Alain Lamassoure, ancien ministre du budget, ancien député des Pyrénées-Atlantiques et député européen honoraire, conseiller référendaire honoraire à la Cour des comptes, est intervenu en séance le lundi 6 mars 2023.
Thème de la conférence : Y-a-t-il une gouvernance européenne de la paix ?
Synthèse de la séance
La paix en Europe a été assurée par un projet. L’Europe est l’illustration que l’effort commun rassemble des acteurs responsables alors que le « quoi qu’il en coûte » divise des sujets aigris et ingrats. Le projet européen comprend trois volets. Tout d’abord, il se fonde sur la « méthode Monnet » qui allie une politique de petits pas (la mise en commun du charbon et de l’acier), un calendrier à respecter coûte que coûte car inscrit dans les traités, et un engrenage vertueux et irrésistible une fois le premier pas réussi. Le fondement du droit est le deuxième volet du projet européen, constitué d’un socle (le préambule de la Charte des Nations Unies par lequel les États membres s’engagent à recourir à la négociation pour régler tous leurs différends, la convention européenne des droits de l’homme et la Charte des droits fondamentaux) ; des traités successifs qui constituent un cadre global ; et la fonction principale de l’Union qui est de faire du droit. En réglant tous les problèmes par le droit, l’Union démontre chaque jour l’inanité du recours à la force. Enfin, viennent les institutions. Le traité de Lisbonne a mis en place un système de décision fédéral et la Commission européenne est devenue le vrai exécutif politique. Toutefois si l’Europe est un géant normatif, c’est encore un nain budgétaire, un trou noir médiatique et un OVNI institutionnel.
Chemin faisant, l’Union européenne a développé un outillage de la paix : le multilinguisme (le Conseil et le Parlement ne peuvent pas juridiquement décider tant qu’un texte n’est pas disponible dans les 24 langues) ; les présidences tournantes du Conseil des Ministres qui permettent une acculturation de toute l’élite politique et administrative d’un pays durant les 6 mois de présidence ; ou encore l’art européen de la négociation qui privilégie la formule du trilogue, avec la Commission comme organe chargé de médiation permanente. Enfin, le « 56ème article » (non écrit) sous-entend que le passé reste à la porte des institutions européennes et que l’on s’abstient de parler du passé. Le seul recul concerne le financement du budget : l’Europe est passée d’un financement par des ressources propres à une contribution des budgets nationaux au prorata du PIB, ce qui engendre des attitudes thatchériennes de la part des États membres quant au « juste retour » de leur contribution.
Toutefois, l’éloge de la boite à outils européenne ne doit pas masquer les graves imperfections du modèle à l’heure d’affronter les défis du XXIème siècle. L’Europe touche les limites du cercle vertueux de « l’effet Monnet » : l’union économique n’a pas conduit automatiquement à l’union politique et la réconciliation des peuples ne suffit pas à persuader les dirigeants de s’engager dans une politique étrangère commune. Le non-respect des règles de l’Union est un sujet mal résolu. Or un système reposant sur le droit ne peut pas laisser le droit rouiller. Enfin, l’Union est bâtie sur le droit mais pas encore sur la démocratie. Le ou la président(e) de la Commission est élu(e) sur proposition du Conseil européen, agissant comme un chef de l’État collectif, et a donc une légitimité politique réduite quelles que soient ses qualités. Le Parlement souffre également d’un déficit démocratique d’où le désintérêt profond des médias, le sentiment d’éloignement des citoyens et l’image d’une bureaucratie anonyme à Bruxelles. Enfin, l’une des lacunes dont pâtit l’Europe est que cette gouvernance de la paix est largement méconnue, ce qui renvoie au problème posé par l’enseignement de l’histoire à l’école. L’essor de cette discipline a coïncidé avec l’avènement de l’État-nation. Aujourd’hui, la question qui se pose est de trouver le juste équilibre entre la formation de patriotes et de citoyens. Le risque existe que la jeune génération européenne se partage à part égale entre des nostalgiques d’un futur antérieur, des amnésiques et des pénitents obsessionnels d’un passé recomposé. Il est temps d’oser regarder en face notre passé commun, sans nier nos mémoires nationales douloureuses, en les réconciliant, tout en soulignant l’originalité de l’aventure européenne.
À l’issue de sa communication, Alain Lamassoure a répondu aux observations et aux questions que lui ont adressées J. de Larosière, J.C. Casanova, A. Vacheron, G. de Mesnil, J.C. Trichet, H. Korsia.
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