Thierry de Montbrial :
L’intérêt national

L’intérêt national

Thierry de Montbrial [1]

 

À l’origine de cette réflexion figure la conviction, souvent mal considérée pour des raisons idéologiques, que la notion d’intérêt national sous-tend la politique étrangère d’un État quel qu’il soit et quel que soit le degré d’interdépendance du système international du moment. Toute la difficulté est de savoir comment cette notion est appréhendée par les dirigeants. Aussi avons-nous lancé en 2016, à l’Ifri, un groupe de travail en vue de l’élection présidentielle de l’année suivante, dont est issu un livre publié en janvier 2017. Mon propos d’aujourd’hui, centré sur la France, en reprend pour l’essentiel l’introduction et la conclusion[2].

Alors que le XXIe siècle est déjà largement entamé, une profonde crise économico-sociale et sécuritaire alimente dans notre pays un désarroi identitaire dont les ressorts sont multiples[3]. Ce désarroi rétroagit sur les ferments de division interne. Il est étroitement lié au rapport que les Français entretiennent avec la mondialisation.

Depuis au moins 2005, la politique étrangère française apparaît davantage comme le reflet de cette situation que comme un outil utilisé pour surmonter les difficultés. Au cours des mandats présidentiels de Nicolas Sarkozy (2007-2012) et de François Hollande (2012-2017), son cours a varié. Existe une perception largement partagée selon laquelle la France pèserait moins sur la scène internationale. Comme le reconnaissent celles et ceux qui voyagent régulièrement à travers le monde et échappent aux flatteries, son image s’est sévèrement dégradée. Existe également une perception selon laquelle de lourdes erreurs auraient conduit la France à s’écarter de sa tradition diplomatique. Cependant, la vigueur des critiques dont la politique étrangère française est l’objet manifeste aussi l’importance qu’on lui prête encore. L’élection d’Emmanuel Macron a soulevé une vague d’espoir. Il est trop tôt pour faire des pronostics à ce sujet.

La politique étrangère d’un pays est d’abord la conséquence de son histoire et de sa géographie, de ses ressources humaines et matérielles, de la conjoncture politique à l’intérieur et à l’extérieur[4]. En ce qui concerne la France, elle doit être repensée, dans le contexte actuel, en évitant deux écueils : le déni et le dénigrement[5]. Déni qui consiste à refuser de voir la dégradation du potentiel de la France, ainsi que l’illisibilité de ses positions sur plusieurs dossiers. Dénigrement qui consiste à verser dans un discours décliniste systématique, souvent partisan, ignorant les dynamiques et le (dys)fonctionnement du système international.

Plusieurs points méritent d’être soulignés. En premier lieu – et cela est lié à la question de l’identité –, l’évolution du corps électoral, désormais travaillé par une contestation ouverte des élites, accusées de ne pas avoir su préparer l’avenir, qui remet en cause le consensus antérieur en matière de politique étrangère. Plusieurs sujets comme le rapport à Israël, à la Russie ou aux pays du Golfe trahissent des clivages profonds qui ne sont pas toujours immédiatement visibles. En deuxième lieu, une fois élu, tout nouveau président est obligé de consacrer un temps considérable aux questions internationales : 50 % m’a dit un jour François Hollande. Leur abord requiert une intense préparation et un minimum d’expérience. En réalité, les trois derniers présidents, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron étaient peu préparés aux grands dossiers internationaux. Or, même à l’échelle stratégique, la durée du quinquennat oblige à une action immédiate pour espérer produire des effets avant que le président suivant ne change d’orientations, action qui normalement implique des phases préparatoires de réflexion. Même dans un régime présidentiel, il ne faut pas tout ramener à un seul homme. Cette phase initiale donne en principe un poids particulier à l’appareil diplomatique comme garant de la continuité. En troisième lieu, en raison des chocs subis de l’extérieur, de la dégradation du climat socio-économique intérieur, ou de l’importance croissante des phénomènes migratoires, l’intrication entre les affaires du « dehors » et celles du « dedans » s’est considérablement accrue comme partout dans le monde.

À toute échelle de temps, la politique étrangère d’un pays se construit autour des intérêts de ses ressortissants, de ses valeurs ou de son idéologie et de ses alliances, stricto ou lato sensu. Du point de vue de Sirius, on peut considérer l’intérêt comme une sorte d’indice synthétique de tout cela. Pour tout dirigeant politique, l’intérêt rappelle la nature prioritaire de l’égoïsme national dans ses relations avec ses pairs. Or, cette notion fait en France l’objet d’une étrange ellipse, qui pourrait traduire une rupture de tradition. Comme l’écrivait Émile Bourgeois dans son Manuel historique de politique étrangère, Richelieu, dont le bon sens n’était pas la moindre des qualités, avait appris à ses contemporains, au milieu des luttes de religion qui ravageaient l’Europe, que la France « devait régler sa politique sur son intérêt seulement, que cet intérêt supérieur était d’avoir des frontières, naturelles ou non, suffisantes à protéger sa capitale ou son unité séculaire, et de ne pas laisser au-delà, et trop près, se constituer des puissances assez compactes pour menacer l’une et l’autre[6] ». S’il est sûr que la généalogie de l’intérêt national mériterait une étude à part entière, son évolution récente peut être illustrée par des déclarations des présidents successifs de la Ve République.

Il n’est guère difficile de trouver trace de cette notion cardinale dans les discours du général de Gaulle qui, inspiré par la tradition monarchique, se référait souvent à « l’intérêt supérieur de la nation », conçu comme transcendant par rapport aux Français vivants du moment : « C’est vers de Gaulle en tout cas que se tournent les Français. C’est de lui qu’ils attendent la solution de leurs problèmes. De mon côté, je ressens comme inhérent à ma propre existence le droit et le devoir d’assurer l’intérêt national[7]. » Non sans raisons, le Général se jugeait porteur d’une sorte de légitimité monarchique. Il entendait peser de tout son poids pour que la France ne s’agenouille pas face au protectorat américain. Mais de Gaulle fut unique et incomparable. En apparence, ses successeurs immédiats sont restés dans sa logique, chacun comme il le pouvait. François Mitterrand adorait revêtir les habits du fondateur de la Ve République (qu’il avait tant combattu), en particulier dans le domaine nucléaire : « La pièce maîtresse de la stratégie de la dissuasion de la France, c’est le chef de l’État, c’est moi[8] », s’écrie-t-il en 1983.

Progressivement, la notion d’intérêt se rétrécit d’un registre général à un registre nucléaire. Dans un discours sur la politique de défense ayant valeur de testament stratégique, le même François Mitterrand déclara quelques mois plus tard : « Il y a deux ans, j’ai pensé que nous étions arrivés à un moment où l’intérêt de la France commandait qu’elle prît l’initiative d’un moratoire sur les essais, en commençant par les siens ; parce que l’état du monde, à mon sens, le permettait[9]. » Son successeur, Jacques Chirac, plus radical-socialiste que gaulliste, lança une ultime campagne d’essais nucléaires avant de transformer en profondeur l’outil militaire français. Dix ans plus tard, il livra une conception déjà plus plastique de l’intérêt, notion qui « évolue au rythme du monde », en s’abstenant de parler de rapport de force :

« La garantie de nos approvisionnements stratégiques et la défense de pays alliés sont, parmi d’autres, des intérêts qu’il convient de protéger. Il appartiendrait au président de la République d’apprécier l’ampleur et les conséquences potentielles d’une agression, d’une menace ou d’un chantage insupportables à l’encontre de ces intérêts. Cette analyse pourrait, le cas échéant, conduire à considérer qu’ils entrent dans le champ de nos intérêts vitaux [10]. »

Pour des raisons évidentes, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron sont arrivés au pouvoir sans expérience ni réflexion aboutie sur « l’outil militaire »[11]. Au soir de sa victoire, Nicolas Sarkozy déclara dans un discours plus spontané que réfléchi : « Je veux être le président de la France des droits de l’homme. Chaque fois qu’une femme est martyrisée dans le monde, la France doit se porter à ses côtés (…). Je ne crois pas à la Realpolitik qui fait renoncer à ses valeurs sans gagner des contrats[12] ». Une fois initié au feu nucléaire, il adopta cependant la rhétorique des intérêts vitaux : « Notre dissuasion nucléaire nous protège de toute agression d’origine étatique contre nos intérêts vitaux d’où qu’elle vienne et quelle qu’en soit la forme. Ceux-ci comprennent les éléments constitutifs de notre identité et de notre existence en tant qu’État-nation, ainsi que le libre exercice de notre souveraineté[13]. » François Hollande s’inscrivit dans ce sillage en indiquant « sa volonté de préserver les intérêts vitaux de notre nation. Je ne transigerai donc en rien ni n’abandonnerai aucune de nos prérogatives en ce domaine [14]  ». En revanche, point étrange et révélateur, il exclut explicitement la notion d’intérêt pour justifier une décision d’intervention militaire classique. Au lendemain du déclenchement de l’opération Serval, François Hollande déclara, depuis les Émirats Arabes Unis, que la France intervenait au Mali en raison d’une « responsabilité particulière » : « Non pas parce qu’elle a des intérêts au Mali : nous n’en avons aucun ; mais parce que nous avons la capacité d’intervenir[15] ».

Tout se passe comme si l’on assistait à un effacement de la notion d’intérêt du discours général de politique étrangère et à son confinement au discours particulier de la politique nucléaire. Les intérêts vitaux en constituent le noyau dur. Nécessairement floue, leur formule vise à laisser une complète liberté d’appréciation, et donc d’action, au décideur suprême. Au fil des années, le nucléaire est devenu le principal attribut présidentiel. En théorie, cela impliquerait que le chef de l’État ait pu parfaire son « éducation » avant d’exercer les responsabilités suprêmes. En pratique, cette « éducation » se fait en cours de mandat. Valéry Giscard d’Estaing, qui n’était pourtant pas dénué de facultés intellectuelles, a reconnu – en un temps où la durée du mandat présidentiel était de sept ans – qu’il lui aura fallu « quatre à cinq ans » pour assimiler les données des problèmes liés à la dissuasion nucléaire[16]. Que dire de ses successeurs soumis à la brièveté du quinquennat ?

Cette observation conduit à la remarque suivante : plus la politique étrangère française perd en portée, plus l’arme nucléaire et le siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, comme symboles du rang, alimentent une sorte de rengaine totémique. Tout se passe comme si le glissement de la puissance à l’influence se traduisait par la disparition d’étalonnages intermédiaires entre des intérêts vitaux, uniquement appréciables par le prisme nucléaire, et une influence à prétention globale qu’il reste à mesurer. Encore faudrait-il définir une méthodologie rigoureuse à cette fin. Entre ces deux extrémités existe un impensé recouvert par la notion de « puissance d’influence[17] » chère à Laurent Fabius.

Le discours de François Hollande devant le Congrès au lendemain du Bataclan, disant qu’il s’agissait de se battre pour préserver notre « mode de vie » (sic) met en lumière l’ellipse de l’intérêt national. De ce point de vue, les mandats de Nicolas Sarkozy et François Hollande forment un continuum ; ils peuvent se lire comme un glissement dans l’élaboration et la conduite de la politique étrangère française. C’est une rupture moins voulue que subie. Pour être plus précis, elle ne correspond pas à un choix d’orientation alternative, ni même à un changement de doctrine, en dépit d’une tentation initiale de Nicolas Sarkozy qui avait fait campagne en 2007 sur le thème de la « rupture », mais à une tentative de redéfinir des priorités face à une mutation difficile à appréhender du système international et du poids déclinant de la France dans le monde.

La politique étrangère est de plus en plus subordonnée aux enjeux de politique intérieure. Cette évolution s’observe dans la plupart des régimes démocratiques, surtout quand ils se croient encore protégés par les États-Unis. Elle s’explique largement par la lame de fond numérique, qui remet en cause les formes traditionnelles d’action politique[18]. L’émergence de nouvelles puissances réduit mécaniquement le poids de la France. Sa rente diplomatique décroît à cause de son affaiblissement économique, mais aussi en raison de choix dictés par les passions ou par la tyrannie de la communication. Notons aussi que les personnalités de Nicolas Sarkozy et François Hollande, davantage sans doute que celle d’Emmanuel Macron en raison de son histoire personnelle, entrent en ligne de compte car ils appartiennent à une génération qui peine à inscrire son action dans différentes échelles de temps. Les attaques terroristes accentuent cette tendance et favorisent les comportements réactifs. Cette génération dispose de marges de manœuvre réduites, tout en devant répondre à des actions directes sur le territoire national dans un contexte de rétrécissement de la France à l’échelle globale. « Pas facile » d’être président dans de telles circonstances comme disait François Hollande.

Son mandat a révélé un fort effet de contraste entre une autorité présidentielle affaiblie et un attrait pour l’aventure extérieure, qui a encouragé le président à sur-jouer le rôle de « chef de guerre » pour mieux se singulariser vis-à-vis de ses rivaux politiques [19].

Se déclarer en guerre contre Daech en éludant la notion d’intérêt produit cependant un effet de vide, qui accentue le décalage entre le décideur politique et la réalité historique. En mai 2016, François Hollande déclarait dans le cadre d’une émission radiophonique avoir pris davantage conscience, depuis son élection, « du caractère tragique de l’histoire » auquel il assurait pourtant s’être préparé : « je savais qu’à tout moment le pire pouvait surgir, et il a surgi »[20]. Et de préciser : « Le rôle du chef de l’État ou d’un responsable, c’est à un moment de saisir l’inattendu pour le remettre dans une logique rationnelle et de pouvoir être efficace face à ce surgissement ». De quelle base intellectuelle disposait-il pour bien analyser ce surgissement ? : « Un président heureusement n’agit pas qu’avec des fiches et je veux quand même vous laisser penser que ma culture personnelle, ma connaissance historique m’ont permis justement de bien analyser ce qui se produisait […]. Moi je m’appuie sur tout ce que peut me fournir le Quai d’Orsay ou ce que peut me fournir le ministère de la Défense, mais pour avoir cette profondeur d’analyse et cette compréhension des phénomènes qui sont en cours, le travail de la recherche est indispensable[21]  ». À la position qui est la mienne, je ne peux qu’être sensible à cette conclusion.

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L’analyse académique de la politique étrangère française se fait généralement en fonction de l’héritage du général de Gaulle. Elle porte sur la continuité « gaullo-mitterrando-chiraquienne » et les éventuelles velléités de « rupture[22]» . Cela conduit à s’interroger sur la pérennité de cet héritage et son adaptation à un système international caractérisé par un déplacement des pôles de puissance. La « grandeur » gaullienne s’est inscrite dans les représentations en créant un fort effet de contraste avec la IVe République. Celle-ci avait cependant préparé un terreau favorable à l’action du général de Gaulle, à laquelle le dernier coup d’éclat de la diplomatie française fit directement écho : en s’opposant à l’intervention anglo-américaine en Irak au Conseil de sécurité des Nations unies en 2003, Jacques Chirac et Dominique de Villepin avaient certes fait preuve de jugement sur le cours des événements, mais surtout, à mon sens, d’excès de confiance sur leur capacité à le modifier. Le prétendu multilatéralisme et le droit international ne sont pas parvenus à contrecarrer l’unilatéralisme de Washington[23].

C’est le double rapport des élites et du corps social à la mondialisation et à la construction européenne, qui constitue aujourd’hui la question la plus sensible. Ont-ils une vision adaptée ou erronée du monde et de la place que la France peut y occuper ? Partagent-ils encore une vision commune ? Comment comprendre la contestation dont les élites sont l’objet ?

Rétrospectivement, l’année 2005 révèle une bifurcation. Tout d’abord, elle marque un changement d’ère de l’islam de France[24]. En janvier 2005, Abu Mus’ab al-Suri met en ligne les mille six cents pages de l’Appel à la résistance islamique mondiale, mode d’emploi du djihad à l’ère numérique. À l’automne 2005, les émeutes urbaines obligent le gouvernement à instaurer l’état d’urgence pour la première fois depuis la guerre d’Algérie. Ensuite, 2005 est marquée par le non au référendum sur le traité établissant une constitution pour l’Europe. Enfin, cette année-là marque la tardive prise de conscience, avec le rapport de Michel Pébereau, du niveau d’endettement des administrations publiques (multiplié par cinq entre 1989 et 2005)[25]. Ce niveau d’endettement s’accroît de manière spectaculaire après la crise financière mondiale de 2008, qui entraîne la transformation du G20, sous l’impulsion de Paris, en instance de pilotage économique. C’était du moins l’ambition initiale. Au croisement des questions européennes et des questions budgétaires se trouve un des fils rouges du positionnement international de la France depuis le traité de Nice (entré en vigueur en février 2003) : le non-respect de ses engagements européens en matière de finances publiques. Reste à voir si Emmanuel Macron parviendra à renverser durablement cette situation.

Les fils de la bifurcation de 2005 couvrent la séquence qui s’est ouverte en 2007. Sous le mandat de Sarkozy et de Hollande, l’oligopole décisionnel n’a pas toujours su relever un défi impliquant deux tendances lourdes en partie corrélées : l’accélération de la transition numérique et la multiplication des crises internationales, qui touchent directement les Français. Sur le plan stratégique, la transition numérique se traduit par une rivalité entre puissances, surtout entre les États-Unis et la Chine, et par l’apparition de nombreux acteurs non-institutionnels pouvant disposer d’une influence globale[26]. Sur le plan économique, on assiste au passage d’une économie de consommation de masse à une économie de la consommation personnalisée. La France peine à créer de la valeur ajoutée sur son territoire avec le numérique, et souffre d’un déclassement économique qui affaiblit sa puissance globale. Sur le plan diplomatique, le numérique accélère la diffusion de certains aspects de la puissance à l’ensemble des acteurs sociaux. Cette diffusion a ouvert un débat sur le degré de « démocratisation » et de « transparence », mais aussi de « désinformation » et de « manipulation » des politiques étrangères, en introduisant de nouvelles pratiques[27]. Plus profondément, WikiLeaks et Snowden, entre autres affaires, apparaissent comme une dénonciation de la « raison d’État » et une réfutation du « secret » en revendiquant une nouvelle pratique diplomatique[28].

Le numérique accentue pression médiatique et immédiateté ; l’une et l’autre s’exercent sur la politique étrangère. L’analyse de cette dernière doit désormais prendre en compte de nouveaux facteurs parmi lesquels les interactions à chaque instant entre action diplomatique et exploitation médiatique, mais aussi la manière dont certains pays parviennent à l’influencer[29]. Cette influence peut notamment s’exercer par des canaux religieux. On touche là un point de plus en plus sensible, qui renvoie à la question de l’identité : quelle place réserver au « fait religieux » dans la politique étrangère française ? Et, par voie de conséquence, quelle place réserver à la laïcité, singularité française ? Si la tentation peut exister dans certains milieux de faire de la laïcité une marque de fabrique, elle ne constitue pas un levier d’action diplomatique. En effet, la laïcité résulte d’un système juridique complexe, enraciné dans une histoire spécifique. Ce système n’a nullement « vocation à être exporté tel quel »[30]. Laurent Fabius lui-même l’a reconnu.

La difficulté actuelle à raisonner en termes d’intérêt national s’explique fondamentalement par la crise identitaire traversée par notre pays. Il n’en demeure pas moins que la redéfinition de ses intérêts, en lien avec ses valeurs et ses alliances, est indispensable au double exercice de la puissance et de l’influence en tenant les émotions – ou les passions – à bonne distance afin de retrouver le sens de la durée. Par ailleurs, intérêts et valeurs combinés doivent permettre le discernement, le jugement et la capacité de décision : la notion de puissance concerne le passage du virtuel au réel, c’est-à-dire le passage à l’acte, à la fois discontinuité et choix[31]. L’exercice de la puissance implique, en outre, de disposer d’un « portefeuille de ressources » dont la gestion s’opère à différentes échelles de temps. La notion d’intérêt est cruciale pour l’élaborer, en prenant soin de ne pas définir le potentiel d’une unité active comme l’évaluation de ses ressources et en gardant à l’esprit que l’évaluation de la puissance d’un État inclut aussi un effet d’escompte – au sens de la notion financière d’actualisation – largement subjectif[32].

Urgente est la nécessité de refonder la politique étrangère française, en préférant la raison à l’émotion, le discernement à l’invocation et le débat à la polémique. À court et moyen termes, les questions doivent être formulées dans un contexte marqué par une série de ruptures récentes, comme le Brexit (juin 2016) et l’élection de Donald Trump (novembre 2016), qui modifient en profondeur les cadres de la diplomatie européenne et internationale. Sur le long terme – symboliquement, à l’horizon 2049, centenaire de la victoire de Mao –, la question la plus fondamentale pour la France est la place de l’Europe (l’Union européenne, mais aussi la Russie et les autres) face à la rivalité sino-américaine et le possible avènement de la Chine à la primauté dans le monde. Ces ruptures invitent à reconsidérer le positionnement diplomatique de Paris, et a fortiori les conditions de l’ancien consensus en matière de politique étrangère. Comme je l’ai déjà dit, celui-ci est mis à mal par des clivages accentués par tant de changements plus ou moins brutaux. Raison de plus pour aller à la recherche de notre intérêt national, dans le sens le plus fondamental du terme. Du point de vue du très long terme, la diplomatie française a su obtenir des résultats tangibles quoiqu’extrêmement fragiles sur la lutte contre le changement climatique, avec la COP21, grâce à son savoir-faire et à une évolution des consciences. En filigrane, apparaît une méthode de travail susceptible, on l’espère, de faciliter le traitement d’autres dossiers transversaux à l’échelle globale, mais on est encore extrêmement loin du compte.

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À ce stade de l’exposé, je me propose d’examiner un peu plus en détail les significations du mot intérêt. Émile Littré en distingue au moins cinq. De la manière la plus large, ‘intérêt’ peut se définir comme ce qui importe, comme ce qui compte et, par voie de conséquence, se décompte. Pas d’intérêt sans considération du temps. Si l’intérêt est souvent associé à la dette, Albert Hirschman (1915-2012) rappelle qu’à l’origine, le terme englobait la totalité des aspirations de la personne en introduisant des éléments de calcul dans leur poursuite[33]. Se référant aux travaux de Friedrich Meinecke (1862-1954) sur Machiavel (1469-1527), Albert Hirschman explique aussi que pour l’auteur du Prince les termes interesse et ragione di stato étaient initialement synonymes. Ils définissaient deux fronts. D’une part, une déclaration d’indépendance à l’égard des principes moraux dans la manière de gouverner. De l’autre, une volonté rationnelle qui ne serait pas perturbée par les pulsions et les passions dans la manière de se comporter. Machiavel s’est concentré sur le premier front sans toutefois délaisser le second, qui fait apparaître des contraintes dans l’action des gouvernants. Un front qui concerne le comportement des dirigeants semble aujourd’hui passablement délaissé. Ces notions traversèrent les Alpes pour se diffuser dans les royaumes de France et d’Angleterre à partir de la seconde moitié du XVIe siècle. Au passage, notons que Friedrich Meinecke opérera ultérieurement une jonction intellectuelle entre la raison d’État française et la realpolitik allemande, terme forgé par Ludwig von Rochau (1810-1873) dans son traité de 1853[34].

Finalement, pour Albert Hirschman, l’intérêt forme un « ménage à trois » avec la passion et la raison. Il vise à maîtriser les passions humaines en ouvrant le champ de la prédictibilité et de la constance : inscrit dans la durée, l’intérêt a une valeur de régulation des passions dont l’expression peut s’avérer destructrice. Prédictibilité et constance offrent aux différents acteurs sociaux la possibilité d’agir plus sûrement. À partir de la fin du XVIIe siècle, les intérêts des groupes et des individus ont de plus en plus été formulés en fonction de leurs aspirations économiques. David Hume (1711-1776) décrit la passion du gain, qui modifie la compréhension de l’intérêt général ou national. En France, la notion d’intérêt a connu une évolution liée à l’absolutisme. À l’instar du souverain, les moralistes ne se préoccupaient pas seulement de la richesse, mais aussi de l’honneur et de la gloire. Or l’absolutisme se traduisait par une forte concentration du pouvoir et de la gloire, qui condamnait le commun des mortels à privilégier la dimension économique de l’intérêt pour singulariser sa trajectoire. Progressivement, la notion d’intérêt personnel devint un paradigme absorbant vertus et passions. Cela se retrouvait dans les relations entre puissances : la maxime « Interest Will Not Lie » – dérivée de la formule du duc de Rohan (1579-1638) : « l’intérêt seul ne peut jamais manquer » – se transforma avec l’idée que l’intérêt est le plus sûr moyen de concevoir les actions de l’autre et de les envisager dans un cadre : « Interest Governs the World ». L’intérêt gouverne le monde. Max Weber (1864-1920) reprend ce principe en l’affinant :

Ce ne sont pas les idées mais les intérêts matériels et idéaux qui gouvernent directement la conduite des hommes. Mais, très souvent, les images du monde qui ont été créées par les idées ont, comme des aiguilleurs, déterminé les voies dans lesquelles l’action a été poussée par la dynamique des intérêts [35].

Aujourd’hui, les trois grandes écoles de relations internationales (réaliste, libérale et constructiviste) abordent différemment la notion d’intérêt national, laquelle définit à elle seule l’école réaliste, pour qui les États cherchent à défendre leurs intérêts pour maximiser leur puissance ou tout au moins leur liberté d’action. Égoïste par nature, l’intérêt national transcende forcément les intérêts privés sub-nationaux dans la mesure où il est synonyme de sécurité de l’État sans laquelle les particuliers, mieux vaut dire la plupart d’entre eux, ne peuvent poursuivre leurs intérêts privés. Pour l’école libérale, l’intérêt national équivaut de facto au terme de processus complexes et mouvants, à l’intérêt des acteurs majoritaires au sein de la société. Pour l’école constructiviste, l’intérêt national est une construction sociale, qui se transforme sans cesse au gré des facteurs les plus divers (idées, discours, normes, croyances etc.).

Quoi qu’il en soit de ces distinctions sans doute moins tranchées qu’elles ne paraissent au premier abord, la question de l’intérêt national est consubstantielle à celle de la sécurité nationale. Toute unité politique est en permanence confrontée à une série de dilemmes sur lesquelles les différentes forces politiques, sociales et économiques, ainsi que l’opinion prennent position. Au sens le plus large du terme, la sécurité se conçoit comme la préservation de l’identité. Cela suppose que la société concernée soit au clair avec son identité. Samuel Huntington (1927-2008) subordonne clairement, selon moi à juste titre, la définition de l’intérêt national à celle de l’identité nationale : « Nous devons savoir qui nous sommes avant de pouvoir savoir quels sont nos intérêts [36]. » L’intérêt national s’apparente donc à un « bien public ». Dans un système démocratique, l’intérêt national pourrait se définir idéalement comme l’ensemble des priorités faisant l’objet de consensus entre les dirigeants et le corps social concernant les relations avec le monde. Encore faut-il que ces consensus existent. Dans cette optique, ils sont plus larges que les intérêts stratégiques et englobent des valeurs comme la démocratie elle-même et les droits de l’Homme, valeurs pour lesquelles on doit être prêt à payer un prix. Dans un régime démocratique, il n’est pas possible de distinguer complètement une politique étrangère basée sur des valeurs et une politique étrangère basée sur des intérêts, dans la mesure où les valeurs sont en fait des « intérêts intangibles ». Pour autant, un régime démocratique doit toujours être en mesure d’établir des relations avec des régimes autoritaires, et surtout ne pas verser dans un discours de diabolisation[37]. En règle générale, l’importance accordée aux valeurs ne justifie ni politiquement, ni moralement, les aventures du regime change chères aux néoconservateurs américains.

En termes policy oriented, qui ne recouvrent pas toujours ceux du débat académique, le réalisme correspond prioritairement à une analyse pertinente des rapports de force et non pas des rapports à un idéal-type politique. L’inverse conduit à une forme d’utopie consistant à faire des valeurs la norme absolue. En d’autres termes, le réalisme implique la capacité de prendre en compte le système de valeurs de l’autre dans les calculs d’intérêt, en sachant que l’autre n’est pas forcément appelé à entrer dans une logique de conversion. Arthur Schlesinger (1917-2007) mérite d’être relu dans cette optique[38]. Le problème vient souvent de l’assimilation abusive faite entre le comportement des individus et celui des États. Selon Schlesinger, ce sont deux registres différents voire antinomiques. Si les valeurs morales jouent directement un rôle fondamental dans la conduite de la politique étrangère, ce n’est que dans des cas extrêmes comme la décision nucléaire : leur fonction n’est certainement pas de formuler des principes abstraits et universels pour guider les décisions de politique étrangère. Elle est bien plutôt d’éclairer et de contrôler les interprétations de l’intérêt national. L’intolérance de ceux qui appliquent leurs critères personnels moraux à la complexité du système international dégénère facilement vers des formes d’absolutisme ou de fanatisme. La morale des États commence par l’acceptation que les autres États ont eux aussi des traditions, des intérêts, des valeurs, des droits et des contraintes. En d’autres termes, il faut porter intérêt aux intérêts de l’autre.

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Je m’achemine maintenant vers la fin de cette communication, avec quelques orientations opérationnelles. « Les hommes pensent d’abord. Ensuite ils se déterminent d’après leur manière de penser. C’est pourquoi il importe de penser juste. Les erreurs des gouvernements et des peuples sont celles de leur esprit », écrivait Jacques Bainville (1879-1936), qui invitait ses lecteurs à « penser historiquement[39] ». Non pas en fonction d’un sens ou d’une fin de l’Histoire, mais en fonction des diverses orientations qu’elle aurait pu prendre à partir de tel ou tel événement ou de telle ou telle décision.

La réappropriation de la notion d’intérêt national passe, en premier lieu, par une relecture moins sélective de Machiavel (1469-1527). Si les professionnels de la politique paraissent tout à fait à l’aise avec le premier principe d’indépendance à l’égard des préceptes moraux dans la manière de gouverner, la plupart semble ignorer le second principe de contrôle de leur comportement, de leurs pulsions et de leurs passions. Or, l’intérêt sert précisément à cela. La tentative de contrôle des événements commence par la capacité à se contrôler soi-même. Évidence volontiers oubliée à l’heure d’une communication politique qui s’épuise à suivre voire à susciter les émotions de l’opinion, sans rien dissimuler de celles des dirigeants. À cela devrait s’ajouter l’absolue nécessité pour ces derniers, ou au minimum leurs entourages, de maîtriser les ressorts de leur histoire diplomatique dont le fondateur Albert Sorel (1842-1906) faisait de l’intérêt national le fondement de toute politique extérieure en établissant une continuité entre la Monarchie et la République, tout en estimant que la France devait renoncer à toute croisade idéologique. S’il n’est évidemment plus possible de conserver une conception étroitement stato-centrée des relations internationales, il reste nécessaire de conserver un principe de retenue pour résister aux tentations d’aventure extérieure[40]. Il reste aussi que les États constituent encore l’armature du système international autour de laquelle gravite une nuée d’acteurs. La complexité du système réside dans les interactions mouvantes entre ces structures étatiques, produites par l’histoire, et le halo de plus en plus dense qui les enveloppe, produit en continu par la multitude des contacts humains et des connections électroniques.

En deuxième lieu, la notion d’intérêt introduit un principe de calcul et de gradation, qui oblige à inscrire l’action dans différentes échelles de temps. Cela implique une capacité et une volonté de bien dissocier intérêt immédiat, de court, de moyen et de long termes. Il ne faut pas laisser la gestion de crise tenir lieu de politique étrangère. Or, cette tendance tend à s’accentuer.

En troisième lieu, la notion d’intérêt national oblige à maîtriser les traditions diplomatiques pour une raison simple : si les valeurs ont tendu à éclipser l’intérêt dans le discours français de politique étrangère, ce n’est le cas ni chez ses alliés ni chez les émergents.

Trois règles diplomatiques gagneraient à être davantage observées. La première est celle de la réciprocité en matière de négociation. Dans le cadre des relations avec les États-Unis, elle rappelle que seule une Union européenne solide serait en mesure d’établir un rapport de force avec Washington dans le domaine commercial, monétaire et financier, numérique ou pour ce qui a trait aux sanctions vis-à-vis de pays tiers. La deuxième est celle de la sélectivité pour établir des priorités, afin d’éviter une dispersion des engagements internationaux et de limiter les tensions dangereuses sur nos moyens d’action. La troisième règle est celle du recours au secret à l’ère numérique[41]. Depuis Machiavel, l’intrication entre pouvoir et secret repose sur l’idée de l’insuffisance du droit pour garantir l’efficacité de l’action publique. Les affaires WikiLeaks et Snowden ont marqué un tournant : elles ont correspondu à des effractions publicisées du domaine réservé de la politique étrangère au nom d’un projet politique « citoyen ». Sans recourir au secret, impossible de mener des négociations et d’obtenir le moindre compromis. Je cite Jules Cambon : « Pour si peu que l’on ait été responsable des intérêts de son pays à l’étranger, on se rend compte que le jour où il n’y aurait plus de secret dans la négociation, il n’y aurait plus de négociation du tout [42]. »

Cela dit, il n’y a jamais eu autant besoin de canaux de coopération, d’expertise complexe et de savoir-faire international. Il n’y a jamais eu autant besoin d’outils comme les méthodes de la diplomatie pour façonner le système international et limiter les risques de dérapages. La lutte contre le changement climatique illustre la nécessité de favoriser l’émergence de nouvelles formes d’interaction positives entre forces politiques, économiques, scientifiques et civiques. Dans cette optique, la politique étrangère devrait servir à identifier et à formuler des objectifs communs atteignables non seulement entre appareils d’État, mais aussi entre appareils d’État et sociétés civiles. À défaut, le risque serait de voir les États s’orienter vers une souveraineté, non pas solidaire mais solitaire, limitée à la seule défense de leurs intérêts nationaux les plus étroitement conçus. Il importe de ne pas poser les problèmes internationaux en termes de simple intérêt immédiat, mais d’être en mesure, sur le plan intellectuel et organisationnel, d’identifier les courants profonds de nature géoéconomique et géopolitique. Face à une approche réactive essentiellement dictée par la pression médiatique, il faut développer une capacité d’anticipation, d’analyse et d’explication des grandes questions internationales en incluant les logiques territoriales et de flux.

Il faut repenser les modalités d’action en fonction d’un meilleur équilibre entre intérêts étroitement conçus, valeurs et alliances, sur lequel construire une politique étrangère dynamique et efficace. Répétons qu’intégrer systématiquement l’intérêt aux phases de réflexion et d’action introduit une logique de calcul et de gradation, ainsi que différentes échelles de temps. Il ne s’agit nullement de renoncer aux valeurs souvent caricaturées en « droits de l’hommisme ». Mais il convient certainement de bien distinguer les valeurs constitutives du pacte social proprement français, de celles que certains voudraient exporter par de nouvelles formes de messianisme. À cet égard, la politique étrangère française gagnerait à observer les vertus cardinales de prudence, de tempérance, de courage et de justice. En ce qui concerne les alliances et les unions politiques, elles offrent précisément un cadre temporel sur plusieurs décennies et encouragent le passage d’une souveraineté solitaire à une souveraineté solidaire. Cependant, les logiques d’alliance peuvent aussi aboutir à des conduites mimétiques au détriment de ses propres intérêts et système de valeurs. C’est pourquoi il importe de toujours chercher à développer les capacités à penser le monde par soi-même.

Au-delà de la recherche d’un équilibre dynamique durable entre intérêts étroitement conçus, valeurs et alliances, la politique étrangère française doit s’adapter à deux mutations en partie corrélées : l’émergence très rapide d’une multitude interconnectée et le désarroi identitaire. Au XXIe siècle, un réaliste commence par reconnaître l’interdépendance grandissante non seulement entre les États mais aussi entre les États, les acteurs sociaux et la multitude, ainsi que les inévitables mutations de la souveraineté. Rompu à la dialectique passé/présent, un réaliste aujourd’hui doit refuser de s’y enfermer et accorder la plus grande attention aux discours portant sur les futurs proche et lointain, ainsi qu’au jeu de perceptions entre acteurs. Cette nouvelle forme du réalisme n’est pas évidente pour ceux qui le confondent avec le souverainisme.

Enfin, on ne dira jamais assez que, de nos jours, le débat sur l’identité nationale porte d’abord sur l’organisation de l’activité économique du pays et ses relations économiques avec l’extérieur. Le nationalisme économique a du mal à penser à l’interdépendance, et de fait il est souvent assimilé au souverainisme et au protectionnisme. À contre-courant bien sûr de la doxa néolibérale. Si le nationalisme économique peut évidemment être source de tensions entre États, il est aussi une manière de créer les conditions de coopération économique. En effet, il comporte une forte charge sociale liée à la protection de la nation et permet de justifier des sacrifices pour atteindre des objectifs conformes à un projet de société.

C’est bel et bien la quête du bon modèle politico-économique de la France, et de son positionnement européen, qui lui permettront de se réapproprier la notion d’intérêt national beaucoup plus que les querelles sur les pures questions de société. L’enjeu désormais est d’élaborer ce modèle, puis de combiner au mieux politique économique et politique étrangère dans un environnement stratégique qui manifestement se dégrade. Ce devrait être l’objectif d’une politique ambitieuse, qui permettrait à la France de rester un acteur de l’Histoire alors que la révolution technologique continue de s’accélérer et que la compétition entre la Chine et les États-Unis pourrait déboucher sur de grands affrontements ou sur une nouvelle forme de partage du monde.

 

[1] Thierry de Montbrial est un économiste et un spécialiste de géopolitique, président-fondateur de l’Institut français des Relations internationales. Il est professeur honoraire de l’Ecole polytechnique où il a dirigé le centre de sciences économiques de 1974 à 1992 et professeur honoraire du Conservatoire national des Arts-et-Métiers. Il est également président de la World Policy Conference qu’il a créée en 2008

[2] Thierry de Montbrial et Thomas Gomart (dir.), Notre intérêt national. Quelle politique étrangère pour la France ?, Paris, Odile Jacob, 2017. La conception, l’introduction et la conclusion de cet ouvrage sont le produit de longues conversations entre ses deux signataires.

[3] Voir par exemple les travaux de Christophe Guilluy : Fractures françaises, Paris, François Bourin, 2010 et La France périphérique, Paris, Flammarion, 2014 ; ou encore, postérieurement à la présente communication, Jérôme Fourquet, L’archipel français, Paris (Seuil), 2019. Voir aussi les ouvrages de Gilles Kepel et de ses disciples. La question de l’immigration est également centrale dans le désarroi identitaire français. Sur le plan conceptuel, voir « Le concept d’identité » dans Thierry de Montbrial, La pensée et l’action, Bucarest, Académie roumaine, Fondation Nationale pour la Science et les Arts, 2015, p. 1059, version remaniée d’une communication : « L’identité de la France et de l’Europe », Fondation Singer-Polignac, juin 2004.

[4] Voir Thierry de Montbrial, « La politique étrangère de François Mitterrand », ibid., p. 947. Texte initialement publié sous le titre « Quatorze ans de politique étrangère », Revue des Deux Mondes, mai 1995.

[5] Thomas Gomart, « Politique étrangère française : déni ou dénigrement ? », Revue des Deux Mondes, octobre 2014.

[6] E. Bourgeois, Manuel historique de politique étrangère, Paris, Librairie classique Eugène Belin, 1892, p. 41.

[7] C. de Gaulle, Discours et messages, tome III : « Avec le renouveau, 1958-1962 », Paris, Plon, 1970, p. 341.

[8] François Mitterrand, 16 novembre 1983.

[9] François Mitterrand, 5 mai 1994.

[10] Jacques Chirac, 19 janvier 2006.

[11] J.-B. Duroselle, « Avant-propos », dans J. Doise et M. Vaïsse, Politique étrangère de la France, Diplomatie et outil militaire, 1871-1991, Paris, Imprimerie nationale, 1987.

[12] Nicolas Sarkozy, 6 mai 2007.

[13] Nicolas Sarkozy, 21 mars 2008.

[14] François Hollande, 11 mars 2012.

[15] François Hollande, 15 janvier 2013.

[16] J. Guisnel, B. Tertrais, Le Président et la Bombe, Paris, Odile Jacob, 2016, p. 85.

[17] L. Fabius, « Les priorités de la politique étrangère française », Revue des Deux Mondes, mai 2014, p. 109.

[18] H. Kissinger, World Order, New York, Penguin Press, 2014, p. 354-360.

[19] Revault d’Allonnes D., Les Guerres du président, Paris, Seuil, 2015, p. 14-16.

[20] François Hollande, « La Fabrique de l’histoire », France culture, 24 mai 2016.

[21] Ibid.

[22] F. Bozo, La politique étrangère de la France depuis 1958, Paris, Flammarion, coll. « Champs-Histoire », 2012, p. 263-274.

[23] F. Bozo, Histoire secrète de la crise irakienne : La France, les États-Unis et l’Irak (1991-2003), Paris, Perrin, 2013.

[24] G. Kepel, Terreur dans l’Hexagone, Genèse du djihad français, Paris, Gallimard, 2015, p. 33-66.

[25] M. Pébereau, Rompre avec la facilité de la dette publique, Pour des finances publiques au service de notre croissance économique et de notre cohésion sociale, Paris, La documentation française, 2005, p. 11-12.

[26] A. Segal, The Hacked World Order, How Nations Fight, Trade, Maneuver, and Manipulate in the Digital Age, New York, Public Affairs, 2016.

[27] T. Gomart, « De la diplomatie numérique », Revue des Deux Mondes, janvier 2013, p. 131-141.

[28] T. Gomart, « Écrire l’histoire des relations internationales après WikiLeaks », Revue des Deux Mondes, mai 2011, p. 83-94.

[29] T. Gomart, « La politique étrangère française est-elle Charlie ? », Etudes, n° 4221, novembre 2015, p. 19-30.

[30] L. Fabius, « Religions et politique étrangère », dans D. Lacorne, J. Vaïsse, J.-P. Willaime (dir.), La diplomatie au défi des religions, Paris, Odile Jacob, 2014, p. 13.

[31] Voir « L’action et le système du monde », chapitre II La puissance, et « Qu’est-ce qu’une puissance au XXIe siècle ? » (Communication à l’Académie des Sciences morales et politiques, janvier 2013) in T. de Montbrial, La pensée et l’action, op. cit., respectivement p. 58-127 et p. 1059-1077.

[32] T. de Montbrial, « Perspectives Ramsès 2011 ». Voir Histoire de mon temps, Académie roumaine, Fondation Nationale pour la Science et les Arts, Bucarest, 2018, p. 1356 et sq.

[33] A. Hirschman, The Passions and the Interests, Political Arguments for Capitalism before its Triumph, Princeton, Princeton University Press, 1977 (reed. 1997), p. 32-33.

[34] J. Bew, Realpolitik, A History, Oxford, Oxford University Press, 2016, p. 137.

[35] M. Weber, Psychologie sociale des religions du monde, cité dans P. Hassner, « Le rôle des idées dans les relations internationales », Politique étrangère, automne-hiver 2000.

[36] S. Huntington, « The Erosion of American National Interests », Foreign Affairs, September, 1997. Le dernier ouvrage de cet auteur, disparu en 2008, est intitulé Who Are We ? The Challenges to America’s National Identity, New York, Simon & Schuster, 2005. Voir aussi « Note conceptuelle sur la notion de politique étrangère » dans Thierry de Montbrial et Thomas Gomart (dir.), Notre intérêt national. Quelle politique étrangère pour la France ?, op. cit.

[37] P. Grosser., Traiter avec le diable ? Les vrais enjeux de la diplomatie au XXIe siècle, Paris, Odile Jacob, 2013, p. 8-9.

[38] A. Schlesinger, « National Interests and Moral Absolutes », dans E. Lefever, Ethics and World Politics, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1972, p. 21-42.

[39] Cité dans D. Decherf, Bainville, L’intelligence de l’histoire, Paris, Bartillat, 2000, p. 17.

[40] R. Frank, « L’historiographie des relations internationales : des « écoles » nationales », dans Pour l’histoire des relations internationales, Paris, PUF, 2012, p. 6-8.

[41] T. Gomart, « Ecrire l’histoire des relations internationales après WikiLeaks », art. cit. ; « De la diplomatie numérique », art. cit. ; « De quoi Snowden est-il le nom ? », Revue des deux mondes, décembre 2013.

[42] J. Cambon, Le Diplomate, Paris, Hachette, 1926, p. 31-32.

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