas justifié ou qu’il perçoit qu’au lieu d’utiliser le progrès, il en devient l’instrument. Je voudrais illustrer cette évolution de l’opinion publique au travers de l’exemple des organismes génétiquement modifiés (OGM).
Les exigences de l’opinion publique
La problématique des OGM est exemplaire de la situation. Lorsque le scientifique est soupçonné et le politique décrédibilisé, l’opinion publique s’invite dans le débat pour exiger que soient clairement définies la hiérarchie des enjeux, la sécurité sanitaire et l’acceptabilité sociale.
L’exigence concerne d’abord la hiérarchie des enjeux. Les motifs avancés pour utiliser les OGM sont-il aussi nobles qu’on veut bien le dire lorsqu’on invoque leur rôle pour nourrir la planète ? Sont-ils seulement subsidiaires pour améliorer telle ou telle qualité ou sont-ils d’abord économiques pour augmenter la productivité et la rentabilité ? Ces motifs, peuvent-ils justifier l’utilisation de gènes d’antibiorésistance, par exemple dans le maïs recombinant, quand on sait qu’un des problèmes majeurs en santé publique est justement la résistance aux antibiotiques ? Cette attitude heurte évidemment le bon sens ! La toxine BT destinée à tuer la pyrale du maïs rencontre désormais des pyrales devenues résistantes selon des adaptations génétiques inattendues qui rendent caduques les préconisations de l’Agence américaine de protection environnementale. Est-il dés lors raisonnable de s’engager dans une fuite en avant en ayant régulièrement recours à de nouvelles toxines ? Quels enjeux peuvent justifier la prise d’éventuels risques sanitaires et environnementaux encore incertains ? Derrière la hiérarchie des enjeux, on comprend l’âpreté du débat qui se poursuit autour du thème de la sécurité sanitaire.
Le concept de sécurité sanitaire est né des crises sanitaires récentes liées à l’utilisation de produits de santé, de produits alimentaires ou polluants. Il s’est imposé peu à peu comme un droit pour le citoyen et comme un devoir pour les Etats en charge de l’assumer au même titre que la sécurité civile ou militaire. L’opinion publique est désormais une réalité qu’on ne peut négliger, d’autant que même maladroite ou excessive, elle comprend parfaitement que le risque nul n’existe pas. Simplement le risque est d’autant moins accepté qu’il n’est pas indispensable et que tout n’a pas été fait pour l’éviter.
D’où le problème de l’acceptabilité sociale qui s’exprime en termes de liberté individuelle et de choix de société.
C’est ainsi que l’atteinte à la liberté est jugée encore plus sévèrement que les problèmes de sécurité sanitaire. Au-delà d’éventuels risque sanitaires en environnementaux, refuser les organismes génétiquement modifiés, c’est d’abord refuser l’appropriation par d’autres que soi-même, du contenu de son assiette : manger est un acte personnel qui relève de la liberté et les consommateurs réaffirment le droit de savoir pour choisir, d’où les exigences de transparence, d’information, de traçabilité et d’étiquetage. C’est d’ailleurs ce que certains pays ont compris, tout comme certains réseaux de grande distribution. L’histoire démontrera peut-être qu’il s’est agi d’une gigantesque erreur de communication, en privilégiant la force à l’information. Les consommateurs ont perçu plus ou moins intuitivement que le monde changeait sans eux et ils ne l’ont pas accepté.
Car, derrière ce débat, c’est bien un choix de société qui se dessine. Du point de vue économique, toute une série de questions doit être posée. Les OGM sont-ils réellement capables de réduire la sous-alimentation qui touche actuellement 800 millions de personnes et d’assurer demain la sécurité alimentaire d’une planète qui comportera, dans 25 ans, 9 milliards d’habitants ? Pourquoi la quasi-totalité des modifications concerne-t-elle des produits de l’agriculture des pays industrialisés – quand eux ne souffrent pas de la famine – et d’ailleurs, hormis leur rôle d’alibi, quelle est la place des pays en voie de développement non solvables dans cette nouvelle industrie agroalimentaire ? N’y a-t-il pas là une nouvelle raison de voir se creuser le fossé entre les pays industrialisés et ceux qui voudraient se développer ? Peut-on accepter la technologie du gène terminator qui rend les semences stériles et empêche les agriculteurs d’exploiter leurs semences d’une année sur l’autre, installant de fait la dictature d’un monopole industriel et commercial ?
En face de toutes ces questions, il y a souvent un contraste saisissant entre les discours et la rareté des réalisations concrètes en faveur des pays les plus pauvres. Plus grave même, certaines innovations génétiques aboutissent à créer des produits de substitution dont les pays en voie de développement étaient jusqu’alors l’unique fournisseur. Il y a donc, derrière un discours de progrès, une réalité toute autre et des situations qui heurtent le bon sens. Il ne faut pas s’étonner alors des réactions parfois irrationnelles mais souvent fondées d’une société désenchantée en quête de sens.
Conclusion
Il est saisissant de constater que la révolution des biotechnologies d’aujourd’hui ne fait que réactualiser la mythologie d’autrefois. De Pygmalion à Narcisse, des amazones aux centaures, l’homme n’a pas changé avec le temps et, nouveau Prométhée des temps modernes détenant la molécule d’ADN, son rêve est toujours de devenir le maître du monde et de la vie façonnée selon ses désirs.
Mais, paradoxalement, c’est parce que l’homme donne le sentiment de pouvoir maîtriser le monde que le monde s’humanise. Les rapports entre l’homme et le monde changent, notamment dans deux domaines essentiels que sont l’espace et le temps. L’espace se rétrécit sur terre, la planète devient un village et si le clonage de Dolly évoque le clonage humain, si les OGM préfigurent un monde dénaturé, c’est parce que l’homme est devenu la mesure de toute chose. Il en est de même pour le temps. Chaque homme pense désormais à ses enfants et aux générations futures auxquelles il emprunte la terre d’aujourd’hui.
C’est donc en changeant ses repères que l’homme prend conscience du besoin de sens. C’est aussi le signe d’un manque que, ni la science devenue parfois inquiétante, ni les idéologies politiques en panne d’espérances, ne peuvent combler. C’est encore la quête d’une maxime pour l’action au terme d’un processus de délibération éthique et d’argumentation. C’est enfin chercher en soi des raisons qui vaillent pour autrui.
C’est cette démarche qui doit précéder la décision, de plus en plus difficile. Désormais les responsables politiques auront de plus en plus souvent à prendre des décisions nettes à partir de données scientifiques incertaines. Il est à la mode de s’en remettre au fameux principe de précaution qui rendrait compte de toute attitude. Il ne faut pas cependant, sauf à accepter l’immobilisme par ailleurs mortel, oublier que l’incertitude est une notion consubstantielle de la décision car s’il n’y avait pas d’incertitude, la société n’aurait pas besoin de décideurs. C’est en reconnaissant le risque qu’on pourra passer du risque acceptable au risque accepté. Plus l’incertitude existe et plus la fonction de décideur est requise, plus l’incertitude est grande et plus le processus décisionnel doit être formalisé et débattu publiquement, plus la démarche décisionnelle doit être transparente, cohérente et explicite, sinon le décideur prend le risque d’avoir délibérément sacrifié l’homme et sa santé sur l’autel de la compétitivité économique. Il perd alors sa crédibilité et c’est le risque de crise.
C’est un enjeu déterminant pour notre société que de prendre en compte ces nouveaux rapports entre le savant, le politique et le citoyen.