Jean-Marie ZEMB
(né le 14 juillet 1928 à Erstein, Bas-Rhin)
O.
Élu le 11 janvier 1999, dans la section Philosophie,
au fauteuil du Révérend Père Raymond Bruckberger
Fauteuil n°7
En quelques mots Carrière Œuvres
Travaux Académiques Discours et conférences
En quelques mots
Selon les écoles et les époques, mais aussi selon leur tempérament et leur expérience, les philosophes qui craignaient de perdre leur temps et leurs moyens à réfléchir aux rapports entre la pensée et le langage — ou plus témérairement entre leur pensée et leur langue — ont considéré une fois pour toutes que la pensée était soit enfermée dans les catégories et partant dans les limites de telle ou telle langue, soit était dotée d’une inaliénable indépendance souveraine.
Ce qui est ainsi pratiqué, de part et d’autre, comme axiome directeur de la déontologie, résiste mal à la curiosité opiniâtre dès lors qu’est examiné l’argument — commun aux affidés comme aux détracteurs — de la traductibilité. En effet, comment trancher autrement que par des postulats entre deux interprétations qui s’entendent de part et d’autre comme principes fondateurs : est-ce la pensée que les traducteurs philosophiques traduisent ou n’est-ce pas déjà toujours un texte que traduit le traducteur ? Cette question pourrait ítre posée de manière superficielle et trouver alors rapidement une réponse propédeutique provisoirement satisfaisante : tel texte traduit tel texte qui traduit telle pensée…
Mais cette formulation langagièrement correcte perd beaucoup de son intérêt lorsque l’examen de la traductibilité s’élargit d’une part à d’autres types de textes “mmoraux et politiques et d’autre part à la génération des premiers de cordée : le texte philosophique primitif exprime-t-il de la pensée originelle ? La pensée n’est-elle pas première quant à la parole, mais seconde quant à la langue ? De tels distinguos ont beau apaiser la discussion en mettant de l’ordre dans les mots, ils ne mettent pas fin à la réflexion critique, pas plus que la reconnaissance d’une simple spécialisation qui adopterait à côté de la philosophie de la société et de la philosophie de l’histoire, à côté de la philosophie de l’art et de la philosophie du droit, la philosophie (renaissante ?) du langage.
Comme le poing fermé d’une main trouve son refuge ou sa prison dans la paume ouverte de l’autre main, mais peut s’en échapper pour l’enserrer à son tour, l’homme peut indéfiniment enlacer le monde et s’y reconnaître intégré, avoir l’intuition de sa domination, puis celle de sa fragilité. La dialectique incessante du roseau, … mais roseau pensant. Remplacez /homme/ et /monde/ par /pensée/ et /langue/. Le va-et-vient auquel le philosophe est voué entre l’idée, la pensée, et le mot, la phrase, est-il autre chose que renoncement perpétuel, une démission déguisée en lucidité, ou encore, sur le pas de la caverne de Platon, de l’éblouissement aveuglant ?
Peut-on se satisfaire de préliminaires perpétuels ?
Leibniz a enseigné et pratiqué le culte du détail. C’est dans le détail que se cachent et se trouvent les clefs de ce que les uns appelleront interactivité et les autres synergie. Au départ d’un long itinéraire, quelques phrases devaient naguère fixer le cap à des milliers d’autres : comme les vitres d’un compartiment de train à la nuit tombante, le langage est à la fois opaque et transparent. Le grammairien voudrait profiter de la transparence pour décrire l’opacité et ce faisant la dissiper. Mais pour se détromper ainsi continuellement sans tromper autrui, il a besoin de recommencer sans cesse, et ce refrain demande beaucoup de temps, un temps silencieux comme on n’en trouve plus, un temps intérieur comme on n’en fait plus, un temps toujours éveillé et jamais pressé, […].”
Aveu ou programme ? Cette manière de philosophie pourrait passer pour radicalement relativiste. Elle l’est en effet à mes yeux, mais dans le sens originel que lui commande, heureusement, le mot de relation, à savoir non point détachée, coupée, perdue, anxieuse, désespérée, nihiliste, mais rattachée, certes avec du mou dans la corde — avec juste assez de mou —, mais solidement, à ce qui tient tout depuis toujours.
(Jean-Marie Zemb)
Carrière
Après des études secondaires à Strasbourg et avoir été réfractaire en 1944, Jean-Marie Zemb a fait des études de philosophie en France et en Allemagne puis a été chargé d’enseignement à l’Université de Hambourg en République Fédérale d’Allemagne de 1956 à 1961.
Ayant obtenu l’agrégation d’allemand, il enseigne aux lycées Carnot et Paul Valéry de Paris de 1961 à 1966. A partir de 1966, il est chargé d’enseignement à la FLSH de Besançon de 1966. Devenu docteur ès-Lettres à la Sorbonne le 18 juin 1968, il occupe tour à tour les chaires de linguistique allemande des Universités de Paris-VIII, Paris-III et Paris-X entre 1968 et 1986.
Enfin, il a été professeur titulaire de la Chaire de Grammaire et de pensée allemandes au Collège de France de 1986 à 1998.
Œuvres
- 1963 – Aristoteles.
- 1968 – Les structures logiques de la proposition allemande. Contribution à l’étude des rapports entre le langage et la pensée (thèse principale).
- 1978-1984 – Grammaire comparée de l’allemand et du français, 2 tomes.
- 1994 – Gespräche über den deutschen Satz
- 1997 – Für eine sinnige Rechtschreibung.
- L’art et la nature (en préparation)
- 2007 – A titre posthume – Non et non ou non ? Entretiens entre un philosophe, un grammairien et un logicien.
Jean-Marie Zemb avait mis cet ouvrage en chantier depuis plusieurs années mais l’édition ne s’en est décidée que quelques mois avant sa mort, survenue à Lorient le 15 février dernier. L’auteur a donné à ces dialogues péripatéticiens entre Bientassé, Lorvair et Dubrain (ses trois héros) une mise en page originale, revenant sur les principaux thèmes de sa vie d’enseignant et de chercheur, de la logique aristotélicienne et de ses prolongements dans notre modernité aux problèmes de traductologie et de grammaire comparée en passant par la réforme de l’orthographe allemande et le traitement automatique des langues — entre autres sujets. Dans ces entretiens, il livre une pensée profonde et fertile qui, malgré les nombreux articles publiés, ne s’est jamais exprimée de façon aussi ample et synthétique.
Jean-Marie Zemb a également conçu les vidéos suivantes : Thème-phème-rhème, Nancy (éd. Videoscop), 1994 et Le billard de l’attribut, Paris (éd. Collège de France), 1998. Il a également été préfacier de la revue trimestrielle Multilingua (1982-1986).
Travaux académiques
Notice
- Notice sur la vie et les travaux du Père Raymond Bruckberger, Publications de l’Institut de France, 2000
Communication en séance hebdomadaire
- Peut-on faire confiance à la tradition grammaticale de l’analyse dite logique et grammaticale ?, lundi 18 avril 2005
- La morale est-elle durable ?, lundi 2 décembre 2002.
- La racine langagière du génie français, lundi 21 mai 2001.