La justice au cinéma

Séance solennelle du 3 avril 2006

par M. Jean Tulard

 

 

Un procès c’est avant tout une pièce de théâtre avec ses règles, ses acteurs et son intrigue. Les auteurs dramatiques ne s’y sont pas trompés, qui ont rarement — et très tôt — exploité les ressorts comiques ou tragiques qu’offre le monde judiciaire. Des Plaideurs à la Tête des autres, en passant par la Robe rouge, la liste est longue du répertoire théâtral prenant pour thème la justice. Une communication sur ce sujet eût été séduisante et sûrement passionnante. Nous allons d’ailleurs retrouver quelques-uns de ces succès de la scène transposés à l’écran.

Car c’est le cinéma qui nous occupe ce soir. Quelle image offre-t-il du monde judiciaire ? Du monde judiciaire français, en raison du temps limité qui m’est imparti et de l’orientation générale donnée au cycle de communications de cette année qui portent essentiellement sur la justice française.

Assurément Hollywood nous aurait offert quelques chefs d’œuvre, de Témoin à charge à Douze hommes en colère. Le cinéma anglais et le cinéma italien n’eussent pas été en reste.

Mais le cinéma français est suffisamment riche pour nourrir cette communication d’œuvres marquantes.

La comédie (ou la tragédie) propose plusieurs personnes : le juge, l’avocat, les membres du jury. A travers plusieurs films ce sont eux que je vous propose de découvrir ou de redécouvrir.

Sera absent l’inculpé, le prévenu, le coupable, l’innocent peut-être, le condamné ou l’acquitté. Certes, c’est lui qui est au centre de la pièce, mais il ne compte pas . Il est comme la balle de tennis que se renvoient deux joueurs, le ballon dans lequel tapent les footballeurs, un prétexte. Vous l’apercevrez dans le boxe ou dans le cabinet du juge, mais l’intérêt est ailleurs, dans l’enquête menée par le juge d’instruction, dans le réquisitoire du procureur général ou dans la plaidoirie de l’avocat. Car c’est le monde judiciaire qui va revivre sous la forme d’un théâtre d’ombres devant vous.

Et d’abord le juge ou plus exactement les juges. L’image qu’en donne le cinéma d’avant-guerre est très théâtrale et nous propose des magistrats engoncés dans leurs cols durs et leurs certitudes.

Premier personnage : le procureur de la République. Le voici dans toute sa splendeur et son autorité incarné par Harry Baur dans Le Président Haudecœur, film de Jean Dreville (1939), d’après une pièce de Roger Ferdinand. Veuf respecté, le procureur Haudecœur veut marier son fils à une demoiselle de la bonne société, mais on fils en aime une autre. Fureur du procureur. Toutefois une jeune Anglaise lui révélera que l’amour peut être plus fort que les convenances. On savourera la scène entre le procureur et un jeune magistrat, joué par Jean Temerson, victime d’une infortune conjugale.

 

Extrait

Deuxième personnage : le président du Tibunal. C’est André Lefaur, admirable duc de Maulevrier, de l’Académie française, dans L’habit vert, qui est ici président du tribunal d’une petite ville de province. Il réunit quelques magistrats pour une partie de bridge. C’est un homme rigoureux . Trop. Et ses collègues du tribunal vont glisser dans son lit — à la faveur d’une absence de l’épouse légitime — une belle étrangère, Elvire Popesco.

 

Extrait

Il y a enfin le juge d’instruction. Il est réduit à la portion congrue avant la seconde guerre mondiale. C’est un jeune magistrat effacé qui laisse le grand rôle aux ténors des assises, les procureurs généraux.

C’est ensuite qu’il prend de l’importance. Est-ce à cause de ces dérapages que nous avons beaucoup évoqués ici ? Non. Même si l’affaire de Bruay-en-Artois inspire Garde à vue de Claude Miller. Mais nous n’en sommes qu’au niveau de la police. C’est le poids du juge d’instruction dans l’orientation que prendra l’affaire qui est progressivement découvert. Dans Le juge et l’assassin de Bertrand Tavernier, Rousseau met tout en œuvre pour envoyer Bouvier, le tueur fou de bergères, à l’échafaud.

Ce que le cinéma va mettre en valeur c’est le juge d’instruction qui n’hésite pas à s’attaquer aux notables, aux financiers dans son enquête, sorte de Don Quichotte contre les moulins à vent. Cayatte ouvre la voie avec le Dossier noir, en 1955. Le juge d’instruction Jacques Arnaud se heurte dans une petite ville de province aux autorités locales et à la presse. Sa carrière est brisée.

D’autres, dans la réalité, mettront leur vie en péril en poussant trop loin leurs investigations. Ainsi le juge Michel assassiné à Marseille, le 21 octobre 1981. Il avait cherché à démanteler un réseau de trafiquants de drogue. Le film de Philippe Lefebvre, Le juge, en 1983, lui rend hommage sous les traits du juge Muller que joue Jacques Perrin.

Autre juge assassiné parce qu’il allait politiquement trop loin, le juge Renaud. C’est Yves Boisset qui reconstitue son histoire dans Le juge Fayard dit le shérif en 1976. Patrick Dewaere tient le rôle.

 

Extrait

Vous ne verrez pas L’ivresse du pouvoir de Claude Chabrol qui nous renvoie au juge dissipé du Président Haudecœur. Avec Isabelle Huppert c’est la féminisation du corps et l’ordinateur. Un autre monde.

L’instruction est terminée. Nous voici aux Assises. Il faut l’avouer : les tribunaux civils et les juridictions administratives n’ont guère retenu l’attention des cinéastes.

Paraît alors, après le réquisitoire du procureur général, la plaidoirie de l’avocat. Un personnage cinématographique : Gabin dans En cas de malheur, Brasseur dans Les bonnes causes, Rouleau dans L’affaire Lafarge.

La plus célèbre plaidoirie du Septième Art reste celle de Raimu dans Les inconnus de la maison. Elle valut au film d’être interdit à la Libération.

Henri Loursat, avocat sans cause depuis que sa femme l’a quitté, vit dans une grande maison avec sa fille Nicole. Un soir, il découvre dans son grenier Gros-Louis, un truand tué d’une balle dans la tête. L’enquête révèle qu’une bande de jeunes gens se réunissait le soir dans les combles et l’un d’eux, Emile Manu, amoureux de Nicole est inculpé du meurtre. Loursat prend sa défense et fait éclater la vérité, non sans dénoncer les responsabilités des parents.

 

Extrait

Le moment de la sentence est arrivé. Le jury doit se prononcer. Un film en a fait la peinture : Justice est faite de Cayatte en 1950. Elsa Lundenstein a tué son amant pour mettre fin à ses souffrances. Pitié ? Mais elle se trouve hériter par cette mort d’une très grosse somme. Et elle avait un amant. La caméra de Cayatte nous introduit dans la salle où délibère le jury.

 

Extrait

Il s’en faut que le cinéma nous ait renvoyé une image idéalisée de la justice : des notables engoncés dans leurs certitudes et leurs cols durs face aux avocats soucieux avant tout de leurs effets de manche, c’est toute une comédie qui se déroule devant nous. Et n’oublions pas que le Septième Art ira très loin, révélant les fameuses sections spéciales instaurées par le gouvernement de Vichy pour condamner par effet rétroactif des militants communistes dans le film de Costa-Gavras. Et comment ne pas citer Hiroshima mon amour d’Alain Resnais : la petite tondue de Nevers victime de cette justice expéditive de la Libération récemment évoquée par notre confrère Henri Amouroux ?

Où est le bien ? Où est le mal ? Le corbeau de Clouzot, en 1943 laisse la question sans réponse. C’est Orson Welles qui l’apporte dans La dame de Shangaï, quelques années plus tard : innocent ou coupable, qu’importe. L’essentiel, c’est de bien Vieillir. Ce sera le mot cinématographique de la fin.

Texte des débats ayant suivi la communication

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