Séance ordinaire du 24 septembre 2018
par Anne Levade,
professeur de droit public à l’université Paris Est-Créteil
Introduction par M. François d’Orcival,
Président de l’Académie des sciences morales et politiques
Communication de Mme Anne Levade,
professeur de droit public à l’université Paris Est-Créteil
Introduction par M. François d’Orcival,
Président de l’Académie des sciences morales et politiques
Madame le Professeur, Madame,
Il y a exactement deux ans, à trois jours près, vous deveniez une star des chaînes d’information en continu. Vous étiez la présidente de la Haute autorité de la primaire de la droite et du centre. Et vous veniez, pour la première fois de l’histoire de la droite, de déclarer que sept candidats, sur les huit présentés, étaient éligibles au scrutin « primaire » à deux tours des 20 et 27 novembre 2016… Parmi les sept, on comptait un ancien président de la République, deux anciens premiers ministres, trois anciens ministres, un simple député. Aujourd’hui, cinq ne sont plus dans le jeu ; le député n’est plus député ; et si l’un des trois anciens ministres est resté ministre, c’est pour avoir su changer de parti…
Que peut être l’avenir de cette sélection politique ?
Deux ans après, la question paraît provocante. Mais personne, mieux que vous, ne pouvait y répondre. Parce que vous avez été partie prenante de ce processus inédit – et par un de ces détours que votre brillante carrière de constitutionnaliste ne laissait pas imaginer…
Universitaire, agrégée de droit public, vous enseignez cette discipline depuis plus de vingt ans, à l’université de Paris-Est Créteil Val de Marne, où vous avez été élue professeur en 2001. Vos enseignements et vos recherches portent sur le droit constitutionnel français et le droit communautaire européen, ainsi que sur les libertés publiques. Vous êtes l’un des auteurs d’une vaste étude du traité constitutionnel européen de 2005. Vos travaux vous ont valu la reconnaissance de vos pairs : secrétaire générale de la prestigieuse Association française de droit constitutionnel de 2011 à 2014, vous en êtes depuis, la présidente.
Dès 2002, vous aviez été nommée membre de la commission chargée de réfléchir au statut pénal du chef de l’État, qui a débouché sur la loi constitutionnelle du 23 février 2007 relative à la responsabilité du président de la République devant la justice. Vous êtes par la suite appelée à prendre part aux travaux du comité Balladur, lesquels sont à l’origine de la réforme constitutionnelle de 2008. Le premier ministre du moment, François Fillon, vous nomme au Conseil d’analyse de la société, chargé de l’assister dans ses réflexions, conseil au sein duquel vous croisez nos confrères Emmanuel Le Roy Ladurie et Haïm Korsia. Ce conseil ne survivra pas à l’élection présidentielle de 2012.
C’est alors que, hasard et nécessité, la défaite de la droite vous plonge dans la vie politique. L’élection pour prendre la tête de l’UMP a viré au chaos. Il faut tout reprendre. Or les deux chefs lancés dans leur guerre fratricide ne sont d’accord que sur un point : faire appel à vos compétences pour réécrire les statuts de leur parti et prendre, en 2014, la présidence d’une Haute Autorité nouvellement créée, afin de veiller à la régularité et au bon déroulement des scrutins internes de l’UMP, fonction que vous occupez avec d’autant plus de rigueur et d’impartialité que vous n’appartenez pas à ses instances. Les éloges unanimes qui ont accompagné la fin de votre mandat en janvier dernier disent combien votre mission a été réussie et appréciée.
L’organisation des primaires de la droite et du centre représentait un défi de taille. Parce qu’il fallait tout créer. Défi juridique, défi logistique. Certes, le Parti socialiste avait ouvert la voie, dès 2006, et en grand format en 2011, avec succès. Me Jean-Pierre Mignard, présent parmi nous, fut d’ailleurs l’un des maîtres d’œuvre de cette expérience inédite. Cette primaire de la gauche avait attiré plus de 2,8 millions de citoyens. Ils furent près de 4,4 millions, le 27 novembre 2016, pour le second tour de la primaire de la droite. Le pari fut donc gagné.
On connaît la suite.
Or la gauche aussi, socialiste et écologiste, renouvela ses propres primaires citoyennes, au mois de janvier 2017, pour désigner son candidat. Son sort ne fut pas moins cruel que celui du candidat de la droite. Au second tour de l’élection présidentielle, ne restèrent en lice que deux candidats qui ne s’étaient soumis à aucune consultation « primaire ». Et cependant, quel paradoxe, on ne peut pas dire que les campagnes pour les primaires n’aient pas mobilisé l’opinion, à droite, au centre, à gauche…
Alors ? Que restera-t-il de cette procédure ?
Il y a trois ans de cela, lors d’un débat public à Lyon, vous vous étiez interrogée sur la revendication croissante des citoyens à vouloir plus de démocratie représentative de l’opinion. Mais, disiez-vous, « l’invention d’un modèle visant à pallier le déficit de légitimité ou à re-légitimer une décision, si elle est louable autant que salutaire, doit être assortie de la conscience qu’une solution doit pouvoir être adoptée[1].”
Seules deux formations politiques ont conservé dans leurs statuts la sélection de leur candidat à la présidentielle par une primaire, Les Républicains, et les socialistes. L’affaire ne serait-elle donc pas morte ? Telle est la question posée, à l’heure où nous célébrons le 60e anniversaire de la Ve République.
Madame, vous avez la parole.
[1] Anne Levade, « Dépassée, la démocratie représentative est-elle dépassable ? ». Débat « La démocratie au-delà de la représentation ». Lyon, Villa Gillet, 19 novembre 2015, voir : http://ses.ens-lyon.fr/articles/depassee-la-democratie-representative-est-elle-depassable–289725.
Communication de Mme Anne Levade,
professeur de droit public à l’université Paris Est-Créteil
Évoquer le processus des élections primaires dans le cadre d’un cycle d’études consacré à l’opinion publique peut sembler une évidence, spécialement lorsque l’on s’intéresse à la situation en France.
Les primaires ont été voulues et, dans une large mesure, façonnées, par l’opinion. Ensuite, lorsqu’elles ont été organisées, l’opinion les a plébiscitées. Dès 2011 mais, plus encore, en 2016 et 2017, les débats télévisées ont passionné et le niveau de participation a été plus élevé que nul ne l’imaginait. Aujourd’hui, avec le recul de deux élections présidentielles, c’est la même opinion qui semble désormais les vouer aux gémonies. Les primaires auraient échoué puisqu’elles n’ont pas permis de désigner celui qui allait remporter la présidentielle de 2017 et que, même, aucun des candidats désignés à l’issue d’une primaire ne fut présent au second tour.
Toutefois, on aurait tort de ne voir dans les primaires qu’un phénomène d’opinion.
Certes, elles participent d’un processus qui contribue à forger l’opinion publique à un instant t. Mais elles sont, avant tout et plus prosaïquement, une procédure qui, parmi d’autres, permet de sélectionner un candidat en vue d’une élection. Et si cette procédure a été importée en France, c’est parce que des expériences étrangères semblaient montrer qu’elle était d’une redoutable efficacité.
On s’en souvient, longtemps, les primaires furent présentées comme un procédé original et, pour tout dire, exotique que les États-Unis pratiquaient. Puis, progressivement, leur modèle s’est diffusé en Europe, mais pour des raisons radicalement différentes de celles qui avaient justifié leur développement outre-Atlantique.
Aux États-Unis, l’idée d’organiser des primaires revient à un parti populiste au sens propre du terme – le People’s Party – qui, à la fin du XIXe siècle, reprochant aux autres formations politiques de confisquer la désignation des candidats proposa que le « peuple » s’en chargeât. C’est ainsi qu’eurent lieu les premières primaires qui se multiplièrent d’abord de manière désordonnée en vue d’élections fédérées autant que fédérales avant de se généraliser à partir de la fin des années 1960. Aujourd’hui, seuls une dizaine d’États fédérés préfèrent la formule des caucus dans laquelle le choix des candidats revient aux seuls militants.
Lorsque, un siècle plus tard, certains États européens se convertissent à l’organisation de primaires, c’est avant tout en réaction à la crise que connaissent les partis politiques. Ici n’est pas le lieu d’exposer en détail les primaires organisées par plusieurs partis politiques en Grèce, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne ou encore en Italie. Retenons simplement que, aussi différentes fussent-elles, toutes visaient à rapprocher les électeurs de la chose politique et, pour le dire autrement, à retisser le lien avec des partis politiques en mal d’adhérents et de légitimité.
En France, on aurait tort de l’oublier, l’importation des primaires a une histoire, quand bien même suit un parcours chaotique dans lequel l’utilisation du mot ne rend pas toujours compte de la réalité.
D’abord, rendons à César ce qui est à César, c’est aux écologistes que l’on doit l’organisation de la toute première primaire de l’histoire politique française. Le 15 juin 1980, Brice Lalonde est désigné candidat à la présidentielle de 1981 par l’ensemble des associations constitutives du mouvement écologiste qui ne s’est pas encore constitué en parti politique. Reconnaissons-le, à l’époque, cela accrédite l’idée que la primaire est un exercice folklorique…
Il faudra, ensuite, attendre presque dix ans et la défaite de Jacques Chirac à l’élection présidentielle de 1988 pour que, on l’oublie trop souvent, l’idée d’organiser une primaire soit sérieusement étudiée par la droite. Charles Pasqua en est à l’origine, qui explique que, si la droite veut gagner l’élection présidentielle, elle n’a d’autre choix que de s’unir dès le premier tour. Initialement conçu pour que le RPR et l’UDF unissent leurs forces, le raisonnement prend une nouvelle tournure à partir de 1993 lorsqu’il apparaît qu’Édouard Balladur, Premier ministre de la deuxième cohabitation, pourrait affronter Jacques Chirac qui est le candidat du parti en vue de la présidentielle de 1995. Très sérieusement envisagée alors que l’on imagine que Jacques Delors pourrait être le candidat de la gauche, le projet d’une primaire est finalement abandonné lorsque celui-ci annonce qu’il ne briguera pas le mandat. La victoire de Jacques Chirac en 1995 fera le reste, l’idée d’une primaire tombant, à droite, aux oubliettes.
C’est donc enfin la gauche qui reprendra le flambeau, usant abondamment du mot pour accréditer le caractère démocratique d’un processus qui n’est d’abord qu’intra-partisan avant que ne soit organisée une véritable « primaire ouverte », c’est-à-dire accessible à l’ensemble des électeurs. En 1995, une « primaire » réservée aux militants est organisée en urgence : en cause, la défaite de Michel Rocard aux élections européennes et le renoncement de Jacques Delors. Le scrutin voit s’affronter Henri Emmanuelli, premier secrétaire du parti, et Lionel Jospin ; le second, présenté contre le candidat de l’opinion, l’emporte largement. En 2002, l’idée d’une primaire n’est pas même évoquée puisque le même, Premier ministre sortant d’une cohabitation sans précédent qui a duré cinq ans, apparaît comme le candidat « naturel » que la gauche opposera au président de la République sortant qui a annoncé briguer un second mandat. La multiplication des candidatures de gauche au premier tour de la présidentielle entraînera une déflagration le 21 avril 2002 : l’adversaire de Jacques Chirac au second tour de la présidentielle est Jean-Marie Le Pen.
Alors que la droite pense avoir trouvé la parade en formant un parti unique, l’UMP, regroupant les anciennes formations concurrentes qu’étaient le RPR et l’UDF, la gauche se trouve encore désunie à la veille de la présidentielle de 2007. Le principe de la primaire a été inscrit dans les statuts du PS ; en 2006, on arrête ses modalités et voit le jour une « primaire semi-ouverte », les sympathisants étant appelés à gonfler les rangs des militants moyennant l’opération « carte à 20 euros ». Ségolène Royal l’emporte. 180 000 électeurs ont pris part au vote, c’est deux fois et demi plus qu’en 1995.
Mais, parce que la candidate, comme Lionel Jospin cinq ans auparavant, perd l’élection présidentielle, on met en cause le processus qui l’a sélectionnée. Et naît ainsi l’idée d’une véritable « primaire à la française », formalisée par le think tank Terra Nova dès 2008 et que ses promoteurs – Olivier Ferrand et Olivier Duhamel – vont développer sans relâche, rapidement soutenus par Arnaud Montebourg.
On connaît la suite. L’affaire du Sofitel empêchant la candidature de Dominique Strauss-Kahn, François Hollande remporta, en octobre 2011, la première « primaire ouverte » de l’histoire politique française. L’opération mobilisa 2,6 millions d’électeurs au premier tour, 200 000 de plus au second. Et, six mois plus tard, le même devenait le septième président de la Ve République. Les primaires devenaient un moyen de désigner le vainqueur !
Bien sûr, en 2017, les primaires ont déçu. C’était prévisible ! Parce qu’on avait fondé sur elles des espoirs qu’elles ne pouvaient satisfaire.
Commençons par une observation de pure logique. En 2016-2017, trois primaires ont été organisées : en octobre-novembre, la primaire fermée des écologistes ; en novembre, celle, ouverte, de la droite et du centre ; enfin, en janvier 2017, celle de la gauche, dite de « la Belle Alliance populaire ». Il devenait mathématiquement impossible que le vainqueur de chacune fût élu président de la République ! La primaire n’était pas la martingale que certains avaient imaginée après la victoire de François Hollande en 2012.
Ce qui, en revanche, était moins prévisible, c’est que le second tour de la présidentielle de 2017 verrait s’affronter deux candidats qui n’étaient issus d’aucune primaire, désignés au terme de procédures très différentes mais, d’une certaine manière, l’une et l’autre « à l’ancienne ».
Le propos n’est pas ici de faire l’autopsie d’un processus. Nul ne sait si des primaires seront organisées en 2021. Mais ce serait sans doute une erreur que de considérer qu’elles sont définitivement mortes.
Pour ce motif, les primaires de 2016-2017 présentent indéniablement un intérêt. Et le meilleur moyen de les apprécier est sans doute de répondre à trois questions : pourquoi ? comment ? Et : quel avenir ?
Pourquoi ?
La réponse à la question ne présente pas le même intérêt selon la famille politique à laquelle on s’intéresse.
Chez les écologistes, ce sont les statuts qui prévoient que les candidats aux élections sont désignés par des votes ad hoc des adhérents. Le principe est donc acté de « primaires fermées » ; il est, en quelque sorte, dans l’ADN d’une formation qui, la première, l’expérimenta.
Même constat à gauche : les statuts du Parti socialiste posent le « principe » de « Primaires citoyennes ouvertes à l’ensemble des citoyens adhérant aux valeurs de la République et de la gauche et co-organisées par les formations politiques de gauche qui souhaitent y participer ». La seule question qui se posa en 2016 était celle de savoir si des telles primaires devaient effectivement avoir lieu en cas de candidature de François Hollande à un second mandat. Faute d’exception statutaire au principe, on resta dans un flou relatif jusqu’à ce que, le 1er décembre 2016, l’intéressé lui-même annonce qu’il ne se présenterait pas.
C’est donc à droite que la question revêt le plus d’intérêt. Surtout si l’on se souvient que nombre de ses figures avaient essayé d’empêcher ou, au moins, de discréditer le processus en 2011.
Alors, si finalement la droite se rallie aux primaires, c’est essentiellement pour quatre raisons.
La première est conjoncturelle.
L’UMP connaît, au lendemain de la présidentielle de 2012, une crise sans précédent dont le point d’orgue est l’élection pour la présidence du parti en novembre 2012 qui voit s’affronter Jean-François Copé et François Fillon et, finalement, le second contester avec véhémence l’élection du premier. Les circonstances sont connues, justifiant qu’il n’y ait pas lieu de s’y attarder. Ce qui, en revanche, est passé plus inaperçu, c’est la décision des deux « belligérants » de sortir du conflit qui les oppose par le droit. En janvier 2013, alors que la crise a empiré au point d’être devenue le feuilleton politique de l’année et que chacun peut en suivre les soubresauts sur les chaînes d’information en continu, Jean-François Copé et François Fillon s’accordent sur un cessez-le-feu pendant lequel les statuts du parti seraient réécrits. L’objectif est double : clarifier les règles relatives à l’élection du président du parti et de prévoir les modalités d’une primaire en vue de la désignation du candidat que le parti soutiendrait à l’élection présidentielle.
En réalité, la crise de 2012 s’inscrivait dans un contexte particulier, révélateur d’une raison plus structurelle d’envisager l’organisation d’une primaire. L’échec de Nicolas Sarkozy, candidat naturel de la droite à la présidentielle de 2012, laissait l’UMP dans une situation difficile mais, plus largement, la victoire du candidat issu de la primaire de la gauche conduisait à penser que les partis n’étaient plus à même de désigner de manière efficace les candidats à une élection. Pour le dire autrement, c’est la perte générale de crédibilité et de légitimité des partis politiques qui explique, en partie, la décision de la droite d’organiser une primaire en vue de la présidentielle, la crise de l’UMP n’en étant finalement qu’une manifestation.
De plus, en troisième lieu, la défaite de Nicolas Sarkozy ressuscitait mécaniquement les appétits de ceux qui, cédant le pas devant la légitimité du président sortant, ne voyaient plus de raison de renoncer à être candidat. Le spectre d’une multiplication des candidatures à droite et, plus largement, à droite et au centre à la présidentielle de 2017 ressurgissait et, avec lui, les craintes bien connues de la droite depuis la duel fratricide entre Jacques Chirac et Édouard Balladur. La perspective d’un « 21 avril à l’envers » qui verrait, faute pour la droite d’avoir su s’entendre, un second tour opposant le Front national à un candidat de gauche agit donc comme un puissant catalyseur, expliquant que, d’emblée, c’est de la primaire « de la droite et du centre » qu’il fut question.
Enfin, last but not least, on ne peut négliger une raison d’ordre psychologique aux ressorts incantatoires : 2011 laissait penser que la primaire désignait le prochain président de la République. En 2012, au lendemain de la défaite, l’adopter permettait de renouer avec l’espoir d’une victoire électorale !
Si l’on ajoute que la primaire avait unanimement été présentée par les médias comme la manifestation d’un renouveau démocratique, on comprend la force d’attraction irrésistible qu’elle opéra sur la droite, au point que les adhérents de l’UMP, qui la jugent aujourd’hui responsable de tous leurs maux, l’ont à l’époque et à deux reprises approuvée à une écrasante majorité.
Le premier scrutin date des 28 et 29 juin 2013. Il mettait un terme au psychodrame de novembre 2012 et visait à faire adopter les nouveaux statuts auxquels était jointe une charte de la primaire ainsi qu’une solution transitoire de direction paritaire du parti. Statuts et charte remportent alors 92,8 % de « oui ». Bis repetita deux ans plus tard. Alors que l’affaire Bygmalion a une nouvelle fois bouleversé l’UMP, Nicolas Sarkozy, réélu à la tête du parti, engage une refonte des statuts du parti qu’il veut voir devenir « Les Républicains ». Fort des presque 30 % des voix qu’il a obtenu lors de l’élection à la présidence du parti, Bruno Le Maire pèse de tout son poids pour que l’on n’en profite pas pour supprimer le principe de la primaire. Une seconde charte est donc rédigée, opérationnelle puisque fixant le calendrier de la primaire de 2016 de manière détaillée. Elle sera soumise le 29 mai 2015, en même temps que les nouveaux statuts, au vote des adhérents : approuvée à 96 %.
Dans ces conditions, venait le temps de s’occuper du comment.
Comment ?
Une première réponse pourrait être : chacun à sa manière. Car, de fait, la gauche et la droite, pour se concentrer sur les primaires « ouvertes », ont adopté des règles d’organisation qui leur sont propres.
Cela étant dit, les deux primaires présentent des traits communs suffisamment forts pour qu’ils méritent d’être explicités.
En premier lieu, la primaire de la droite et du centre et celle de la gauche ont été conçues comme des primaires « ouvertes » et même, doublement ouvertes. Ouvertes, d’abord, aux électeurs puisque toutes deux permettaient que tout électeur inscrit sur les listes électorales en vue de l’élection présidentielle de 2017 puisse participer moyennant une contribution financière – au moins un euro à gauche et deux euros « secs » à droite et au centre – et la signature d’un engagement moral de partager les valeurs de la famille politique à la primaire de laquelle il participait. La possibilité ouverte aux mineurs adhérents au Parti socialiste de prendre part à la primaire n’était qu’anecdotique. De même, les nuances entre les deux familles quant aux termes de la déclaration sur l’honneur que les électeurs devaient signer. Le principe était identique : une primaire conduisant à ce que le candidat à l’élection présidentielle ne soit pas désigné par les seuls militants des partis. Bien sûr, on a beaucoup glosé sur le risque que des électeurs de gauche aient pris part à la primaire de la droite et inversement. D’aucuns ont même estimé que, mal intentionnés, ils auraient pu influer sur le résultat de la procédure de désignation. Outre qu’il est évidemment impossible de quantifier le nombre de votants potentiellement concernés, on conviendra qu’il est impossible de vérifier la véracité de l’engagement moral que chacun en son âme et conscience souscrit. Et quand bien même certains en auraient eu l’intention, on peut admettre qu’il y a loin de là à la réalisation. Surtout, on ne peut négliger le caractère plus volatil de l’électorat qui explique que, légitimement, un même électeur ait pu participer aux deux primaires sans pour autant songer à fausser le résultat d’aucune des deux. C’est assurément là l’un des éléments caractéristiques d’une primaire et, pour ce motif, difficilement modifiable sans encourir la critique de régression démocratique.
Mais ensuite, les primaires étaient également ouvertes en ce que d’autres partis que ceux qui en étaient à l’origine pouvaient faire le choix de s’y rallier.
Dans le cas de la primaire « de la droite et du centre », c’était même l’objectif, justifiant qu’il fût expressément fait référence dans sa dénomination même au centre alors que l’UMP, devenue « Les Républicains », était seule à l’origine de l’opération. Une procédure était d’ailleurs organisée qui permettait que les partis qui souhaiteraient prendre part à la primaire fussent au fur et à mesure acceptés par celui, puis ceux qui s’y étaient déjà engagés. L’ambition était double : inciter l’UDI à prendre part à la primaire afin d’éviter qu’elle ne présente un candidat tout en prévoyant un dispositif qui empêche qu’un parti, par exemple le Front national, ne vienne perturber le jeu de la primaire en annonçant vouloir y participer. Le résultat ne fut pas à la hauteur des espérances puisque seul le Parti chrétien démocrate s’associa au scrutin mais, au moins, l’UDI ne présenta-t-elle aucun candidat au premier tour de l’élection.
Deuxième trait commun aux primaires « de la droite et du centre » et de la gauche : toutes deux furent organisées comme une « vraie élection » et, plus exactement, par mimétisme avec l’élection présidentielle. La phase préalable des primaires était ainsi ponctuée des mêmes étapes : déclaration de candidature, recueil de parrainages, contrôle de la régularité desdits parrainages, annonce de la liste officielle des candidats, campagne électorale, y compris organisation de débats. Et le vote se déroulait de manière identique : au scrutin majoritaire à deux tours, deux candidats seulement pouvant se maintenir au second tour, la seule différence étant que les deux tours étaient espacés d’une semaine seulement au lieu de deux pour la présidentielle.
On aurait tort de voir dans ce choix le fruit d’un manque d’imagination. Outre que calquer les primaires sur l’élection présidentielle permettait aux électeurs potentiels de mieux suivre le processus, la solution présentait l’avantage de garantir qu’il pût être vérifié que le vainqueur de la primaire qui se présenterait à la présidentielle avait bien respecté les exigences d’une campagne présidentielle. Ainsi, par exemple, parce que les candidats à la présidentielle doivent établir un compte de campagne retraçant les dépenses et recettes sur une période de douze mois, il importait que les primaires établissent des règles en la matière. Un plafond de dépenses fut établi pour chacune des primaires, les partis décidant s’ils souhaitaient allouer une somme forfaitaire aux différents candidats et chaque candidat remit, après le vote, un compte de campagne établi suivant le modèle imposé par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.
Enfin, troisième caractéristique, il était prévu que les primaires soient organisées de manière indépendante afin de garantir qu’elles fussent incontestables. Cela suppose, dans l’un et l’autre cas, des instances dédiées et, pour ce qui concerne la primaire de la droite et du centre, une véritable externalisation, la Haute Autorité en charge de son organisation étant une association constituée spécialement et volontairement soumise à la loi du 11 mars 1988 relative au financement politique afin que l’éventuel reliquat lié à la contribution des électeurs pût, comme la charte de la primaire le prévoyait, être versé au compte de campagne du candidat à la présidentielle. À gauche, en revanche, la préparation de la primaire relevait d’un comité d’organisation placé sous le contrôle de la Haute Autorité du Parti socialiste constituée en Haute Autorité de la primaire pour la période considérée. Si l’esprit était identique, les modalités différaient donc sensiblement d’une primaire à l’autre, s’expliquant notamment par les circonstances dans lesquelles chacun des dispositifs fut mis en place.
Sans qu’on puisse ici entrer dans le détail, retenons que, concrètement, chacune des primaires était organisée sur le fondement des statuts du parti qui en prit l’initiative et reposait sur un texte – dans les deux cas dénommé « charte » – qui prévoyait des structures, un calendrier et des modalités de financement du scrutin.
Ensuite, et le point est important, la réussite des primaires tint surtout au fait que tout le monde joua le jeu. En premier lieu, les partis qui, quand bien même ils en ont eu la tentation, sont demeurés dans le rôle que les chartes leur assignaient. En deuxième lieu, les candidats qui, jamais, en tout cas pour la primaire de la droite et du centre, n’ont contesté la moindre décision, y compris lorsqu’une candidature n’a pas été validée. En troisième lieu, les électeurs qui, nombreux et respectueux des règles imposées, ont joué le jeu du scrutin.
Enfin, on ne peut évoquer l’organisation des primaires sans dire l’importance de ceux qui ont contribué à leur organisation. Bien sûr, les volontaires : pour la primaire de la droite et du centre, ils étaient 80 000 pour assurer le bon déroulement du scrutin dans 10 228 bureaux de vote. Mais aussi les institutions, que l’on songe aux maires qui ont accepté de mettre à disposition des salles en vue de la tenue des bureaux de vote et le matériel nécessaire, au ministère de l’Intérieur et à la préfecture de police de Paris qui ont coordonné les moyens garantissant que le scrutin se déroulerait dans des conditions optimales de sécurité alors que le plan Vigipirate attentat était activé. Et, pour finir, les institutions qui contrôlent l’élection présidentielle et qui ont été sollicitées, en amont, par les organisateurs de la primaire afin d’assurer que ces scrutins organisés avec des moyens strictement privés se déroulent dans la plus stricte légalité ; on songe ici au Conseil supérieur de l’audiovisuel, à la Commission nationale informatique et libertés puisqu’il fallait établir les listes électorales et détruire, ensuite, des fichiers à caractère politique constitués des listes d’émargement de chacune des primaires, à la Commission des sondages ou encore à la Commission nationale des comptes de campagne.
Mais fussent-elles réussies, les primaires de la période 2016-2017 ne garantissent pas que l’expérience sera renouvelée en vue de la présidentielle de 2022.
Quel avenir ?
Après avoir été louées, les primaires sont conspuées : elles ne méritaient pourtant ni tant d’éloges, ni tant d’indignité.
Une première manière de répondre à l’interrogation sur leur avenir est de rappeler que, en l’état, elles sont toujours imposées par les statuts du Parti socialiste et des Républicains en vue de la désignation du candidat que ces deux formations soutiendront pour l’élection présidentielle. L’argument peut être aisément retourné : il suffit de réviser les statuts pour faire disparaître le principe et les deux réécritures à deux ans d’intervalle des statuts de l’UMP puis des Républicains suffisent à convaincre que la chose n’est pas difficile à réaliser.
Mais renoncer aux primaires est-il politiquement si aisé ? À voir.
Ce mode de désignation des candidats en vue d’une élection a unanimement été salué, à tort ou à raison, comme une avancée démocratique. La remettre en cause susciterait assurément la critique et celui des partis qui prendrait l’initiative d’en supprimer le principe serait immédiatement taxé d’archaïsme.
En sens inverse, la primaire de la droite et du centre a montré que le candidat qui en était issu bénéficiait d’une légitimité particulière et si, en l’occurrence, les circonstances ont pu en faire un handicap, nul doute que chacun y voit un avantage plus qu’un inconvénient.
D’ailleurs, au lendemain des primaires et alors que les candidats qu’elles avaient permis de désigner n’étaient pas encore contestés, certains proposaient même que, à l’avenir, elles fussent institutionnalisées. Ambivalent, le terme peut signifier que les primaires devraient être obligatoires – ce que je ne pense pas – ou que leur organisation devrait être davantage prise en charge par l’État – ce que je ne pense pas non plus. En toute hypothèse, il s’agissait de rendre hommage à un processus dont chacun considérait alors qu’il avait rempli son office.
Quelques semaines et un numéro du Canard enchaîné plus tard, beaucoup, du moins à droite, avaient déchanté et n’étaient pas loin de vouloir que les primaires soient, à l’avenir, purement et simplement interdites.
En définitive, ces prises de position contradictoires montrent surtout que, en matière de primaires comme en d’autres, modération et liberté sont sans doute les impératifs à privilégier. Dès lors qu’elles n’ont pas été contestées, les primaires ne sont pas davantage responsables du succès que de la défaite des candidats qu’elles ont permis de désigner. De même, la démocratie reposant sur la liberté des partis politiques, il importe qu’ils soient seuls juges de l’opportunité d’organiser une primaire ou de recourir à un autre procédé pour que leur candidat soit désigné.
Sans doute certains fourbissent-ils déjà leurs armes en vue de l’échéance de 2022. Une seule chose est sûre : nul ne peut dire quel sera le paysage politique ni dans quelles conditions les candidats à la prochaine présidentielle rencontreront l’adhésion de l’opinion.