Remise de l’épée à Bernard Stirn

par Jean-Marc Sauvé

Séance solennelle du lundi 4 avril 2022

Remise de l’épée à Bernard STIRN
membre de l’Académie de sciences morales et politiques

par Jean-Marc Sauvé
vice-président honoraire du Conseil d’État 

Photographies : ©Patrick Rimond

 

Monsieur le président de l’Académie des sciences morales et politiques, 

Monsieur le chancelier de l’Institut de France,  

Monsieur le ministre, 

Monsieur le président du Conseil constitutionnel, 

Monsieur le vice-président du Conseil d’État, 

Mesdames, Messieurs, chers collègues, 

Cher Bernard, 

 

C’est un honneur, un plaisir et une joie que de remettre à Bernard Stirn, au nom du comité d’honneur du comité de l’épée, l’épée qui signe son appartenance à l’Institut de France et à l’Académie des sciences morales et politiques.  

C’est un honneur en effet d’accomplir ce rite en un tel lieu, sous la coupole de l’Institut, devant un pareil aréopage.  

C’est un plaisir de s’exprimer devant tant de collègues, d’amis et de visages familiers que j’aime ou je respecte.  

 

Et c’est une joie d’avoir été choisi pour remplir cet office par un collègue et un ami que j’aime et je respecte infiniment. Nous avons, Bernard Stirn et moi, dans la plus grande harmonie humaine et professionnelle, cheminé près de 12 ans au service du droit et du Bien commun, dans les jours ordinaires, les difficultés et parfois aussi les réussites dans des fonctions bien distinctes, mais tellement complémentaires : celles de président de la section du contentieux et de vice-président du Conseil d’État. 

Cette cérémonie est aussi pour moi l’occasion d’exprimer ma gratitude à toutes les personnes qui, sous l’impulsion du comité d’honneur, ont apporté leur contribution pour cette épée. Qu’elles soient toutes remerciées pour leur générosité. 

Notre comité n’a pas l’outrecuidance de penser qu’il pourrait par ses propres vertus adouber un nouveau chevalier. Il se borne à lui remettre son épée, ce qui est déjà beaucoup. Ce sont vos votes, Mesdames et Messieurs les membres de l’Académie des sciences morales et politiques qui, il y a plus de trois ans, ont conféré cette qualité à Bernard Stirn. Mais celui-ci avait, au-delà des titres et des mérites que vous avez su distinguer, une vocation particulière à siéger parmi vous. Comme ses collègues du Conseil d’État, il appartient à un corps d’épée, et non de robe. Ce point que les historiens ne se hasardent plus à discuter gagne toujours à être rappelé et médité en des temps où la justice fait débat au point que doivent lui être consacrés des états généraux. 

En outre, la famille de Bernard Stirn détient une épée dont l’histoire vaut d’être contée. Elle nous enseigne des permanences et des continuités républicaines, comme elle fait pressentir des ouvertures et des renouvellements au fil des générations.  

Cette épée qui a été forgée dans les commencements de la IIIème République est en effet celle que le grand-père de votre confrère, Myrtil Stirn, a portée comme préfet des Hautes-Pyrénées à partir de 1928. Chef de cabinet de préfet en 1902, il avait été nommé sous-préfet en 1908 et avait notamment occupé le poste de sous-préfet de Béthune pendant 10 ans, de 1918 à 1928, pour reconstruire cet arrondissement ravagé par la Première Guerre mondiale. Il fut ensuite préfet d’Eure-et-Loir, de la Haute-Vienne et de Maine-et-Loire, à Chartres, Limoges et Angers. En 1938, Myrtil Stirn fut nommé directeur général de l’hygiène et de l’assistance et, en cette qualité, conseiller d’État en service extraordinaire. Il fut mis à la retraite d’office en 1940 en application des lois de l’État français et il mourut 10 ans plus tard, peu de temps avant la naissance de Bernard qui reçut de lui son second prénom.  

Le père de Bernard, Alexandre Stirn, reprit cette épée lors de sa nomination comme préfet du Lot en janvier 1946. Il l’a ensuite portée comme préfet du Calvados pendant 10 ans de 1948 à 1958 – où il a notamment mené à bien la reconstruction de ce département après la Seconde Guerre mondiale –, puis préfet de la région Bretagne (1960-1967). C’est alors que le « grand uniforme » de préfet fut aboli. Mais Alexandre Stirn a continué à le revêtir quelque temps. Il fut ainsi le dernier préfet de la République à porter l’épée lors de la cérémonie de départ du général commandant la région militaire de Rennes. Il la portait également, ce qui n’allait pas de soi, lorsque, pendant la « traversée du désert », il accompagnait le Général de Gaulle en visite en Normandie, notamment, à Bayeux. 

 

Voilà pour l’histoire familiale, mais pas uniquement vous l’avez compris, de cette épée. 

Sa rénovation a été menée à bien par Michel Renonciat, restaurateur du patrimoine et des musées nationaux et grand spécialiste des épées d’académicien. Cette épée est la dernière sur laquelle il a travaillé, puisqu’il est décédé le 22 mars 2020. Elle est en quelque sorte son testament et je me devais de saluer la mémoire de ce restaurateur. 

Ont été gravés par lui : 

– sur la chape côté revers, selon la tradition, le nom de Bernard Stirn, celui de l’Académie des sciences morales et politiques et la date de son élection, le 18 mars 2019 ; 

–  sur la nacre de la fusée, côté face : les symboles du Conseil d’État et de Sciences Po où Bernard s’est illustré, ici comme un enseignant hors pair révéré par 46 générations ou promotions d’élèves, beaucoup d’entre eux ayant accédé aux plus hautes fonctions, et là dans la plupart des affectations possibles, de commissaire du gouvernement à emblématique président de la section du contentieux en passant, notamment, par celles de secrétaire général de cette institution ; 

– sur la nacre de la fusée, côté arrière : la façade du Palais-Garnier – Bernard ayant présidé 17 ans durant aux destinées de l’Opéra de Paris –  et le lion de Normandie, et non des Flandres, comme je l’avais dans un instant d’égarement espéré ; 

– au-dessous du bouton de la chape, une balle de golf posée sur son « tee », avec deux clubs entrecroisés en arrière-plan. Bernard, on le sait, pratique le golf avec assiduité et, alors auditeur au Conseil d’État, il a même tenté à 24 ans de convaincre le président Laroque, avec un simple succès d’estime, qu’il s’agissait bien d’un sport. 

Cette épée rend ainsi compte, mieux qu’un long discours que la rude discipline des temps de parole ne permet pas, des accomplissements de trois générations d’une famille française, où il est question de service de l’État, et donc de « préfectorale » et de Conseil d’État, d’un territoire d’incarnation, la Normandie où Bernard est né, réside et où les Stirn se sont illustrés, mais aussi d’enseignement du droit, de transmission, d’art lyrique et même de golf. À cette épée, rien ne manque, excepté la bibliothèque des livres que Bernard a écrits. Mais nous sommes tous ici des lecteurs particulièrement redevables envers cet auteur. Point n’était donc besoin de les nommer sur l’épée, ni pour ce faire de porter atteinte à sa lame. 

À votre compagnie créée sous la Convention pour réfléchir aux enjeux de notre temps et aux réponses qui peuvent ou doivent leur être apportées, Bernard Stirn était voué à appartenir. Dans un monde d’incertitude, d’instabilité et de démesure, il incarne une voix de raison, de réflexion et de modération. Pour avoir médité la pensée de Portalis, il sait que les lois ne sont pas de purs actes de puissance : ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison. Il sait que les lois sont faites pour les hommes et non les hommes pour les lois. Que l’on doit chercher et qu’il est possible de trouver la juste solution, c’est-à-dire la justice, même dans les situations les plus compromises. 

 

Toute vie est quête de sens.  

Toute personne humaine est essentiellement un vœu et sa vie est révélation, progressive ou soudaine, de cette vocation, même si elle n’en avait le plus souvent pas conscience au départ.  

Une existence ne peut se réduire à un plan de carrière. 

Tel est le sens du parcours de Bernard Stirn et de sa présence en ce lieu en ce jour, ceint de son épée. 

 Télécharger le discours de Jean-Marc Sauvé
Consulter la séance d’installation de Bernard Stirn

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