Pierre MAZEAUD

(né le 24 août 1929 à Lyon – IVe)

G. O.    C.

Élu, le 12 décembre 2005, dans la section générale,
au fauteuil laissé vacant par le décès d’Alice Saunier-Séïté

Fauteuil n°5


Carrière – Œuvres – Travaux AcadémiquesDiscours et conférences – Son épée d’Académicien


Carrière

Après des études au lycée Louis-le-Grand, puis à la Faculté de Droit de Paris, il est devenu Docteur en droit et a commencé une carrière dans la magistrature comme juge d’instance, à la Martinique, puis de grande instance, à Versailles.

De 1955 à 1968, il a été chargé de travaux dirigés à la Faculté de Droit de Paris. En 1961, le Premier ministre Michel Debré l’appela à son Cabinet comme chargé de mission. De 1962 à 1967, il a occupé les fonctions de conseiller technique auprès de notre confrère Jean Foyer, alors Garde des Sceaux, avant de travailler en 1967-68, comme chargé de mission auprès de François Missoffe, alors ministre de la Jeunesse et des sports.

Élu en 1968 député des Hauts de Seine, il a siégé à l’Assemblée nationale jusqu’en 1973, date à laquelle il fut nommé Secrétaire d’État chargé de la jeunesse, des sports et des loisirs, poste qu’il a occupé jusqu’en 1976.

La liste des autres fonctions importantes qu’il a assumées depuis lors est impressionnante : Conseiller d’État en 1976, député de la Haute-Savoie de 1988 à 1998, Président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale pendant 7 années (1987-88 puis 1993-98), vice-Président de cette même Assemblée en 1992-92 puis en 1997-98, Conseiller régional de Rhône-Alpes et Président de la Commission des finances de Rhône-Alpes de 1992 à 1998, juge titulaire à la Haute Cour de Justice de 1987 à 1997. Entré au Conseil constitutionnel en 1998, il en est devenu le Président en 2004, confirmant ainsi son rôle éminent au service de la République.

Depuis 2007, il est le vice-Président du Comité sur la réforme des institutions.

Sa carrière dans les hautes sphères de l’Etat s’est accompagnée d’une riche d’expérience de terrain, d’une part comme maire de la commune de Saint-Julien en Genevois (1979-89), et d’autre part comme enseignant aux Instituts d’études politiques d’Aix-en-Provence et de Paris.

Il convient enfin de rappeler que Pierre Mazeaud est un alpiniste hors pair, vainqueur de l’Everest en 1978, auteur de nombreuses voies nouvelles en haute montagne, expériences qu’il a relatées dans plusieurs ouvrages.

Il a présidé la Fondation Charles De Gaulle de 2006 à 2010.

Œuvres

  • Le Mariage et la condition de la femme mariée à Rome (thèse de droit romain)
  • 1971 – Montagne pour un homme nu
  • 1978 – Everest 78
  • 1980 – Sports et liberté
  • 1982 – Nanga-Parbat, Montagne cruelle
  • 1985 – Des cailloux et des mouches ou l’échec à l’Himalaya
  • 1995 – Rappel au règlement
  • 1998 – En toute liberté,
Codirection d’ouvrages 
  • 2012 – (avec Catherine Puigelier) Le peuple et l’idée de norme
  • 2013 – (avec Catherine Puigelier) Victor Hugo, homme de lettres, homme de droit
  • 2014 – (avec Jacques Foyer et Catherine Puigelier) Jean Foyer, académicien, t. 1er
  • 2015 – (avec Catherine Puigelier) Le génie veut être libre”
  • 2015 – (avec Catherine Puigelier) Louis Pasteur, imagination et droit
  • 2016 – (avec Catherine Puigelier) Une histoire de la tolérance et de la transplantation, t. 1er, L’homme s’affranchit du mystère ; t. 2, La connaissance est un trésor ; t. 3, “Ce n’est pas vrai, ce n’est pas neuf, ce n’est pas de vous”

Ainsi que de divers articles de droit civil dans la Semaine juridique et dans diverses revues spécialisées étrangères et d’autres articles sur l’alpinisme dans des revues françaises et étrangères.

Travaux académiques

Notice
Communications en séances hebdomadaires

Discours et conférences

  • “Vœux 2007 au Président de la République”, le 3 janvier 2007, à Paris.

Son épée d’Académicien

M. Pierre Mazeaud, élu le lundi 12 décembre 2005, dans la section générale, au fauteuil laissé vacant par le décès d’Alice Saunier-Séïté, a reçu son épée d’Académicien le vendredi 30 juin, au cours d’une cérémonie qui s’est déroulée dans le salon des Maréchaux du Palais-Royal, sous la présidence de M. Jean Foyer, président du comité d’honneur, et de M. Alain Lancelot, ancien directeur de Sciences Po, président du comité d’organisation.

Jean Foyer faisant l’éloge du récipiendaire avant de lui remettre son épée.

L’épée de Pierre Mazeaud

A cette occasion, il a souhaité rendre hommage à son oncle Henri Mazeaud, élu membre de l’Académie le 10 février 1969 dans la section Législation, droit public et jurisprudence, en choisissant de se faire remettre l’épée d’académicien de ce dernier, après y avoir fait apporter quelques modifications personnelles. Celles-ci sont d’ailleurs détaillées par Pierre Mazeaud en personne dans le discours de remerciement qu’il a prononcé à cette occasion et que nous vous proposons dans son intégralité ci-dessous.

Allocution de M. Pierre Mazeaud

Mes Chers Amis,

Permettez-moi, rompant avec les usages, de vous donner ce titre sans en énumérer aucun autre, car cette réunion est toute entière sous le signe de l’amitié. Cette qualité vous est commune à tous qui êtes venus ce soir et c’est pour moi la plus précieuse : mes chers amis.

Il y a pourtant un titre que je dois citer. Le vôtre mes chers confrères qui m’avez accueilli dans votre compagnie. A vous, membres de l’Institut, je tiens à exprimer ma reconnaissance. Sachez que j’apprécie très haut l’honneur — le méritais-je ? — que vous m’avez fait en m’appelant auprès de vous. Cet honneur je l’ai particulièrement ressenti : car c’est au siège d’Alice Saunier-Séïté que vous m’avez élu. J’aurai bientôt à retracer devant l’Académie sa vie tout à la fois exceptionnelle et étonnante. Notice prévue pour le 29 janvier prochain.

Mes remerciements iront d’abord à Jean FOYER qui ayant cédé à l’amitié, a accepté de prendre la tête du Comité qui a été constitué et dont je remercie tout particulièrement chacun des membres qui ont bien voulu courir le risque de me servir de caution. Au nom de ce comité, vous venez de m’offrir cette épée. Ne doutez pas de mon émotion de l’avoir reçue de vous. Si cette épée que vous me remettez est infiniment précieuse comme œuvre d’art par les maîtres — hier Leoguany, aujourd’hui Dey expert en armes anciennes —, elle l’est encore plus comme ayant appartenu à mon oncle Henri Mazeaud, ancien membre de votre compagnie. Elle m’est aussi très chère comme témoignage de l’affection qui m’entoure aujourd’hui.

S’il est vrai que parvenant au soir de sa vie on a vu disparaître tant d’êtres, parents et amis, on est porté à se croire de plus en plus isolé, combien il est doux de savoir qu’il n’en est rien, votre présence en est le témoignage.

Quel réconfort de vous avoir vu, mon cher Alain Lancelot, accepter de prendre l’initiative de cette manifestation, d’avoir eu comme trésorier de l’Association mon ami le Président Cieutat, de savoir ne pas avoir eu à compter les efforts de Madame Willame et des agents du Conseil constitutionnel, sous la ferme autorité du secrétaire général de cette institution, Jean-Eric Schoettl.

Il me faut désormais respecter la coutume, c’est-à-dire, dans une circonstance comme celle-ci, raconter sa vie. Rassurez-vous je ne céderai pas à cet usage. Comment le pourrais-je après les termes laudatifs par lesquels mes amis viennent de retracer ma carrière ?

Cher Jean Foyer, vous avez débuté votre propos par une citation latine. Si vous ne l’aviez pas fait, cela n’aurait plus été Jean Foyer. Alain Lancelot a fait de même. On se sent quelque peu obligé. Alors à mon tour, et pour vous manifester ma gratitude, je dirai que vous m’avez tout appris et notamment que le droit est l’art du bien et du juste « jus est ars boni et aequi ». Cher Ami vous avez prononcé des paroles trop élogieuses, elles m’ont touché au plus profond du cœur. Sachez que je nourris pour vous des pensées tout aussi généreuses mais également infiniment respectueuses — et pleines d’affection.

Vous avez évoqué l’époque où vous étiez Garde des Sceaux, puis celle où vous avez présidé la Commission des Lois. J’ai eu l’honneur en effet de vous servir, bien modestement. Mais travaillant avec vous c’est le droit et le service de l’Etat que l’on servait avant tout, valeurs dont Michel Debré nous enseignait également le sens et l’importance. Quel maître exceptionnel vous avez été, quelle joie d’avoir été à vos côtés.

Puisque vous avez évoqué ma famille, il est vrai que je suis né dans un bain de juristes : mon grand-père, mes deux oncles Henri et Léon et mon père Jean. Mais c’est vous qui m’avez installé dans cette carrière juridique et politique, même si j’ai quelque peu trahi, passant du droit privé au droit public ! Trahison d’autant plus grave que comme vous l’avez écrit dans vos mémoires toutes récentes : « Il est plus aisé à un privatiste de s’appliquer au droit constitutionnel qu’à un publiciste au régime hypothécaire ou à l’effet déclaratif de partage. » Aujourd’hui je vous retrouve avec joie, vous qui avez été à l’origine de ma candidature.

Comme tous mes collègues qui siégèrent avec Alain Lancelot au Conseil constitutionnel j’en garderai un souvenir inoubliable. Il a fait entendre au sein de notre collège une voix impérissable, faite de profondeur et d’humour, de conviction et de tolérance. Cher Alain, je vois encore ton sourire ironique quand nous devions dans nos décisions tenir compte de la jurisprudence du Conseil d’Etat — nous étions nombreux à avoir siégé en son sein ! Mais c’est à l’ami qui lui aussi a été trop élogieux que je veux dire ma gratitude et mon affection. Il est vrai que chaque montagne a sa face Sud et sa face Nord. Mais tout dépend de la latitude. Ici dans nos massifs, c’est le Nord le plus difficile d’où sans doute mon caractère ombrageux. C’est vrai « Mourir si possible en montagne, la belle affaire, mais vieillir ! »

La coutume est aussi de décrire son épée. C’est elle que je vais laisser parler.

Cette épée va en quelque sorte reprendre du service. Avant d’être mienne, elle fut en effet l’épée de mon oncle Henri qui a siégé à l’Académie 25 années, jusqu’en 1993. Passage de flambeau, c’est une métaphore sportive. Vous savez combien celles-ci me sont chères.

Henri Mazeaud, qu’un grand nombre ici ont connu, était beaucoup pour moi. Nous l’appelions le grand aîné, il était en effet le chef du clan Mazeaud.

Cette épée il l’avait choisie avec soin et attention. Il a même tenu à ce qu’elle comporte, dans ses ornements, toute une symbolique familiale et personnelle. Le Président André Damien l’a décrite dans la Notice qu’il consacra en 1996, à la vie et aux travaux de mon oncle.

Je n’entends nullement revenir sur les symboles qu’il avait choisis, mais seulement, puisque Jean Foyer l’a rappelé, sur l’esprit de cette épée qui est dans la devise des Nassau : « Je maintiendrai ». Devise que je fais volontiers mienne, car elle prend chez moi une résonance gaullienne. C’est savoir dire non, c’est ne pas craindre d’être contestataire, ce que finalement j’ai été bien souvent, notamment en politique.

Henri Mazeaud ne m’avait pas laissé beaucoup de place sur cette épée… Il en restait assez, heureusement, pour que je la personnalise, sans la transformer pour autant en piolet ! Je me suis contenté de lui apporter des symboles supplémentaires, qui me sont propres : un dauphin, une montagne, quelques lettres, un sphinx, une croix de lorraine.

Le dauphin et la montagne ne symbolisent pas une rencontre improbable entre deux éléments alchimiques opposés, entre la mer et les massifs rocheux… Il s’agit même, au contraire, de deux éléments qui se rejoignent, comme je vais tenter de vous le démontrer.

En effet, ce dauphin, qui est gravé sur le pommeau, représente le Dauphiné. Et le Dauphiné pour moi signifie beaucoup de choses !

Je pourrais évoquer le quaternaire, lorsque le Dauphiné était recouvert par des glaciers descendant des Alpes… un paradis pour les alpinistes ! Mais le dauphin ne nous oblige pas — heureusement — à remonter si loin dans le temps : en tant que symbole il n’apparaît, en effet, qu’à partir de 1038, sur le blason des premiers comtes d’Albon qui se succédèrent à la tête du comté, au sud de Vienne, autour de Grenoble et de Briançon. Ce dauphin était un peu particulier puisque il était ainsi décrit : « Dauphin d’azur, barbé, loré, peautré et oreillé de gueules ».

Consolidé par la maison de Bourgogne, l’emblème animal du Dauphiné dut par la suite partager son espace avec les lys de France, créant ainsi un nouveau blason : celui de Charles, le futur Charles V, qui prit le nom de Dauphin.

Le dauphin figure toujours sur le blason du Dauphiné et, parfois, sur celui de Grenoble, avec les trois roses des armoiries de la capitale, la ville de mon enfance et de ma jeunesse. Il est là, sur cette épée.

Il est vrai que les guerres delphino-savoyardes furent nombreuses et que j’ai aussi beaucoup aimé la Savoie, qu’elle soit haute ou qu’elle soit basse. Mais on ne peut me reprocher la représentation de ce dauphin puisque la montagne les réunit et que j’ai tenu à ce que celle-ci figure aussi sur l’épée, sur la partie supérieure de la fusée.

La montagne… Faut-il que je justifie sa représentation ?

Celle qui est gravée revêt une importance toute particulière puisqu’il s’agit de l’Everest. Cela me ramène trente ans en arrière, lorsque la première expédition française est arrivée au sommet. J’ai voulu rendre hommage à la tradition de l’alpinisme qui a toujours prévalu dans notre pays, et, au-delà même de nos frontières, aux plus grands représentants de cette pratique, dont nombreux, français ou étrangers sont aujourd’hui parmi nous.

L’alpinisme se vit avec passion, il appartient à ceux qui se donnent les moyens d’atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés, qui ne s’engagent pas qu’à moitié, qui connaissent la valeur de la solidarité entre les hommes, qui savent que c’est en s’encordant à ses semblables que l’être humain s’accomplit. Et cette expérience de la montagne ne vaut-elle pas pour toute aventure humaine ?

Sur la partie basse de la fusée apparaissent cinq lettres :

  • « J.S. », c’est-à-dire Jeunesse et Sports. Deux valeurs inestimables ! Deux valeurs que je me suis efforcé de servir comme secrétaire d’Etat entre 1973 et 1976.

  • « LEX » : la loi, le droit, l’Assemblée nationale et plus particulièrement sa commission des Lois que j’ai eu l’honneur de présider de 1987 à 1988 puis, de nouveau de 1993 à 1998, années qui furent peut-être les plus satisfaisantes de ma vie politique et auxquelles je ne peux songer sans nostalgie.

A été ajoutée, sur la partie supérieure de la chape du fourreau, une représentation du sphinx en bronze doré, réalisé par le sculpteur Fenosa, qui surmonte la porte monumentale du Conseil constitutionnel et ouvre sur le péristyle de Chartres.

Lors de son inauguration en mars 1973, le Président Gaston Palewski avait bien résumé ce que représentait ce sphinx : « Au-dessus de la porte… Fenosa a dressé ce sphinx, emblème du Conseil constitutionnel, qui souligne la discrétion et le silence dont sont entourées nos prises de décision… Son visage est plein d’une majestueuse sérénité et ses griffes sont prêtes à déchirer ceux qui s’insurgeraient contre nos arrêts. Nous ne pouvons recourir qu’à ces armes parlantes, notre statut nous obligeant au silence ».

Evidemment, le caractère énigmatique de cette créature fantastique n’en fait pas nécessairement le meilleur symbole pour le Conseil constitutionnel : la solide République de Chinard, dont la reproduction apparaît d’ailleurs à plusieurs endroits du bâtiment, remplit aussi sinon mieux cette fonction. La tranquillité de sa posture et la sérénité de son regard symbolisent de façon plus rassurante cette sécurité juridique à laquelle je me suis consacré à la présidence du Conseil !

Mais je suis passé si souvent sous ce sphinx que je m’y suis attaché. Il a d’ailleurs également le mérite de rappeler aux membres du Conseil le prix de la réflexion à l’intérieur de nos murs et celui du silence à l’extérieur. A tous, il nous rappelle la marche du temps et donc la modestie de la condition humaine : quatre jambes, puis deux, puis trois.

Il y a, enfin, sur la partie inférieure du fourreau cette fois, une croix de Lorraine : cette croix de Lorraine héroïque qui tient tête à la barbarie de la croix gammée.

Croix d’Anjou, croix de Lorraine, à double traverse, elle nous vient de loin, comme un signe de ralliement, puis un emblème de la lutte pour la patrie, entre 1871 et 1918 d’abord et surtout à partir de 1940. Symbole de la France libre, motif du mémorial à Colombey-les-deux-Eglises, je tenais à ce qu’elle soit présente, elle correspond à mon engagement et à ma fidélité au Gaullisme.

Au dos de la chape apparaît l’inscription suivante : « Pierre Mazeaud élu à l’Académie des sciences morales et politiques le 12 décembre 2005 ». Mais sur la lame, en dessus de la devise des Nassau, on peut également lire : « Cette épée a appartenu à Henri MAZEAUD, élu à l’Académie des sciences morales et politiques le 10 février 1969 ».

Ainsi, à travers le temps, à travers cette double appartenance, l’épée demeure. Elle est comme une passerelle entre le passé et le présent : elle figure l’intemporalité du courage et du droit, le legs de la patrie à la République, la filiation de ceux pour lesquels rien n’est plus haut que les valeurs de l’humanité.

Cette intemporalité m’invite à conclure mon propos. Mesdames, Messieurs, je vous redis à tous ma profonde gratitude.

Merci à toutes et à tous, merci mes chers amis.

* * *

À son tour, l’Académie tient à rendre hommage à Henri Mazeaud en publiant en ligne l’intégralité des discours prononcés en son honneur lors de la cérémonie de remise de son épée d’Académicien ainsi que ses remerciements personnels. Vous pourrez y lire une description détaillée des symboles qu’il avait choisis et qui ont été conservés par son neveu, Pierre Mazeaud.
C’était le vendredi 23 janvier 1970…

Allocution de M. le Doyen Alain Barrère

Monsieur le Président,
Messieurs les Membres de l’Institut,
Mon cher collègue,
Mesdames, Messieurs,

En accueillant parmi les siens un professeur de notre Faculté, l’Académie des Sciences Morales et Politiques a tenu à rendre hommage à son talent, à sa compétence et à la grande part qu’il a prise au développement des disciplines juridiques.

En même temps, elle permet à notre Maison de recevoir, en cette occasion, de nombreuses personnalités qui, à des titres divers, se réclament de préoccupations identiques aux siennes. Mais aussi se rassemblent ceux qui, lui ayant apporté en un moment de leur vie leur propre activité, n’ont pas cessé de lui appartenir. A tous ces amis que le Doyen de la Faculté accueille avec joie, je tiens à dire merci. Vous me permettrez aussi d’adresser à Monsieur le Président René Cassin, professeur honoraire de la Faculté, Prix Nobel de la Paix, l’expression de nos sentiments d’admiration et de respectueux attachement.

C’est sans nul doute, Monsieur et cher Collègue, dans l’atmosphère familiale qu’a pu naître et se confirmer votre vocation de juriste, puisque aussi bien les hommes de droit vous ont toujours entouré et vous entourent : votre grand-père fut un haut magistrat, votre père était Premier Président honoraire de la Cour de cassation, où l’un de vos frères siège comme Conseiller, alors que l’autre est à vos côtés dans notre Faculté.

Cette vocation s’est affirmée bien vite en vous, puisque, à 19 ans, vous obteniez à Lyon votre licence et que deux thèses remarquées vous valaient, deux ans plus tard, le grade de docteur. Votre orientation paraît, dès cette date, précisée : vous vous orientez vers la préparation de l’agrégation de droit privé. Vous faites vos premières leçons en 1924, à la Faculté de Droit de Lille qui vient de vous offrir une charge de cours. Déjà votre jeune enseignement connaît ses premiers succès ; ils ne tardent pas à mériter la consécration : elle vous est donnée par la place de premier qui vous échoit à la sortie du concours de 1926. Vous revenez ainsi agrégé à la Faculté de Lille qui a vu vos débuts de professeur.

Commence alors une carrière scientifique, épanouissement des promesses que renferment vos thèses de doctorat et qui se poursuivra, qui se poursuit encore, sans retours, ni défaillance. Il ne m’appartient pas d’en retracer les étapes et les œuvres marquantes ; ceci sera fait par une compétence plus autorisée que la mienne, mais je puis dire que l’enseignement et la recherche sont toujours demeurés en vous étroitement associés.

C’est dans cette atmosphère de travail que votre carrière se déroule. En 1930 vous êtes nommé professeur titulaire à Lille ; vous y demeurez en tout quatorze années, trop brèves assurément pour le souhait de vos collègues et de vos étudiants. Mais Paris vous appelle.

Notre Faculté vous confie en 1938 la charge du cours d’enregistrement et, dès le 1er janvier 1939, vous occupez un poste d’agrégé.

Mais, entre-temps, votre notoriété scientifique a déjà attiré sur vous l’attention des juristes étrangers. On vous demande en Pologne et, conscient de l’importance du rayonnement intellectuel de la France à l’étranger, vous acceptez le poste de professeur qui vous est offert par l’Université de Varsovie, où vous devenez bientôt Directeur de l’Institut français, puis Chef de la Mission Universitaire française en Pologne.

Vous me permettrez d’évoquer un nom : celui du collègue qui fut alors appelé de Toulouse à Paris pour vous suppléer pendant votre séjour polonais. Je dois personnellement beaucoup trop au professeur Jean Plassard, pour ne pas profiter de l’occasion qui m’est ainsi offerte d’évoquer son nom. Mais, pour lui, comme pour vous, la guerre allait interrompre la carrière universitaire.

Vous êtes appelé par la mobilisation en septembre 1939 et versé dans l’administration militaire. Mais votre ardeur ne peut se satisfaire de ce poste et vous demandez votre affectation dans une unité combattante. On se souvient alors de votre récent séjour en Pologne, de la réussite qui a marqué vos efforts, comme vous-même sans doute voulez témoigner de votre amitié pour la nation qui vous a accueilli. Aussi êtes-vous demandé dès le mois d’octobre par la Mission militaire franco-polonaise.

Toutefois, ceci ne saurait vous suffire ; et lorsque se prépare l’expédition de Norvège, vous voulez être affecté à la Brigade polonaise qui va se diriger vers le nord de l’Europe. Vous êtes alors nommé sous-lieutenant. Puis après avoir demandé votre mutation dans l’infanterie et avoir été affecté au détachement français qui part pour la Norvège, vous participez à la campagne de Narvik, où votre bravoure est signalée par une élogieuse citation à l’ordre de la Division.

L’armistice vous ramène en France par un détour à Casablanca et vous allez pouvoir reprendre votre place à la Faculté de Paris, pour enseigner. désormais votre matière de prédilection : le droit civil.

Vous y êtes bientôt nommé professeur sans chaire, puis professeur titulaire, à la suite d’un vote du Conseil qui fait sur votre nom l’unanimité des votants, lesquels sont, à l’époque, au nombre, qui nous laisse aujourd’hui songeurs, de 22.

Mais le hasard des attributions de chaires, au gré des vacances de cette époque troublée, vous a réservé ses malices. Puis-je me permettre de relever que la fiction administrative fait alors de vous un professeur d’économie politique ? Mais tout rentre bientôt dans l’ordre, dans l’ordre du droit et de la raison, puisque vous êtes bientôt muté de la chaire d’économie et législation industrielle dans celle de droit civil que vous ne quitterez plus.

Allez-vous demeurer calmement à dispenser vos cours et à commenter les arrêts, alors que la France est encore aux prises avec les malheurs de la guerre ?

Vous n’avez pas tardé, du haut de votre chaire, à préciser à vos étudiants vos sentiments sur le devoir de continuer la lutte. Mais ce serait mal vous connaître qu’imaginer qu’il vous serait possible de rester inactif.

Vous entrez dans la résistance où vous êtes bientôt chef de secteur au réseau Alliance, ayant sous votre autorité la direction du secteur Somme-Oise-Seine-Inférieure et celle du secteur Nord-Pas-de-Calais que vous avez entièrement reconstitué à la veille de la Libération. Faut-il dire que vous procédez de votre appartement parisien à des émissions de radio clandestines, participez à la rédaction et à la diffusion de la presse de la Résistance, que vous procurez aux étudiants désireux d’échapper au service du travail obligatoire les papiers qui leur sont nécessaires ? La croix d’officier de la Légion d’honneur, une citation à l’ordre de l’armée et la rosette de la Résistance viendront consacrer l’importance de votre action, car vous vous êtes engagé au mois d’octobre 1944 à la 1re division blindée polonaise et vous avez fait les campagnes de Hollande et d’Allemagne.

La paix revenue, vous reprenez place à la Faculté ; vous continuez l’œuvre un moment interrompue pour des tâches plus immédiates et autrement exigeantes.

Votre maîtrise scientifique va s’affirmer avec une autorité reconnue, même par ceux qui ne partagent pas vos opinions ; elle sera invoquée dans les travaux de vos collègues, dans les controverses juridiques, comme dans les conseils et les congrès.

L’étranger veut bénéficier de votre savoir. Commencent alors ces nombreux périples qui vous mèneront en Belgique, en Suisse, au Canada, en Amérique Latine, en Afrique du Nord, en Afrique Noire, en Asie, en Océanie. Honorant votre compétence et consacrant votre œuvre, les titres de docteur honoris causa vous sont conférés par les Universités de Liège et de Montréal, vous êtes nommé à des grades importants dans les ordres étrangers, alors que vous étiez déjà chevalier de la Légion d’Honneur depuis 1938, officier depuis 1948 et Commandeur des Palmes Académiques en 1961.

Il ne me revient le soin ni de parler de votre œuvre scientifique, ni de votre emprise sur vos collègues. ni de la formation donnée à vos élèves. Il me reste à dire qu’une nouvelle consécration vous attendait : celle que l’Institut de France vient de vous accorder. Là encore, il m’appartient de m’effacer devant plus autorisé que moi. Mais, par contre, me revient le soin de vous dire que ce n’est pas sans fierté que la Faculté voit encore un de ses membres accueilli par l’Illustre Compagnie. Notre Maison cède-t-elle à un sentiment égoïste en pensant qu’à travers ses professeurs, c’est aussi ce qu’elle représente qui est honoré et l’importance de sa mission qui est reconnue ?

Comme nous vous félicitons de l’hommage rendu à votre science et à votre talent, nous nous félicitons nous-mêmes de l’honneur qui rejaillit sur notre Faculté !

Allocution de M. le Professeur Henry Solus

Mon cher ami,

Il est notoire — le constater n’est pas médire — que, pour certains de vos confrères en la terrestre immortalité que procure l’élection à l’Institut, l’épée qui, avec le bicorne et l’habit brodé, constitue ce que l’on nomme très exactement l’équipement académique, est, par inaccoutumance, d’un port difficile, délicat, en un mot, osons-le dire, plutôt embarrassant.

Pour vous, l’épée qui va vous être solennellement remise sera, j’en suis assuré, un attribut avec lequel vous n’éprouverez nulle gêne ou angoisse à devenir familier.

Car je n’oublie pas que le juriste éminent que l’Institut a très justement entendu appeler en son sein fut, pendant la seconde guerre mondiale, un valeureux officier d’infanterie.

Sous-lieutenant détaché à une brigade polonaise, vous fîtes en effet, partie des troupes qui, en 1940, débarquèrent en Norvège, s’emparèrent de Narvik le 28 mai et repoussèrent les Allemands qui s’étaient infiltrés dans le pays et jusque sur la côte en vue de se ménager une route du fer que les Alliés résolurent de couper. Narvik, bourgade lointaine du Grand Nord, inconnue jusqu’alors des Français et tout à coup devenue célèbre… Narvik, nom prestigieux, paré de l’éclat d’une victoire et symbole d’espérance, durant cette sombre époque au cours de laquelle, à la drôle de guerre, avait succédé l’invasion ennemie soudaine, inexorable, douloureuse, cruelle du sol de la France.

On pourrait, en vérité, s’étonner que vous fûtes, à ce moment, incorporé dans une brigade polonaise. Rien pourtant de surprenant pour ceux qui vous connaissaient bien. N’étiez-vous pas. celui que, pour vous distinguer de votre frère jumeau Léon, auquel, avant que l’âge n’ait mieux marqué vos traits respectifs, vous fûtes si longtemps et si désespérément ressemblant qu’on avait peine à vous reconnaître l’un et l’autre, n’étiez-vous pas, dis-je, celui que nous avions pris coutume d’appeler « Mazeaud le Polonais » ?

C’est que, de 1931 à 1939, vous aviez séjourné en Pologne. Délégué à la section juridique de l’Institut français de Varsovie, vous en étiez rapidement devenu le Directeur; et, accompagné le plus souvent d’une chère épouse qui vous secondait merveilleusement dans votre tâche, vous aviez réussi à faire de cet Institut un foyer rayonnant de la culture française. Par votre enseignement du droit civil français, vous aviez formé de nombreux disciples, profondément attachés à notre droit, auxquels vous aviez su faire aimer la France, et qui, en dépit des événements politiques survenus depuis, sont toujours restés fidèles à votre personne et à certains des grands principes du droit français que vous leur aviez enseignés. Nous en avons été les témoins émerveillés au cours des Journées Juridiques organisées, en 1961 et 1963, par la Société de Législation comparée à Varsovie, Poznan et Cracovie.

Ainsi, la place d’Henri Mazeaud le Polonais était bien, en temps de guerre, aux côtés de ces vaillants Polonais, officiers et hommes de troupe, qui, chassés de leur pays par le même envahisseur, cruellement séparés et sans nouvelles des êtres qui leur étaient chers et ayant perdu là-bas tous leurs biens, s’étaient portés, avec cet indomptable courage dont la nation polonaise a fait preuve si souvent au cours de son histoire tourmentée, combattants volontaires aux côtés de la France et pour la France.

Et c’est encore avec vos chers Polonais que, après être revenu en France et y avoir été dans la Résistance chef d’une section du réseau Alliance, vous reprendrez le combat en 1944-1945, lorsque les armées alliées repousseront définitivement les Allemands hors de notre sol et les poursuivront à travers la Belgique et la Hollande, jusqu’en Allemagne.

Comment, à ce propos, mon cher ami, ne pas évoquer un souvenir du début de 1945 ? Vous étiez venu à Paris, en permission ou en mission, je ne sais ; et, à cette occasion, vous étiez « monté » à la Faculté. Du vestiaire Goullencourt où des collègues étaient heureux de vous accueillir, je vous entraînai vers l’amphithéâtre où je devais faire mon cours. Et j’annonce : « Mesdemoiselles et Messieurs, une visite : le capitaine Henri Mazeaud » (car vous étiez devenu capitaine). Vous apparaissez ; je vous revois encore : jeune, svelte, élégante silhouette moulée dans votre uniforme, rubans de la Légion d’honneur et de la croix de guerre sur la poitrine… Ce fut un véritable tonnerre d’applaudissements et de hourras, comme jamais on n’en entendit. Nos étudiants, heureux, émus, bouleversés par cette apparition, vous criaient de toute leur voix, de tout leur cœur, de toute leur âme, la joie de témoigner à leur Professeur, retrouvé pour quelques instants, leur affection et aussi leur admiration.

Car votre présence en cette tenue de combattant, en ce lieu où, quelques semaines auparavant, vous leur enseigniez le droit civil, était pour eux — et ils le sentaient profondément — la plus belle et la plus noble des leçons : tels étaient alors, entre professeurs et étudiants, les rapports de confiance, d’estime et d’amitié réciproques qu’un vent de contestation, venu du dehors et subitement déchaîné il y a un peu plus d’un an, avait failli briser, pour le malheur des uns et des autres.

Ne m’en veuillez pas, cher ami, d’avoir peut-être trop insisté sur Henri Mazeaud le soldat et Henri Mazeaud le Polonais : j’ai pensé que, à l’occasion de cette cérémonie mémorable, il convenait que fussent rappelés certains événements de votre vie dont la connaissance ne doit pas rester le privilège des seuls vieux amis qui, comme moi, en ont été les témoins.

C’est maintenant d’Henri Mazeaud le juriste et de son œuvre scientifique que voudrait parler l’ancien président de la Section de droit privé auquel, depuis 1963, le vote de nos Collègues vous a appelé à succéder en cette qualité.

Rassurez-vous ; je connais votre modestie, comme aussi votre amour de la vérité et de la sincérité ; il n’est pas dans mon intention de recourir à l’hyperbole.

Au surplus, étant donné que ceux de vos grands ouvrages que j’aurai à citer ont été écrits en collaboration avec un ou deux de vos frères — eux-mêmes excellents juristes — et qu’il est difficile, tant votre union fraternelle est étroite dans la science comme dans la vie familiale, de discerner la part qui revient à chacun des coauteurs (encore que vous êtes incontestablement le chef de file), vous n’aurez droit, en définitive, qu’à la moitié ou au tiers du bénéfice de mon discours ; ainsi, le poids de l’éloge — qui en est la rançon — sera moins lourd à porter.

Personne ne me contredira quand j’affirme que, en dehors de votre enseignement dont un de vos anciens et brillants disciples, notre jeune collègue François Chabas, dira la qualité et la fécondité, votre œuvre scientifique est considérable.

Ce sont tout d’abord — et je ne peux que les évoquer — de très nombreux travaux, écrits au jour le jour, qui témoignent du souci que vous avez toujours eu de suivre la réalité juridique pas à pas, d’approfondir tel ou tel problème important d’actualité et de proposer la solution qui vous paraît la meilleure, soit au regard des principes, qui sont pour vous la règle d’or, soit en fonction des besoins de la pratique auxquels vous n’êtes jamais insensible : articles de revues ; notes sous les décisions judiciaires ; chroniques de jurisprudence sur les obligations en général et la responsabilité civile, chroniques vivantes et savantes, fort utiles et appréciées, que vous avez publiées dans la Revue trimestrielle de droit civil depuis 1938, à la suite du décès de René Demogue, et ceci pendant 22 ans consécutifs, sans jamais faillir, avec une ponctualité et une exactitude auxquelles celui qui dirigeait la Revue à ce moment est heureux de rendre hommage ; aussi et dans la même Revue, de 1932 à 1939, chroniques originales et pénétrantes de droit polonais sur la jurisprudence de la Cour suprême de Pologne, laquelle, à cette époque, et pour la partie centrale du pays correspondant à l’ancien Grand-Duché de Varsovie, appliquait encore le Code Napoléon qui y avait été promulgué sous l’Empire, et en donnait une interprétation que vous mettez de façon très fine et instructive en parallèle avec celle de notre Cour de cassation.

Mais c’est surtout à vos œuvres maîtresses qu’il convient de s’attarder.

Votre nom, mon cher ami, est irrésistiblement évocateur du grand Traité théorique et pratique de la responsabilité civile que vous avez écrit avec votre frère Léon et qui fut couronné par l’Académie des Sciences morales et politiques (prix Dupin aîné de 1932), ce qui était un premier pas vers le sacre que nous fêtons aujourd’hui : œuvre magistrale, puissante, de grande envolée et de science juridique profonde, dans une matière capitale, étendue et difficile, dont le domaine et les solutions sont, sous la pression des facteurs économiques et sociaux, en incessante évolution.

Dans la Préface dont il avait honoré la première édition, parue en 1932 et comportant deux volumes, Henri Capitant, notre vénéré Maître à tous, qui avait analysé l’ouvrage avec le plus grand soin et la lucidité qui lui était familière, disait : « C’est le livre que nous attendions. Il fait honneur à notre Ecole juridique et le vieux professeur qui a pu, en quelque mesure, contribuer à la formation de si brillants jurisconsultes, éprouve un sentiment de juste fierté. »

Et, de fait, votre ouvrage, avec l’ampleur que vous lui aviez donnée en traitant de toutes les variétés de responsabilité civile et en passant au crible de l’histoire, du droit comparé et de la critique la plus fine les innombrables idées émises en ces matières, se présentait comme la somme la plus complète et la plus approfondie des connaissances sur ce sujet, si vaste et mouvant tout à la fois, de la responsabilité.

Dès son apparition, d’ailleurs, l’ouvrage est signalé dans les termes les plus flatteurs par les voix les plus autorisées. Louis Josserand, dans le Recueil Dalloz de 1939, écrit : « Le Traité de plus de deux mille pages de MM. Henri et Léon Mazeaud fera époque dans la science juridique française dont il contribuera à rehausser le prestige et l’éclat… Jamais l’union de deux esprits aussi semblables et aussi distingués n’aura fait une plus grande force intellectuelle ». Quant à Marcel Nast, dans la Revue critique de législation et de jurisprudence de 1932, il loue les auteurs de l’ampleur de l’œuvre, de ses qualités de méthode et de clarté ; il les félicite « de prendre nettement parti sur chacune des multiples difficultés que soulève la responsabilité civile, sans jamais abdiquer leur indépendance et leur liberté devant les théories de la doctrine et les solutions de la jurisprudence ».

Ce dernier éloge — le plus beau qui puisse être fait à un auteur a dû, mon cher ami, sans nul orgueil de votre part, vous aller droit au coeur. Laissez-moi vous dire que je le trouve pleinement exact et qu’il correspond parfaitement à ce que vous êtes : un juriste qui a une foi profonde dans le droit, dans ses principes, dans sa valeur morale, et qui, pour en assurer le respect, n’hésite pas à prendre, s’il le faut, une position catégorique, avec fermeté et caractère.

Le succès que, d’emblée, rencontra votre ouvrage est la conséquence toute naturelle des services qu’il rend à tous les juristes, théoriciens, magistrats et praticiens. Il devient un de nos grands classiques. Les éditions se succèdent rapidement. La troisième, en 1938, s’accroît d’un volume. La quatrième, retardée par la guerre, commence à paraître en 1948 ; vous y confessez, dans un avant-propos, que pas une page de votre livre n’a pu échapper aux retouches et que beaucoup ont dû être entièrement remaniées : nous vous croyons sans peine.

Au reste, l’évolution et les transformations de la matière demeurèrent si profondes, sous l’influence des nombreuses études doctrinales et de la masse innombrable des décisions judiciaires qu’elle suscita, que vous dûtes, pour poursuivre la publication du Traité, vous adjoindre un collaborateur. La cinquième édition, dont les trois volumes parurent en 1957, 1958 et 1960, porte, à côté des noms de Henri et Léon Mazeaud, celui d’un de nos anciens disciples devenu l’un de nos Collègues les plus distingués et, par surcroît, l’un des meilleurs, et aussi très ardent, spécialistes contemporains de la responsabilité : le professeur André Tunc. Et c’est avec son concours qu’a été publié également, en 1965, le tome I de la sixième édition. Quant au tome II de cette sixième édition, il doit prochainement paraître avec le concours d’un autre de vos frères, Jean Mazeaud, Conseiller à la Cour de cassation.

Sans doute, disiez-vous, mon cher ami, dans l’avant-propos, daté de mars 1957, du premier volume de la cinquième édition : « Quel réconfort, pour ceux qui vieillissent, de voir leurs œuvres rajeunies, certes détachées d’eux-mêmes, mais soustraites à l’usure du temps. »

Laissez-moi vous assurer franchement que je n’ai pu vous accorder absolu crédit lorsque, en mars 1957, vous faisiez allusion à la « vieillesse » qui vous envahissait. Car, étant né le 7 mars 1900, et votre frère Léon aussi, puisque vous êtes jumeaux, vous aviez tout juste, à cette date, 57 ans. Or, l’on n’est pas vieux à cet âge ; croyez-en mon expérience personnelle et la connaissance que, depuis quelques années, je commence à faire de ce qu’est la vieillesse.

En vérité, je me demande s’il n’y eût pas une autre cause à votre apparent détachement du grand Traité de la responsabilité civile, traité qui, s’il vous avait pris tant d’heures de votre vie, coûté tant de recherches, de travail et de réflexion, ne vous avait pas moins apporté les plus grandes joies et satisfactions que peuvent procurer, les œuvres de l’esprit.

Cette cause, je serais tenté de la trouver dans le fait que, travailleur infatigable et toujours jeune, vous aviez entrepris avec vos deux frères, cette fois, Léon et Jean, d’écrire un autre ouvrage de longue haleine, dont le premier volume parut en 1955 : les Leçons de droit civil.

Dans la conception et l’élaboration de ce nouvel ouvrage, ce n’est plus seulement et essentiellement la recherche de science pure qui vous inspire, mais aussi un autre mobile qui n’est pas moins louable : votre désir d’être plus spécialement utile aux étudiants.

En effet, les études de la licence en droit venaient d’être profondément modifiées : elles doivent, depuis 1955, s’échelonner sur quatre années, entre lesquelles se répartit de façon nouvelle le programme de l’ensemble du droit civil. Il s’agissait donc d’offrir aux étudiants un nouveau traité de droit civil en quatre volumes, au lieu des trois que comportaient les traités antérieurs.

Ce nouveau traité que vous commencez de publier et qui fut l’un des tout premiers à paraître sous le régime de la nouvelle licence, vous l’intitulez, à dessein et de façon originale : Leçons de droit civil. Vous vous appliquez, en effet, à présenter les matières en les découpant, en quelque sorte, en leçons qui constituent chacune un tout se suffisant à lui-même : de telle sorte que les étudiants pourront aisément diviser et répartir leur travail dans le temps. Chaque leçon est au surplus précédée d’un sommaire, qui est en réalité un résumé très solidement construit du contenu de la leçon et met en relief des idées générales qui y seront développées : ce qui permettra aux étudiants d’aborder plus aisément l’étude de la leçon elle-même, puis de procéder à sa révision quand elle sera connue. Enfin, vous faites suivre chaque leçon de « lectures » consistant soit en de véritables morceaux choisis tirés d’ouvrages de doctrine, de notes de jurisprudence, de rapports on conclusions de magistrats, soit en reproduction de décisions judiciaires, le tout présenté et expliqué au lecteur de manière qu’il en saisisse aisément la portée et en retire tout le fruit.

Cette méthode montre le souci qui vous anime de demeurer, même à travers votre livre, en contact étroit avec les étudiants, de leur faciliter la tâche et aussi et surtout — car c’est bien cela qui compte — de former leur esprit juridique, bien plutôt que de les inciter à un travail de pure mémoire, de bachotage, dont le résultat ne peut être que superficiel et éphémère.

En un moment récent où certains ont reproché aux professeurs de l’Enseignement supérieur de se tenir distants et indifférents dans leur Olympe ou leur prétendu mandarinat, il convenait de relever combien cette critique, qui est profondément injuste à l’égard de l’ensemble du corps professoral des Facultés de Droit, l’est tout particulièrement à votre endroit. Personne plus que vous, mon cher ami, n’a eu sans cesse à l’esprit, dans le cœur et dans l’action, la volonté d’être plus proche des étudiants, de les mieux former et de les bien préparer à la vie pratique et professionnelle : François Chabas ne m’en voudra pas de le dire avant lui.

Au reste, mon cher ami, la preuve que vous avez vu juste en concevant vos Leçons de droit civil et que votre initiative a été comprise et utile, est fournie par le grand succès que rencontre votre ouvrage. Les éditions, dont la première a commencé en 1955 (et il vous a fallu écrire en quatre ans quatre gros volumes de mille pages et plus chacun ; ce qui représente, même réparti entre trois coauteurs, un travail considérable), les éditions, dis-je, se succèdent rapidement. Les tomes I et II ont d’ores et déjà atteint leur quatrième édition, et les tomes III et IV leur troisième édition.

Pour suivre ce rythme qui deviendrait vite épuisant pour les auteurs — et ceci d’autant plus qu’il s’agit de faire face à une incessante production législative qui a complètement renouvelé des parties importantes et entières du droit civil (tutelle, protection des incapables majeurs, régimes matrimoniaux) — vous avez fait appel à la collaboration de notre cher collègue, le professeur Michel de Juglart, dont nous connaissons tous la science juridique et l’ardeur au travail.

Ajouterai-je que la matière de chacun des quatre tomes est maintenant répartie en plusieurs volumes. Vous avez pu ainsi, tout en restant fidèle à votre dessein originaire d’être spécialement utile aux étudiants de licence en droit, approfondir vos Leçons, y fournir des références jurisprudentielles et doctrinales plus nombreuses et plus poussées : ce qui permet aux étudiants de doctorat et aussi aux praticiens, qui le consultent toujours avec profit, de trouver en votre livre l’instrument de travail complet et moderne dont ils ont besoin.

En bref, c’est bien, à côté du Traité théorique et pratique de la responsabilité, un nouvel et très important ouvrage que vous nous avez donné et qui fait, lui aussi, comme le premier quoique dans une autre perspective, grand honneur à là science juridique française.

Tel est, mon cher ami, analysé à grands traits, le remarquable bagage scientifique que vous apportez à l’Institut qui vous accueille. Nul ne doute que votre participation et votre concours aux travaux de la savante et illustre Compagnie seront précieux et bénéfiques.

Mais ce que vous lui apportez aussi et qui est d’une inestimable valeur, ce sont vos qualités d’homme, que nous avons tous dans cette maison, vos collègues et vos étudiants, si souvent appréciées et admirées : votre bel idéal humain et chrétien ; votre loyauté ; votre fermeté inébranlable de caractère ; votre indépendance d’esprit ; votre franchise, que certains trouvent parfois un peu rude, mais qui n’est jamais sans mérite ni utilité ; votre fidélité à ceux à qui vous avez donné votre amitié ; enfin, le courage que vous avez toujours montré dans les épreuves, familiales ou nationales, ou même présentement universitaires.

Au reste, mon cher ami, ces belles qualités sont pour vous un héritage familial. Ayant eu le privilège de connaître vos parents, aujourd’hui disparus, je peux dire : que c’est votre père, président de la Chambre des requêtes de la Cour de cassation, qui, par sa science juridique et sa haute conception de la fonction de magistrat, vous a donné l’amour du Droit et l’exemple de la conscience avec laquelle il convient de le servir ; et que c’est votre mère qui a su faire éclore en votre cœur les vertus de délicatesse, de générosité, de compréhension et d’amour du prochain, le sens du devoir et, pour tout dire, la foi chrétienne qu’elle faisait discrètement et avec ferveur rayonner dans un foyer où époux, parents et enfants étaient profondément unis. Il n’est que de lire Visages dans la tourmente, le livre que ses quatre fils, tous combattants du front ou de la Résistance, ont écrit au lendemain de la guerre en y relatant leurs souvenirs, pour mesurer le rôle que, mère aimante, attentive et courageuse, elle a joué dans la formation de l’âme fière et noble de ses enfants.

Si je n’ai pas craint de terminer ce témoignage rendu au très cher ami que vous êtes, en évoquant le souvenir de vos parents, c’est parce que je suis sûr qu’en cet instant et plus que jamais, c’est à eux que, dans un élan de reconnaissance qui vous honore, vous pensez intensément.

N’était-il pas, dès lors, naturel que ma pensée s’unisse à la vôtre ?…

Allocution de M. le Professeur François Chabas

Cher Maître,

Lorsque vous m’avez demandé de parler au nom de vos anciens étudiants — la modestie m’oblige à cette révélation indiscrète —, vous avez commis une bien grave imprudence.

Quelle erreur ! N’avez-vous pas senti le danger ?

Deux de vos éminents collègues ont démontré avec brio que vous êtes un grand maître ou, suivant les vocables harmonieux des néo-conformistes intellectuels : un « enseignant » très « valable ». Toute cette honorable assemblée est persuadée que vous avez formé des cohortes de juristes de qualité et de nouveaux professeurs de talent.

Et voilà que vous tolérez — que dis-je ? — que vous provoquez la contre-épreuve. Ce n’est pas un démenti qui va être apporté ; c’est la triste preuve de leur erreur qui va être fournie par l’un de vos élèves.

Dans la foule de vos disciples, il fallait mieux choisir.

* * *

Et puis, lorsque vous avez songé à ce discours, vous avez peut-être caressé le secret espoir qu’il y serait dit des choses aimables à votre endroit; vous vous êtes peut-être attendu à un discret panégyrique émaillé de paroles de reconnaissance.

Quelle erreur ! N’avez-vous pas senti le danger ?

Enfin, Monsieur, où avez-vous vu un moins de trente ans faire l’éloge d’un sexagénaire ? Et puis, depuis deux ans qu’on vous le répète, ne savez-vous pas que l’intelligentsia française n’est composée que d’autodidactes diplômés de l’Université ?

Ah, Monsieur, ne vous attendez pas à des compliments. Ce sont des paroles dures que risque de vous réserver par ma voix une jeunesse à qui l’on n’en impose plus.

Heureusement pour vous, cela sera mal dit ; vos deux erreurs se compensent.

* * *

Oui, depuis près de quarante-cinq ans, vous en avez tant formé, d’étudiants, d’élèves, de disciples.

L’un de vos collègues écrivait un jour que notre enseignement, trop libéral et trop impersonnel, ne nous autorise pas à nous donner des disciples. Sans doute, mais vous ne vous les donnez pas ; ce sont eux qui vous choisissent.

Pourquoi y a-t-il des professeurs qui font des disciples, des professeurs que l’on écoute et que l’on aime ? Parce qu’ils ont la Grâce. Il faut croire que le dieu janséniste des juristes la réserve, lui aussi, à quelques « happy few ». Votre cher Domat ne serait pas choqué par cette distribution si réduite. Mais votre grâce est plutôt celle de Saint-Georges que celle du poverello d’Assise.

Oh, vous n’avez pas cherché à nous séduire. La flatterie n’était pas votre fort ; vous n’étiez pas de ceux qui, plus tard, devaient remercier leur auditoire de les avoir faits des hommes libres ! Libre, vous l’étiez et vous l’êtes resté.

L’anecdote non plus n’était pas dans vos habitudes. Vous nous rappeliez plutôt l’Héraclite de nos récentes humanités :

Heraclitus nunquam ridebat.

N’est-ce pas à ce trait que certains d’entre nous vous distinguaient, au cours, en troisième année, de votre frère, notre également cher professeur de droit commercial ? Et une de nos gloires a été, lors d’un chahut de mardi gras, de vous avoir amusé.

Alors, Monsieur, pourquoi vous avons-nous suivi, aimé ? Nous vous avons suivi parce que vous nous offriez, avec le droit, un combat et un idéal. Avec quelle force vous fustigiez les imbéciles, les lâches et les médiocres. Avec quelle détermination polie vous combattiez ceux dont vous estimiez dangereuses les idées.

L’épée que nous vous offrons, c’est un peu le souvenir de ces luttes-là. Mais dans ses symboles, elle représente aussi l’idéal que vous nous avez présenté.

Il n’a pas changé. Laissez-moi citer ici une phrase d’un de vos cours que récemment les ondes nous apportaient :

« La mission du juriste, elle n’est pas seulement de clarifier les problèmes, de dégager le sens véritable des textes, de résoudre ainsi les conflits qui opposent les hommes ; c’est là son rôle d’interprète. Mais sa mission, c’est encore de guider le législateur et le juge et de collaborer ainsi à l’évolution des règles du droit. Quelle plus belle mission que d’améliorer la condition humaine en travaillant à perfectionner les règles qui gouvernent les rapports des hommes entre eux et leurs rapports avec l’Etat aussi bien que les relations entre les nations. La réalisation de la justice est la première aspiration de l’homme. »

De cela, à chaque minute de votre enseignement, nous savions que vous étiez persuadé. Et cet idéal, vous ne nous l’avez pas seulement offert, vous nous l’avez fait vivre. Nous avons dû le défendre. Tout cela, tous ces souvenirs, ne croyez-vous pas que, dans les épreuves terribles que nous avons subies, il y a deux ans, cela a été ce qui nous a guidés dans la tentation quotidienne de la lâcheté, de la facilité, de la démission. A travers l’homme, n’est-ce pas cela qu’acclamaient des centaines de vos étudiants et de vos anciens étudiants, couvrant la voix des braillards, lors de la rentrée d’octobre 1968 ?

Oui, Monsieur, aujourd’hui, à côté de vos collègues, de vos amis, ce sont aussi, parmi tous ceux qui vous aiment, des générations de vos étudiants, y compris l’actuelle, qui vous offrent l’épée du souvenir.

Bienheureuse rentrée qui nous a révélé qu’en deux cours, pas trois, deux cours, un maître qui se respecte et qui est respecté de ses étudiants fait encore triompher la liberté d’expression.

Elle vous a montré aussi — en doutiez-vous vraiment ? — combien était nombreuse la masse de vos fidèles.

A nous qui étions là, elle nous a montré — en doutions-nous vraiment ? — la jeunesse de notre maître.

* * *

On sait qu’un jeune de nos jours se doit de ne pas manifester de reconnaissance à ses aînés. J’ai souscrit à ce nouvel usage ; Monsieur, vous êtes l’un des nôtres.

Ce soir d’octobre, nous étions là, beaucoup de vos anciens, retrouvant notre jeunesse. C’était l’introduction à votre cours de quatrième année. Vous exposiez des idées qui vous sont chères, qui nous sont chères. Et je me revoyais, onze ans auparavant, à votre cours de première année, dans cet immense amphithéâtre, moins beau, moins neuf, moins clair. Etions-nous, à cette époque, si différents de vos étudiants de maintenant ? Sans doute non.

Et puis mon regard s’est porté sur nous, les anciens. Hélas, c’est nous qui avions vieilli. L’un, celui qui parle ce soir, s’était affublé de sa vieille veste de licence ; elle ne lui couvrait guère plus que le dos ; l’autre grisonnait; un troisième arborait désormais des lunettes.

La subrogation joue dans les amphithéâtres. Les étudiants passent. L’auditoire reste toujours le même, son âge ne change pas. Malheur au maître qui n’en fait pas autant.

Et en face, là-haut sur sa chaire, dans sa robe que nous lui avons toujours connue, la robe du respect mutuel, il y avait notre maître. J’entendais cette voix ardente, profonde et pourtant claire ; je suivais le cheminement limpide et pourtant si pressé de cette pensée ; je revoyais, comme toujours, dans le lointain des grands amphithéâtres, ce visage. Vous n’aviez pas changé. C’était toujours jours cette force, cette conviction ; la phrase venait du cœur et je me disais que la jeunesse, c’est cela.

La jeunesse, ce n’est pas le désordre, l’orgueil, la frivolité. C’est la fraîcheur des engagements profonds, c’est la vigueur et la foi.

Monsieur, je parlais tout à l’heure de la Grâce. Il est des êtres auxquels Dieu réserve la jeunesse éternelle de l’esprit. C’est peut-être de ceux-là que les hommes font des immortels ?

Allocution de M. le Président René Cassin

Monsieur le Doyen, Président,
Monsieur le Président de l’Académie des Sciences Morales et Politiques,
Chers confrères, chers collègues,
Mesdames et Messieurs,
Cher ami Mazeaud,

Mon ancienneté d’âge me vaut l’honneur de remettre aujourd’hui, en votre présence, au professeur Henri Mazeaud, l’épée d’académicien méritée par sa très brillante élection à l’Académie des Sciences Morales et Politiques.

Or, si généralement ces cérémonies amicales attirent auprès du récipiendaire de nombreuses personnes, je ne crois pas avoir jamais constaté une affluence comparable à celle des personnalités venues aujourd’hui manifester leur sympathie d’une manière tangible au héros : parents, collègues entourés de leur famille, anciens disciples, étudiants, personnalités du monde judiciaire, amis de toute origine. L’Institut, jadis réparti par Bonaparte en « classes », se presse aujourd’hui dans cette vaste salle de classe, conduit par son bureau et par le doyen honoraire de la Sorbonne (Faculté des Lettres) M. Renouvin. Encore beaucoup de ceux qui auraient voulu être présents ont-ils été empêchés de se joindre à nous !

Les motifs de cette affluence ? Lorsqu’il s’agit d’une élection à l’Académie française, le délégué de celle-ci énumère dans son discours public de réception, les titres et mérites du nouvel élu. Mais, si aux Sciences Morales et Politiques, celui-ci lit bien une notice à la mémoire de son prédécesseur, personne ne fait son éloge public. La remise de l’épée offre donc une occasion légitime de proclamer les raisons qui ont valu au nouvel académicien les suffrages des membres de la Compagnie qui l’ont appelé à eux. Or, aujourd’hui, ce sont ceux qui ont connu Henri Mazeaud au cours de sa vie professionnelle qui sont venus spontanément témoigner pour lui.

C’est d’abord le Doyen de la Faculté de Droit, M. Alain Barrère, le maître de la maison où nous sommes réunis aujourd’hui, qui a brièvement, mais avec chaleur, rappelé la carrière d’Henri Mazeaud. Chargé de cours à Lille où j’ai pu l’accueillir en 1924, il a été agrégé en 1926, puis professeur en cette Faculté et appelé à Paris dès 1938.

Notre ami, le Professeur Solus, qui fut le chef de la section de droit privé à la Faculté, a assumé avec éloquence le principal de la tâche, car il a analysé en connaissance de cause les apports fournis par Henri Mazeaud, seul ou en association, aux sciences’ juridiques, par ses grands ouvrages, ses remarquables articles, ses leçons vivantes, ses conférences et enseignements à l’étranger et notamment ses années de collaboration avec la Pologne juridique. Mais il vous a décrit aussi comment Henri Mazeaud, officier français, a combattu à Narvik dans une division polonaise et plus tard, lors du grand réveil, terminé brillamment la guerre au-delà du Rhin.

François Chabas est venu au nom des disciples anciens et des élèves, rendre devant vous hommage à l’éducateur, d’une manière qui a touché nos cœurs.

Qu’il me soit donc permis, puisque tant de mérites ont été si bien loués, de m’adresser à celui qui en est le porteur en tant qu’Homme et de lui dire toute l’affection que j’ai très tôt ressentie à son égard et que les années n’ont fait qu’accroître.

Cette affection est allée à lui tout d’abord pour sa famille et pour son amour de la famille. Son grand-père était premier président à Douai. J’ai eu l’occasion de rencontrer un autre magistrat éminent, en la personne du père d’Henri Mazeaud qui, à Lyon et Amiens, plus tard à Paris, à la Cour Suprême où il présida la Chambre des Requêtes, a laissé un sillage de haute estime et d’admiration pour sa droiture et sa compétence. Henri Mazeaud n’a-t-il pas un frère jumeau qui est, comme lui, professeur et qui s’est distingué dans la Résistance, et un autre frère magistrat à la Cour de cassation ?

Membre d’une belle famille de juristes, lui-même chef de famille, notre ami a, dans les épreuves comme dans les joies, puisé une force persuasive d’autant plus grande pour, dans ses enseignements et ses ouvrages, prendre la défense de la famille dans la société et chercher à organiser avec justice les rapports des membres de la famille entre eux ou avec les tiers.

Je tiens aussi à faire aire écho à ce qu’a dit le Professeur Solus, lui-même ancien combattant, du patriotisme d’Henri Mazeaud. Et cela non pas seulement pour ses services au front au péril de sa vie, mais surtout pour son attitude générale dans l’adversité, lorsque notre pays, foudroyé à l’avant-garde des peuples libres, a senti un moment fléchir les ressorts de sa vigueur morale. De Londres où je vous représentais tous aux côtés du chef de la Résistance, je suivais avec passion et confiance les progrès du redressement national. La belle lettre du Professeur Basdevant écrite fin avril 1941 m’a rempli de fierté et lorsque j’appris les noms de ceux de nos collègues donnant l’exemple de la Résistance à leurs étudiants, je ne fus pas étonné, mais réconforté d’apprendre que les frères Mazeaud étaient au premier rang. Ainsi, devant les jeunes étudiants et étudiantes anglais peu nombreux qui fréquentaient en pleine guerre les amphithéâtres, il m’était possible de faire état, avec sincérité et exactitude, de l’attitude de tels ou tels intellectuels français sous l’occupation ennemie.

Il est un autre drapeau qu’Henri Mazeaud n’a jamais voulu abaisser, celui du Droit. Il est de mode aujourd’hui, dans de vastes milieux, de considérer que le Droit n’est ni une véritable science, ni même un ensemble de règles valables de conduite pour les membres de la société humaine ; tout au plus un procès-verbal de constat de réalités créées en dehors de tout principe, de toute morale. Les juristes eux-mêmes, trop modestes dans leur probité, ne s’insurgent pas toujours avec la vigueur nécessaire contre des aberrations qui laissent le champ libre à toutes les violences, à toutes les oppressions, alors que justement, pendant les périodes de transition, les groupes sociaux et l’ensemble du monde ont un besoin encore plus impérieux d’un certain ordre. A l’honneur d’Henri Mazeaud, il n’y a jamais eu de capitulation de son côté sur ce chapitre et cela ne l’a jamais empêché de reconnaître la perfectibilité du Droit et la nécessité de l’orienter de plus en plus vers la justice et des solutions humaines. Il croit à ce qu’il enseigne.

Et, c’est le même état d’esprit qui l’anime lorsqu’il s’adresse à la jeunesse, non pas seulement celle à qui il a donné une éducation juridique et dont M. François Chabas a été le porte-parole, mais à l’ensemble des jeunes. A juste titre, notre ami pense que la jeunesse actuelle n’est pas inférieure dans le temps présent aux générations de jadis, mais que sa formation civique est à tort négligée par les générations plus anciennes et que nous ne devons pas la rendre responsable de ce qui, pour une large part, est le fait des conditions de la vie moderne et de la négligence des adultes.

C’est sur votre amour effectif pour la jeunesse, cher Mazeaud, que je voudrais achever votre portrait moral, au moment où je vais vous remettre l’épée symbolique de votre entrée dans l’Institut de France.

Nulle part mieux qu’en cette haute institution, cette arme ne doit être considérée autrement qu’au service de l’Esprit et plus spécialement du Droit. Jadis, le nouveau chevalier n’obtenait pleine possession de sa dignité qu’après avoir reçu l’instrument permettant de combattre pour de justes causes. Aujourd’hui, je remets l’épée, œuvre d’un grand artiste et don de l’affection de ses compagnons, amis et disciples, à un Maître éprouvé, depuis longtemps « Chevalier accompli du Droit ».

 

Remerciements de M. le Professeur Henri Mazeaud

Mes chers amis,

Permettez-moi, rompant avec les usages, de vous donner ce titre sans en énumérer aucun autre, car cette réunion est tout entière sous le signe de l’amitié. Une qualité vous est commune à tous qui êtes venus ce soir, et c’est pour moi la plus précieuse : mes chers amis.

Il y a pourtant un titre que je dois citer, celui du doyen de notre Faculté. Car je serais un ingrat si, tout de suite, je ne remerciais pas le doyen de la Faculté de droit et des sciences économiques de Paris, qui a voulu que cette réunion amicale soit aussi une réunion de famille, j’entends de la grande famille que forment — espérons-le pour longtemps encore — tous les membres de notre Faculté. Il a mis à la disposition des organisateurs cet amphithéâtre nouveau et confortable où vous pouvez, sans trop d’impatience, attendre la fin de mon propos. Il a eu l’amabilité, avec Madame Alain Barrère, d’organiser dans l’appartement décanal la réception à laquelle lui-même et le Comité que vous avez constitué, nous convient ; vous pourrez ainsi tout à l’heure, lassés de m’avoir écouté, reprendre quelques forces et vous détendre en amicales conversations. Le doyen a eu enfin l’indulgence de vanter les mérites du récipiendaire. « Aimez qu’on vous conseille et non pas qu’on vous loue. » Le moraliste a raison. Mais l’Académie des sciences morales me pardonnera de penser tout le contraire aujourd’hui.

Si l’épée que vous m’offrez est infiniment précieuse comme œuvre d’art, elle l’est plus encore comme témoignage de l’affection qui m’entoure aujourd’hui.

Quand, parvenu au soir de la vie, on a vu disparaître tant d’êtres, parents et amis, qui vous étaient chers, on est porté à se croire de plus en plus isolé. Combien il est doux d’avoir la preuve qu’il n’en est rien ! Merci à vous tous qui avez contribué à la réalisation de cette épée. Merci à vous tous qui êtes venus ce soir me témoigner votre affection.

Quel réconfort de vous avoir vu, mon cher et vieil ami Lagarde (vieil ne se rapporte pas à l’âge, vous le savez bien, mais à la durée de notre amitié), prendre l’initiative de cette manifestation, en pleine connaissance des soucis et des tracas auxquels vous vous exposiez. Mais quelle confusion pour moi !

Quelle joie d’avoir su que l’un des plus chers parmi mes anciens étudiants, mon collègue François Chabas, s’est spontanément offert à partager cette lourde tâche, qu’il assuma si gentiment avec la souriante collaboration de Madame François Chabas.

Et voici qu’après tant de travail matériel, il a accepté de parler ce soir au nom de mes anciens étudiants. Alors, quelle que soit ma gratitude envers vous tous, permettez-moi de dire qu’ aucune n’est plus profonde que celle que je vous dois, mon cher François, car, par vous, elle s’adresse à tout ce qui me tient le plus à cœur : mes anciens étudiants. Dois-je vraiment une pensée spéciale à ceux que d’aucuns nous présentent comme les plus malheureux ? Ayant eu la malchance d’être, sur leur demande, nommés assistants, ne sont-ils pas devenus « taillables et corvéables à merci » ? (1). Merci a deux sens dans la langue française. Avec vous, chers assistants qui avez tenu à participer à cette manifestation, je prendrai le terme merci dans le sens de gratitude. Je sais les liens d’amitié qui se sont forgés entre nous et je tiens à vous dire ma reconnaissance pour la collaboration précieuse que vous m’avez toujours librement donnée.

L’affection que je porte à mes étudiants, assistants ou non assistants, comme à mes anciens étudiants, me fera pardonner, mes chers confrères de l’Académie des sciences morales et politiques, d’avoir méconnu les règles sacrées du protocole en ne m’adressant pas d’abord à vous.

C’est pourtant à vous, d’abord, que je dois cette épée. A vous, mes amis qui, déjà membres de l’Institut, m’avez encouragé à tenter l’aventure d’une candidature et avez sablé le chemin où je n’ai pas rencontré de plaques de verglas ; l’un d’eux a disparu : Léon Julliot de la Morandière, cet ami de toujours qui m’avait affectueusement guidé. A vous tous, mes chers confrères, qui m’avez accueilli dans votre Compagnie, je tiens à exprimer ma reconnaissance. J’apprécie à un très haut prix l’honneur que vous m’avez fait en m’appelant auprès de vous. Cet honneur, je l’ai tout particulièrement ressenti ; car c’est au siège de Jules Basdevant que vous m’avez élu. J’aurais bientôt à retracer devant l’Académie la vie exceptionnelle de Jules Basdevant. Je me contenterai aujourd’hui, après avoir salué ses enfants qui nous sont chers, de rappeler la lettre courageuse par laquelle, le 29 mai 1941, il avertissait le Chef de l’Etat qu’il ne pouvait pas lui continuer ses conseils comme jurisconsulte du Ministère des Affaires Etrangères. Il y résumait magnifiquement tout ce qui guida sa noble vie : « Je place le respect du droit et le sentiment de l’honneur parmi les forces morales au secours desquelles la France ne devait pas renoncer. » Le sentiment de l’honneur et le respect du droit !

Cette faveur que vous m’avez faite de m’élire à votre Compagnie, elle n’a pas été accordée à un homme, mais à une œuvre. Or cette oeuvre, je n’en ai qu’une part ; chacun de mes frères en a la sienne. Est-ce donc par droit d’aînesse que vous m’avez choisi ? Mais, de deux jumeaux, qui est l’aîné ? Peut-être juristes et médecins, quand ils auront été formés par la pluridisciplinarité, parviendront-ils un jour à se mettre d’accord, mais cela n’empêchera pas que, dans l’âge tendre où nul ne pouvait nous distinguer, nous ayons été plusieurs fois mélangés ; alors, comment savoir si le nombre de ces confusions fut pair ou impair ?

Permettez-moi donc d’associer étroitement à cette manifestation mon frère Léon — je lui sais gré de ne pas s’être présenté contre moi, ou peut-être contre lui-même ! —; sans lui le Traité de la responsabilité civile ne serait jamais parvenu à son terme. Et aussi mon frère Jean ; sans lui les Leçons de droit civil n’auraient pas été rédigées.

Mais les trois frères Mazeaud n’ont pas travaillé seuls. Ils savent combien leur a été précieuse la collaboration d’André Tunc, combien leur est et continuera à leur être précieuse celle de Michel de Juglart, combien va leur devenir précieuse celle de François Chabas. Cette épée, elle est aussi la leur.

Je n’oublie pas, parmi mes collaborateurs, les éditeurs de nos ouvrages. Merci à la maison Dalloz d’avoir pris la charge de publier en 1924 ma seconde thèse de doctorat ; merci à la maison Sirey d’avoir fait confiance en 1929 à des auteurs débutants ; merci aux Editions Montchrestien d’avoir pris la relève et d’avoir contribué à la réalisation de cette manifestation.

Si les frères Mazeaud ont pu faire carrière de juristes, ils le doivent à leurs parents. Combien de sacrifices, n’avez-vous pas consentis, chers parents qui m’entendez — j’en suis sûr —, pour que vos cinq enfants puissent terminer des études supérieures ? les allocations familiales n’existaient pas, ni les postes d’assistants. Mais ce que nous vous devons surtout c’est de nous avoir appris l’amour du droit et le sens de l’honneur, de cet honneur qui ne transige jamais, celui dont se réclamait Jules Basdevant.

Puisque je viens d’évoquer la mémoire de mes chers parents, comment ne pas me tourner vers mes enfants et vers Sophie, l’aînée de mes petits-enfants qui représente aujourd’hui les sept autres. Je dois remercier très affectueusement mes enfants d’être ici ce soir, car ils ont dû se faire quelque violence pour vaincre une certaine indifférence qu’ils professent à l’égard des honneurs. Ce désintéressement, ils l’ont hérité de leur mère. Elle a été enlevée trop jeune à notre commune affection — et ce fut le grand drame de notre vie — pour que l’âge ait risqué de la faire tomber dans le travers contraire, trop commun chez les vieillards. Mais, avec mes enfants, elle se réjouit ce soir et participe à la reconnaissance qui est la mienne. La communion des morts et des vivants n’est pas un mythe.

Vous me pardonnerez cette parenthèse ouverte sur ma famille.

Je reviens aux remerciements que je dois à mes confrères de l’Institut. Parmi eux, vous êtes, cher René Cassin, le plus ancien de mes amis. Quand, en 1924, modeste chargé de cours, j’entrais timidement dans la salle des professeurs de la Faculté de droit de Lille, redoutant d’être pris pour un étudiant malgré le chapeau melon acquis pour la circonstance, vous m’avez accueilli les bras ouverts, ainsi qu’André Amiaud dont l’amitié ne s’est jamais démentie ; combien de fois, au cours de notre retraite hebdomadaire lilloise, n’avons- nous pas partagé les mêmes repas dans les petits restaurants de la ville ? Jeune professeur, vous étiez déjà illustré par votre héroïsme dans la guerre de 1914 et votre activité internationale dans les associations d’anciens combattants. Vous nous avez quittés pour Paris. Je vous y ai retrouvé. Puis, la guerre nous a séparés physiquement, mais non par la pensée. Quelle fut ma joie, à la Libération, de vous revoir : pour moi, vous ressuscitiez, car la radio allemande vous avait rayé du nombre des vivants. Du droit privé vous êtes brillamment passé à la pratique du droit public en assumant la vice-présidence du Conseil d’Etat. En cette qualité vous présidiez aussi le Conseil d’administration de l’E.N.A., ce qui m’a permis de vous rencontrer chaque mois pendant dix années. En dépit de toutes les charges qu’entraînent les honneurs qui vous ont été décernés, vous avez cédé à l’amitié, acceptant de prendre la tête du Comité qui a été constitué et dont je remercie tout particulièrement chacun des membres qui ont bien voulu courir le risque de me servir ainsi de cautions. Au nom de ce Comité, vous venez de m’offrir cette épée. Tenant l’engagement que j’ai pris tout à l’heure, c’est seulement à l’ami que je dis très simplement merci.

Ami Solus, cher ami Henry Solus, vous m’avez accueilli à la Faculté de droit de Paris avec toute votre bienveillance et toute votre gentillesse. Vous venez de me donner une preuve nouvelle de votre affection. Glorieux combattant de 1914, vous avez voulu mettre l’accent sur les modestes épisodes militaires de ma vie. Mais l’un et l’autre nous n’avons été que des soldats d’occasion, et votre témoignage m’est précieux à bien d’autres titres. D’abord vous êtes un grand professeur ; je veux dire que vous vous êtes entièrement donné à vos étudiants dans vos cours, sachant l’importance du cours magistral, irremplaçable quoi qu’en disent les partisans des leçons dialoguées. Et puis j’ai appartenu tant d’années à cette Section de droit privé que vous présidiez et dont vous êtes resté le Président d’honneur toujours écouté et respecté, de telle sorte que c’est toute la Section de droit privé que vous représentez aujourd’hui. Vous aviez su y faire régner une grande et simple amitié entre nous tous. J’ai essayé d’être un successeur fidèle à votre pensée. Y ai-je complètement réussi. Je ne sais. Pauvre Section de droit privé ! On lui fait aujourd’hui une mauvaise réputation. Peut-être ses adversaires lui reprochent-ils d’exprimer trop ouvertement ce qu’ils ne consentent à reconnaître que dans le secret de leur conscience. Quant à moi, si mes collègues ne redoutent pas de me continuer leur confiance, je ferai tout pour « maintenir » la Section de droit privé dans le chemin que vous lui avez tracé.

* * *

« Je maintiendrai », c’est la devise gravée sur la lame de cette épée. Sa Gracieuse Majesté qui règne en Hollande, me pardonnera d’avoir choisi la devise de la maison de Nassau, devenue celle de la maison d’Orange-Nassau. Je n’ai point voulu prétendre appartenir à cette noble famille et je ne défendrais certes pas à une action en usurpation d’armoiries. Du moins suis-je un peu le loyal sujet de Sa Majesté puisque, en souvenir de la libération de Breda, j’ai reçu, sans l’avoir mérité, le titre de citoyen d’honneur de cette ville.

« Je maintiendrai ». Etymologiquement, maintenir, c’est tenir avec la main ; mais tenir fermement. Certes les membres de l’Institut auxquels on offre une épée, comptent généralement plus d’années que don Diègue : « Mais mon âge a trompé ma généreuse envie. Et ce fer que mon bras ne peut plus soutenir. » Mes chers confrères, bien que plus âgés que don Diègue, avons une main plus ferme ; sachons maintenir.

« Je maintiendrai ». Choisir pareille devise, n’est-ce pas défier la « conjoncture », refuser toute évolution, faire graver son obscurantisme ?

Si j’étais rétrograde, j’aurais fait dessiner une écrevisse, car cet animal marche à reculons, allant, d’ailleurs, vite et droit au but. Mais maintenir, ce n’est pas reculer; c’est au contraire refuser de reculer, et les militaires enseignent que, pour se maintenir, il faut attaquer.

Voilà pourquoi cette devise « Je maintiendrai » convient à une épée, que les dictionnaires qualifient « arme offensive ».

Et c’est là le symbole. La vie est une longue lutte que nous ne pouvons gagner sans avoir l’épée fermement assurée dans la main. Lutte contre les folies de la jeunesse, contre les ambitions de l’âge mûr, contre les abandons de la vieillesse. Jusqu’à la dernière bataille, celle qu’il nous faudra livrer tout seul, mais que nous gagnerons, confiants dans la promesse de l’Apôtre : « Mort où est ta victoire ? ».

Ne voyez donc pas dans la devise que j’ai fait graver sur cette lame une marque — certes détestable — d’un penchant — certes coupable — pour la réaction. Qu’éclate enfin la vérité ! Par une erreur commune, les Mazeaud sont catalogués rétrogrades. Je proteste !

Même s’ils ont dit parfois le contraire, les Mazeaud sont des contestataires. Voilà justement pourquoi ils contestent vigoureusement… la contestation. . Ils ont commencé de bonne heure à contester. Dans leur famille bien sûr : qui n’a pas contesté ses parents ? Mais aussi hors de leur famille :

Des trois juristes, Jean est celui qui fut le mieux pourvu quant au caractère. N’est-il pas, sans le savoir, l’ancêtre de la contestation dans l’Université ? Cela se passait a Quimper, au Lycée la Tour d’Auvergne. Nous allions tous au Lycée en sabots, que les élèves déposaient à la porte de la classe. Jean garda un jour ses sabots et les lança à la tête de sa maîtresse. Précocité, car il n’était encore qu’en classe enfantine. Se doutait-il que, pour une action si brillante, il méritait bien autre chose qu’une fessée paternelle ?

Je ne crois pas avoir bombardé mes excellents professeurs — auxquels je dois tant — d’autres projectiles que de flèches en papier. Du moins, avec mon frère Léon, avons-nous mis la révolution au Lycée Ampère de Lyon pour protester contre l’interdiction, édictée par le proviseur, de porter un insigne religieux à l’intérieur du Lycée.

Et qui donc parmi vous, mes chers collègues, peut se vanter d’avoir reçu un blâme du Ministre de l’Education Nationale ? Ce Ministre s’appelait Abel Bonnard.

* * *

Voici que j’ai dévoilé quelques secrets. Il est coutume, dans une circonstance comme celle-ci, de raconter sa vie. J’hésite pourtant à céder à l’usage : comment, en effet, trouverais-je des termes plus laudatifs que ceux par lesquels mes amis viennent de retracer ma carrière ? Mais puisque la coutume est aussi de décrire son épée, c’est elle que je vais laisser parler : elle vous expliquera, cette fois sans fards, ma vie.

Epée d’Henri Mazeaud

Je la regarde, cette épée. Elle est belle, très belle. Nous devons cette œuvre d’art au grand talent d’un prix de Rome le maître Max Léognany, et à mon ami Arthus Bertrand avec qui je suis lié depuis la Libération. Qu’ils sachent combien je leur suis reconnaissant, ainsi qu’à leurs collaborateurs qui ont participé à cette magnifique réalisation. Et qu’ils reçoivent beaucoup d’excuses, car c’est un peu la quadrature du cercle que je leur ai demandé de réaliser : faire de l’épée d’un roi de Pologne qui a régné dans la première moitié du XVIe siècle, l’épée d’un académicien 1970. Vous verrez avec quel art ils y sont parvenus ; mais vous ne saurez pas toutes les contraintes que je leur ai imposées et qu’ils ont acceptées avec gentillesse. Alors que le portrait en pied de Sigismond 1er était gravé sur la chape du fourreau, je n’ai pas voulu m’y faire substituer en toge : mes collègues qui ont renoncé au port de la robe, m’auraient accusé de manquer de modestie ! Aux fines gravures de la fusée, fleurs et feuilles entrelacées, et au portrait du roi, il fallait substituer autre chose et c’est là — vous le constaterez — que mes exigences étaient nombreuses.

L’esprit de l’épée, il est dans la devise des Nassau. Il est aussi dans un signe gravé sur la lame, signe qu’il faut traduire : la Paix par le Droit ; les lettres P et X du mot Pax, qui soutiennent les plateaux de la balance. Cette paix que le respect du Droit fait régner entre les individus, je crois qu’un jour, si nous le voulons, il l’établira entre les Nations. Ce jour sera celui où les Nations consentiront à remettre la force nucléaire à un tribunal supranational, le jour où la bombe atomique sera ainsi devenue le glaive de la justice des Nations. Simple rêve ? peut-être ; mais les rêves peuvent devenir réalités. Que cette épée m’ait été remise par le prix Nobel de la Paix m’en donne l’espoir. Je crois à l’accomplissement de la prophétie biblique que Paul VI rappelait il y a quelques jours : « la justice et la paix se rencontrent et elles s’embrassent ».

Voilà pour l’esprit de l’épée. Quelle est sa forme ? Comme le glaive de Sigismond, elle figure une croix. Ainsi pourrai-je me souvenir, si j’éprouvais quelque suffisance à porter l’épée, que, comme chacun, je dois aussi porter ma croix.

Restent les fines gravures de la fusée, de l’écusson et de la chape du fourreau. Elles racontent ma vie.

Vous verrez une feuille de vigne. Ne la prenez pas pour une allusion déplacée à la super-minijupe de notre mère Eve, la première contestataire. Non, je n’entends pas ré monter à mes lointains ancêtres. Cette feuille de vigne rappelle simplement le modeste domaine familial au lieudit « la Vigne », dans ce Limousin que j’aime comme le pays des vacances. Les raisins, d’ailleurs, sont de trop, car ils ne mûrissent pas à « la Vigne » ; leur adjonction est le seul reproche que j’adresserai au maître Léognany. Sur le fourreau vous trouverez les armes de Limoges, ma ville natale : le buste de saint Martial, apôtre du Limousin.

Les mouchetures d’hermine rappellent la Bretagne (elles figurent aussi, d’ailleurs, dans les armes du Limousin). Au hasard des postes de mon père : Lannion, Rennes, Ploërmel, Pontivy, Quimper, je fus breton pendant mes douze premières années. J’aime l’hermine, cette bête sans doute cruelle, mais qui préfère la mort à la souillure.

Après la petite hermine, le roi des animaux. C’est à Lyon que j’ai poursuivi mes études depuis la troisième jusqu’à l’agrégation. Le lion debout des armes de la ville l’atteste, sans sa devise trop orgueilleuse. Il marque ma reconnaissance envers mes maîtres du Lycée et de la Faculté. Si j’ai réussi à l’agrégation, je le dois au merveilleux professeur qui m’enseigna le droit civil pendant trois ans : Maurice Picard, que je devais retrouver plus tard comme collègue et comme ami à Paris, et au doyen Josserand dont je suivis les cours de droit civil en doctorat. Le lion marque aussi mon attachement au grand barreau de cette ville, auquel j’appartins pendant cinq ans et dont les avocats de très grand talent m’apprirent comment exposer et discuter.

La fleur d’iris du blason de Lille est gravée sur la fusée. C’est à Lille, où j’ai enseigné pendant 14 années, que je me suis lié de grande amitié avec des collègues qui m’ont précédé ou suivi à Paris. Parmi eux, ces amis très chers dont le souvenir demeure vivant : André Monnier, Gabriel Lepointe.

De 1931 à 1939, j’ai mené deux existences, l’une en Pologne : l’automne et l’hiver, l’autre en France : le printemps et l’été. Comme vous l’avez rappelé, ami Solus, ce séjour semestriel de neuf années à Varsovie m’a donné la Pologne pour seconde patrie. Aussi ai-je voulu que cette épée soit une épée polonaise. Weygand reçut le sabre du roi Jean Sobieski ; sans Sobieski (on n’y pense guère), la France serait turque depuis bientôt trois cents ans (2). Plus modestement Je me suis contenté de la réplique du glaive de Sigismond 1er, ce roi qui, au XVIe siècle, pendant les 42 années de son règne, dut lutter sans répit à la fois contre les Moscovites et contre les Teutoniques. L’histoire est, hélas ! un perpétuel recommencement. L’écusson conserve le grand aigle blanc aux ailes déployées ; l’oiseau royal garde la couronne dont il a été dépouillé par la République populaire de Pologne. La sirène des armes de Varsovie est gravée sur le fourreau.

Ces liens étroits avec la Pologne fixèrent ma destinée pendant la guerre. Le N gravé sur le fourreau rappelle que Narvik m’a fait citoyen d’honneur pour avoir participé avec les chasseurs polonais à la libération, hélas ! éphémère, de la ville. Au-dessous du N de Narvik, le B de Breda. L’insigne de la 1re division blindée polonaise qui libéra Breda figure sur le fourreau : le casque et les ailes que portaient les chevaliers polonais quand ils semèrent la déroute parmi les chevaliers teutoniques.

Des villes qui m’ont accueilli, j’ai rapproché les Universités qui m’ont fait docteur : M pour Montréal, L pour Liège. Le Canada a droit aussi à sa feuille d’érable, insigne du Corps d’armée canadien auquel fut plusieurs fois rattachée la 1re division blindée polonaise. Peut-être vous demanderez-vous pourquoi la garde porte gravés des feuilles et des glands. Ne croyez pas qu’ils appartiennent au chêne : je n’ai jamais songé au képi de général ! il s’agit d’un arbre moins noble : le chêne-« liège » ; Liège, pour les amateurs de rébus.

La guerre, ce fut aussi la Résistance. Epoque de la vraie contestation où prenait tout son sens la devise « Je maintiendrai ». Sur le fourreau, un arc en ciel : l’arc d’Alliance, « l’Alliance », réseau de résistance auquel j’ai appartenu — il coûta la déportation à mon frère Léon — en même temps qu’à l’organisation « Résistance ». Merci à l’héroïque et légendaire Marie-Madeleine qui commanda le réseau « Alliance », merci à Jacques Destrées qui fut le chef intrépide du réseau « Résistance », d’avoir voulu participer à la remise de cette épée.

Pourquoi des feuilles de lierre ? Parce qu’elles figurent dans les armes d’Amiens. Si je suis Limousin jure sanguinis par mon père et aussi jure soli, je suis Picard par ma mère — Picard comme vous, ami Solus, mais moins que vous : seulement demi-sang ; pardonnez-le moi. Du moins — que les autorités universitaires reçoivent cet aveu avec indulgence — ai-je habité Amiens plusieurs années, après Corbie, quand j’enseignais à Lille. Que voulez-vous ? On n’avait pas songé à cette époque, malgré ma présence, à créer une Faculté de droit en Amiens !

Pourquoi une fleur de lys ? Parce que les fleurs de lys rappellent le passé, notre ancien droit, et que je crois à la nécessité pour les juristes de connaître l’histoire des institutions. Les fleurs de lys forment, d’ailleurs, le chef des armes de Limoges, d’Amiens et de Paris.

Paris ; je n’ai rien dit encore de Paris. Mais Paris, c’est la fin de ma carrière. Paris n’est pas oublié. Voyez sur la chape du fourreau le vaisseau qui flotte fièrement sans sombrer.

* * *

Paris et sa Faculté de droit, je les ai connus quand je suis venu en 1924 suivre des conférences d’agrégation, et 14 ans plus tard quand mes collègues m’ont appelé à y enseigner.

De 1924 à 1926 j’y ai noué mes plus chères amitiés dans « l’équipe » dont mon frère et moi faisions partie. Chers « coéquipiers » qui êtes maintenant parisiens comme moi-même, André Besson, Henri Desbois, vous rappelez-vous l’union parfaite des esprits et des cœurs qui régnait entre nous ? Vous aussi Pierre Voirin, Paul Chauveau ? Pourquoi faut-il hélas ! que Robert le Balle ait été enlevé à notre chaude amitié comme Charles Croizat et Louis Baudouin, ces deux amis très chers qui avaient choisi d’autres voies ? Les épreuves du concours étaient sans chausse-trapes ; on ne demandait pas aux candidats de faire eux- mêmes l’éloge de leurs travaux. Il y avait peu d’élus ; mais la compétition était loyale et, entre tous, l’amitié demeurait.

Henri Capitant dirigeait les conférences d’agrégation de droit civil. Dès l’abord il m’a conquis par son autorité et sa simplicité. On le respectait ; on l’admirait ; on l’aimait. Il nous aimait.

Georges Ripert avait la charge du droit commercial. Ses critiques étaient étincelantes, parfois comme des bulles de savon, mais si brillantes !

Louis Hugueney s’occupait des conférences de droit criminel. Que d’esprit ! un feu d’artifice ! Grâce à son inépuisable indulgence, aucun candidat ne redoutait cet esprit : il ne l’exerçait jamais à notre encontre. Quelle joie c’eût été de pouvoir lui redire ce soir mon affection ! Puissent les traces de l’accident dont il a été victime, s’effacer bientôt (3).

Ce qu’était la Faculté de droit de Paris en 1924 et en 1938 — elle n’avait guère changé pendant ces 14 années — permettez-moi, pour terminer, de vous le dire. Mais je crains que d’aucuns, qui ne l’ont pas connue, refusent de me croire.

Il était une fois — ce n’est pas un conte de fées, mais c’est aussi beau qu’un conte de fées — il était une fois une Faculté de droit de Paris. Elle n’avait pas d’autre titre, et chacun s’en contentait. On l’appelait même encore parfois l’Ecole de droit, sans vexer personne.

Il était une fois une Faculté de droit de Paris où l’on enseignait… le droit ; quand on voulait connaître les mathématiques, on s’adressait à la Faculté des Sciences. Peut-être voyait-on les choses avec la simplicité d’esprits qui paraîtraient aujourd’hui un peu bornés. On songeait surtout à donner aux étudiants un diplôme rentable leur permettant de gagner honorablement leur vie. Jamais le mot pluridisciplinarité n’était prononcé. Il n’était pas question de mariages d’U.E.R., de fiançailles rompues, d’unions de raison, d’Universités où les étudiants devraient apprendre à la fois le droit du travail, l’art vétérinaire, le chinois et la théorie des ensembles. Non, en vérité, nul ne ressentait le besoin d’engendrer des monstres.

Il était une fois une Faculté de droit de Paris où les professeurs professaient, où les étudiants étudiaient. Certes, parfois, ceux-ci se livraient à la politique, mais on ne leur offrait pas, pour s’y adonner, des locaux dans la Faculté, ni du papier pour leurs tracts et leurs affiches. Certes, parfois, leur jeunesse bouillonnait, mais s’ils commettaient quelque incartade, ils en acceptaient les conséquences. Certes, pendant les cours, on n’entendait pas toujours voler les mouches dans les amphithéâtres, mais jamais « Papillon » ne vint s’y poser (4).

Il était une fois une Faculté de droit de Paris qui se voulait établissement d’enseignement supérieur : les étudiants y étaient traités comme des adultes, non comme des élèves irresponsables ; la possibilité de travailler leur était offerte, mais aussi la liberté de ne rien faire ; des travaux pratiques facultatifs étaient organisés ; les étudiants s’y inscrivaient ; ils avaient ainsi un contact direct avec leurs professeurs qui pouvaient les suivre dans leurs études, plus tard dans leurs carrières. La sélection s’opérait toute seule : les étudiants travailleurs obtenaient sans peine leurs diplômes ; les étudiants fantômes, responsables de leur échec, s’en prenaient à eux-mêmes. Les examens n’étaient ni redoutables, ni redoutés parce que les programmes annuels n’étaient pas démentiels ; ils ne dépassaient pas neuf semestres de cours. Les examens avaient lieu en juillet et en octobre. Les professeurs corrigeaient de gros paquets de compositions ; ils interrogeaient de nombreux candidats. Jamais on n’avait entendu parler de C.C.A.C. — traduisez : contrôle continu des aptitudes et des connaissances.

Il était une fois une Faculté de droit où le doyen, élu par tous ses collègues, gouvernait seul, responsable devant une Assemblée où siégeaient tous les professeurs, mais non les étudiants : il n’avait jamais été question de « pouvoir ir étudiant », ni même de « participation » ; une Assemblée où l’on ne se livrait pas à ce que d’aucuns, aujourd’hui, nomment irrévérencieusement « bavardages infantiles ». Sur ce dernier point, permettez- moi cependant une restriction, car je veux être sincère. Un jour, le doyen affirma que les Mazeaud se comportaient à l’Assemblée comme de « vieux gamins ». On s’amusait donc quelquefois, même à l’Assemblée. Mais sur aucun collègue on ne relevait le syndrome céphalo-ambulatoire qui caractérise aujourd’hui une maladie grave et contagieuse née en mai 1968.

Telle était la Faculté de droit de Paris, enviée dans le Monde entier.

Telle demain elle sera encore si vraiment nous le voulons.

Et si, d’aventure, triomphait l’Esprit du Mal, tournons-nous vers nos étudiants, car nous aurons toujours des étudiants désireux d’apprendre ; dans quelque cadre absurde que nous soyons enfermés, il nous faudra toujours enseigner le droit. Rappelons-nous alors ce qu’est notre mission ; relisons Domat (5) : « Parmi toutes les sciences humaines, celle qui est la plus nécessaire et la plus importante dans l’ordre de la société des hommes et qui a aussi le plus de dignité, est la science des Loix qui règlent la justice que les hommes se doivent les uns aux autres… C’est pour enseigner cette science que sont établis dans les Universités les professeurs de droit civil. » Telle est notre mission : promouvoir une société plus juste et plus fraternelle. Il n’en est pas de plus haute. Pour maintenir cette mission, tenons fermement de nos mains réunies cette épée que vous m’avez donnée : « Nous maintiendrons ».


(1) Allusion à une campagne menée par le SNESUP qui a présenté les assistants comme des « serfs ».

(2) Bataille de Vienne, 1683.

(3) Ce vœu n’a malheureusement pas été exaucé : le professeur Louis Hugueney est décédé en février 1970.

(4) Allusion au fait que le surnommé « Papillon » prit la parole en fin 1969 à la Faculté de droit de Paris.

(5) Droit public, li. I, ti. 17.