Notice sur la vie et les travaux de Bernard d’Espagnat

séance du lundi 28 mai 2018

par M. Daniel Andler

 

Monsieur le Chancelier de l’Institut,

Monsieur le Chancelier honoraire,

Monsieur le Président,

Monsieur le Vice-président,

Monsieur le Secrétaire perpétuel,

Chers confrères,

Mesdames et Messieurs,

 

Quittons par la pensée cette Coupole, où Bernard d’Espagnat a siégé de 1996 à 2015. Suivons les quais jusqu’à la gare d’Austerlitz. Nous prendrons le train pour Brive-la-Gaillarde. À l’arrivée nous attendra une micheline qui nous amènera à Figeac. Une « auto » nous fera franchir les derniers kilomètres qui nous séparent de Fourmagnac, petit village de moins de 200 âmes niché dans la campagne quercinoise. Une courte marche nous conduira à l’abord d’une maison de maître isolée à flanc de coteau, entourée d’un vaste domaine planté de vieux arbres. Levant les yeux, nous discernons au premier étage un homme penché à une fenêtre. Il semble contempler le paysage, à travers des lunettes à large monture : il voit l’arbre, il perçoit la chaleur du soleil, il entend l’oiseau… Il entend aussi les voix qui l’appellent, c’est l’heure du café. Il rejoint sa famille au salon du rez-de-chaussée : sa femme May, ses filles Isabelle et Anne, ses gendres. Il interroge ses petites-filles sur leurs découvertes de la matinée. Visiteurs invisibles, nous parcourons du regard la vaste pièce, ornée d’une multitude de tableaux aux couleurs allègres : paysages, bouquets, natures mortes, bateaux, nus féminins, promenades au bord de l’eau, jeunes femmes avec leurs enfants, conversations au jardin, portraits… Mais déjà l’homme à l’épaisse chevelure blanche s’est levé, il disparaît, il a retrouvé sa chère table de travail, il s’est remis à écrire.

Ce n’est pas par goût du pittoresque que j’entame ainsi mon éloge de Bernard d’Espagnat. Pour ce savant recherché qui a parcouru le monde, Fourmagnac en est le centre. Pour ce physicien, ce philosophe, scrutateur de l’univers quantique qui ne livre à notre intuition rien qu’elle puisse reconnaître, qui plonge notre raison dans une perplexité sans fond et fait taire toute émotion autre que purement intellectuelle, la beauté du monde est une ressource vitale. Il la découvre, enfant, à Fourmagnac, au détour d’une promenade à bicyclette. Il l’évoque trois quarts de siècle plus tard, dans un manuscrit qu’il destinait à sa famille et à son successeur à l’Académie et que m’ont transmis sa fille Anne et son époux Renaud Bachy, ici présents. C’est la beauté du monde dont son père, le peintre Georges d’Espagnat dont nous avons aperçu à l’instant quelques œuvres, capte les multiples facettes. C’est elle qui guide le fils, tout au long de ce qu’il appelle sa quête de l’Être : elle est pour lui à la fois donnée, signe et source de joie. Donnée, car nous en avons une perception immédiate ; signe vers une réalité ultime ; joie comme aliment d’une vie énergique et pleine, comme moyen de se rapprocher concrètement de l’Être.

Cet hédonisme assumé va de pair avec une ascèse intellectuelle. Bernard d’Espagnat s’engage très tôt dans le projet d’une vie, faisant porter sur une problématique parmi les plus ardues qu’offre la réflexion contemporaine, trois orientations de pensée, qui se nourrissent mutuellement : la physique théorique, la philosophie et ce que j’appellerai la spiritualité, en donnant à ce terme une acception très large. Cette convergence donnera naissance à une œuvre imposante, composée d’une longue suite d’articles scientifiques influents et d’une série de livres aussi fondamentaux qu’inclassables, enchevêtrant physique et philosophie.

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C’est à Fourmagnac que naît Bernard d’Espagnat en août 1921, dans la demeure que viennent d’acquérir ses parents. À la naissance de Bernard, Georges a 50 ans ; il a épousé en secondes noces, au sortir de la Grande Guerre, Marguerite de Ginestet. Cette jeune femme cultivée, passionnée de peinture et peignant fort bien elle-même, est également férue de philosophie et de littérature. Bernard sera leur seul enfant. Le couple fréquente des peintres, tels Renoir et Bonnard, des musiciens, tels Ravel et Stravinsky ; Paul Valéry est un ami proche. Le soir, la mère lit Shakespeare à haute voix, et à ses moments perdus le père initie le fils à ses poètes favoris : Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, et d’autres plus anciens. Dans le beau livre sur Georges d’Espagnat que Bernard composera avec l’aide de May, il écrira : « J’ai vécu mes années de formation dans une atmosphère où la NRF jouait un peu le rôle d’un Soleil et où Gide, Claudel, Valéry mais aussi Bernanos et Joseph Conrad étaient comme de grands escaliers d’or, montant vers des clartés transparentes et essentielles. » (Georges d’Espagnat, p. 72).

Marguerite d’Espagnat joue un rôle central dans la formation de son fils, qui lui restera toute sa vie passionnément attaché. C’est grâce à elle qu’adolescent il découvre Bergson : l’inclination philosophique ne le quittera pas. Mais très tôt aussi, à Fourmagnac encore, l’appel de la science et de la rationalité se fait entendre. Un jeune peintre, André Barbier, ami de la famille, sera l’initiateur : il montre à l’enfant comment, avec l’assistance d’instruments tels que lunette d’approche, boussole, microscope, ou encore sur les atlas célestes de Flammarion, le regard peut passer de la surface bariolée des choses quotidiennes à des espaces cachés et néanmoins parfaitement réels : trajectoires célestes, infusoires grouillant dans une goutte d’eau, aiguille de boussole déviée par le courant électrique émanant d’une pile… Plus tard, Bernard tombe, toujours à Fourmagnac, sur les Météores, où Descartes expose sa théorie de l’arc-en-ciel : Descartes, qu’il connaissait vaguement comme « penseur », était donc aussi capable d’élaborer une explication scientifique. « Ce fut pour moi, écrit-il, comme une confirmation implicite de ce dont, déjà, j’avais l’intuition confuse : l’idée que dans la pensée tout se tient. Que – « en droit », comme l’on dit – il n’y a pas coupure radicale entre science et philosophie. »

Cela ne va pas de soi, et déjà se dessine pour Bernard une alternative plus large encore. Si ses parents lui ouvrent grand les portes de la culture, ils ne semblent guère prendre au sérieux l’activité scientifique, la recherche d’explications rationnelles d’un nombre toujours croissant de phénomènes naturels. Or cette disposition intellectuelle le fascine, et il pressent qu’à l’inverse, « tous les élans, poétiques, artistiques, philosophiques ou religieux [sont] fort étrangers à ses canons, au point de paraître, à certains égards, en contradiction avec eux ». Il comprend cependant que cette opposition doit être surmontée, et qu’elle peut l’être grâce au lien indéfinissable — ce sont ses propres termes — qui existe entre beauté et vérité. D’où tient-il cette conviction ? D’abord, conjecture-t-il, de la simple contiguïté des révélations qu’il reçut tôt dans l’enfance à Fourmagnac : le beau, par le double canal de la nature et de la peinture paternelle, le vrai par celui de l’initiation scientifique reçue de Barbier. Ensuite, plus tard, de manière plus indirecte, car elle passe par la question religieuse dont il faut maintenant dire quelques mots.
Marguerite est croyante, Georges agnostique. Cette différence ne fit jamais l’objet d’un différend, du moins en présence du fils. Il reçoit à l’école primaire une éducation religieuse, avant d’être inscrit dès la 6e au lycée Condorcet, établissement public et donc laïque. De cet état de paix entre les deux régimes, catholique et athée, le jeune Bernard tire une leçon en trois parties qui le guidera tout au long de sa vie. Primo, c’est l’esprit, non la lettre, que l’on doit retenir de la religion, ce qui permet d’éviter le conflit entre croyances religieuses et rationalité. Secundo, la religion (portée par la mère) et la beauté (associée au métier du père) sont étroitement mêlées. Tertio, l’extraordinaire fécondité du christianisme, au cours du deuxième millénaire, en matière musicale, picturale, littéraire « laisse deviner, cachée en ce qu’il représente, une étrange vérité à tenter d’approcher ». Cette vérité, qui complète celle de la science, concerne ce que d’Espagnat, adulte, appellera l’Être, auquel l’art, la religion, d’autres modalités peut-être encore, nous offrent un accès.

Sur l’enfance et l’adolescence, je devais m’attarder : rarement la matrice d’une vie d’homme et de savant ne s’est aussi clairement dessinée au cours de cette période. Nous pourrons maintenant parcourir à grands pas les décennies qui suivirent, avant de nous pencher sur l’œuvre. Nous n’observerons aucune rupture, aucun retournement, aucun atermoiement : mais le développement d’une pensée originale, profondément cohérente, complexe, et répondant, point par point, aux intuitions cristallisées au cours de la première jeunesse.

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Après son premier bachot, Bernard hésite, puis décide de ne pas choisir : il s’inscrit en Philosophie et en Mathématiques élémentaires ; pari risqué, pari remporté : Bien en philosophie, Très Bien en mathématiques. Il faut maintenant décider pour de bon : la lecture récente d’un livre de Louis de Broglie (prix Nobel en 1929), Matière et lumière, le fait pencher vers les sciences : il préparera le concours d’entrée à Polytechnique. Nous sommes en 1939 ; deux mornes années de prépa à Toulouse, suivies d’une bonne seconde taupe au Lycée Saint-Louis à Paris, lui ouvrent les portes de l’X en 1942. Suivent trois années noires, dans les dits « Chantiers de jeunesse » puis en Autriche en STO, se terminant par une évasion de Vienne, un retour acrobatique par la Suisse et quelques mois d’occupation en Rhénanie-Palatinat. Les cours commencent à l’X à l’automne 45, et le goût du savoir revient rapidement, en grande partie grâce au professeur de physique, Louis Leprince-Ringuet. Sur son conseil et celui d’Olivier Costa de Beauregard, d’Espagnat choisit d’entrer au CNRS dès sa sortie de l’École. Il s’inscrit en thèse sous la direction de Louis de Broglie lui-même, dans le cadre de son équipe de physique théorique.

De l’année 1950 date un triple tournant. Tournant professionnel, marqué par la soutenance de la thèse, consacrée à la production des mésons aux hautes énergies. Tournant personnel, marqué par la mort de son père, qu’âgé de 29 ans seulement il éprouve très douloureusement, mais aussi par son mariage à May de Schoutheete de Tervarent, fille d’un diplomate belge et d’une amie française de la famille d’Espagnat — une union à laquelle seul le décès de May d’Espagnat mettra fin soixante-deux années plus tard.

Mais revenons au jeune docteur. Il s’interroge : poursuivra-t-il ses recherches dans sa spécialité, la physique des hautes énergies, ou bien se vouera-t-il à élucider les contradictions qui semblent grever les fondements de la mécanique quantique ? Il décide, là encore, de ne pas choisir, mais, comme il l’écrira plus tard, « de diviser la case « physique » de son esprit en deux compartiments bien séparés », les heures de travail étant réservées au premier, le temps libre au second. Il passe une année postdoctorale à Chicago auprès d’Enrico Fermi, qui est à la fois un grand théoricien et un expérimentateur de première force ; l’esprit collectif et pragmatique, proprement « physicien » qui anime le laboratoire impressionne le jeune visiteur. À peine revenu en France, il est envoyé à Copenhague, dans l’Institut de physique théorique dirigé par Niels Bohr. Il a été choisi comme membre français d’une équipe de physique théorique au sein du Conseil européen de la recherche nucléaire, plus connu par son acronyme, le CERN. La création de ce centre qui deviendra bientôt célèbre vient d’être décidée par un groupe composé des meilleurs physiciens européens, soucieux d’éviter la constitution d’un monopole américain dans le domaine des hautes énergies.

À l’automne 1954 le groupe s’installe dans de nouveaux locaux construits près de Genève. Quoique assombri l’année suivante par la mort de sa mère, « perte indicible » selon ses propres termes, le séjour genevois sera pour Bernard d’Espagnat une période faste. Ce qui l’y occupe n’est pas principalement la mécanique quantique comme problème, mais l’autre compartiment de sa « case physique ». Travaillant sur les particules étranges et la théorie des interactions faibles, en étroite collaboration avec son contemporain Jacques Prentki, qui occupera plus tard une chaire au Collège de France, il produit à partir de 1956 une série d’articles importants, préfigurant des développements décisifs dans plusieurs directions, et faisant appel à des outils mathématiques nouveaux, dont la théorie des groupes de Lie. Selon Jean Iliopoulous, son collègue au CERN, avec qui d’Espagnat cosignera également un article, ces résultats sont sans doute la plus importante contribution à la recherche émanant du CERN au cours sa première période.

De ces travaux je ne dirai rien de plus, faute de temps et de compétence, sinon pour indiquer que grâce à eux d’Espagnat gagna le respect de la communauté internationale des physiciens. Ce statut lui vaudra d’être écouté tout au long de la seconde partie de sa carrière de chercheur, alors même qu’elle s’écarte du « mainstream » tant par les sujets, les thèses défendues et le style argumentatif. Cependant une étape institutionnelle est franchie en 1959, lorsque d’Espagnat accepte à la faculté des sciences d’Orsay un poste de maître de conférences (grade correspondant aujourd’hui à celui de professeur de 2e classe). Il continuera néanmoins pendant une dizaine d’années de fréquenter le CERN, mais pour le groupe des interactions faibles son départ sera une perte. Il restera à Orsay, devenant professeur en 1965. Il dirigera le Laboratoire de physique théorique et particules élémentaires à partir de 1980, et prendra sa retraite en 1987.

Dès l’époque du CERN, tout en jouant excellemment son rôle de chercheur de pointe, d’Espagnat « tient en réserve un quelque chose », comme il le dira plus tard. Ce quelque chose prendra forme graduellement, à partir d’une interrogation de physicien sur une difficulté interne à la physique des particules, le phénomène de l’enchevêtrement dont il sera question dans un instant. Replacée dans le cadre des fondements de la mécanique quantique, cette question conduit le physicien à poser celle du statut de la connaissance scientifique. Il se fait alors épistémologue, puis métaphysicien, prenant à bras le corps l’énigme de l’Être : quelle est la réalité ultime, et comment y avons-nous accès ? Les résultats de cette quête, relevant à la fois de la physique et de la philosophie, n’auraient pas trouvé leur place, pense-t-il, dans les revues savantes. Aussi décide-t-il d’en faire l’objet d’un premier livre, auquel succèderont plusieurs autres, touchant un public toujours plus large.

Désormais, l’activité de Bernard d’Espagnat se divise en trois grands secteurs, qui se chevauchent et se nourrissent mutuellement. Il est, à Orsay, un professeur dont les cours, préparés avec un soin infini, frappent par leur exemplaire clarté ; il tient aussi avec conscience son rôle de directeur de laboratoire. En deuxième lieu, il contribue puissamment au renouvellement de la réflexion collective sur les fondements de la mécanique quantique, sur laquelle je reviendrai, notamment en organisant deux importantes rencontres. La première fut une école d’été qui se tint, en 1970 déjà, à Varenna, sur le lac de Côme, et réunit le jeune John Bell, dont il sera question bientôt, ainsi que de hautes personnalités telles que le prix Nobel Eugene Wigner. À la seconde rencontre, qui eut lieu six ans plus tard en Sicile, à Erice, haut lieu de la physique mondiale, fut invité un tout jeune physicien français, Alain Aspect, aujourd’hui membre de l’Académie des sciences. Mettant ses pas dans ceux de John Bell, Aspect put quelques années plus tard fournir une réponse décisive à une question que posait ce dernier ; nous comprendrons dans un instant l’importance philosophique que revêtait ce résultat aux yeux de d’Espagnat. Cette approche par les deux versants, scientifique et philosophique, d’un problème central de la physique quantique s’accorde parfaitement avec l’idée que se fait d’Espagnat des interactions entre les deux disciplines, une idée qu’il décline en physicien professionnel, et qui est partagée aujourd’hui (mais l’était beaucoup moins à l’époque dans notre pays) par nombre de philosophes.

Bernard d’Espagnat est enfin un écrivain : tel est le troisième volet de son travail. Écrire livre après livre est devenu, au fil de années, son activité principale, celle dont il tire la plus grande satisfaction, celle qui lui permet de retremper sa pensée et de la doter d’une force de pénétration apte à conquérir un vaste public.

Le premier ouvrage, Conceptions de la physique contemporaine, paraît en 1965. Hors de France, notre auteur se fait connaître dès 1971 par un ouvrage en anglais, Conceptual Foundations of Quantum Mechanics, devenu depuis un classique. L’année 1979 marque un tournant : au succès immédiat, bien au-delà des cercles académiques, d’un deuxième livre en français, À la recherche du réel, s’ajoute la notoriété qu’apporte à son auteur la parution d’un article dans Scientific American.

Les grands livres se succèdent au cours des décennies suivantes. Je ne mentionnerai ici que les deux principaux : Le réel voilé (1994), Traité de physique et de philosophie (2002), ouvrages immédiatement traduits en anglais et largement commentés, dans lesquels d’Espagnat donne à ses conceptions leur forme la plus complète. De À la recherche du réel au Traité de physique et de philosophie, c’est essentiellement la même vision qui est méthodiquement exposée, en sorte que chaque livre inclut le précédent, tout en lui apportant des précisions et des arguments nouveaux. Le réel voilé prend notamment en compte des résultats récents de physique quantique et de nouvelles tentatives pour en résoudre les énigmes, tandis que le Traité approfondit la dimension métaphysique.

À cette suite de livres qui constituent comme l’épine dorsale de l’œuvre, il faut ajouter une pléiade d’ouvrages plus légers, du moins en apparence ; le plus important pour notre propos a pour titre Un atome de sagesse, paru en 1982, dont d’Espagnat dira plus tard « qu’il me reflète avec exactitude tel que mon expérience m’a construit », et auquel notre Académie attribuera le prix Robert Blanché.

Ce savant, cet auteur comblé sera élu dans notre Compagnie en 1996 dans la section Philosophie. En 2009 il recevra le très prestigieux prix Templeton pour son « exploration des implications philosophiques de la physique quantique ».

Mais s’il était assez modeste pour tirer une sincère fierté des succès qu’il rencontrait, des honneurs qu’il recevait, Bernard d’Espagnat ne l’était pas au point de les faire passer au premier plan : c’est aux idées qu’il est attaché. Plus que toute autre chose d’Espagnat est le penseur du « réel voilé », et c’est de cela qu’il sera question maintenant.

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Depuis sa naissance, la physique quantique est source de perplexité. Dans son domaine elle congédie la physique classique, qui a dû déclarer forfait devant le comportement des très petits objets. Sa puissance est inégalée : les résultats de la mécanique quantique d’aujourd’hui sont les plus fiables et précis de toute la physique. Elle prédit à l’échelle quantique des phénomènes jusque-là inconnus tels que l’existence de certaines antiparticules. Mieux encore, elle constitue un cadre dans lequel ont été construites nos meilleures théories d’une foule de phénomènes macroscopiques, et conduit à la conception de dispositifs macroscopiques aux fonctionnalités inédites.

Mais ce triomphe a un prix : la mécanique quantique rompt les ponts avec la physique classique, et plus encore que la mécanique newtonienne et même que les relativités einsteiniennes, elle résiste à toute interprétation, même approximative, dans les termes du sens commun. Elle conduit à des énigmes qui l’empêchent de recevoir des fondements assurés. Pour reprendre l’heureuse expression de Franck Laloë, elle est un colosse aux pieds d’argile. Car, malgré les efforts déployés depuis près d’un siècle par les plus grands physiciens, les énigmes subsistent. Comme le dit Édouard Brézin, « il n’existe pas de cadre interprétatif simple et intuitif qui corresponde à ces expériences ahurissantes qui sont notre réalité physique. »

Qu’y a-t-il donc d’ahurissant dans le monde quantique? Viennent le plus souvent à l’esprit du public le principe d’incertitude, associé au nom de Heisenberg, et la superposition, illustrée par l’expérience de pensée du chat de Schrödinger. Aujourd’hui, on s’accorde généralement pour considérer l’enchevêtrement comme le phénomène le plus central, celui qui résiste le plus obstinément à la compréhension intuitive, et qui est le plus difficile à intégrer à la conception scientifique traditionnelle. Nous avons vu que d’Espagnat le redécouvre à partir de ses travaux en physique des particules. La célèbre expérience de pensée publiée en 1935 par Einstein, Podolsky et Rosen a pour but d’en mettre en évidence le caractère inacceptable : elle montre que dans certaines conditions, deux systèmes physiques, par exemple deux électrons, peuvent être enchevêtrés (ou dit aussi imbriqués ou intriqués, en anglais entangled), c’est-à-dire liés longtemps après avoir interagi, aussi distants qu’ils puissent être l’un de l’autre. Cette liaison fait que lorsqu’on mesure un paramètre relatif à l’un des deux, le paramètre correspondant de l’autre s’en trouve instantanément déterminé. Ils perdent ainsi toute réalité indépendante : une connaissance complète de l’ensemble qu’ils forment ne fournit pas une connaissance complète de chacun d’eux. L’interaction initiale a rendu les deux systèmes inséparables au sens spatial, ce qui viole une supposition fondamentale du sens commun et de la physique classique, à savoir que toute entité matérielle est localisée. La mesure opérée sur l’un des systèmes influence instantanément la valeur du paramètre correspondant de l’autre, ce qui semble violer l’impossibilité de toute transmission supraluminale d’influence, et implique une forme de causalité qui soit non locale.

Pour Einstein et d’autres, la conclusion de cette expérience ne faisait pas de doute : la mécanique quantique est incomplète. Soit qu’elle omette de prendre en compte des variables cachées, soit, comme le pensait Einstein, qu’elle doive être reprise à nouveaux frais, sur la base de concepts différents. Telle n’est pas l’opinion de Bohr, et à l’époque où Bernard d’Espagnat commence à s’interroger, la communauté des physiciens s’est largement ralliée à ce qu’on appelle l’interprétation de Copenhague, associée au nom de Bohr et à ceux de Heisenberg et Born. Elle fournit au scientifique de terrain la caution épistémologique qui lui permet de laisser de côté tous ces problèmes et de considérer la mécanique quantique comme un pur instrument de prédiction et de contrôle.

Bernard d’Espagnat, qui ne se satisfait ni de l’alternative Einstein ou Bohr, ni du pragmatisme du physicien de terrain, se sent bien seul lorsqu’il commence à réfléchir à la question. L’arrivée au CERN de John Bell est providentielle. Ce physicien, l’un des plus inventifs de sa génération, est de tempérament réaliste, comme Einstein ou de Broglie : pas plus que d’Espagnat il ne peut se contenter du statu quo. Or, dans un article fondateur de 1964, il avait ouvert la voie à ce qu’il espérait être une confirmation expérimentale de l’expérience de pensée d’Einstein et collaborateurs, mettant donc la mécanique quantique en défaut dans ce type de situation. Il montrait à cette fin que toute théorie locale doit satisfaire à certaines inégalités. Moyennant quelques améliorations, présentées par leurs auteurs à Varenna en 1970, ces relations purent être soumises en pratique à une série de vérifications, dont le bilan, d’abord incertain, est presque unanimement reconnu aujourd’hui comme négatif, à la lumière des célèbres expériences de John Clauser, d’Edward Fry et d’Alain Aspect, encore améliorées récemment. Les inégalités de Bell sont bel et bien violées, la mécanique quantique est, sur ce point crucial, confirmée, et la non-localité doit être acceptée comme une caractéristique du monde quantique : comme ne cessait d’y insister d’Espagnat, substituer à la mécanique quantique actuelle une autre théorie, ce qui arrivera peut-être un jour, ne changerait rien à l’affaire — les violations des inégalités ne sont pas seulement prédites par la théorie actuelle, elles sont un fait expérimental dont toute théorie devra tenir compte.

À cet ensemble de questions, la contribution de d’Espagnat fut multiple et considérable : mise en ordre conceptuelle de la problématique, résultats scientifiques, examen des théories rivales, défense philosophique de sa propre conception. Notons, sans pouvoir nous y attarder, la réflexion qu’il consacre à la question critique de la connexion entre l’univers quantique et les objets et processus macroscopiques : le problème de la mesure est à ses yeux central, et son examen des théories de la décohérence, censées le résoudre, l’amène à conclure à l’impossibilité de mettre le macroscopique à l’abri des excentricités quantiques.

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Ce dernier point fournit un passage entre le volet scientifique et le volet plus proprement philosophique de la pensée de Bernard d’Espagnat. Ces deux volets ne sont pas juxtaposés comme dans un diptyque : ils sont, eux aussi, enchevêtrés, je l’ai dit. Il est pourtant possible, après avoir sommairement rendu compte du premier, de dessiner les grandes lignes du second, car s’il est vrai que les questions que se pose le physicien d’Espagnat sont largement motivées par ses inclinations philosophiques, il n’en demeure pas moins qu’un moment arrive où, selon ses propres termes, « la science frappe à la porte de la métaphysique » (Réel voilé, p. 436).

Placés devant les énigmes de la mécanique quantique, nous avons deux décisions à prendre. La première porte sur la physique. Conservons-nous la théorie actuelle ou voulons-nous nous en écarter, en rejetant l’idée que la fonction d’onde, dont l’évolution est décrite par l’équation de Schrödinger, fournit une information complète sur le comportement des systèmes considérés, et en postulant de nouvelles entités ou des processus exotiques, tels que des interactions qui remontent le temps ? D’Espagnat, après avoir minutieusement examiné les grandes théories hétérodoxes, choisit de s’en tenir à la théorie standard. La seconde décision porte sur la philosophie des sciences : conservons-nous l’idée traditionnelle que la science fournit, dans le temps long, une approximation toujours meilleure de la réalité, ou bien admettons-nous qu’il n’en est rien, que ce à quoi elle aboutit est autre chose ? D’Espagnat s’engage dans cette dernière voie : la mécanique quantique nous contraint, estime-t-il, à modifier notre philosophie. « Modifier » est d’ailleurs un mot bien faible : pour lui, la physique quantique nous force à renoncer à « l’image du monde et de nos rapports avec lui que donnait la physique classique », ce qui est rien de moins à ses yeux qu’une « révolution ».

Cette pars destruens de sa conception, d’Espagnat l’établit en deux temps. Primo, la mécanique quantique prouve irréfutablement que la constitution du monde quantique ne répond pas aux exigences minimales du réalisme traditionnel : il n’est pas peuplé d’« éléments simples occupant chacun, à un instant donné, une petite région d’espace et une seule et n’exerçant que des influences limitées sur le comportement des éléments distants de lui » (À la recherche… p. 62) Secundo, le monde empirique, celui auquel nous donnent accès nos aptitudes naturelles ou la science, est quantique de bout en bout : il n’existe qu’une seule physique et non deux, et du fait que tout objet matériel est de nature physique, le statut ontologique du quantique s’étend à la totalité de l’univers matériel : les turbines, l’oiseau, l’arbre, le soleil contemplés depuis la fenêtre de Fourmagnac n’échappent pas davantage que les photons à ce qu’on peut peut-être se risquer à appeler la déconstruction, ou déréalisation quantique. La réalité empirique, composée de photons, de turbines, d’oiseaux, etc., n’est pas réelle au sens plein du terme.
Pourtant, objectera-t-on, la science est objective, et cette objectivité constitue non certes une preuve mais une présomption rationnelle forte que la connaissance scientifique porte sur quelque chose qui ne dépend pas de l’esprit humain : quel autre nom, pour ce quelque chose, que la réalité, la réalité tout court ? La réponse de d’Espagnat est que l’objectivité de la mécanique quantique est beaucoup plus faible : on ne peut en éliminer l’observateur. Ce qui la préserve de la pure subjectivité, c’est que ses prédictions sont identiques pour tout observateur, réel ou potentiel. Cet affaiblissement de l’objectivité, quoique dépourvu de conséquences pratiques, met en échec le réalisme classique, celui auquel adhère la vaste majorité des scientifiques et des philosophes matérialistes. Mais d’Espagnat rejette tout autant l’antiréalisme sous quelque forme que ce soit : solipsisme, instrumentalisme ou conventionnalisme, relativisme, qui, chacun à sa manière, ramènent tout à l’activité du sujet connaissant. Cette réduction lui paraît à la fois conceptuellement déficiente et éthiquement pauvre : il veut croire qu’existe quelque chose auquel l’homme peut aspirer, qu’il peut pressentir et dont il peut par des voies obliques approcher.

La pars construens de la philosophie de Bernard d’Espagnat consiste ainsi en une nouvelle conception du réalisme. C’est la composante la plus audacieuse et donc la plus contestée de sa philosophie, celle qui lui tient le plus à cœur. Il postule, au-delà de la réalité empirique, qui rassemble les phénomènes, un réel en soi, indépendant de la pensée et de l’action humaines, qui n’est ni accessible à la science, ni absolument inconnaissable. De ce postulat, il propose plusieurs justifications. La première est que dans l’expérience cartésienne du Cogito, l’existence précède la connaissance : le Cogito nous met en contact direct avec un existant fondamental. La deuxième est que nos théories scientifiques se heurtent à une résistance : il y a quelque chose qui, souvent, leur dit « non ». Inversement, et c’est le troisième argument, version kantienne de l’argument du non-miracle, l’intelligibilité des phénomènes, le fait que nous parvenions à en rendre compte de manière toujours plus cohérente, ne peut s’expliquer que par l’hypothèse d’une source commune ; cette hypothèse permet aussi de limiter l’arbitraire des cadres linguistiques et de rendre raison du fait que certains cadres se prêtent mieux que d’autres à la mise en ordre scientifique des phénomènes : ils sont soumis aux contraintes d’une ontologie fondamentale.

Kant n’est pas loin : c’est tellement clair que nous pourrions être tentés de rabattre l’ontologie de d’Espagnat sur celle du philosophe de Königsberg. Notre académicien a en effet reconnu la parenté entre la réalité nouménale de Kant et sa propre notion de réalité en soi. Il insiste cependant sur deux différences décisives. La première est que s’il parvient à une conclusion proche de celle de Kant, c’est par un chemin tout autre : il part de la physique contemporaine, qui à l’inverse rend caducs certains éléments-clés de la construction kantienne.

Plus importante encore est la différence entre le noumène de Kant, strictement inconnaissable, et la réalité en soi de d’Espagnat, qui échappe à la connaissance au sens strict, c’est-à-dire scientifique, mais ne se dérobe pas complètement à l’esprit humain. Nous sommes fondés à en conjecturer certains traits. Il s’agit surtout d’indications négatives : ainsi, la réalité en soi est indivisible, ce que reflète la non-séparabilité quantique ; de même le temps et l’espace, ou l’espace-temps, attributs de la réalité empirique, n’appartiennent pas à la réalité en soi, pas plus, par conséquent, que la conscience. À quoi s’ajoutent des propriétés très générales, dont on peut seulement dire qu’elles sont des reflets, très déformés, de certaines grandes lois structurales de la physique. Ici se situe une difficulté dont d’Espagnat est conscient : toute notion de reflet, de déformation, semble impliquer une proximité entre réalité en soi et réalité empirique. Cette proximité, d’Espagnat la refuse : pas plus pour lui que pour Kant il n’existe de correspondance entre les objets séparés de la réalité empirique et la substance indifférenciée de la réalité en soi, qui est « sans figure ».

Il doit cependant exister une relation entre les deux ordres de réalité, à défaut de laquelle la postulation d’une réalité en soi serait gratuite. Cette relation est conçue par d’Espagnat à l’image de la causalité, sans bien entendu se confondre avec la causalité empirique : il l’appelle causalité étendue. C’est une étiquette posée sur ce qu’il conçoit comme un mystère, inaccessible comme il se doit à la connaissance, mais qui recouvre notamment ce qu’il appelle le co-engendrement de la conscience et de la réalité empirique, ou encore d’un pôle sujet et d’un pôle objet.

Quel est le nom qui convient le mieux à la réalité en soi ? Bernard d’Espagnat hésite. Il en retient finalement deux : le « réel voilé » et l’« Être » (avec majuscule). Il emploie plus volontiers « réel voilé » dans le contexte épistémologique, quand il s’agit pour lui de rendre compte de la connaissance empirique et des énigmes du monde quantique, et de souligner l’éloignement de ce réel. Le terme « Être » vient sous sa plume lorsque son regard s’élargit et qu’il inclut d’autres modes de pensée que la rationalité scientifique. L’Être laisse dans le monde humain des traces que les scientifiques sont moins à même de déchiffrer que les artistes, peintres et poètes, du moins — réserve significative — lorsqu’ils restent fidèles à leur vocation, ce qui n’est pas le cas, selon d’Espagnat qui le déplore, de tous les artistes contemporains.

Que le terme d’Être évoque le divin n’est pas pour le gêner. Il va jusqu’à envisager de nommer cette réalité « Dieu », un terme qui a pour lui l’avantage de véhiculer ce qu’il appelle une « compréhension non intellectuelle » accumulée au fil des millénaires. Bref, d’Espagnat fait le pari que l’Être, si mystérieux qu’il soit, si proprement inconnaissable, n’est pas caché au point que n’en percevions jamais les appels, à commencer par la beauté du monde. Nous ne ferions fausse route que si nous prenions ces appels, et nos réponses, pour un procès de connaissance au sens propre du terme.

Ce n’est pas d’une déduction, ni même d’une induction que ces idées tirent leur force. Elles résultent, selon leur auteur, d’un effort pour « rechercher un équilibre qui paraisse vraisemblable », un effort qui participe de « la belle raison de l’âge classique, qui n’était pas démonstrative ». Dans ces questions qui résistent aux assauts directs de la science, on doit viser un « choix raisonnable », et « renoncer aux précisions et aux détails ». Sans doute, « comparées à celles de la physique, les propositions de la métaphysique n’apparaissent […] que comme de frêles toiles d’araignée ». Elles ne sont pas moins susceptibles de « nous ouvrir quelques chemins vers le réel ».

Pour autant, cette quête n’est nullement déconnectée de la science. Le scientifique conserve un rôle privilégié, d’Espagnat nous le rappelle fermement : « L’homme de science, écrit-il, est [celui qui] a encore le mieux en main l’ensemble des leviers de la philosophie critique. Même s’il s’avère, en dernière analyse, que l’homme n’atteint l’Être que peu et mal, c’est encore le scientifique qui est — et de beaucoup — le mieux équipé pour scruter les frontières de toute connaissance collective assurée. »

La rationalité critique n’est pas davantage négligée. Loin de s’enfermer dans une bulle d’auto-confirmation, comme tant de penseurs en vue de sa génération — et hélas, des suivantes —, Bernard d’Espagnat n’a jamais esquivé la critique ; bien au contraire, il l’a activement recherchée, se prêtant à des débats et confrontations fort animées, dont plusieurs riches volumes laissent une trace écrite. Lorsqu’en 2009 il reçoit le prix Templeton, il décide d’en consacrer une partie à la création d’un groupe de travail au sein de l’Institut, réunissant physiciens, mathématiciens et philosophes, groupe aujourd’hui réactivé sous la direction d’Hervé Zwirn : le débat et l’approfondissement collectif et interdisciplinaire auront accompagné durant la dernière partie de sa carrière un savant qui avait longtemps cheminé seul, et la conversation se poursuit après lui.

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Le réel voilé, Bernard d’Espagnat en était conscient, n’est pas de ces idées destinées à faire l’unanimité. D’être mieux ancrée dans la science contemporaine que d’autres ontologies confère à la sienne un avantage incontestable : nous sommes nombreux aujourd’hui à lui donner sur ce point pleinement raison. Mais elle n’en repose pas moins en partie sur un ensemble d’arguments qui ne peuvent, par leur nature même, recevoir l’assentiment général, et dont certains suscitent, chez des penseurs dont les orientations philosophiques sont différentes, des réserves. Le pari de l’entreprise est que la corde dont ils forment les brins est assez solide pour permettre aux audacieux de s’élever vers des hauteurs jouissant d’une meilleure visibilité, sachant que le camp de base est passablement embrumé.
Que le pari soit complètement gagné ou non, il ne saurait être perdu : la quête dans laquelle se sera engagé Bernard d’Espagnat sa vie durant porte nécessairement des fruits. Borges fait dire à l’un de ses personnages qu’un gentleman ne s’intéresse qu’aux causes perdues. Celle du réel voilé ne l’est pas, mais elle reste incertaine, et le tranquille courage avec lequel Bernard d’Espagnat la défend est bien celui d’un gentilhomme. Son éclatante réussite n’est pas gagée sur le nombre de suffrages qu’emporte ou qu’emportera sa doctrine de l’Être ; elle réside dans la grandeur du projet, dans les matériaux tant scientifiques que philosophiques collectés tout au long de son élaboration, dans les pistes qu’il laisse à ses disciples et successeurs, dans l’exemple qu’il nous laisse à tous. Fidèle jusqu’au bout à l’ethos professionnel de la physique, capable néanmoins de s’en affranchir pour aborder les rives de la métaphysique, optimiste et amoureux du monde, attentif à l’apport des arts, à la vie de l’esprit, Bernard d’Espagnat aura donné corps à son intuition d’adolescent lecteur de Descartes : que dans la pensée tout se tient.

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