Le devoir d’information du médecin

Séance du lundi 22 mai 2000

par M. André Vacheron

 

 

Les progrès de la médecine durant les cinquante dernières années ont été remarquables. Dans ma discipline, la cardiologie, il est devenu possible d’ouvrir le coeur arrêté sous circulation extracorporelle et de réparer ses malformations et ses lésions. En 1967, le sud-américain Favaloro a réalisé les premiers pontages coronaires qui ont transformé le pronostic de la cardiopathie la plus fréquente des pays industrialisés. Dix ans plus tard, le suisse Grüntzig a imaginé l’angioplastie coronaire percutanée au ballonnet gonflable, devenue aujourd’hui la technique la plus utilisée de réparation des artères coronaires. Depuis la première transplantation cardiaque réussie par le sud-africain Barnard en 1967, des milliers de malades au coeur détruit ont pu retrouver une seconde vie et, en 30 ans, la transplantation est devenue une intervention simple au plan technique, toujours complexe au plan biologique du rejet, posant aujourd’hui un véritable problème de santé publique avec le don d’organe. Si le coeur artificiel n’existe pas encore, les techniques modernes d’assistance circulatoire permettent aux malades en grande défaillance cardiaque d’attendre plusieurs semaines, parfois plusieurs mois, un greffon. Nos traitements médicaux de l’hypertension artérielle, de la maladie coronaire et de l’insuffisance cardiaque ont transformé le pronostic de ces maladies et contribué puissamment à l’augmentation de la durée de la vie. Mais les malades et leur famille demandent toujours plus et acceptent de moins en moins les échecs et les résultats incomplets. Les médecins sont de plus en plus facilement accusés de négligence ou de compétence insuffisante. C’est dire l’importance et la nécessité de l’information dont les modalités ont beaucoup évolué durant ces dernières années. Mon exposé comportera quatre parties :

  • l’historique des principes d’information et de consentement,

  • la nature de l’information,

  • le renforcement actuel de la jurisprudence,

  • la sanction du défaut d’information.

 

Historique

 

Depuis des millénaires, le médecin s’efforce de répondre aux angoisses et aux besoins de l’homme malade. Son art est aussi vieux que l’histoire de l’humanité. La relation qui se noue entre le médecin et le malade n’est pas une relation ordinaire : le médecin a le savoir et le pouvoir. De son savoir découle l’obligation d’informer le malade qui lui ne sait pas. L’information du malade doit permettre d’éclairer son consentement et de rétablir l’égalité entre deux parties dont l’une a la connaissance et l’autre ne l’a pas. Le Talmud donne l’une des premières instructions pour l’information du malade : « le médecin ne peut exécuter aucune opération sans le consentement de son patient ». Au Moyen Age, le paternalisme médical est à l’image de l’autorité de l’Eglise. Le malade doit être soumis au médecin, considéré comme représentant de Dieu. Au début du 14ème siècle, le chirurgien Guy de Chauliac affirme même que le malade doit obéir au médecin comme un serf à son seigneur. Ce n’est qu’au 18ème siècle que John Gregory, Professeur de Médecine à Edimbourg, préconise l’information des patients sauf si elle est nuisible et compromet la guérison. Son élève Benjamin Rusch souligne que l’information est indispensable pour faire accepter la décision médicale en connaissance de cause et favoriser l’observance du traitement. Cependant dans son traité d’éthique médicale publié en 1803, Thomas Percival, médecin à Manchester, affirme que la vérité est plutôt nuisible à la santé et que le médecin doit cacher sa fin prochaine à un mourant. L’American Medical Association qui rédige son premier code d’éthique médicale en 1947 en s’inspirant de Percival, va rester fidèle à ses conceptions jusqu’en 1980. En France, le 30 janvier 1950, le Professeur Portes alors Président du Conseil National de l’Ordre des Médecins, présente à l’Académie des Sciences Morales et Politiques ses réflexions sur le consentement du malade à l’acte médical. Cet être humain terrassé par la maladie, inapte à faire front, et angoissé, appelle de la part du médecin sympathie et sollicitude. La seule parcelle de liberté dont il puisse vraiment disposer est le choix libre de son médecin traitant. Portes admet la possibilité d’un contrat d’adhésion entre le malade et le médecin mais cette adhésion doit être le plus souvent inconditionnelle car le consentement du malade ne peut être ni libre, ni éclairé. Lors du premier congrès de Morale Médicale organisé à Paris en 1955, le principe de la liberté du consentement du malade est admis mais réduit au libre choix du médecin par le malade qui lui accorde sa confiance et lui délègue la responsabilité du traitement. Cependant, dès 1936, un arrêt de la Cour de Cassation, l’arrêt Mercier, souligne la nature contractuelle des relations médecin-malade qui implique le consentement des parties contractantes et définit le contenu du contrat médical en mettant à la charge du médecin l’obligation de moyens de donner à son patient des soins consciencieux, attentifs et, réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science. Quelques années plus tard, un autre arrêt de la Cour de Cassation, l’arrêt Teyssier en date du 28 Janvier 1942, souligne que comme tout chirurgien, le chirurgien d’un service hospitalier est tenu, sauf cas de force majeure, d’obtenir le consentement du malade avant de pratiquer une opération. Ce même arrêt énonce qu’en violant cette obligation imposée par le respect de la personne humaine, le chirurgien commet une grave atteinte aux droits du malade.

Si la nécessité juridique du consentement est ainsi affirmée, celle de l’information préalable n’est pas encore parfaitement définie. Or cette information est une condition fondamentale de l’autonomie du malade. Elle est aujourd’hui précisée par l’article 35 du code de déontologie médicale publié en 1995 dans sa 4ème version : le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il propose. Tout au long de la maladie, il doit tenir compte de la personnalité du patient dans ses explications et veiller à leur compréhension. En cas de troubles mentaux, il est hautement souhaitable de demander au psychiatre qui s’occupe du malade si ce dernier peut donner un consentement éclairé aux soins prévus.

Dans l’intérêt du malade et pour des raisons légitimes que le praticien apprécie en conscience, un malade peut être tenu dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic grave, sauf dans les cas où l’affection dont il est atteint, expose les tiers à un risque de contamination.

Un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection, mais les proches doivent en être prévenus, sauf exception ou si le malade a préalablement interdit cette révélation ou désigné les tiers auxquels elle doit être faite.

La nature de l’information

 

L’information doit permettre au malade de donner ou de refuser son consentement. Elle en conditionne la validité. Elle concerne d’abord la maladie, son évolution, son pronostic. Elle concerne aussi les investigations de plus en plus sophistiquées, souvent invasives aujourd’hui, nécessaires à la précision du diagnostic et au choix du traitement, telle que la coronarographie dans ma discipline, indispensable pour évaluer une maladie coronaire et décider du traitement le plus approprié, dont les complications graves sont aujourd’hui exceptionnelles (décès 0,8 p. 1000, accident neurologique 0,6 p. 1000, infarctus myocardique 0,3 p. 1000. Elle concerne enfin les traitements proposés avec leurs risques possibles, leur efficacité, leurs échecs. C’est ainsi que l’angioplastie coronaire, c’est-à-dire la dilatation du rétrécissement d’une artère coronaire générateur d’angine de poitrine au moyen d’un ballonnet gonflable, peut se compliquer d’infarctus myocardique, d’obstruction de l’artère nécessitant quelquefois le recours au pontage chirurgical en urgence, enfin exceptionnellement d’un accident fatal (1 % des cas). Le taux de succès primaire dans les équipes expérimentées qui réalisent régulièrement les angioplasties coronaires dépasse 90 % et les complications sont rares. Mais dans près de 20% des cas, une resténose, c’est-à-dire une reconstitution du rétrécissement, apparaît progressivement dans les six mois suivant la dilatation et nécessite une nouvelle angioplastie. Lorsque les lésions sont diffuses sur plusieurs artères coronaires, les risques de resténose sur les sites dilatés sont tels qu’il est raisonnable de proposer au malade le choix entre l’angioplastie simple sous anesthésie locale permettant la reprise quasi-immédiate de l’activité et les pontages coronaires chirurgicaux qui nécessitent l’anesthésie générale, l’ouverture du thorax, la circulation extracorporelle au prix d’un risque vital qui n’est évidemment pas nul : 1 à 2 %, d’une convalescence de plusieurs semaines, mais qui assurent ultérieurement une guérison durable. Il est donc indispensable d’informer les patients des alternatives thérapeutiques, de leurs avantages et de leurs inconvénients respectifs. Je citerai encore une situation relativement fréquente en cardiologie, chez les personnes âgées de plus en plus nombreuses aujourd’hui, celle du rétrécissement aortique calcifié qui expose le patient à la syncope mortelle et à l’insuffisance cardiaque. On peut remplacer la valve calcifiée par une valve biologique (bioprothèse de porc par exemple) ou par une valve mécanique en carbone. La bioprothèse dispense du traitement anticoagulant permanent mais sa détérioration au fil des années (10 à 12 ans en moyenne) nécessitera son remplacement et donc une nouvelle opération à coeur ouvert non dénuée de risque, surtout après 80 ans. La valve mécanique, elle, est pratiquement inusable mais impose, en raison de son risque de thrombose et d’embolie, un traitement anticoagulant quotidien rigoureux surveillé régulièrement et donc contraignant. Certains malades encore jeunes préfèreront cependant la bioprothèse qui permet d’oublier son coeur pendant des années et que nous réservons habituellement aux patients de plus de 70 ans. Il serait illicite de la leur refuser quand le malade a été pleinement informé de ses avantages et de son risque de détérioration.

Si tout malade a le droit d’être informé, la réalité peut être traumatisante en cas de maladie grave de pronostic fatal. Saint-Thomas disait que l’homme préfère un message qui console à une vérité qui éclaire. En fait, il est possible d’atténuer le choc consécutif à la découverte d’une situation pathologique sévère en soulignant qu’elle n’est pas désespérée en raison des progrès actuels et à venir de la médecine. Certains malades préfèreront connaitre la vérité qui peut les aider à s’adapter à leur maladie, à la combattre, à mieux supporter son traitement et ses conséquences parfois pénibles (je pense ici à la chimiothérapie des cancers) plutôt que d’entretenir des espoirs illusoires avant de découvrir finalement une réalité amère et désespérante.

Le droit au refus des soins est nettement affirmé par l’article 36 du code de déontologie médicale mais le médecin doit alors informer le patient des conséquences de son refus qu’il est préférable de faire stipuler par écrit et signer par le patient indiquant qu’il est prévenu de tous les risques pouvant résulter de ce refus, surtout lorsqu’il s’agit d’une intervention indispensable (arrêt de la Cour de Cassation en date du 7 novembre 1961).

L’article 47 du code de déontologie médicale rappelle que, hors le cas d’urgence où il manquerait à son devoir d’humanité, le médecin lui même a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. S’il se dégage de sa mission, il doit en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins.

L’article 64 du code de déontologie médicale indique que lorsque plusieurs médecins collaborent à l’examen ou au traitement du malade, ils doivent se tenir mutuellement informés. Chacun des praticiens assume ses responsabilités et doit informer personnellement le malade. Le devoir d’information pèse autant sur le médecin prescripteur que sur celui qui réalise la prescription. Si plusieurs médecins sont concernés par l’acte médical en cause, ils peuvent être jugés conjointement responsables du défaut d’information.

L’article L 710-2 du code de la Santé Publique issu de la loi hospitalière du 31 Juillet 1991 impose à tous les praticiens des établissements de soins publics ou privés d’assurer l’information des personnes soignées. Les personnels para-médicaux sont tenus de participer à cette information dans les domaines de leurs compétences.

Enfin, l’article 16-3 du code civil institué par la loi bioéthique n° 94663 du 29 Juillet 1994 indique clairement qu’il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité thérapeutique pour la personne. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement, hors les cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir.

Cet article conforte l’article 41 du code de déontologie médicale : aucune intervention mutilante ne peut être réalisée sans motif médical sérieux et, sauf urgence et impossibilité, sans information de l’intéressé et sans son consentement. Si le malade est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin ne peut intervenir sans que ses proches aient été prévenus et informés sauf urgence et impossiblité. Le mineur lui même doit être informé lorsqu’il est en état de comprendre et de supporter l’information (article 42 du code de déontologie médicale). Néanmoins, il n’a pas la capacité juridique de consentir à l’acte médical. Le consentement de ses parents ou de la personne investie de l’autorité parentale est indispensable.

La jurisprudence refuse de considérer le patient comme un incapable sans pouvoir de décision. Elle exige constamment qu’il soit parfaitement éclairé. Le défaut d’informations relatives aux risques des investigations et des soins constitue une source majeure de contentieux en matière de responsabilité médicale. C’est dans ce contexte qu’on assiste aujourd’hui à un renforcement de la jurisprudence. Ce durcissement concerne les risques graves et exceptionnels et la preuve de l’exécution de l’information.

Le renforcement de la jurisprudence

 

Jusqu’à une période récente, la jurisprudence admettait que le médecin ne devait informer son patient que des risques normalement prévisibles et le dispensait de signaler des risques graves exceptionnels hormis en chirurgie esthétique, le juge considérant que l’intervention n’étant pas curative, le patient ne pouvait donner un consentement valable qu’en connaissance de tous les risques encourus (arrêt de la Cour de Cassation du 17 Novembre 1969). Cette limitation de l’information était contestable eu égard à la fiabilité très relative des statistiques sur les risques de certaines interventions. Elle ne tenait pas compte non plus des particularités du patient, notamment de son âge et de sa situation familiale. Il faut évidemment informer un jeune malade chargé de famille du risque mortel potentiel même s’il est très faible d’une opération proposée pour une affection qui ne met pas en jeu son pronostic vital. L’obligation d’information sur les risques graves qui sont de nature à avoir des conséquences mortelles, invalidantes ou même esthétiques graves, compte-tenu de leurs répercussions psychologiques et sociales, même s’ils sont exceptionnels, a été affirmée par les arrêts du 14 0ctobre 1997, du 27 Mai 1998 et du 7 Octobre 1998 de la Cour de Cassation. Hormis les cas d’urgence, d’impossibilité ou de refus du patient d’être informé, un médecin est tenu de lui donner une information loyale, claire et appropriée sur les risques graves afférents aux investigations et soins proposés, et il n’est pas dispensé de cette obligation par le seul fait que ces risques ne se réalisent qu’exceptionnellement.

En matière d’actes médicaux et chirurgicaux à visée esthétique, l’obligation doit porter non seulement sur les risques graves de l’intervention, mais aussi sur tous les inconvénients pouvant en résulter (Cour de Cassation 1ère Chambre Civile, 17 Février 1998).

L’arrêt du 27 Mai 1998 précise que l’information doit porter également sur les risques des investigations et des traitements demandés par le malade et que le médecin doit refuser d’accéder à une demande qui expose le patient à un danger sans justification thérapeutique (en l’occurrence il s’agissait d’une femme qui avait demandé une induction ovarienne puis un déclenchement prématuré de l’accouchement acceptés par le gynécologue, alors qu’ils étaient contre-indiqués par l’état de la patiente qui devait décéder). L’obligation du médecin de refuser d’exposer son patient à un danger est d’ailleurs affirmée dans l’article 40 du code de déontologie médicale du 6 Septembre 1995.

Si la jurisprudence a ainsi renforcé l’obligation d’information au cours de ces dernières années, l’arrêt 1567 du 7 Octobre 1998 de la Cour de Cassation reconnait qu’en cas d’urgence, d’impossibilité ou de refus du patient d’être informé, il est dérogé à l’obligation d’information. Cet arrêt ainsi que l’arrêt 1568 du même jour maintient également la possibilité d’une limitation thérapeutique de l’information quand cette dernière peut avoir une influence délétère sur la réussite du traitement. Ainsi, un survivant d’infarctus myocardique très anxieux, dont le pronostic vital est compromis par une maladie coronaire sévère et qui ne peut être traité que par une intervention à haut risque, ne doit pas être informé de ce risque dont la connaissance peut déclencher une nouvelle crise cardiaque. Le médecin doit garder la faculté de limiter son information dans l’intérêt du patient mais doit cependant informer clairement la famille des risques encourus par ce dernier et doit pouvoir apporter la preuve du bien fondé de sa décision.

A la suite d’un arrêt du 29 Mai 1951 (l’arrêt Martin-Birot concernant l’amputation d’une jambe à la suite d’une erreur de diagnostic), la Cour de Cassation estimait qu’il appartient au malade, lorsqu’il se soumet en pleine lucidité à l’intervention du chirurgien, de rapporter la preuve que ce dernier a manqué à son obligation contractuelle en ne l’informant pas de la véritable nature de l’opération qui se préparait et en ne sollicitant pas son consentement à cette opération.Cette preuve d’un fait négatif (dite « preuve diabolique ») était très difficile à apporter dans un domaine de relations orales : celui du colloque singulier. Ce principe s’appliquait à d’autres professions, en particulier aux notaires et plus indirectement aux avocats et aux architectes.

Cette jurisprudence a été abandonnée par la 1ère Chambre Civile de la Cour de Cassation (arrêt Hedreul du 25 Février 1997) qui a décidé à propos d’une perforation colique survenue lors d’une ablation d’un polype par coloscopie, que celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information, doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation. Un arrêt du 29 Avril 1997 a appliqué la même règle à un avocat. Ce renversement de la charge de la preuve a conduit les médecins à s’interroger sur le contenu de l’information à donner à leurs patients et a surtout contribué à en faire une préoccupation défensive.

Dans un arrêt du 14 Octobre 1997 concernant une malade décédée d’embolie gazeuse après une coelioscopie, la Cour de Cassation a rappelé que la preuve de l’information peut être faite par tous moyens, notamment par des présomptions définies par l’article 1353 du code civil (ensemble de faits, circonstances ou éléments graves, précis et concordants). Le juge peut tenir compte du nombre de consultations ayant précédé l’intervention, des renseignements mentionnés dans les dossiers médicaux qui peuvent assurer une véritable traçabilité de l’information, des lettres à des confrères. L’écrit est cependant la forme la plus sûre de l’information. La loi l’exige dans la recherche biomédicale sur l’être humain avec un formulaire approuvé par un Comité Consultatif de protection des personnes dans la recherche biomédicale (CCPPRB) précisant l’objectif de la recherche, sa méthodologie et sa durée, les contraintes et les risques prévisibles, avec le recueil d’un consentement écrit des patients. Dans la pratique médicale et chirurgicale habituelle, les fiches d’information réalisées par les sociétés savantes dans leurs spécialités respectives ou issues des recommandations des conférences de consensus sont les vecteurs les plus solides de l’information.Comme vient de le recommander l’ANAES (Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé), s’appuyant sur un rapport de Madame Dominique Thouvenin, Professeur à L’Université Paris VII, ces fiches doivent d’abord faire état des bénéfices atttendus des soins envisagés avant de présenter leurs inconvénients et risques éventuels. Elles ne doivent pas noyer le patient sous une multitude d’incidents possibles : l’excès d’information tue l’information. Elles doivent être assorties de toutes les explications nécessaires à leur compréhension et délivrées oralement par le praticien responsable de l’acte médical ou chirurgical sans générer d’anxiét, le dialogue constituant un élément essentiel de la relation médecin – malade qui doit s’établir dans la confiance et non pas dans la défiance. Si la preuve de la remise de la fiche est une question de pur fait, le seul moyen pour le médecin de prouver de façon irréfutable l’exécution de son obligation d’information est la production d’un document écrit et signé par le patient, attestant que ce dernier a reçu et bien compris les informations délivrées par le médecin. Juridiquement cependant, cette signature n’est pas obligatoire et ne doit pas être assimilée à une décharge de responsabilité.

La sanction du défaut d’information

 

Le médecin qui ne peut prouver avoir informé son patient du risque d’une investigation ou d’un traitement qui s’est réalisé, en dehors de l’urgence, de l’impossibilité ou d’une contre-indication thérapeutique de l’information, engage sa responsabilité civile, mais non sa responsabilité pénale comme dans le cas de la recherche biomédicale. Il devra réparer le préjudice subi par le patient qui, s’il avait été mieux informé, aurait pu échapper par une décision plus judicieuse, au risque qui s’est finalement réalisé. La Cour de Cassation a estimé que cette perte de chance d’échapper au risque constitue un préjudice distinct des atteintes corporelles résultant de l’opération (arrêt du 7 Février 1990) et que sa réparation ne peut représenter qu’une fraction des différents dommages subis par le patient (arrêt du 8 Juillet 1997). Tribunaux et Cours d’appel apprécient souverainement le quantum de la perte de chance : il sera élevé dans le cas d’un patient jeune dont le pronostic vital n’était pas en jeu, il pourra être nul si les soins étaient indispensables et qu’en leur absence le malade serait mort ou aurait été atteint de complications graves.

Deux arrêts rendus par le Conseil d’Etat le 5 Janvier 2000 ont conforté la jurisprudence de la Cour de Cassation et imposent aux médecins hospitaliers de prouver que le devoir d’information du malade n’a pas été méconnu, même quand il s’agit de risques exceptionnels. L’un concerne les hospices civils de Lyon où la rupture d’un microcathéter introduit dans une artère cérébrale avait provoqué une hémiplégie chez le patient, l’autre l’Assistance-Publique Hôpitaux de Paris où un patient s’était retrouvé paralysé des deux membres inférieurs après une intervention endovasculaire destinée à traiter des fistules artério-veineuses congénitales. Dans chacun des cas, les patients avaient porté plainte pour défaut d’information. Finalement, le Conseil d’Etat avait été saisi d’un recours en annulation dans un cas par la famille du malade n’ayant pas obtenu réparation de la part des hospices civils de Lyon, dans l’autre par l’Assistance-Publique Hôpitaux de Paris condamnée par la Cour Administrative d’Appel de Paris. Comme la Cour de Cassation, le Conseil d’Etat a décidé que le manquement au devoir d’information ne permet au patient d’obtenir une indemnisation que sur le fondement de la perte de chance de se soustraire au risque qui s’est réalisé et que la réparation du dommage doit être fixée à une fraction des différents chefs de préjudice subis.
Contrairement à ce que certains juristes ont pu soutenir, le seul défaut d’information ne suffit pas à engager la responsabilité du médecin. Il s’agit bien évidemment d’une faute mais cette faute n’ouvrira droit à indemnisation au profit du patient que dans la mesure où elle lui a causé un préjudice.

Conclusion

 

Les principes de l’information et du consentement préalables s’inscrivent dans le cadre du respect de la personne humaine et de son inviolabilité et ne sauraient être assimilés à ceux qui prévalent dans le droit de la consommation.

Il faut cependant reconnaître que la jurisprudence a aggravé la responsabilité potentielle du médecin en substituant à la certitude d’un lien de causalité la notion d’une privation de possibilité de choix ou encore d’une perte de chance d’échapper par une décision plus judicieuse aux conséquences préjudiciables de l’intervention réalisée. Cette responsabiltié de plus en plus lourde pourrait conduire les médecins à la crainte excessive de prise d’un risque qui s’avère pourtant le plus souvent salutaire pour le malade. L’évolution de la médecine durant les dernières décennies avec l’apparition de nouvelles techniques d’investigation plus invasives et de nouvelles thérapeutiques plus efficaces mais aussi plus dangereuses, impose aux praticiens une plus grande vigilance dans l’information appropriée délivrée à leurs patients, condition essentielle et indispensable du consentement libre et éclairé.

Les médecins mais aussi les patients doivent aujourd’hui s’interroger sur les rapports bénéfices/risques de beaucoup d’interventions médicales et le médecin ne peut plus imposer une investigation ou un traitement sans état d’âme ni information convenable préalable. Cependant, le consentement du malade ne saurait décharger le médecin de toutes ses responsabilités. La rencontre du malade et de son médecin reste toujours le colloque singulier décrit par Georges Duhamel en 1935 : une confiance allant vers une conscience et j’ajouterai vers une expérience plus que jamais nécessaire, mais aujourd’hui cette rencontre doit s’accompagner d’une information convenable permettant un accord éclairé du patient sur les objectifs, les conditions et les risques de l’acte médical et sur les bénéfices à en espérer.

Résumé

Le devoir d’information du malade a toujours été au coeur de l’éthique médicale. Au cours des dernières décennies, la relation médecin-malade a évolué en même temps que les progrès de la médecine. S’il y a 25 ans la problème fondamental était celui de la vérité au malade, le droit du malade à l’information est apparu progressivement. L’éthique médicale a abandonné un paternalisme encore très marqué en 1950 quand le Professeur Portes présentait à l’Académie des Sciences Morales et Politiques ses réflexions sur le consentement du malade, pour évoluer vers une relation plus symétrique entre médecin et malade prenant en compte l’autonomie de ce dernier. Le devoir d’information est précisé par l’article 35 du code de déontologie médicale de septembre 1995 : le médecin doit à son patient une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il propose. Depuis 1997, la jurisprudence a étendu le devoir d’information aux risques graves, même exceptionnels et impose aujourd’hui au médecin d’apporter la preuve qu’il a bien délivré l’information au patient. Ce renforcement de la jurisprudence ne peut qu’augmenter la vigilance du corps médical et lui rappeler que les progrès de la médecine doivent éviter la dérive technologique.

 

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