Séance ordinaire du 10 décembre 2018
par Bertrand Saint-Sernin,
membre de l’Académie des sciences morales et politiques
Introduction par M. François d’Orcival,
Président de l’Académie des sciences morales et politiques
Communication de M. Bertrand Saint-Sernin,
membre de l’Académie des sciences morales et politiques
Introduction par M. François d’Orcival,
Président de l’Académie des sciences morales et politiques
Cher confrère, et cher ami,
Cette communication, c’est vous qui avez eu la gentillesse de me la proposer. Vous en aviez le plan en tête et les arguments tout prêts. Il y avait là pour le philosophe des sciences et de l’action que vous êtes une bataille à conduire…
Après la communication de Jean de Kervasdoué, la semaine dernière, qui nous a planté le décor, nous allons donc, grâce à vous, poursuivre notre exploration des rapports de l’opinion publique avec la science, rapports marqués par l’irruption de l’irrationalité.
Le dossier des OGM est un sujet que vous maîtrisez parfaitement pour avoir fait partie, en 2006, de la commission inter-académique que le Conseil économique, social et environnemental avait chargée de rédiger un rapport sur le sujet.
Mais, par-delà, celui-ci touche à des notions philosophiques fondamentales, qui sont les deux pôles autour desquels s’ordonne votre œuvre, je l’ai dit : l’action humaine et la science. Elles sont réunies dès votre thèse de doctorat d’État, Les mathématiques de la décision. Vous n’avez plus cessé, depuis, d’approfondir ce double sillon, qui était aussi celui d’un penseur qui vous a particulièrement inspiré, le mathématicien et philosophe Antoine Augustin Cournot.
Côté action, je me bornerai à rappeler votre récent Précis de l’action, qui offre le condensé de vos travaux sur la question. Côté science, et plus largement de la connaissance, je songe bien sûr à votre monumentale Philosophie des sciences rédigée avec notre confrère Daniel Andler et notre consœur Anne Fagot-Largeault, de l’Académie des sciences, mais aussi à La Raison au XXe siècle et au Rationalisme qui vient.
À l’intersection de la connaissance et de l’action, je mentionnerai un ouvrage de 1979, sobrement intitulé Le décideur, écrit alors que vous-même exerciez les importantes responsabilités de recteur d’académie, et dont le titre fait singulièrement écho au sujet qui nous occupe.
Lors d’un colloque organisé en 2014 à la Fondation Singer-Polignac sur « Nature et artifice », vous aviez retracé l’« Histoire des légitimations et des critiques de l’artifice dans l’action humaine sur la nature selon la tradition occidentale ». Est-il légitime pour l’homme de modifier volontairement les productions de la nature afin de les rendre davantage conformes à ses besoins ? Vous mettiez en évidence combien cette controverse pouvait être ancienne et combien complexes les réponses apportées, en fonction des découvertes scientifiques et des possibilités d’intervention qu’elles ouvrent à l’action humaine, nous renvoyant ainsi à nos responsabilités vis-à-vis des générations futures.
De ce point de vue, les avancées considérables accomplies par les biotechnologies au cours des récentes décennies méritent certainement un débat de fond. Vous déploriez toutefois que l’Europe, et en particulier la France, aient adopté dans ce domaine un parti plus idéologique que scientifique, à la différence de nos concurrents internationaux.
Comment comprendre cette attitude ? Est-elle rationnellement fondée ? Et si non, comment y répondre ?
Cher confrère, vous avez la parole.
Communication de M. Bertrand Saint-Sernin,
membre de l’Académie des sciences morales et politiques
Introduction
Il faut distinguer l’opinion publique et l’opinion individuelle, quoique les deux notions, qui apparaissent en français au XIIIe siècle, soient liées.
Au XVIIe siècle, La Fontaine, dans la fable 15 du livre VII, intitulée « Les Devineresses », observe, à propos de l’opinion individuelle, que nul n’échappe à ses entraînements :
“Je pourrais fonder ce prologue
Sur gens de tous états ; tout est prévention,
Cabale, entêtement, point ou peu de justice :
C’est un torrent ; qu’y faire ? Il faut qu’il ait son cours :
Cela fut et sera toujours.”
De son côté, Pascal, dans ses Pensées[1], note :
“L’empire fondé sur l’opinion et l’imagination règne quelque temps, et cet empire est doux et volontaire ; celui de la force règne toujours. Ainsi l’opinion est comme la reine du monde, mais la force en est le tyran.”
Il existe donc des relations fondamentales et complexes entre opinion privée, opinion publique, imagination et force.
Voltaire remarque : « On nomme l’opinion la reine du monde ; elle l’est si bien que, quand la raison vient la combattre, la raison est condamnée à la mort[2]. » Mais dans un autre écrit, il modifie ce constat désespéré : « L’opinion gouverne le monde ; mais ce sont les sages qui à la longue, dirigent cette opinion[3]. » Que veut dire « à la longue » ? Qui sont ces « philosophes » ?
Rousseau, dans le Contrat social (II, 12), montre que la tâche est rude, car, dit-il : « Je parle des mœurs, des coutumes, et surtout de l’opinion, partie inconnue à nos politiques, mais de laquelle dépend le succès de toutes les autres[4]. »
Pour illustrer les difficultés qu’éprouve la raison à s’imposer face à l’opinion publique, je prendrai l’exemple des OGM, car notre Académie des sciences morales et politiques y a été mêlée.
Un témoignage
En 2006, le Conseil économique et social demanda à un groupe de travail comprenant des représentants de 13 académies un rapport sur l’opinion publique devant les organismes génétiquement modifiés (OGM). Marcel Boiteux n’ayant pas souhaité représenter notre Académie, on me désigna, je ne sais pourquoi. Étant très ignorant en biologie, je proposai d’assurer le secrétariat du groupe de travail. Je lus donc la littérature disponible sur les organismes génétiquement modifiés. J’exprime ici ma vive gratitude aux membres de notre groupe pour leur aide et leur gentillesse inlassables.
Tout d’abord, il fallait choisir une perspective. Notre groupe fut d’accord pour privilégier la perspective évolutionniste, qui remonte au moins au XVIIIe siècle, mais dont la formulation se précise dans La Philosophie zoologique[5] de Lamarck en 1809 et dans L’Origine des espèces selon la sélection naturelle[6] de Darwin en 1859.
Selon cette perspective, tous les êtres vivants dérivent par filiation d’êtres vivants apparus sur Terre il y a un peu plus de 3,5 milliards d’années : nous sommes tous des « organismes génétiquement modifiés ».
Reste un problème : est-il légitime de corriger la nature ?
Dans la seconde moitié du IVe siècle, deux théologiens chrétiens issus d’une famille de médecins, Basile de Césarée, dans ses Homélies sur l’Hexaéméron, et son frère Grégoire de Nysse, dans La Création de l’homme, soutinrent que l’on pouvait sans impiété modifier la nature, car ses productions sauvages ne sont pas toutes adaptées aux besoins humains.
Mais le premier penseur occidental moderne qui ait déclaré que l’on pouvait sans impiété corriger la nature est Nicolas Malebranche (1638-1715), prêtre de l’Oratoire et membre de l’Académie des sciences de Paris. Dieu, pour créer le monde, avait le choix, selon lui, entre deux stratégies : procéder par des mesures particulières très nombreuses qui eussent rendu la science impossible ou procéder par des mesures générales (ou lois de la nature) qui sont intelligibles mais laissent subsister dans la nature des imperfections.
Dieu ayant choisi la voie de la simplicité qui rend la science possible, il s’ensuit, écrit Malebranche dans le Traité de morale, I, 1, § 21 (1684, dernière édition revue par l’auteur en 1707), que l’« on corrige son ouvrage sans blesser sa sagesse ».
Il y a donc des artifices légitimes. Tous le sont-ils ? Évidemment non.
Où passe donc la frontière entre artifices permis et défendus ?
Je me rappelle très bien l’audition du représentant de Greenpeace : il savait que les médicaments actuels contre le diabète, le cancer et certaines maladies cardiaques sont des OGM ; il en acceptait l’usage médical.
En revanche, il s’opposait résolument à l’emploi des biotechnologies, en particulier de la transgénèse (transferts de gènes entre variétés d’une même espèce ou d’une espèce à une autre) dans l’agriculture et l’élevage, car les organismes génétiquement modifiés risquaient, disait-il, d’« infester » la nature.
L’opposition portait surtout, m’a-t-il semblé, sur le type d’agriculture. Ainsi, il refusait l’utilisation du riz doré pour protéger les centaines de milliers d’enfants qui souffrent chaque année de cécité, jugeant que, pour lutter contre cette carence en vitamine A, il fallait donner directement cette vitamine aux enfants sans passer par l’alimentation.
Pour tenir compte de ce refus, notre groupe prit le parti de distinguer entre les transformations évolutives « naturelles » de type darwinien et les transformations « artificielles » plus rapides que permettent les biotechnologies, et en particulier les transferts de gènes entre variétés d’une même espèce ou entre espèces différentes. Notre confrère Pierre Feillet de l’Académie des technologies, quoique peu sensible aux outrances des anti-OGM, se fit le porte-parole de cette distinction.
Nous rencontrâmes un autre problème, que Malebranche avait déjà soulevé : n’avons-nous accès qu’aux lois de la nature ou est-il possible, au moins par endroits, de pénétrer non seulement les lois mais les causes des phénomènes ? Faut-il adopter le positivisme d’Auguste Comte (1798-1857) ou risquer, comme Antoine Augustin Cournot (1801-1877), le pari du réalisme ?
Le discours préliminaire de la Théorie analytique de la chaleur[7] de Joseph Fourier, qu’Auguste Comte admirait, commence ainsi :
“Les causes primordiales ne nous sont point connues ; mais elles sont assujetties à des lois simples et constantes, que l’on peut découvrir par l’observation, et dont l’étude est l’objet de la philosophie naturelle.”
Fourier et Auguste Comte optent donc pour le positivisme : les causes des phénomènes nous échappent ; c’est déjà beaucoup d’en saisir les lois.
Antoine Augustin Cournot, lui, estime par contre que nous pouvons non seulement saisir les lois de la nature mais, au moins par endroits, pénétrer les causes des phénomènes. En d’autres termes, il parie en faveur du réalisme.
Il constate, en effet, que, depuis la synthèse de l’urée par Woehler en 1828, la chimie a introduit dans la nature des substances nombreuses (en 2008, le nombre de ces produits de synthèse devait dépasser sept millions) et que des corps vivants obtenus par synthèse enrichissent la nature sans déclencher de rejets, à tel point qu’il écrit en 1875, dans Rationalisme, vitalisme, rationalisme : « De là une fabrique incessante de corps nouveaux que la Nature n’avait pas pris la peine de créer[8]… »
Cournot pense que, si la nature laisse se marier ces corps nouveaux, chimiques ou vivants, aux corps qu’elle a spontanément créés, c’est qu’ils leur sont apparentés. La biologie de synthèse est donc légitime.
Le 14 octobre 2008, notre rapport fut remis audit Conseil qui le refusa, même si, à l’époque, les membres du groupe de l’Académie des sciences, de l’Académie de médecine et les spécialistes de biotechnologie végétale croyaient à l’innocuité de certains organismes génétiquement modifiés.
Opinion publique et biotechnologies
L’opinion publique est difficile à définir, car elle repose à la fois sur des croyances scientifiques et sur des peurs. Or les croyances scientifiques changent et les peurs n’ont que peu de liens avec la raison.
Montaigne, dans le chapitre 11 du livre III des Essais, intitulé « Des boiteux », observe : « Il n’est rien à quoi communement les hommes soient plus tendus [enclins], qu’à donner voye [vision, voie ou voix] à leurs opinions. Où le moyen ordinaire nous fault [fait défaut], nous y ajoutons le commandement, la force, le fer, et le feu[9]. » Ainsi, quand les hommes échouent à régler sans violence leurs divergences d’opinions ou leurs conflits d’intérêts, ils recourent à la guerre.
Quittons Montaigne et considérons la science moderne. Selon la théorie de l’évolution, tous les êtres vivants dérivent par filiation des premiers êtres vivants apparus sur Terre : tous sont des organismes génétiquement modifiés et les modifications du génome se font naturellement, sans intervention humaine.
À partir du XIXe siècle, la chimie de synthèse réalise deux opérations nouvelles : 1) elle reproduit artificiellement des substances naturelles (la première en date est la synthèse de l’urée par Wöhler en 1828) ; 2) elle crée des substances nouvelles qui n’existaient pas dans la nature. Quand certains de ces artéfacts se révèlent nuisibles en agriculture ou en médecine, on les interdit. Autrement, l’introduction dans la nature de substances artificiellement créées est admise sans difficultés.
À partir du milieu du XXe siècle, les biotechnologies 1) produisent par des moyens artificiels des substances naturelles (par exemple la fabrication, à des fins thérapeutiques, de l’insuline par des levures génétiquement modifiées ou de l’hémoglobine humaine par du tabac génétiquement modifié) ; 2) modifient artificiellement des organismes naturels, pour leur conférer des propriétés dont ils étaient jusque-là dépourvus, par exemple la capacité de lutter contre certains dangers naturels.
La création d’organismes génétiquement modifiés (OGM) repose sur deux faits naturels majeurs : 1) la quasi universalité du code génétique ; 2) le fait qu’un gène codant pour la production d’une protéine, si on le transfère à un autre organisme, continue à produire ladite protéine.
Il existe trois voies pour créer des organismes génétiquement modifiés : 1) la fusion in vitro de deux noyaux (essentiellement dans le règne végétal) ; 2) la fusion de deux cellules sexuelles (mulet, bardot, zébrâne) ; 3) l’introduction d’un ou de plusieurs gènes dans le noyau d’une cellule. Ces trois techniques sont employées par l’homme ou se produisent spontanément dans la nature. Le caractère aléatoire des processus d’hybridation fait préférer le transfert de gènes, plus précis.
Le paradoxe de la situation actuelle – en France – est que les OGM sont plutôt bien acceptés en tant que médicaments et mal acceptés en tant qu’aliments. Comment expliquer ce contraste ?
Dans le cas des médicaments, on suppose que les essais sont rigoureusement conduits. De plus, même si la substance proposée a été produite par des moyens « artificiels », elle est « naturelle » : l’insuline de synthèse présente toutes les propriétés de l’insuline fabriquée par les organismes de personnes non diabétiques.
Les aliments présentent deux différences : 1) les plantes ou les animaux « transgéniques » ne sont pas tout à fait identiques aux plantes et aux animaux que l’on trouve dans la nature ; 2) le public se demande si les recherches sur l’innocuité des plantes ou des animaux transgéniques font l’objet de contrôles aussi stricts que dans le cas des médicaments.
L’agriculture et l’élevage traditionnels
La nature fabrique des OGM naturels, que les hommes ont ensuite adaptés à leurs besoins. Les plantes domestiques les plus utilisées dans l’alimentation (le blé et le riz) résultent de la fusion et recombinaison de plusieurs génomes de plantes (voire de génomes de plantes et de bactéries).
Les hybridations entre espèces végétales sont exploitées en agriculture depuis le milieu du XVIIIe siècle (travaux de Carl von Linné) et n’ont jamais suscité de craintes dans la population.
Le terme d’hybridation a deux sens. Il désigne 1) le croisement d’espèces distinctes ou 2) le croisement de deux lignées de la même espèce.
Darwin s’est demandé si la nature, pour sélectionner les êtres vivants, n’utilisait pas des processus qui ressemblent à ceux qu’emploient les agriculteurs et les éleveurs. Il a inféré la notion de « sélection naturelle » d’observations touchant la « sélection artificielle ». En effet, la domestication des plantes et des animaux consiste à tirer parti de modifications génétiques – ou mutations – qui se produisent naturellement.
On peut en conclure que les produits de l’agriculture et de l’élevage traditionnels sont des OGM naturels, sélectionnés par l’homme depuis plusieurs milliers d’années.
Des pratiques traditionnelles aux pratiques modernes
Les trois âges de l’agriculture
Dans le chapitre 3 du rapport de l’Académie des sciences intitulé Les plantes génétiquement modifiées[10], Bernard Le Buanec, Georges Pelletier et Jean-Noël Pagès distinguent trois âges de l’agriculture :
Dans un premier temps, les gains de productivité sont insignifiants : 1 grain de blé en donne 3 sous Jules César et 6 à la Révolution française.
La découverte essentielle, faite à la fin du XVIIe siècle, mais qui ne porte ses fruits qu’à partir du XXe, est celle de la reproduction sexuée des plantes : elle permet d’hybrider des variétés et, par sélection artificielle, d’augmenter les rendements.
À partir des années 1970, on entre dans un troisième âge de l’agriculture : les rendements plafonnent et, parallèlement, les premiers travaux sur les plantes transgéniques font leur apparition. « En 1983 : obtention des premières plantes transgéniques indépendamment par quatre groupes : l’université de Washington à Saint Louis (Missouri), la Rijksuniversiteit à Gand, la Société Monsanto à Saint Louis (Missouri) et l’université du Wisconsin[11]. »
Lutte contre les insectes, les virus, l’hostilité des milieux
Cette évolution de l’agriculture répond à plusieurs besoins. Les plantes utiles sont attaquées par des insectes, des microbes, des virus, étouffées par des adventices et doivent aussi résister à un environnement hostile (climats extrêmes, terres pauvres, sèches, acides, etc.). Pour les aider à survivre et à conserver leur potentiel de production, l’homme dispose de quatre stratégies complémentaires : 1) éliminer leurs agresseurs par des moyens chimiques ; 2) doter les plantes de moyens de tuer elles-mêmes leurs agresseurs en les munissant d’un gène qui produit une protéine qui détruit l’agresseur ; 3) doter les plantes de gènes leur permettant de tolérer des pathogènes ; 4) modifier leur génome pour qu’elles s’adaptent à un environnement difficile.
Les procédés qu’emploient les scientifiques pour créer des OGM sont-ils très différents des procédés qu’emploie la nature pour modifier les organismes ?
En 2008, la liste des plantes modifiables par transgenèse était déjà longue : Arabidopsis, betterave, blé, chicorée, canne à sucre, colza, coton, courgette, laitue, maïs, melon, peuplier, pomme de terre, riz, rosier, soja, tabac, tomate, tournesol, vigne[12]…
La création d’organismes génétiquement modifiés qui s’insèrent bien dans leur environnement et soient stables ne serait pas possible si leur fabrication violait les lois de la nature. Leur existence témoigne qu’ils sont « naturels ».
Si l’utilisation dans l’agriculture et l’élevage d’organismes génétiquement modifiés à la suite de mutations naturelles ne pose pas de problèmes, alors que la création artificielle d’organismes génétiquement modifiés fait difficulté, en Europe du moins, c’est que l’on suppose que ce que fait la nature est bon, alors que ce que fait l’homme ne l’est pas nécessairement.
Comment s’assurer que des organismes nouveaux, produits par les biotechnologies, sont sains ? Et qu’ils ne nuisent pas à l’environnement ?
En 2003, l’Académie de médecine a publié un rapport sur les OGM alimentaires et thérapeutiques[13]. Elle note : les OGM étant récents, il n’est pas possible de dire a priori si leur consommation par les animaux domestiques et par l’homme présente ou non des risques. Seule l’expérience peut le dire. On ne peut pas lancer des affirmations générales du genre : « Tous les OGM sont dangereux » ou « Tous les OGM sont sains ». D’où la nécessité de la recherche agronomique et médicale. Il faut procéder au cas par cas, s’informer des résultats obtenus par les laboratoires en France et à l’étranger et respecter des protocoles internationaux.
Les risques : 1) pour l’alimentation ; 2) pour l’environnement
1) Le Codex alimentarius de la FAO ne signale aucun risque alimentaire[14]. L’Académie de médecine confirme cette conclusion : « depuis dix ans des tonnages très importants d’aliments [ont été] mis à la disposition de centaines de millions de consommateurs sans qu’aucun trouble pathologique n’ait été signalé[15] ».
Notre confrère Jean-David Levitte, qui a représenté notre pays aux Nations unies, puis aux États-Unis, confirme que, quand un aliment, fût-il obtenu par transgénèse, a été déclaré sain par la Food and Drug Administration (FDA), on le consomme en toute sécurité.
Pourtant, comme les plantes naturelles, les plantes transgéniques sont susceptibles de provoquer des allergies. On ne sait pas encore si les risques d’allergies naturelles sont augmentés par les organismes transgéniques[16].
2) Les risques pour l’environnement sont de trois ordres : a) la dissémination d’un flux de gènes de plantes transgéniques à des plantes non transgéniques ; b) le développement de plantes envahissantes. Ce risque n’est pas propre aux plantes transgéniques ; de même pour le « développement des plantes envahissantes, dès que l’on produit des plantes ayant des avantages sélectifs in situ, quelle que soit la méthode de développement de ces plantes[17] » ; c) la modification de la faune.
Ce problème se pose parce que les OGM alimentaires et thérapeutiques ne peuvent pas toujours être produits en milieu confiné. Toutefois l’Académie de médecine note, à propos des OGM utilisés pour la production de substances pharmaceutiques : « le risque de dissémination dans l’environnement d’une plante transgénique codant une protéine-médicament ne semble pas majeur, même s’il ne doit pas être écarté[18] ». Il est possible d’utiliser des plantes qui ne produisent pas de pollen (plantes femelles) ou de graines (plantes stériles), si ces plantes sont susceptibles de se multiplier par reproduction végétative.
Dans le cas des plantes résistantes aux insectes, le bilan bénéfices/risques est plutôt positif ; dans celui des plantes résistantes aux herbicides, il y a plus de problèmes[19].
Raisons de l’utilisation des OGM
La raison scientifique de faire des recherches sur les OGM est évidente : c’est un moyen puissant de mieux connaître l’histoire de la nature et de découvrir les processus que celle-ci emploie pour faire évoluer les espèces.
Les raisons pratiques concernent la médecine (qui utilise de plus en plus des OGM comme usines biologiques destinées à fabriquer des médicaments) et l’agriculture (à savoir l’alimentation, l’industrie et l’environnement).
En 2008, on pensait que la population mondiale augmenterait de 2 milliards au cours des quarante prochaines années : d’où le souci d’adapter les plantes alimentaires à des milieux hostiles et de voir dans quelle mesure le recours aux OGM permettrait d’augmenter la production et, nous l’avons signalé, de pallier certaines carences alimentaires.
Actuellement, deux sortes de plantes transgéniques sont développées : celles qui résistent aux insectes et celles qui résistent aux herbicides. Mais bien d’autres possibilités existent : rendre les plantes résistantes aux maladies, à la sécheresse, au froid ; modifier les acides gras des huiles ; agir sur la composition des acides aminés, la nature des glucides, etc.
Données statistiques
Selon le rapport de 2003 de l’Académie des sciences, en 2001, aux États-Unis, 26 % du maïs, 68 % du soja, 69 % du coton cultivés étaient transgéniques. Une évolution analogue se faisait en Asie : en 2001, la Chine annonçait alors que 50 % de sa surface cultivée en 2011 serait consacrée à des produits transgéniques ; depuis, son attitude à l’égard des OGM s’est modifiée.
Selon Clive James, président du Bureau des directeurs de l’ISAAA (International Service for the Acquisition of Agri-biotech Applications), 114 millions d’hectares étaient cultivés en OGM dans le monde en 2007, soit 12 % de plus qu’en 2006[20].
Les 15 et 16 septembre 2008, lors du colloque à l’Académie des sciences sur le monde végétal et les biotechnologies, les chiffres suivants ont été donnés : « Entre 1996 et 2006, ce sont plus de 600 millions d’hectares de “plantes génétiquement modifiées” qui ont été cultivés dans le monde. »
En 2008, les surfaces occupées par des plantes transgéniques dans le monde représentaient de l’ordre de 1,2 million de km2, soit la superficie de l’Allemagne, de la France et du Royaume-Uni.
Les désirs et les peurs
Désirs
En 1885, Marcelin Berthelot, dans Les Origines de l’Alchimie[21], observait que la chimie n’aurait pas fait autant de progrès si elle n’avait pas été soutenue par le désir qu’ont les hommes de découvrir un élixir de longue vie.
En revanche, dès l’Antiquité, on observe que les hommes voudraient être guéris sans souffrir : Platon remarque que nous attendons des médecins et des politiques qu’ils améliorent notre état sans nous faire souffrir. C’est, dit Platon, impossible[22]. Mais cela explique que, dans la condition humaine, désir et peur soient intimement mêlés et que le mot grec pharmakon désigne à la fois le remède et le poison.
Peurs
Les peurs de l’espèce humaine sont fondées sur des raisons objectives : la souffrance, la maladie, la mort, les épidémies, les guerres, la violence de la nature ou des hommes font partie de l’expérience ordinaire.
Devant les risques qui génèrent la peur, l’humanité a mis en œuvre deux stratégies : la fuite et l’affrontement. Quand les dangers sont inévitables, la stratégie la plus sûre est l’affrontement, qui commence par une évaluation objective du danger. La peur ne disparaît pas, mais, au lieu de se porter sur des objets confus, elle se circonscrit à des risques mieux délimités.
À l’heure actuelle, en France, nous sommes dans une position ambivalente à l’égard des OGM : 1) ils sont l’objet de peurs confuses ; 2) les responsables du monde politique, économique et social peinent à transformer ces peurs confuses en un système d’avantages et de risques convenablement évalués et donc, jusqu’à un certain point, mesurables.
La peur des OGM
D’où vient la peur que suscitent les OGM ?
Elle a un premier fondement raisonnable : comme Darwin l’a souligné, il y a lutte entre les espèces et, à l’intérieur de chaque espèce, concurrence entre les variétés, voire entre les individus. Dans ce contexte, notre espèce se sent menacée et, de fait, elle a subi au cours de son histoire des crises dramatiques, comme la peste d’Athènes décrite par Thucydide ou la grippe espagnole de 1918-1919 qui a fait plus de morts que la Première Guerre mondiale, et dont on pense qu’elle fut une grippe « aviaire ». Or on redoute que la grippe qui, à l’heure actuelle, atteint les oiseaux migrateurs franchisse massivement la barrière d’espèce, auquel cas, annonce-t-on, il pourrait y avoir 80 millions de morts.
De même, la maladie dite de la vache folle s’est transmise à l’homme sous la forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Bref, les hommes redoutent que des maladies propres à des espèces proches se transmettent à lui. C’est la raison pour laquelle on utilise plus volontiers comme médicaments des plantes transgéniques que des animaux transgéniques, parce que l’on n’a pas observé de franchissement de la barrière d’espèce par des virus abrités par les végétaux.
Les risques connus
Quand on mange un aliment génétiquement modifié, le transgène n’est pas dangereux, car l’ADN est décomposé par la digestion en des constituants qui sont naturels, puisque le code génétique est quasi universel.
Les risques connus concernent la protéine produite, qui peut être toxique ou provoquer des allergies[23]. Les examens classiques permettent de savoir si tel OGM présente de tels risques.
Comme des plantes naturelles possèdent des gènes de résistance aux antibiotiques, on suppose que des plantes transgéniques peuvent aussi en avoir : on l’a craint, sans preuve, pour les gènes « marqueurs » de résistance aux antibiotiques et, de ce fait, on ne les utilise plus depuis 2005. Là encore, il existe des méthodes au point pour évaluer ces risques.
Enfin, quand on rend une plante tolérante aux pesticides ou aux herbicides par modification génétique, on peut craindre qu’elle s’imprègne des pesticides ou des herbicides épandus. En effet, la plante rendue tolérante aux pesticides, par exemple, produit une toxine dans toutes ses parties végétatives (voire avec des traces au niveau de la graine).
Les avantages connus du point de vue alimentaire
Le rapport de l’Académie de médecine recensait les avantages qualitatifs suivants[24] : action sur l’équilibre des acides gras, compensation de carences alimentaires (carence en vitamine A et carence martiale) à l’aide du riz transgénique, suppression d’éléments toxiques existant à l’état naturel dans certaines plantes (telle l’antivitamine C).
Les avantages connus du point de vue thérapeutique
L’Académie de médecine résumait ainsi ses conclusions : « En raison de l’impossibilité pour la chimie de synthèse de mettre au point certaines macromolécules à usage thérapeutique, en raison également des dangers présentés par les protéines d’extraction d’origine humaine ou animale, il a fallu recourir à d’autres stratégies pour obtenir de grandes quantités de ces molécules […] et qui soient en outre de qualité satisfaisante[25] ».
En d’autres termes, les OGM sont devenus des usines biologiques dans lesquelles la fabrication des médicaments apparaît plus sûre que dans les usines chimiques classiques ou que les méthodes d’extraction à partir de tissus animaux ou humains. Le public semble en être conscient car, nous l’avons noté, les OGM thérapeutiques ne suscitent pas les mêmes résistances que les OGM alimentaires.
Lutte contre les carences alimentaires et détoxication des plantes
L’Académie de médecine notait dans ses conclusions : 1) certaines plantes alimentaires comme le riz, si on les modifie génétiquement, sont capables de compenser partiellement le manque de vitamine A, qui touche 134 millions de personnes, en majorité des enfants, dont les plus atteints (500 000 par an) perdent la vue ; 2) de même, on peut parer à la carence en fer (carence martiale), responsable d’anémies qui touchent deux milliards de personnes ; 3) enfin, le génie biologique peut intervenir dans la détoxication, qui consiste à débarrasser une plante de certaines substances toxiques comme l’antivitamine C, ou d’antiminéraux comme les phytates, l’acide oxalique, les tanins, ou encore d’alcaloïdes comme la caféine du café, etc.[26].
Conclusion : évolution de la situation entre 2008 et 2018
Lucien Lévy-Bruhl qui, dans les années 1920, contribua à faire connaître en France l’art africain, publia en 1922 La Mentalité primitive. Le titre du livre amena certains commentateurs à l’interpréter comme une opposition entre la rationalité occidentale et la « mentalité primitive » des peuples colonisés.
Or la thèse de Lévy-Bruhl est bien différente : tous les hommes, selon lui, quels que soient leur lieu de naissance, la couleur de leur peau, leur religion, leur culture, tentent de comprendre le monde et de se comprendre eux-mêmes par le biais de mythes et de rites. Sortir d’un tel état est une aventure risquée et la rationalité une victoire fragile. Nous peinons à nous extraire du monde des mythes : nous en subissons l’envoûtement, surtout quand il alimente nos peurs.
En effet, écrit-il : « Le réseau des causes secondes, qui, pour nous [i.e. quand nous pensons scientifiquement], s’étend à l’infini, y reste dans l’ombre, et inaperçu, tandis que des pouvoirs occultes, des actions mystiques, des participations de toutes sortes s’y mêlent aux données immédiates de la perception, pour constituer un ensemble où le réel et l’au-delà sont confondus[27]. » Il n’est donc pas surprenant que « l’opinion publique » soit sujette à des emballements, et à des erreurs, et à des entêtements opiniâtres.
Bien plus, nous sommes enclins à croire, comme Rousseau, que l’homme dégrade la nature. Il déclare, dans Émile ou De l’éducation : « Tout est bien sortant des mains de l’auteur des choses : tout dégénère entre les mains de l’homme. […] Il bouleverse tout, il défigure tout : il aime la difformité, les monstres. Il ne veut rien tel que l’a fait la nature, pas même l’homme[28] ». L’attitude française à l’égard des OGM exprime des craintes dont une partie de l’humanité paraît exempte.
Les adversaires des OGM raisonnent ainsi : la science prométhéenne fait courir un danger à l’humanité ; par chance, les gardiens vigilants de la cité, parmi lesquels se trouvent des scientifiques non corrompus, peuvent rompre le sortilège et dompter les monstres et leurs séides (Monsanto et les pro-OGM) en détruisant leurs essais en plein champ qui infestent la nature en y répandant des plantes maléfiques. Les actions violentes sont justifiées car la planète ne sera sauvée qu’à ce prix.
D’où la question : comment la France – qui, dans certains domaines de la science, tient son rang – peut-elle, dans le secteur des biotechnologies – de la « transgénèse » en particulier –, sortir de ses peurs obscures, pour accéder à une attitude fondée sur l’analyse rationnelle des avantages et des risques ?
Cette opération est malaisée, car, observe Lévy-Bruhl à propos de la rationalité : « Faire confiance aux données de l’expérience et aux résultats bien établis de la science ne va pas de soi : pour rester fidèle à la raison sans faiblir, il faut surveiller jusqu’à ses moindres démarches, et se faire constamment une sorte de violence[29] ». Avec l’apparition des réseaux sociaux, l’opinion publique a changé de nature : les opinions tranchées, mais aussi les émotions, ont trouvé l’occasion de s’exprimer.
En outre, sur le plan scientifique, plusieurs changements sont intervenus entre 2008 et 2018 :
1) L’ingestion d’OGM modifie la composition de la flore intestinale. Or notre microbiote influence le devenir de notre être. En 2018 l’Académie des sciences et l’Académie de médecine n’auraient probablement pas été aussi affirmatives à propos de l’innocuité alimentaire des OGM qu’il y a quinze ans.
2) Les affirmations péremptoires du Codex Alimentarius sur la nourriture ou les remarques trop tranchées sur la thérapeutique ont cédé la place à des considérations plus nuancées. Car l’on ne connaît aujourd’hui que 5 % de la génétique humaine.
3) La découverte de la technique CRISPR-Cas9, qui permet de couper avec précision le génome à un coût raisonnable, a modifié profondément la situation des biotechnologies. On peut créer plus rapidement que par les techniques classiques des variétés nouvelles de plantes, d’animaux, voire de bactéries. On peut aussi réaliser des opérations de transgénèse.
Toutefois, les changements scientifiques et techniques que nous venons de mentionner signifient qu’il faudra du temps pour connaître avec précision le rôle et l’influence des OGM sur le destin de l’humanité.
[1] Pascal, Pensées, dans Œuvres complètes, éd. Jacques Chevalier, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1936, pensée 243 [427], p. 890.
[2] Voltaire, Dictionnaire philosophique, art. « Opinion ».
[3] Id., Conformez-vous aux temps, dans Mélanges, éd. Jacques Van den Heuvel, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1981, p. 712.
[4] Jean-Jacques Rousseau, Le Contrat social, in Œuvres complètes, éd. Bernard Gagnebin, Marcel Raymond, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de La Pléiade », 1959-1969, t. III, p. 394.
[5] Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829), Philosophie zoologique, Paris, Dentu, 1809, 2 tomes.
[6] Charles Darwin (1809-1882), Sur l’Origine des espèces au moyen de la sélection naturelle, 1859, 6e édition revue par l’auteur, 1872, De l’Origine des espèces.
[7] Joseph Fourier, Théorie analytique de la chaleur, Paris, Firmin Didot, 1822.
[8] A. A. Cournot, Matérialisme, vitalisme, rationalisme, Paris, Vrin, 1979 (1re éd. 1875), p. 21.
[9] Michel de Montaigne, Essais, éd. Albert Thibaudet, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1937 (2e éd.), p. 998. Nous avons modernisé l’orthographe.
[10] Académie des sciences, Les plantes génétiquement modifiées, dir. Roland Douce, « Rapport sur la science et la technologie » (13), Paris, Lavoisier/Tec & Doc, 2002.
[11] André Gallais, Agnès Ricroch, Plantes transgéniques : faits et enjeux, Versailles, Quae, 2006, p. 2.
[12] Georges Pelletier, Évelyne Téoulé, « La transgenèse dans le règne végétal : le point sur les plantes d’intérêt agronomique », dans René Scriban (coord.), Biotechnologie, Paris, Lavoisier/Tec & Doc, 1999 (5e éd.).
[13] Académie nationale de médecine, Académie nationale de pharmacie, OGM et santé, dir. Alain Rérat, Paris, Lavoisier/Tec & Doc, 2003.
[14] Académie des sciences, Les plantes génétiquement modifiées, op. cit., p. 50.
[15] Académie nationale de médecine, Académie nationale de pharmacie, op. cit., p. 70.
[16] Ibid., p. 73.
[17] Académie des sciences, Les plantes génétiquement modifiées, op. cit., p. 50.
[18] Académie nationale de médecine, Académie nationale de pharmacie, op. cit., p. 76.
[19] A. Gallais, A. Ricroch, Plantes transgéniques, op. cit, p. 159 sq.
[20] Clive James, « Global Status of Commercialized Biotech/GM Crops », ISAAA Brief, résumé, n° 37, 2007 (http://www.isaaa.org/Resources/Publications/briefs/37/executivesummary/default.html).
[21] Marcellin Berthelot (1827-1907), Les Origines de l’Alchimie, Paris, Steinheil, 1885.
[22] Platon, Les Lois, III, 684 c, dans Œuvres complètes, Paris, Belles Lettres, « Collection des universités de France », 1951, t. XI-2, p. 21.
[23] Académie nationale de médecine, Académie nationale de pharmacie, op. cit., p. 71.
[24] Ibid., p. 69-70.
[25] Ibid., p. 77.
[26] Ibid., p. 70.
[27] Lucien Lévy-Bruhl, La mentalité primitive [1922], conclusion, dans Primitifs, Paris, Anabet, 2007, p. 424-425.
[28] Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l’éducation, livre I, in Œuvres complètes, op. cit., t. IV, p. 245.
[29] L. Lévy-Bruhl, Primitifs, op. cit., p. 1066.