Allocution de présentation d’Olivier Beaud
par Pierre Delvolvé
Président de l’Académie des sciences morales et politiques
Présentant M. Beaud, le président rappelle que celui-ci s’est signalé d’emblée dans le monde universitaire par sa thèse, publiée en 1990 sur La puissance de l’État, ouvrage lui-même puissant par la profondeur et la nouveauté de ses analyses. C’est ce qui a conduit aussi d’emblée à s’adresser à l’auteur pour traiter le sujet : Un pouvoir peut-il être encore souverain ?
Les travaux de M. Beaud l’ont encore conduit à examiner des problèmes constitutionnels, notamment lors du projet de Constitution pour l’Europe. Il a particulièrement étudié les questions relatives au sang contaminé. Récemment il a publié un livre sur La République injuriée (à propos des offenses au chef de l’Etat), qui a été présenté à l’Académie. Il dirige l’Institut Michel Villey pour la culture juridique et la philosophie politique. Il a aussi défendu les libertés universitaires, par ses écrits et par ses actions.
Le cœur de ses recherches reste constitué par les problèmes de l’Etat. Celui de la souveraineté qui va être maintenant traité y figure au premier plan.
Peut-il y avoir encore un pouvoir souverain ?
par Olivier Beaud
Professeur à l’université Paris II Panthéon-Assas
Le titre de cette communication laisse deviner avec le mot « encore » et avec sa forme interrogative les doutes que l’on pourrait avoir aujourd’hui à l’égard de l’existence d’un pouvoir souverain. Pour simplifier notre exposé, on fera comme si la question : « peut-il y avoir encore un pouvoir souverain ? » équivaut à celle-ci : « y a t-il encore un pouvoir souverain ? ».
Une telle expression sent peut-être un peu trop l’ancien monde qui serait celui de la souveraineté. Il serait fastidieux d’énumérer les divers articles en forme de faire-part de décès qui émaillent le discours politico-juridique sur la question. On se contentera de citer un article paru dans Le Monde en 2014 lorsque Dominique Rousseau réfléchissait à la fin assez pitoyable d’Alstom, société française renationalisée et finalement vendue à la société américaine, General Electric. Notre collègue, professeur à Paris I, y voyait la fin non seulement d’un certain capitalisme « à la française » (national-colbertiste dirait-on), mais aussi d’un certain monde incarné par la souveraineté. Il écrivait notamment :
« Ce temps-là est fini. Il avait un esprit-principe qui le définissait : la souveraineté. Il a désormais sa place au musée d’Histoire des idées politiques. La souveraineté économique ne veut plus rien dire quand les grands contrats internationaux opèrent des transferts de technologie et que les produits ne sont plus fabriqués par et dans un seul pays mais à partir de composants venant de tous les continents. La souveraineté nationale ne veut plus rien dire quand les barrières commerciales sont abolies entre les Etats comme elles l’ont été autrefois entre les provinces de l’Etat et que les communications tendent à universaliser les consciences. La souveraineté du travail ne veut plus rien dire quand l’évolution conduit à remplacer la force du travail humain d’abord par les machines – XIXe siècle – puis par les robots – XXe siècle. »
Contre les esprits réactionnaires qui se désoleraient de cet état du monde, il rappelait :
« Qu’un monde finisse ne signifie pas que le monde est fini. Dans ses Mémoires, Chateaubriand écrit : « On dirait que l’ancien monde finit et que le nouveau commence.» En 2014, un nouveau monde commence, fait du pluralisme des conceptions de vie, d’espaces post-nationaux de délibération, de revenus détachés de la force de travail, d’institutions mondiales de décision en matière de santé, d’environnement, de climat, d’alimentation… Il faut surtout à ce monde qui commence un nouvel esprit-principe pour le guider : le monde qui finit avait pour principe la souveraineté ; le monde qui vient a pour principe la coopération loyale entre les peuples. »[1]
Il est assez remarquable que, dans cette énumération des forces et contraintes qui mineraient le principe de souveraineté, l’éminent auteur ne mentionne même pas l’Union européenne qui grignote – on le sait – des pans entiers de souveraineté. L’article date cependant de 2014. Depuis lors, on pourrait même ajouter dans la liste des arguments confortant cette « rengaine » du requiem de la souveraineté la faiblesse de l’Etat face au terrorisme (attentats de 2015) et face aux réactions épidermiques de la société civile. La France n’a pas fini, depuis la crise des Gilets Jaunes, d’expérimenter une singulière coexistence : celle, d’un côté, d’une hyperprésidence et de l’autre, d’un Etat de plus en plus faible face aux réactions de citoyens en colère qui remettent violemment en cause son « monopole de la violence physique légitime » allant jusqu’à vandaliser l’Arc de Triomphe et à faire bruler une préfecture. Il y aurait donc aujourd’hui un milieu défavorable ou hostile au maintien d’un pouvoir souverain.
Mais avant d’examiner cette question de la fin de la souveraineté qui serait en quelque sorte la question cachée dans la question ouverte qu’il nous est proposé de traiter, il est indispensable de s’interroger sur le sens de la formule « pouvoir souverain ». Celle-ci semble a priori claire alors que, pourtant, elle ne l’est pas tant que cela, du moins pour un juriste. En effet, l’expression de « pouvoir souverain » employée sans davantage de précision, c’est-à-dire sans complément du nom, peut prêter à confusion. On peut supposer que pour la plupart des juriste contemporains, elle signifie le pouvoir de l’Etat, de l’Etat souverain s’entend. Mais cette assimilation n’est pas si évidente en réalité. Pour s’en convaincre, il suffit de vérifier dans un catalogue de bibliothèque à quoi fait référence, dans la littérature juridique, le « pouvoir souverain ». Or sur quoi tombe-t-on quand on tape cette locution sur le catalogue de la bibliothèque Cujas ? Eh bien sur un nombre non négligeable de livres ou de mémoires sur « le pouvoir souverain des Parlements en matière civile et des voies de recours organisés par les ordonnances de 1539 à 1629 contre les arrêts définitifs ». On comprend alors que l’expression de « pouvoir souverain » a, historiquement, été appliqué aux juridictions pour désigner parmi celles-ci les juridictions suprêmes. Bref, la leçon est claire : l’expression de pouvoir souverain peut désigner un autre titulaire de ce pouvoir que l’Etat car il s’agit ici des Parlements en tant qu’organes de justice de l’Ancien Régime.
En réalité, ce n’est guère étonnant car, ainsi qu’on le sait, la souveraineté a en effet été d’abord judiciaire – désignant les cours souveraines – avant de devenir législative, désignant l’autorité politique compétente pour édicter la règle de droit, « la loy » écrivait Jean Bodin. De nos jours, on continue parfois à soutenir, que dans leur ordre de juridiction, la Cour de cassation et le Conseil d’Etat ont un « pouvoir souverain ». Encore qu’il faille immédiatement ajouter une nuance de poids car la double existence, de la Cour de justice de l’Union européenne (dite de Luxembourg) et de la Cour européenne des droits de l’homme (dite de Strasbourg) vient remettre en cause l’idée même de qualifier les juridictions des Etats-membres de ces deux entités internationales (l’UE et le Conseil de l’Europe) de Cours souveraines car leurs décisions peuvent être « remises en causes tant par la CJUE que par la CEDH. Or, une Cour souveraine, normalement, ne doit pas voir sa décision remise en cause par une autre juridiction. Sa décision est incontestable et sinon, elle n’est plus souveraine.
Toutefois, de nos jours, cet usage de l’expression de « pouvoir souverain » pour désigner une prérogative des juridictions est pour l’essentiel résiduel. Le juriste contemporain devine aisément que la formule du « pouvoir souverain » vise moins une juridiction, que l’Etat. Il le pressent encore davantage en prenant en considération le contexte de cette communication qui s’inscrit dans un cycle de conférences sur « le pouvoir ». Or, est-il nécessaire de le rappeler, en France, la justice n’est pas considérée comme un pouvoir. On connaît la formule bien frappée qu’a utilisée Jean Foyer selon laquelle la justice est un « pouvoir refusé »[2]. Elle doit être considérée comme une « autorité », cette autorité judiciaire prévue par le Titre VIII de la constitution. Si la justice n’est pas un pouvoir, elle ne peut pas être, a fortiori, un pouvoir souverain. Exit donc la justice comme objet principal de notre champ d’investigation.
Bref, le pouvoir souverain ici évoqué doit donc être considéré comme étant nécessairement celui de l’Etat. Mais ici encore, une nécessaire précision s’impose car un tel pouvoir peut désigner celui détenu aussi bien par l’Etat, en tant que totalité (personne juridique) que par un « membre » de cet Etat, ce que les juristes appellent parfois un « organe » ou encore un « pouvoir public ». C’est la raison pour laquelle les juristes distinguent entre la souveraineté de l’Etat et la souveraineté dans l’Etat. Ainsi, pour prendre un exemple parlant, quand Jean Bodin, dans les Six Livres de la République, théorise la souveraineté qu’il assimile à une « puissance absolue et perpétuelle », il semble l’imputer à la « République » – donc ce qu’on appelle aujourd’hui l’Etat. Or, dans les faits, il vise surtout et avant tout l’auteur de la souveraineté législative, à savoir le Monarque. ou le Prince. Les autres auteurs qui le suivront feront le plus souvent de même, mais Hobbes mettra sur le même pied le Prince et l’Assemblée, ouvrant la perspective d’un changement possible de Souverain : soit le monarque, soit le Parlement. Les révolutions américaine et française complèteront ce tableau de la souveraineté dite « organique » en faisant du Peuple le titulaire du pouvoir suprême de l’Etat. En réalité, l’attribution du pouvoir souverain à l’Etat – ou si l’on veut son imputation à cette sorte de personne morale – sera le résultat du travail de la doctrine de droit international public. Il faudra attendre la publication, en 1758, de Précis du droit des gens du juriste suisse Emer de Vattel pour que naisse la conscience d’une souveraineté attribue à cet être moral, cette personne juridique qu’on appelle de nos jours l’Etat[3].
Cette distinction est importante parce que si l’on prend l’expression de « pouvoir souverain » au sens du pouvoir détenu et exercé par l’organe souverain, le Souverain, dans l’Etat, on voit mal comment l’on pourrait dire qu’il y a un tel pouvoir dans les démocraties contemporaines. En effet, l’effort du constitutionnalisme a tendu à fragmenter le pouvoir étatique et à l’attribuer à divers organes de façon telle qu’il n’y ait plus une autorité, un pouvoir public, qui aurait un tel pouvoir de décider, seul et discrétionnairement, au nom de l’Etat. Ce qu’un auteur important comme Neil Mc Cormick résume en disant à propos de la souveraineté interne qu’elle n’existe pas parce que « all power holders are subject to some legal or some political checks or controls. In this case there is no single sovereign internal to the state, neither a legal not a political sovereign” [4]. Bref, la séparation des pouvoirs est passée par là et la figure de l’organe souverain – du Souverain — est un intrus dans le monde du constitutionnalisme contemporain. Cela ne signifie pas que le concept ne soit plus utilisable car les autocraties anciennes ou contemporaines sont dominées par la figure du Souverain. Est-il besoin ici de rappeler la façon dont la Russie et la Chine sont gouvernés pour comprendre ce que signifie la concentration du pouvoir au profit d’un seul homme ?
Par conséquent, il nous semble que l’expression de « pouvoir souverain » n’a de sens de nos jours que si l’on ajoute qu’il s’agit du pouvoir de l’Etat pris en tant que personne juridique et corps collectif. Tout laisserait donc penser que, aux yeux d’un juriste contemporain, qui dit pouvoir souverain dit Etat et vice-versa. Pourtant, cette relation d’identité entre Etat et pouvoir souverain mérite, elle aussi d’être questionnée. Il nous faut ici faire un autre détour, en empruntant le chemin tortueux de la notion de souveraineté.
En fait, au rebours de l’assimilation « intuitivement » faite entre pouvoir souverain et Etat, il convient plutôt de relever que, en droit, l’Etat n’est pas uniquement un pouvoir souverain. Il est certes un pouvoir souverain, c’est indéniable, mais ce n’est qu’une face de son existence juridique. Plus exactement, il peut être souverain sous une forme autre que celle d’un « pouvoir ». En effet, en matière d’Etat, c’est-à-dire de concept d’Etat, il faut toujours distinguer entre sa face interne et sa face externe. Certes, le propre de l’Etat est la souveraineté – ou, si l’on veut, le critérium de l’Etat est cette souveraineté – mais le problème vient de ce que le propre de cette souveraineté est d’être duale : elle est interne et externe, c’est-à-dire extérieure, ou encore internationale. Ainsi, un même mot, la souveraineté de l’Etat n’a pas le même sens, dans la langue du droit, selon la perspective qu’on adopte pour la saisir. Les choses se compliquent donc dans la mesure où les deux formes de la souveraineté de l’Etat sont mêmes antagoniques.
Voyons d’abord la souveraineté interne. Elle s’exerce sur le territoire de cet Etat et sur toutes les personnes qui s’y trouvent, et elle est souvent définie comme un pouvoir souverain. Avant d’être souveraine (voir infra I), cette puissance de l’Etat est d’abord un pouvoir, Sous cet angle, le juriste rencontre la sociologie lorsque celle-ci par l’intermédiaire de Jean Baechler — dans la conférence inaugurale à cette série. – définit le pouvoir comme une relation de pouvoir[5]. En réalité, le pouvoir implique une relation de commandement et d’obéissance entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux sur lesquels il est exercé. Or, on peut mettre en relation cette définition du pouvoir avec celle de l’Essence du politique formulée par Julien Freund dans laquelle une telle relation fait partie des trois éléments essentiels du politique (avec la distinction du privé et du public, et la relation entre ami et ennemi)[6]. Il en découle selon nous, que ce pouvoir de l’Etat dans sa face interne est un pouvoir politique, un pouvoir de domination exercé par les gouvernants sur les gouvernés. Ainsi, la question de l’obéissance est ici centrale dans une telle définition : le pouvoir c’est une relation entre une personne qui commande et une autre qui obéit. Hobbes l’avait remarquablement vu en analysant le pouvoir comme étant une relation mutuelle entre la protection et l’obéissance ; celui qui a le pouvoir de protéger a le droit d’exiger l’obéissance de celui qu’il protège, mais inversement, celui qui n’est plus protégé par le pouvoir est délié de son devoir d’obéissance à son endroit. Autrement dit, c’est sur ce point précis que se fait la rencontre entre le politique et le juridique en matière d’Etat. La puissance de l’Etat est, on le verra, une puissance de domination (infra I, A).
En revanche, la souveraineté internationale, dite aussi souveraineté « externe », n’est pas un pouvoir dans ce sens précis que nous luis avons donné plus haut. Elle en est même le contraire. On le devine en lisant une définition qu’en donne le juriste écossais Neil Mc Cormick, dans un livre déjà cité : « ce qu’on appelle la “souveraineté externe“, caractérise un Etat qui n’est soumis à aucun pouvoir politique ou autorité juridique dans le ressort de son territoire (not subject to political power or legal authority in respect to its territory »)[7]. Une telle conception a laissé certains juristes internationalistes définir une telle souveraineté internationale de pure et simple « indépendance des Etats ». Mais il nous semble que Jean Combacau a mieux illustré la véritable nature de ce type de souveraineté par une formule qui « fait mouche » : « la souveraineté n’est « pas une puissance, mais une liberté »[8] . Il suffit de le citer : « la souveraineté internationale n’est pas un pouvoir , mais une qualité du pouvoir que le droit international reconnaît d’ailleurs à l’Etat et si cette qualité est de ne pas être soumise à un pouvoir supérieur, alors elle s’analyse comme une liberté, la liberté qu’a l’Etat de faire ce qui est en son pouvoir. »[9] L’ordre juridique international est structuré de telle façon que l’Etat se voit accorder une « présomption de liberté » parce qu’il est l’être originaire d’un tel droit, et qu’il n’est donc pas en quelque sorte habilité par le droit international public à l’inverse des autres personnes juridiques.
Gérard Cahin a excellemment repris cette idée lorsqu’il a réfuté la tentative contemporaine de remplacer le terme de souveraineté par celui de compétence, en expliquant parfaitement la nature du droit international public : « La souveraineté a donc pour corollaire nécessaire l’égalité des Etats, créant du même coup les conditions de possibilité du droit international, comme cadre et produit de la contrainte que les souverains s’imposent à eux-mêmes afin que chacun obtienne des autres qu’ils règlent envers lui leur conduite comme lui-même la règle envers eux. Conceptuellement construite à la lumière de la théorie du droit, la compatibilité de la souveraineté avec le droit international est en tout cas attestée par la pratique : pas plus que les Etats ne prétendent que celle-là les autorise à violer celui-ci, le droit international n’admet-il qu’ils invoquent leur souveraineté pour se soustraire à ses règles. »[10]
Ainsi, cette conception de la souveraineté internationale exclut l’idée d’un pouvoir de domination d’un Etat sur un autre. Le principe qui structure ce droit est le principe d’égale souveraineté, ce qui signifie que, en droit du moins, un Etat en vaut un autre, quel que soit sa force ou sa puissance. Un tel principe tire son existence du constat selon lequel le monde des relations internationales est un « pluriversum » et non un « universum (C. Schmitt). Le corollaire juridique d’une telle assertion est ce qu’on appelle l’horizontalité du droit international public qui se manifeste par les instruments juridiques par lesquelles les Etats expriment leur souveraineté : ce sont, d’une part, les traités et d’autre part, la coutume[11]. Autrement dit, ce sont les actes ou faits juridiques qui n’existent que parce qu’ils reposent sur le consentement ou la volonté des Etats. Donc, en toute rigueur, il n’est pas possible en droit d’appréhender l’Etat comme un « pouvoir souverain » dans le domaine du droit international public, parce que, dans ce dernier domaine, et seulement dans celui-ci, l’Etat n’apparaît pas, dans sa figure souveraine, comme une puissance de domination.
Par conséquent, l’Etat n’étant pas un « pouvoir souverain », dans l’ordre international, nous n’aurons pas à nous demander si, de nos jours avec la mondialisation ou si avec l’hyperpuissance américaine ou l’émergence de la superpuissance chinoise, il peut encore exister en tant que concept pertinent. Bref, nous n’aurons pas à reprendre le débat initié par Carl Schmitt et d’autres sur le point de savoir si l’Etat n’a pas été supplanté par les « grands espaces » ou les empires, ou si encore la forme de l’avenir de l’Etat est celui de la forme fédérale
On pourrait trouver trop longs ces prolégomènes, mais ils étaient indispensables si l’on voulait isoler précisément la portée de la question posée. Mais la réduction du sujet du « pouvoir souverain » au seul Etat dans son ordre interne laisse encore la place à de nombreux développements tant est riche le domaine à traiter. On ne peut pas répondre à la question posée de l’éventuelle survie du pouvoir souverain sans le définir plus exactement, dans l’ordre interne (I) . C’est seulement ensuite qu’on pourra vérifier si ce concept a encore un sens aujourd’hui ou s’il relève d’un « monde ancien » ou d’un « monde qui finit » (II).
I – « Le pouvoir souverain » de l’Etat : dissection juridique d’un principe
On a donc compris qu’on se bornerait ici à exposer le principe de la souveraineté interne de l’Etat qui nous semble justiciable d’une double analyse. La première touche à sa nature qui est celle d’être une puissance de domination, tandis que la seconde touche à son extension, à savoir le domaine d’application d’une telle puissance d’Etat.
A/ Ce que signifie cette idée d’une puissance suprême de domination
Sous cet angle, celui de la face interne de l’Etat, le pouvoir souverain dont on parle ici désormais exclusivement n’est autre qu’une « puissance de domination » (Herrschafstmacht). Nul mieux que Raymond Carré de Malberg n’a su l’expliquer dans son « Avant-propos » à sa Contribution à la théorie générale de l’Etat.
Dans ce texte polémique, il entend réfuter la thèse de Léon Duguit qui veut redéfinir l’Etat comme « une coopération de services publics ». Il lui objecte un premier argument d’ordre épistémologique selon lequel, à la différence du principe de collaboration, défendu par Duguit qui relèverait du domaine de la science politique , « toute définition juridique, au contraire, doit continuer à présenter la puissance propre aux collectivités étatiques comme le trait essentiel et l’attribut suprême de l’Etat. »[12]. Carré de Malberg poursuit par un autre argument visant à souligner la différence entre la normalité sociologique et la normativité juridique. En effet, explique-t-il, le juriste s’intéresse au cas extrême, c’est-à-dire au cas qui révèle la plénitude de puissance : « (.) il est permis de dire que la science juridique ne s’attache pas, d’une façon principale, aux situations moyennes et normales, mais elle vise plutôt les cas extrêmes, les possibilités extraordinaires et l’on peut même ajouter qu’elle est amenée à prévoir habituellement le pire.[13] » Qu’est-ce que « le pire » pour la science du droit, et notamment la science du droit public ?
Carré de Malberg ne le dit pas explicitement, mais on peut penser que c’est pour lui l’anarchie, au sens péjoratif du terme, à savoir la désunion entre les individus qui aboutit à la guerre de tous contre tous. Il est donc sceptique à l’égard de la concorde naturelle des hommes et des citoyens et considère plutôt que « la collaboration » entre citoyens ou entre « services publics » peut toujours échouer car elle peut ne pas être unanime; dès lors, la possibilité d’un conflit est toujours virtuelle. Il faut donc un Tiers pour résoudre les conflits toujours potentiels. Ainsi la question surgit dans toute son acuité : que se passe-t-il lorsqu’il n’est « pas possible à l’Etat d’obtenir d’eux [les membres de l’Etat] une collaboration unanime » ? Alors, l’Etat doit trancher. La question qui se pose « sur le terrain de la science du droit public, n’est point tant de savoir si l’Etat a ou non besoin de collaboration, mais bien plutôt de rechercher le point extrême jusqu’où s’étend le pouvoir de l’Etat à l’égard de ses membres qui se refuseraient à collaborer. »[14]. Une fois cette assimilation effectuée entre refus de collaborer et désobéissance, Carré de Malberg adhère au lieu commun de la littérature sur l’Etat qui, depuis Bodin et Hobbes, associe la souveraineté à la faculté pour l’Etat de sanctionner, par le droit et des procédures légales, la désobéissance des sujets. La puissance de domination de l’Etat a pour corollaire inévitable la sujétion des individus.
Mais, ajoute Carré de Malberg, cette puissance de domination est à la fois « générale » et « irrésistible ». Autrement dit, l’Etat domine non seulement tous les individus, mais aussi tous les groupements internes à l’unité politique (associations ou corporations, partis politiques, etc…). Pourtant, on peut le comparer avec les groupements partiels qui peuvent, eux aussi, se voir refuser le concours de leurs membres. Ceux-ci, à la différence de l’Etat, ne peuvent pas « imposer, ni liens d’allégeance, ni collaboration à volonté commune, ni soumission envers cette volonté, à ceux de leurs adhérents qui seraient réfractaires »[15]. De cette comparaison de l’Etat avec d’autres corporations « intra-étatiques » si l’on peut dire, découle alors la spécificité de l’Etat : une puissance irrésistible de contrainte sur les individus. Laissons ici la parole à l’éloquent Carré de Malberg :
« Le propre des collectivités étatiques, (..), c’est qu’elles possèdent par l’effet d’une puissance qui n’appartient qu’à elles, et qui trouve sa consécration dans le droit positif, la faculté d’imposer la volonté générale, même aux membres opposants, et de ramener ainsi la totalité des citoyens à une unité, qu’aucun d’eux ne pourrait, par le seul effet de son opposition, empêcher de se former, ni rompre. En d’autres termes, le propre de l’Etat, c’est qu’il est capable de dominer et de réduire les résistances individuelles, et cela se produit naturellement (..) . Voilà pourquoi le juriste ne peut manquer de retenir et de mettre en relief la puissance dominatrice comme le trait spécifique de l’Etat, comme le point culminant de sa définition. »[16]
On comprend mieux alors pourquoi et en quoi la souveraineté interne est cette qualité du pouvoir de l’Etat qui fait qu’aucun autre pouvoir, public ou privé , existant sur son territoire, doit céder devant ses exigences légales. Cette relation entre commandement et de l’obéissance passe ici par la mécanique des normes : l’Etat produit du droit soit par la loi, les décrets et arrêtés, voire par la constitution, et soit par ses juges, et ce droit doit être respecté par toutes les personnes soumises à cette puissance de l’Etat. Si par hasard, un individu ou un groupement violait les règles de droit « étatiques », il se verrait immanquablement sanctionné par l’Etat, d’abord par une sanction juridique (le plus souvent) par un juge, et par une sanction matérielle car la force publique vient prêter son concours aux autorités légales pour donner une effectivité aux décisions juridictionnelles.
Tout cela peut sembler abstrait, mais c’est pourtant ainsi que l’Etat fonctionne comme « pouvoir souverain ». Aucune autre collectivité publique ne peut prétendre rivaliser avec lui. Ainsi, en France, par exemple ; ni une région, ni un département, ni une commune n’ont droit au maintien de leur existence juridique, et peuvent en outre voir leur régime juridique constamment modifié par l’Etat au gré des nécessités. Les multiples modifications du droit des collectivités territoriales depuis la grande loi de décentralisation de 1982 suffiraient à établir cette évidence.
B/ L’extension du pouvoir souverain
Il ne suffit pas pour définir le pouvoir souverain de le caractériser comme un pouvoir suprême de domination. Encore faut-il préciser ce sur quoi porte un tel pouvoir. Deux précisions majeures ici s’imposent.
Selon la première, qui porte sur l’objet de la domination, l’Etat moderne, cet Etat législateur, apparaît d’abord et avant tout comme un Etat « territorial » au sens où il exerce son pouvoir de domination sur des personnes (physiques ou morales) à l’intérieur de son territoire. Plus exactement, le propre du pouvoir souverain est de saisir toutes les personnes et les biens qui sont dans l’orbite du territoire qu’il maîtrise, que ce territoire soit terrestre, maritime ou aérien. Il en résulte évidemment que les étrangers se situant sur son territoire sont soumis à un tel pouvoir souverain. C’est la conséquence logique du fait que le champ d’application de la loi est d’abord et avant tout spatial, territorial, et non pas personnel. Le grand juriste autrichien Georg Jellinek a parfaitement résumé cette idée en affirmant que « sur un seul et même territoire, un Etat seulement peut déployer sa puissance (Macht) »[17]. Sur le territoire de l’Etat, le pouvoir souverain, est censé bénéficier de l’exclusivité.
La seconde précision, tout aussi importante, porte sur le caractère largement indéterminé de l’action de l’Etat. Il n’y a pas de domaine limité ou réservé à l’Etat qui, contrairement à ce qu’enseigne la doctrine libérale de l’Etat, ne peut être cantonné à son prétendu domaine régalien. Dans notre livre sur La Puissance de l’Etat, nous avons suggéré d’appeler cette idée le principe d’omnicompétence de l’Etat qui est le résultat direct du fait que l’Etat détient, formellement le pouvoir de donner la loi à ses sujets. Puisque la puissance législative est la forme juridique par laquelle s’exprime la puissance du Souverain, les compétences étatiques sont définies non plus par leur objet, mais par leur imputation formelle au Souverain et à sa capacité à créer le droit positif. Cette plasticité du droit exprime l’idée que l’Etat doit être en mesure de répondre aux circonstances, aux défis que lui pose la société. Jean Bodin a formulé cette idée de magistrale façon: « Il faut que le Prince souverain ait les loix en sa puissance pour les changer et corriger selon l’occurrence des cas, (..) , tout ainsi que le maistre pilote doit avoir en sa main le gouvernail pour le tourner à sa direction” (Rép. I,8 p 204). Dans la doctrine juridique moderne, le juriste allemand Herbert Krüger a su moderniser cette doctrine de la souveraineté en caractérisant l’Etat par sa capacité de se saisir de toute affaire politiquement importante dans un paragraphe de son Traité sur l’Etat significativement intitulé: « De l’impossibilité de fixer a priori et une fois pour toutes” les taches de l’Etat » [Aufgaben des Staates] :
« Il faut (..) plutôt comprendre et percevoir l’Etat comme cette institution qui est autorisée à fixer tous les buts exigés par telle situation donnée. C’est en cela que réside une différence essentielle entre l’Etat et les autres groupes. Ces derniers sont caractérisés par un but unique, déterminé et stable, et parce que le pouvoir de fixer les buts peut échoir seulement à l’Etat, ils ne sont pas habilités à fixer eux-mêmes leur but. »[18]
Ainsi, si l’on suit cet auteur, l’Etat contemporain (non totalitaire) qui est reconnu aujourd’hui compétent pour traiter des problèmes culturels, économiques et même industriels, alors que la doctrine libérale des buts de l’Etat du siècle dernier tentait désespérément de le contenir dans des limites prétendument “naturelles”. L’actuel glissement du débat de l’interventionnisme économique vers l’interventionnisme écologique confirme la loi selon laquelle l’Etat se saisit de toute question politique devenue d’intérêt majeur pour la société.
La validité de ce principe d’omnicompétence de l’Etat, corollaire de la souveraineté, peut être confirmée par sa confrontation avec les notions de Fédération et de subsidiarité. La Fédération suppose un partage matériel de la souveraineté, c’est-à-dire un partage de la puissance publique. Elle s’oppose donc par nature à l’idée d’une omnicompétence de l’un de ses composants (Fédération ou Etat-membre). En effet, le pacte constitutionnel fédératif conçoit la compétence de la Fédération ou des Etats- membres comme étant tantôt d’attribution – limitativement énumérée donc – tantôt de droit commun. Les droits de souveraineté sont attribués, non pas de manière conjointe à des autorités concurrentes comme dans l’Etat unitaire (séparation des pouvoirs), mais à des autorités publiques différentes : la Fédération d’un côté, et de l’autre, les collectivités fédérées, les Etats-membres. Aucun des deux ne détient donc un pouvoir exclusif et indivisible.
N’étant pas un Etat, la Fédération caractérisée par la dualité de puissance publique (fédérale et fédérée) ne connaît pas la souveraineté[19]. En raison de son caractère indivisible, c’est-à-dire de la nature insécable des fonctions étatiques, la souveraineté de l’Etat, au sens de souveraineté interne, s’oppose diamétralement à la Fédération qui présuppose une séparation de ces fonctions matérielles, un partage de la souveraineté que tous les théoriciens de l’Etat ont parfaitement compris comme antinomique à l’idée même d’Etat.
Il est intéressant de relever que la doctrine de droit international public reprend à sa façon cette thèse lorsqu’elle énonce que l’Etat souverain est maître de ses compétences, au sens matériel. Elle introduit cependant une nuance d’importance : certes l’Etat règlemente ce qu’il veut, sauf renonciation consentie. En d’autres termes, dès lors qu’une question est « internationalisée, – le plus souvent par son inclusion dans des traités, l’Etat. a renoncé à exercer son pouvoir exclusif sur telle ou telle compétence puisqu’il a « contracté » avec d’autres Etats avec lequel il va devoir partager l’exercice de ses compétences. Pour prendre un exemple évocateur, lorsque des Etats concluent des conventions portant sur les droits de l’homme, ils reconnaissent que l’exercice de leur pouvoir sur tel ou tel domaine de compétence devra être compatible avec le respect de ces conventions. Mais quel que soit l’objet des traités, c’est toujours l’Etat qui décide lui-même de borner son pouvoir en concluant de tels traités internationaux.
II – Le pouvoir souverain contesté de nos jours
On a cité plus haut l’article de Dominique Rousseau qui évoque la fin de l’esprit-principe de la souveraineté, concept qui serait dépassé à l’âge de la globalisation ou de la mondialisation. Le topos est tellement connu qu’on a un peu d’hésitation à en parler, mais on sait qu’une littérature juridique conséquente nous invite à penser le pouvoir « au-delà de l’Etat » ou encore à remplacer la souveraineté par une « post-souveraineté » ou l’Etat moderne, par « l’Etat post-moderne », ou encore parler de néo-constitutionnalisme pour évoquer un constitutionnalisme qui serait à l’échelle globale et non plus national. Ce courant significatif de la pensée juridique considère donc qu’il faudrait dépassé ce monde de la souveraineté qui ne serait plus adapté à notre temps en raison d’une évolution soit du droit soit des faits.
Avant d’examiner ces évolutions, vous me permettrez de donner mon opinion personnelle : d’une manière générale, je rejoins l’opinion du juriste anglais Martin Loughlin qui a écrit un article intitulé « En défense de la théorie de l’Etat »[20], où il explique que la figure institutionnelle de l’État n’est ni périmée ni moribonde. La preuve en est, selon lui, qu’il n’y a pas pour l’instant de figure alternative institutionnelle qui soit crédible pour le remplacer. N’ayant donc pas perdu son objet, la théorie de l’État a encore de beaux jours devant elle, même si l’on ne peut plus parler de sa souveraineté de la même façon qu’il y a quarante ans, ce qui est certain.
Il nous semble qu’il faille distinguer entre le droit et les faits pour ce qui concerne les évolutions évoquées précédemment.
A/ Le pouvoir souverain n’est plus « imperméable » en droit
On parle parfois du caractère impénétrable du territoire (Undurchdringlichkeit) ou de son étanchéité (Impermeabilität) pour exprimer métaphoriquement l’idée du pouvoir souverain, caractérisé par le monopole de la production normative et de son application au sein d’un même territoire. Mais cette représentation de l’Etat est évidemment en contradiction avec l’émergence d’un autre phénomène qui est celui de l’imbrication des ordres juridiques, internationaux et européens.
Dans tous ces cas, il faut alors considérer du seul point de vue juridique que l’Etat accepte volontairement, formellement bien sûr, dans le cadre d’une autorité publique internationale, de voir son pouvoir souverain limité. Il perd l’exclusivité de son pouvoir dès lors qu’il consent à exercer le pouvoir avec autrui avec d’autres Etats. De ce point de vue, il faut immédiatement penser au cas de l’Union européenne qui est le plus emblématique de cette intrication des ordres juridiques. Même si l’UE n’est pas selon nous une Fédération, elle signifie indéniablement un processus de fédéralisation qui n’est pas achevé. Le fait que les Etats ne possèdent plus la maîtrise de leur monnaie, depuis le Traité de Maastricht, suffit à prouver qu’une des célèbres « marques de souveraineté » de Bodin a été abandonnée par les Etats et transférée à cette entité, l’UE, et en outre, en son sein désormais gérée par une instance indépendante qui est la Banque centrale européenne.
Du point de vue de sa substance, la souveraineté des Etats part en lambeaux : d’où la métaphore du chou-fleur : à partir de combien de fleurs disparue dans le chou, car transférées à l’Union, y a-t-il encore un chou à savoir un Etat. ? D’où la question délicate : si le pouvoir souverain est suprême formellement parlant, mais dépouillé de ses attributs, peut-on encore dire que le pouvoir de l’Etat des Etats-membres est « encore » un pouvoir souverain ? C’est tout le problème que pose la fédéralisation du pouvoir étatique. On connaît la réponse classique proposée par la doctrine de droit international public, à savoir que la conclusion de n’importe quel traité international est l’expression de la souveraineté d’un Etat. Donc, la conclusion des traités européens, du traité CECA au traité de Lisbonne (2009) en passant par le traité de Rome sur la CEE (1957) ne serait que l’expression d’une telle souveraineté et donc parfaitement incontestable
En même temps et symétriquement, les juridictions constitutionnelles chargée d’examiner, quand elles sont compétentes pour le faire, la compatibilité des traités intégrateurs de l’Europe institutionnelle avec les constitutions nationales ont toutes dit, plus ou moins nettement, que ces traités étaient contraires à la constitution. La preuve en est qu’il fallait modifier la constitution nationale pour rendre possible la poursuite de la construction européenne. En France, le Conseil constitutionnel a même inventé une expression fort ambiguë de « conditions essentielles d’exercice de la souveraineté » pour affirmer par exemple, à propos du traité de Maastricht en 1994, qu’il fallait réviser la constitution si l’on voulait ratifier de façon licite, le projet de traité. Ainsi, aussi paradoxal que celui puisse paraître au profane, l’expression de la souveraineté internationale conduisait ici à une violation de la souveraineté nationale et pour s’en sortir, les légistes ont dû réviser la constitution pour autoriser un transfert plus important de compétences à l’Union européenne.
En réalité, la question européenne soulève un problème aussi difficile que passionnant, à savoir : un Etat peut-il renoncer de lui-même à sa souveraineté ? De ce point de vue l’analogie avec l’engagement fédéral sous forme de pacte fédératif, est frappante. Dans ce dernier cas, il ne s’agit pas d’un véritable suicide politique car l’Etat survit sous une autre forme que celui de l’Etat (l’Etat monade, a-t-on écrit) : il devient un Etat-membre. C’est mutatis mutandis ce qui se passe dans l’actuelle Union européenne. Les Etats deviennent des Etats-membres de l’Union européenne de sorte que la doctrine propose même d’isoler ce statut en parlant d’‘Etat intégré » pour désigner cet Etat-membre de l’UE qui a transféré une partie de ses « marques de souveraineté », comme la monnaie, à l’UE.
La situation qui en résulte est une situation d’entre-deux qui est bien résumée par Neil Mc Cormick selon qui « ni les Etats-membre ni l’Union européenne, dont ils sont membres, ne peuvent être, à strictement parler, être considérés comme jouissant de la souveraineté de nos jours »[21]. Pour démontrer cette idée, il recourt à une comparaison très métaphorique. On peut considérer la souveraineté comme étant soit une propriété et alors ce qui est perdue est gagnée par celui qui l’acquiert, soit comme étant l’équivalent de la virginité, et la perte de celle-ci ne signifie pas un gain d’un autre côté du bénéficiaire. Il penche pour cette seconde solution car il estime, objectivement dit-il, que la perte de souveraineté au sens défini plus haut de pouvoir souverain, indivisible et exclusif, n’est pas compensée par un gain de souveraineté au profit de l’Union européenne qui n’est ni un Etat, ni même un super-Etat. N’est-ce pas ce que la High Court ( Cour suprême) d’Angleterre et de Pays de Galles a dit dans sa grande décision (Miller I) dans un des passages les plus marquants : « les traités [constitutifs] de l’Union européenne ne concernent pas seulement les relations internationales du Royaume Union ; ils sont une source de droit (law) interne et ils sont une source de droits individuels (rights) internes dont beaucoup sont inextricablement liés à du droit national procédant d’autres sources » ?C’est un constat qui nous semble lucide. Il semble en effet évident l’on ne peut plus décrire l’Etat moderne, du moins l’Etat membre de l’UE, comme doté d’un pouvoir souverain, en droit. Il ne l’a plus, pour la bonne et simple raison que les traités de l’UE ont en quelque sorte avalisé cette renonciation à la souveraineté. Nous allons cependant voir maintenant que cette renonciation n’est pas forcément irréversible.
On en arrive alors, inévitablement, au malaise européen qui est formulé par certains sous le terme de « déficit démocratique », mais qu’on peut formuler comme le malaise démocratique. On voudrait l’illustrer par comparaison avec le principe du fédéralisme ; On prétend souvent que seul le régime fédéral permet de penser une démocratie existant en-dehors du cadre national, c’est-à-dire au-delà de la communauté politique d’origine, dans la mesure où la démocratie serait en quelque sorte étendue du niveau de l’État-membre au niveau de la fédération. Seule une démocratie fédérale, c’est-à-dire une démocratie composée de démocraties, concilierait les deux conditions requises par un tel élargissement: d’un côté, une forme politique qui dépasse les États-nations et les englobe (la fédération) et, d’un autre côté, une forme de gouvernement supposant la maîtrise de son destin par le peuple (la démocratie). Pour qu’un tel dessaisissement de la souveraineté des nations d’origine soit compatible avec le principe démocratique, il faut que celui-ci irrigue de part en part la Fédération, c’est-à-dire qu’il règne sur les deux faces de la Fédération : la fédération et les États-membres.
Une telle construction passe sous silence la difficulté inhérente à la démocratie fédérale : même s’il existait un peuple de la fédération décidant au nom et pour le compte de tous les peuples de la fédération (les peuples des États-membres), le risque d’une « minorisation » d’une nation fédérée demeurerait. Autrement dit, le problème auquel est confronté tout peuple décidant de s’unir avec d’autres peuples en vue de fonder une Fédération est celui du risque d’abandon de sa souveraineté dès lors que, sur des questions décisives, il pourrait perdre la maîtrise de son destin politique si les institutions fédérales prenaient, à la majorité, et non à l’unanimité, des décisions contraires à celles qui seraient voulues par lui. N’est-ce pas cette difficulté qui est au centre de la querelle sur la souveraineté qui date du traité de Maastricht puisque l’extension du transfert des compétences signifiait nécessairement, à un moment donné, que sur un certain nombre de sujets, les Etats-membres perdaient leur droit de veto et étaient minorisés » dans des cas possible quand l’équivalent du pouvoir législatif européen – Conseil des ministres européen et le Parlement européen – prend des décision à la majorité et non à la minorité. Le déficit démocratique provient de ce que les instances européennes ne sont pas toujours élues au suffrage universel, mais surtout ne sont pas politiquement responsables au sens classique du terme.
Toutefois, dans la littérature juridique, une thèse assez répandue consistait à soutenir que les Etats restaient souverains dans la mesure où ils étaient « maîtres des traités » (Herren der Verträge) selon l’expression forgée par Dieter Grimm. Mais dans cette acception, cela signifiait principalement que les Etats conservaient la compétence de la compétence car ils maîtrisaient la révision des traités, une révision ne pouvant être effectuée sans leur consentement (règle d’unanimité donnant un droit de veto à chaque Etat). C’est cet argument que défend Michel Troper avec le brio qu’on lui connaît. Un tel argument transpose au niveau du traité le raisonnement appliqué à la révision de la constitution qui est supposée exprimer la souveraineté dans l’ordre interne.
Toutefois, la survenance du Brexit est venue perturber ce raisonnement car cet évènement ne s’est pas situé dans le cadre de la simple révision des traités. Il s’agissait de bien davantage, c’est-à-dire d’une « sortie des traités » pour employer une expression familière. Ici encore, le parallèle avec la Fédération est éclairant. La présence du risque d’une minorisation permanente d’une fraction d’Etats ou d’un seul Etat dans une fédération induit le risque de la sécession, ce moyen d’action en dernière instance, cette ultima ratio propre à toute Fédération ? On l’a vu avec les Etats du Sud des Etats-Unis qui se sont rebellés quand ils ont compris que la victoire de Lincoln signifierait la fin de l’esclavage, fondement de leur prospérité économique. C’est le cas aussi du Québec dont une partie de la population aspire à l’indépendance. Dans sa décision de 1998, la Cour suprême du Canada a estimé, à propos du Québec, qu’une sécession, à condition d’être négociée et non purement unilatérale, pouvait tout à fait être partie intégrante du pacte fédéral qui unit tous les États d’une Fédération
Ce détour par la question de la sécession dans une Fédération nous semble judicieux pour évoquer la question du Brexit. Comme on le sait, le Royaume-Uni a utilisé les dispositions de l’article 50 du traité de Lisbonne permettant aux Etats-membres de l’UE de se retirer de cette Union. On rappelle que, par un référendum du 23 juin 2016, le peuple anglais a majoritairement décidé de quitter l’UE. Après de multiples péripéties qui ont duré plus de trois ans, un accord de sortie a été conclu entre le Royaume Uni et l’UE qui a été approuvé par une décision du Conseil européen en date du 30 janvier 2020. Il nous semble qu’une lecture objective du droit en vigueur conduit à penser que le Brexit témoigne de l’existence du droit pour un Etat-membre de sortir unilatéralement de l’Union on veut dire par là d’un droit unilatéralement et discrétionnairement exercé. C’est du moins ce qu’une courte exégèse de l’article 50 prouve. D’une part, son premier alinéa reconnaît solennellement ce droit de sortie : « Tout Etat-membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union. » (Art. 50 al. 1, TUE). Les alinéas suivants décrivent la procédure et les effets de cette décision initiale et fondamentale, voire fondatrice. Ainsi, le second alinéa stipule que « L’État membre qui décide de se retirer notifie son intention au Conseil européen. À la lumière des orientations du Conseil européen, l’Union négocie et conclut avec cet État un accord fixant les modalités de son retrait, en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l’Union. » C’est bien ce qui s’est passé puisqu’il y eut, d’abord une décision unilatérale de quitter l’UE, et ensuite, seulement un accord de sortie. Mais les deux choses sont indépendantes l’une de l’autre. Le texte de l’article 50 (al.2) mentionne bien que « l’Etat membre qui décide de se retirer » ; par conséquent, il ne décide pas avec les autres de partir. Il décide seul et ensuite négocie les modalités de son départ. Autrement dit, la décision du retrait est un acte unilatéral, à la différence de l’accord de sortie qui est un acte conventionnel. La meilleure preuve selon nous tient au fait d’ailleurs que, à un moment donné des négociations sur la sortie, tout le monde était prêt à envisager une sortie sans accord. Cette perspective du « No Deal » qui agitait les milieux politiques à Londres et à Bruxelles signifiait la possibilité d’un échec pour conclure l’accord de sortie, sans pour autant préjuger de la sortie jugée inévitable ou irréversible. Bref, le Brexit a illustré l’existence d’un moyen radical d’actualiser une souveraineté latente en la figure de la sécession unilatérale, qui était, à la différence de ce qui se passe dans mains textes des pactes fédératifs, prévue par le traité de Lisbonne.
L’autre intérêt du Brexit est qu’il fait télescoper la souveraineté de l’Etat avec la souveraineté du peuple. Certes, en droit, si on lit les actes juridiques officiels, c’est bien « le Royaume Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord » qui est désigné comme la personne juridique compétente pour conclure les traités. Mais, dans les faits, c’est bien le référendum initial provoqué par le premier ministre, Cameron, qui a été l’élément décisif. Le 23 juin 2016, une majorité du peuple britannique (51,9%) a décidé de quitter le navire européen, c’est-à-dire a voté Leave au lieu de Remain. Pourtant, ce référendum n’avait que valeur consultative, mais la « souveraineté politique », selon Dicey, du peuple a contraint le Parlement de Westminster – le titulaire de « la souveraineté juridique » (toujours selon Dicey) dans le droit constitutionnel britannique – à décider le départ de l’Union européenne alors même que le gouvernement anglais avait cru possible de déclencher seul la procédure de sortie. Les juges sont venus rappeler qui était le Souverain en droit. On voit ici se télescoper ici la souveraineté de l’Etat et la souveraineté de l’organe. C’est le Souverain légal, le Parlement de Westminster qui ratifie la décision du peuple du Royaume Uni (le Souverain politique) de ne plus rester membre de la collectivité publique appelée « Union européenne ». La question existentielle est donc tranchée par les électeurs. Par la même occasion, on s’aperçoit que le Royaume Uni reste un Etat unitaire car le peuple du Royaume Uni décide pour les autres peuples, composante de ce peuple. En effet, comme on le sait, le peuple écossais, si cette formule a ici encore un sens – a voté dans le sens inverse de la majorité et aurait souhaité rester membre de l’UE. D’une certaine manière, le Brexit a démontré ; in vivo, si l’on peut dire, que les Etats-membres de l’Union européenne conservent en dernière instance, la prérogative suprême de quitter l’organisation à laquelle ils appartiennent.
C’est un usage suicidaire de la souveraineté, rétorquent les partisans du maintien dans l’UE. Ainsi, l’ancien président de la Banque européenne, Draghi s’exprimait dans les termes suivants à l’Université de Bologne le 22 février 2019 : après avoir rappelé que l’Europe à elle seule ne constituait plus que 7 % de la population mondiale et qu’elle devait naviguer entre une Chine conquérante et les Etats-Unis, il a alors déclaré, au vu de ce contexte menaçant pour elle, la chose suivante : « les pays d’Europe doivent travailler ensemble » s’ils veulent disposer de cette aptitude à façonner son destin que l’on appelle ” la souveraineté » . Il ajoutait : « Peu de pays européens ont une taille leur permettant (…) de peser sur des négociations commerciales internationales. » Bref, dans les domaines où « l’Etat nation n’a guère de pouvoir seul, (…) l’UE n’empiète en rien sur la souveraineté de ses membres, elle leur offre la possibilité d’en reconquérir »[22] .C’est exactement l’argument économico-politique qui est le leitmotiv de tous les écrits de Jean Monnet sur l’Europe. Mais le juriste, lui, doit seulement constater que l’argument qui l’a emporté en pratique fut l’argument classique de la souveraineté dans son sens le plus « moniste » qui soit, au grand dam de ceux qui auraient voulu une interprétation plus pluraliste[23].
B/ Le pouvoir souverain menacé par les faits
Depuis le début du XXe siècle, on fait régulièrement le procès de l’Etat qui serait dépassé par les forces sociales, soit par les groupes économiques puissants, soit par les forces sociales comme les syndicats. La théorie de l’Etat pluraliste de Laski et dans une certaine mesure de Duguit, a théorisé cette obsolescence de l’Etat. Depuis les années 1920, sous Weimar, les meilleurs esprits se sont posé la question de savoir si l’Etat pouvait être encore considéré comme l’organisation capable de transcender les forces économiques et sociales et d’imposer sa volonté aux diverses forces institutionnalisées[24]. Dans les années 1960, ce débat rebondit quand est évoquée la menace que faisaient peser les grandes entreprises multinationales sur la souveraineté des Etats. On garde en mémoire peut-être le mot fameux du PdG de General Motors : « ce qui est bon pour General Motors est bon pour les Etats-Unis » de sorte que le capitalisme avait ici partie liée avec l’impérialisme. Faut-il rappeler que les nationalisations en France de 1982 ont été largement fondées sur ce thème d’une reconquête de la « souveraineté industrielle » ?
De nos jours, est régulièrement évoquée la menace que feraient peser les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) sur leur souveraineté numérique. La semaine dernière, la presse s’est fait l’écho de l’échec du « cloud souverain » français et du danger que ferait courir à notre pays la conservation de données sensibles, d’entreprises privées sur des serveurs situés aux Etats-Unis et potentiellement soumis à une inspection possible de la justice américaine en cas de plainte. D’une façon générale, cette révolution technologique qui bouleverse la vie quotidienne et vecteur de notre troisième révolution industrielle, affecterait la souveraineté d’une double façon : d’une part, du point de vue fiscal, car la plupart de ces GAFA échappe à l’impôt, et d’autre part, du point de vue de la sécurité de l’Etat car des entreprises privées seraient, de facto, détentrices de données sensibles.
Du point de vue qui est le nôtre aujourd’hui, à savoir le « pouvoir souverain », la question numérique reprend l’antienne selon laquelle le capitalisme ferait peser une grave menace sur les Etats-nations dans la mesure où les entreprises privées remettraient en cause la prétention de domination que l’Etat élève sur son territoire. Pour résumer la situation provoquée par l’irruption de ces nouvelles technologies de la communication, on dit parfois que « une logique de réseaux supplante de plus en plus les logiques des lieux »[25] Plus concrètement, on observe que « l’Etat se trouve désormais de plus en plus concurrencé par d’autres entités productrices de normativité. Les opérateurs économiques, les ONG, agissant localement ou dans des réseaux transnationaux suivant des logiques qui semblent de moins en moins compatibles avec le dogme de l’Etat territorial, exerçant les attributs de la souveraineté à l’exclusion de toute autre entité »[26] ; La création de ce cyberespace aurait pour effet de créer une multiplicité de normativités dont ces normativités techniques engendrées par la révolution numérique qui mettraient en péril la normativité étatique. Mais dira-t-on la révolution des transports n’a-t-elle pas produit le même phénomène ? Par exemple l’aviation, cette nouvelle technologie se déjouait-elle pas aussi les frontières physiques et ne serait- elle pas équivalente à la rupture numérique ? Toutefois, dans cas du transport aérien, les juristes, jamais à court d’imagination, ont immédiatement créé l’équivalent d’une frontière terrestre, avec cette idée d’un « territoire aérien » se situant au-dessus de la frontière terrestre.
Cependant, il est permis de relever une nouveauté dans la révolution numérique, celle qui devrait intriguer le juriste. Celle-ci en effet pose un défi au pouvoir souverain dans la mesure où elle remet en cause le fondement territorial de sa domination. En effet, le propre de la révolution numérique tient en cette capacité à se jouer des frontières et à concevoir le monde dans lequel elle agit comme un espace mondial ou mondialisé. Il y a désormais des acteurs du droit qui agissent sur le territoire national – ils écrivent par exemple sur leur ordinateur, de leur bureau ou de chez eux-, mais le droit qui leur est applicable, n’est pas ce droit national, mais un autre droit, parce que l’hébergeur du site sur lequel ils écrivent est à l’étranger, ou encore parce que la domiciliation de la messagerie sur laquelle ils écrivent est aussi à l’étranger. Le lien de rattachement du droit subit une mutation fondamentale comme le montre l’exemple sidérant des entreprises qui ayant passé des contrats avec l’Iran, tombent sous le coup de la loi des Etats-Unis parce que les tribunaux de cet Etat se sont estimés compétents pour la seule raison que les e-mails, leurs courriels, de ces entreprises ont transité par un serveur domicilié aux Etats-Unis. On voit ici comment internet et impérialisme ont partie liée dans la mesure où la maîtrise de données techniques est un formidable attracteur de compétence juridictionnelle.
Mais, encore une fois, est-ce une véritable nouveauté ? Comme on le sait, les Etats-Unis ont développé une législation visant à lutter contre la corruption (FCPA, Foreign Corrupt Practises Act) qui apparaît fort invasive. Aux termes de cette loi modifiée en 1998, y est désormais soumise toute personne physique ou morale qui agirait frauduleusement « sur le territoire des Etats-Unis […] en faisant usage du courrier postal ou tout moyen ou instrument du commerce entre Etats, ou de toute autre manière, en vue du paiement de toute somme d’argent ou du don de toute chose de valeur, ou de la proposition, de la promesse ou de l’autorisation d’un tel paiement ou d’un tel don, à tout agent public étranger ». Les juges américains ont ainsi prétendu que des entreprises européennes pouvaient tomber sous le coup de la loi américaine pour le seul motif qu’elles avaient libellé leur contrat avec l’Iran en dollars. Ainsi, le seul critère de la monnaie peut être un critère de compétence juridictionnelle. Or, la monnaie ne connait pas de frontières, elle non plus. Cette évolution témoigne d’une interprétation très large de l’extra-territorialité de la législation américaine qui a attiré l’attention de nos députés français, dont certains ont rédigé, en 2016 un rapport très critique sur l’extraterritorialité de la législation américaine[27]. Dans la conclusion de ce rapport, ils considèrent « comme nécessaire de faire valoir auprès des États-Unis que certaines pratiques sont devenues abusives et que la France ne les acceptera plus. À ce titre, la France doit exiger la réciprocité dans l’application de certains accords internationaux. Elle doit également se doter d’armes juridiques similaires aux États-Unis pour pouvoir lui imposer des politiques coopératives. »[28].
En réalité, de tels faits révèlent un impérialisme de la puissance américaine qui utilise le droit pour étendre sa domination économique sur le monde et sur l’Europe. Mais cet impérialisme, de fait, ne repose-t-il pas uniquement sur la démission, de fait, des autres Etats qui ne réagissent pas juridiquement à cette tentative unilatérale d’imposer l’extra-territorialité d’un droit national ? Cette observation rejoint la fine analyse proposée récemment par Carlo Santulli qui, à l’encontre d’une doctrine très dominante, soutient la thèse de « l’expansion de la souveraineté de l’Etat »[29] qu’il analyse, lui, à partir des conventions internationales.
Pour résumer, le pouvoir souverain n’est pas ici menacé, du moins en droit. C’est son non-usage qui est marquant, mais c’est de la politique et non plus du droit. Il révèle, et c’est triste à dire pour un juriste, la faiblesse du droit en France, qui a des conséquences politiques et économiques. Ce serait une autre matière de conférence que d’expliquer pourquoi le droit n’est pas pris au sérieux en France. Je m’arrête donc là et vous remercie de votre attention.
[1] D. Rousseau, « L’ancien monde qui finit », Le Monde du 17 juin 2014.
[2] in Pouvoirs
[3] On renvoie pour la démonstration érudite et impeccable à Emmanuelle Tourme-Jouannet, Emer de Vattel et l’émergence doctrinale du droit international classique, Paris, Pédone, 1998
[4] Questioning Sovereignty, Oxford University Press, 1998, p. 129.
[5] « Toute relation de pouvoir — écrit-il — peut se décrire schématiquement comme « X veut faire faire Z à Y » et combine quatre moments : une volonté équipée d’un argument, l’obéissance ou la désobéissance, la sanction.» (conférence du 6 janv 2020 sur le site de l’Académie).
[6] L’essence du politique, Paris ; Sirey, 1965, rééd. 3e édition, 1978, Dalloz 2004 (postface 2004).
[7] N. Mc Cormick, Questioning Sovereignty, Oxford Univ Press, 1999 (rééd. 2008), p. 129.
[8] C’est le titre de son article « Pas une puissance, mais une liberté : la souveraineté internationale de l’Etat » in Pouvoirs n° 67 (sur la souveraineté) p. 51.
[9] J. Combacau, Pouvoirs n° 67, p. 51.
[10] G. Cahin, Rapport introductif sur la compétence et l’Etat, AFDI rapport de Rennes, .
[11] Nous renvoyons ici aux travaux de Jean Combacau, et notamment à son article : « Le droit international : bric-à-brac ou système ? » , Archives de philosophie du droit, 1986 ?
[12] Raymond Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, op. cit., p.XV.
[13] Ibid. p XIII et s.
[14] Ibid. p. XIV.
[15] Raymond Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, op. cit., p. XIV.
[16] Ibid p. XIV et s. Souligné par nous.
[17] Ibid .p.396.
[18] Allgemeine Staatslehre, p.760..
[19] Lorsque la Fédération dégénère en Etat fédéral, alors la réserve de souveraineté joue en faveur de l’Etat fédéral et au détriment de l’Etat fédéré.
[20] “In defence of the Statslehre” Der Staat 28 (1989), pp. 161-172.
[21] Questioning Sovereignty, p. 126.
[22] Cité dans l’article du Monde du 21 mars 2019. A. Frachon, «Le Brexit, c’est moins de souveraineté »,
[23] Lire par exemple, Jean Leclair, ” Brexit and the Unwritten Constitutional Principle of Democracy : A Canadian Perspective”, publié sur le site de l’Association du droit constitutionnel RU : https://ukconstitutionallaw.org/2016/11/03/jean-leclair-brexit-and-the-unwritten-constitutional-principle-of-democracy-a-canadian-perspective/
[24] Otto Kirchheimer, « In Quest of Sovereignty”, (1944) in O. Kirchheimer, Politics, Law and Social Change, NY, Columbia U. Press, 1969, pp. 188-189.
[25] P. Trudel « Ouverture ; la souveraineté en réseaux » in Blandin-Obernesser (dir.), Droit et souveraineté numérique en Europe, Bruylant, 2016, p. 5.
[26] Ibid. p. 6.
[27] Assemblée nationale Doc. Parl, rapport n° 4082 (2016) président P. Lellouche, rapp. K. Berger., Rapport d’information (..) sur l’extraterritorialité de la législation américaine.
[28] Ibid. p. 135.
[29] RGDIP, 2019, p. 355 et suiv.