Séance solennelle du lundi 19 novembre 2001
par M. Jean Cluzel, secrétaire perpétuel de l’Académie
Le froissement d’ailes de papillon au-dessus de la forêt amazonienne pourrait, dit-on, suffire à déclencher un orage à l’autre bout de la planète. Mais il est certain que, le 11 septembre dernier, les ailes de quatre Boeing transformés en bombes volantes, ont – et pour longtemps – ébranlé la terre entière.
De même qu’un coup de pistolet, tiré le 28 juin 1914 à Sarajevo fit naître le XXe siècle dans le sang, il est vraisemblable que les historiens retiennent le 11 septembre 2001 comme point d’ancrage du siècle nouveau.
Quant aux différences entre les deux attentats, elles tiennent surtout au lieu où ils se sont produits. En 1914, le crime avait été commis à la périphérie du monde occidental, dans une petite ville coincée entre l’Empire austro-hongrois et l’Empire ottoman.
En septembre 2001, l’attentat a frappé une démocratie au cœur : la première et la plus grande. Notre réaction immédiate fut de compassion pour les victimes et de solidarité morale et militaire envers ceux qui ont la lourde charge de diriger un pays meurtri. La France, comme elle l’a toujours fait en temps de crise, s’est résolument placée aux côtés des Etats-Unis. C’est une solidarité qui vient tout à la fois du cœur et de l’histoire. Au nom de notre Président et de l’Académie, j’ai aussitôt fait connaître à l’ambassadeur des Etats-Unis en France, ainsi qu’aux associés étrangers et correspondants nord-américains de notre Compagnie, à quel point ces actes ignobles nous révoltaient.
Parce que les Etats-Unis ont été attaqués de l’intérieur, en même temps que s’écroulaient les tours jumelles, s’effondraient l’utopie d’une protection inviolable du territoire et la stratégie du règlement des conflits avec ” zéro mort “.
Dès lors, trois constats se sont imposés :
” le premier : il n’est pas besoin de maîtriser une haute technologie pour déclencher des catastrophes ;
” le deuxième : les conséquences psychologiques de cet attentat se mesurent en nombre de victimes, mais aussi en fonction de la force des images imprimées dans l’esprit des hommes ;
” le troisième : la vulnérabilité des démocraties devient le présupposé de toute politique.
Mais que voyons-nous en France ?
Eh bien, la France paraît se complaire en querelles intestines : la parution de tel ou tel ouvrage en vue de la campagne électorale, tout de louanges ou de sarcasmes, la lutte pour l’investiture à la candidature au sein de tel parti politique, les problèmes financiers de tel ou tel club de sport…
Voilà le régime de croisière de notre actualité, après une semaine suspendue, pleine d’images au ralenti d’avions éventrant les tours du World Trade Center.
Voilà sans doute une tentation fatale pour notre temps, celle que l’on pourrait nommer ” la tentation de Byzance “, celle de ne pas regarder là où il faut, au moment où il le faut, celle de confondre l’essentiel et l’accessoire… La tradition veut, en effet, que les Byzantins, alors que les armées turques resserraient leur étau sur la deuxième Rome, disputaient du sexe des anges – sujet théologique au demeurant fort profond !
C’est donc – on l’aura compris – à l’examen de cette tentation que je consacrerai mon discours.
La menace la plus grande ne serait-elle pas en nous ? Notre civilisation serait-elle à ce point chancelante et partie à la dérive loin des principes qui la fondent ? Que pourrions-nous opposer à la négation de nos valeurs si nous ne savons plus qui nous sommes ? Ou pire, si nous étions devenus si peu, que nous n’aurions plus rien à défendre ? De quels messages serions-nous porteurs, si nous ne croyons plus nous-mêmes qu’aux faux-semblants d’un égoïsme hédoniste ?
“Aussi notre tâche la plus urgente est-elle d’établir le diagnostic des faiblesses de la société actuelle.
“Envers nos contemporains, nous avons le devoir de proposer l’espoir d’un monde dans lequel l’homme ne serait plus un loup pour l’homme.
“Dans le siècle qui s’ouvre, le rôle des Académies – la nôtre en particulier – sera d’ouvrir la voie de l’espérance.
Ces idées s’ordonnent autour de trois thèmes :
I- LES NOUVEAUX PÉCHÉS CAPITAUX A STIGMATISER
II- SOUS LES DÉCOMBRES, L’ESPÉRANCE A RETROUVER
III- LA FIDELITÉ NOTRE ACADÉMIE A SES MISSIONS
Les nouveaux péchés capitaux à stigmatiser
À n’en pas douter, la ” tentation de Byzance ” naît d’un affaiblissement général des valeurs fondatrices. Il devient difficile d’accepter la brutalité des batailles et les exigences de l’action si l’on ne sait plus pourquoi il est important de se sacrifier. Pascal l’avait bien vu, en affirmant croire seulement ” les témoins qui se feraient égorger “.
Les raisons de l’inquiétude en face de notre avenir peuvent être déclinées en autant de ” tentations ” particulières. Elles constituent les nouveaux péchés qui affectent nos âmes et celles de nos enfants.
La séduction du cynisme
De toutes, elle est sûrement la plus philosophique. Les Lumières furent par nature une entreprise de désillusion, c’est-à-dire une traque de l’illusion, entraînant le ” désenchantement du monde “. Rien ne doit échapper à l’examen critique ; tout doit être fondé en raison par l’individu lui-même. Ce modèle de l’autonomie du sujet a si bien pris dans nos sociétés que tout a été soumis au pouvoir démystificateur de la critique… jusqu’aux principes qui fondaient le mouvement des Lumières : les Droits de l’Homme congédiés au nom du réalisme sociologique, la Raison au nom du relativisme anthropologique, l’humanisme, enfin, au nom de sa dimension prométhéenne ou au gré d’une ” biologisation ” constante de l’être humain…
Dans ce monde délité, le cynisme est devenu ” un type humain de masse “, celui de gens qui se rendent compte que le temps de la naïveté est révolu. Toute croyance serait la marque et le signe d’une faiblesse ; toute autorité serait par nature trompeuse ; toute obligation morale une atteinte à l’épanouissement de la personne. Ainsi, sous les coups d’une Raison affolée, une à une s’effondreraient toutes les valeurs.
L’appel du vide
Cette dissolution progressive des valeurs entraîne la société vers un gouffre, auquel elle n’échappe qu’en s’élançant dans un tourbillon vertigineux.
Arrêtons-nous un instant à ce qui ne saurait manquer d’être un événement fondamental de l’année écoulée : il s’agit de Loft-story. Ce que ce programme eut de stupéfiant, hormis son succès, tient à la totale vacuité de son contenu. Non seulement des heures entières furent remplies de non-événements, mais, plus encore, le vide en constituait le sujet même. S’il est possible de dégager une seule valeur de cette bouillie informe, ce serait la suivante : ” Sois toi-même et laisse l’autre être lui-même “. Ce message – seul apte à métamorphoser le banal en sujet d’intérêt – fut seriné sur tous les tons.
Les jeunes gens, qui acceptèrent d’être enfermés pendant soixante-dix jours, firent preuve de cette forme la plus dégradée de la tolérance, celle qui s’approche de l’indifférence jusqu’à s’y confondre. Cette fausse vertu est aujourd’hui proposée comme modèle du ciment social, alors qu’elle peut au mieux servir à éviter les conflits. À défaut de courage, on remplace la solidité du mortier par la viscosité de l’huile… Signe des temps. On comprend dès lors la raison profonde de l’exclusion des livres dans l’espace du Loft : y laisser entrer la culture eût été prendre le risque d’introduire des ferments de désunion, ce que la société redoute par dessus tout.
Loft-story est le paradigme d’un nouveau vivre-côte-à-côte. Il n’a que peu à voir avec le vivre-ensemble de la Nation républicaine, qui suppose le choix d’un destin commun.
C’est également la figure accomplie de la plus grande partie du monde médiatique, tombé dans les mains de ceux que Balzac nommait déjà les ” rienologues “. Il en écrivait ceci :
” La page a l’air pleine ; elle a l’air de contenir des idées ; mais, quand [on] y met le nez, [on] sent l’odeur des caves vides. C’est profond et il n’y a rien. L’intelligence s’y éteint comme une chandelle dans un caveau sans air […] Ce robinet d’eau chaude glougloute et glougloutera in sæculo sæculorum sans s’arrêter “.
Car le vide n’est pas cantonné aux seuls divertissements. Il s’étend également aux discours dits sérieux, qui, par contrainte ou par facilité, ont remplacé depuis longtemps le désir d’expliquer et de convaincre par le seul désir de séduire ou d’émouvoir.
Le refuge de la dissidence
Par réaction à l’absence de valeurs dont souffre notre société, certains font le choix de se laisser entraîner par les sirènes de la dissidence. Celle-ci se manifeste sous toutes les formes du communautarisme. Puisque la société ne peut fournir de valeurs susceptibles de donner du sens à l’existence, d’autres normes sont recherchées dans des groupes minoritaires, qui s’opposent plus ou moins à la société dominante. Tel est l’un des fondements de la logique sectaire, à laquelle nous avons à opposer l’unité et la laïcité de la République. Encore faut-il savoir les respecter et les faire respecter l’une et l’autre.
Le masque de l’arrogance
Pour autant, désabusées et vidées, nos sociétés font preuve bien souvent d’une arrogance qui ne connaît pratiquement pas de limite, à l’instar du Dernier Homme que – dès 1883 – dépeignait Nietzsche au début d’Ainsi parlait Zaratoustra.
Au nom de ce monde confortablement protégé qu’il a créé autour de lui et pour lui, le Dernier Homme rejette la culture de ses pères comme il rejette celles des autres hommes. L’idée de transmission d’une culture classique est battue en brèche au nom de la monstruosité des actes dont elle serait solidaire – phallocratie, intolérance… Au nom du rejet de la contrainte dont relèverait un tel acte – l’école comme prison – ou encore au nom de la difficulté ou de l’inutilité de l’entreprise .
Le regard de l’homme occidental se fait plus compatissant face aux autres cultures. L’idée commune est qu’elles ne sont que des survivances, liées à la pauvreté et au sous-développement. Même si elle est pacifique, l’affirmation de valeurs spirituelles, devenues incompréhensibles en Occident, est rapidement taxée de folie. Il est à craindre que, bientôt, la foi, religieuse ou politique, soit classée au tableau des maladies mentales. Comment, dans ces conditions, comprendre ceux de nos contemporains qui conservent des idéaux ? Et quel sens pourrait alors avoir le dialogue entre les cultures ?
Ces quatre tentations de l’esprit sont aussi dévastatrices pour notre civilisation qu’elles le sont pour le reste du monde. En temps de crise, elles sont même des dangers mortels et l’on ne peut qu’acquiescer à l’analyse cinglante d’un Jean-Claude Barreau :
Le fanatisme a toujours été une des grandes tentations de l’esprit humain. Mais, aujourd’hui, le territoire moral et intellectuel de la société occidentale, dominé par le nihilisme et le cynisme, n’a pas grand chose à lui opposer. La seule réponse possible au fanatisme, ce sont les convictions : or nous n’en n’avons plus beaucoup. Nous n’avons plus qu’un kit moral minimaliste…
Sous les décombres, retrouver l’espérance
À ceux qui me traiteraient de pessimiste, je ferais une réponse empruntée à Bernanos :
Le mot de pessimiste n’a pas plus de sens à mes yeux que le mot d’optimiste qu’on lui oppose généralement… L’optimiste est un imbécile heureux, le pessimiste un imbécile malheureux… Mais l’espérance se conquiert. On ne va jusqu’à l’espérance qu’à travers la vérité, au prix de grands efforts et d’une longue patience… Quand on va jusqu’au bout de la nuit, on rencontre une autre aurore.
Le choc produit par les actes barbares du 11 septembre devrait dès lors être mis à profit pour engager un processus de refondation de nos sociétés démocratiques.
L’action qui s’impose aux hommes d’aujourd’hui est d’une envergure sans précédent : il appartient à cette génération comme aux suivantes de redonner un sens aux messages universels sur lesquels notre civilisation s’est fondée. Et de proposer à tous les hommes – sans exception – une éthique respectueuse des différences, mais ferme sur les valeurs fondamentales de l’humanisme ; ce respect-là est bien celui de Kant et de la conscience démocratique.
Trois secteurs devraient avoir priorité :
” l’économique,
” le politique
” le médiatique.
L’économie
La mondialisation de l’économie et les mutations qu’elle entraîne crée des déséquilibres sur l’ensemble de la planète, à l’intérieur de nos sociétés et plus encore entre pays riches et pays pauvres. Qu’il me soit permis de m’inspirer ici d’une analyse, développée récemment sur radio Classique, par Pierre Jacquet, l’un des principaux collaborateurs de notre Président à l’Institut français des relations internationales.
Pour nombre de personnes, parmi les plus pauvres, les bénéfices de la mondialisation restent à l’état de promesses théoriques. La pauvreté n’est pas due à la mondialisation, bien au contraire… Car elle reflète le plus souvent l’inaptitude de gouvernements locaux minés par la corruption et davantage portés sur la confiscation que sur le développement. Ainsi peut s’expliquer le rejet épidermique d’un mode de vie qui n’est pas à la portée de pans entiers de la population mondiale. Des millions et des millions d’individus n’ont rien à perdre et rien à défendre. Ils font des proies faciles pour tous les faux-prophètes maniant la fausse séduction du fondamentalisme et du radicalisme le plus extrême.
Face à cette situation, il nous faut mettre nos actes en cohérence avec nos messages. Nous prêchons sans cesse aux pays en développement les bénéfices de l’ouverture et de la mondialisation, et cela permet d’obtenir ainsi des marchés à nos entreprises. En revanche, lorsqu’il s’agit d’ouvrir nos propres marchés aux secteurs dans lesquels ces pays peuvent avoir un avantage comparatif, nous traînons les pieds et nous faisons jouer les clauses anti-dumping.
Pourquoi donc employer ce double langage ? Pourquoi étaler l’opulence des membres du G7 ? Pourquoi ne pas associer aux décisions internationales les représentants de ceux qui n’acceptent plus cette intolérable division du monde ?
Ce nouvel état d’esprit – s’il parvenait à s’imposer – aurait pour avantage de donner corps au seul projet capable de civiliser la mondialisation.
La politique
La conformité des actes et des discours devrait donc être le premier souci de la politique. Alors que l’anthrax constitue une continuelle menace aux Etats-Unis, il faut se rappeler que, le 25 juillet dernier, l’administration Bush rejetait le protocole de vérification qui complétait la Convention contre les armes bactériologiques. ” Deux poids, deux mesures “, voilà un langage que ne devrait plus pouvoir tenir nulle puissance, même la plus grande – surtout la plus grande ! Aucune ne pourrait prendre le risque d’être accusée de cynisme et de discréditer tout discours qui se réclamerait de valeurs universelles. Il en va de même quand on considère le domaine de la lutte contre la pollution et pour le développement durable.
Les médias
À la mondialisation économique correspond celle des communications. Nul ne s’étonne plus aujourd’hui de la succession, quasi instantanée, d’images diffusées par CNN ou Al Djezira. Ces dernières, d’ailleurs, semblent mettre mal à l’aise beaucoup de nos contemporains. Rien de plus normal puisqu’il s’agit de la première intrusion dans notre univers médiatique d’images non-occidentales, souvent porteuses de messages de combat.
La mondialisation des médias – avec son trio : Thomas Middelhoff pour Berthelsmann, Jean-Marie Messier pour Vivendi-Universal et Steve Case pour AOL-Time-Warner – se fait au nom de la rentabilité maximale. Et dans la plus totale ignorance des vertus délétères que peuvent avoir sur d’autres cultures nos programmes télévisés et nos films, où la violence le dispute à la vulgarité et le voyeurisme au racolage. On comprend qu’ils puissent avoir des répercussions sur des esprits soumis à la schizophrénie qu’engendrent deux imaginaires antithétiques, deux comportements de nature inconciliable.
Que le type d’action choisi par Ben Laden corresponde aux critères de l’émotion télévisuel – synchronisation des événements, images-chocs, correspondances précises avec des scénarios de films-catastrophe… – ne relève pas du hasard, mais du choix délibéré de retourner contre l’Occident, en même temps que ses avions, l’une de ses armes les plus offensives : la télévision !
Redonner du sens aux images sera sans doute l’une des tâches les plus complexes. Avec un peu d’utopie pour une si grande ambition, on peut espérer que les États ou les groupes d’États feront prévaloir des principes, assurant un meilleur respect des autres, de leurs sensibilités, de leurs cultures, de leurs croyances.
C’est une idée sur laquelle insistait fort justement Bertrand Poirot-Delpech, au cours du colloque de la Fondation Aventis – Institut de France, présidé par M. Pierre Messmer, et consacré à l’impact du développement prodigieux des biosciences sur nos sociétés :
Notre ingénuité – je veux dire celle de l’opinion et de ses relais – est sans limite ni vergogne. Nous nous étonnons qu’un milliardaire à turban, du fond de sa grotte, fasse trembler la Mecque américaine de l’argent. C’est le contraire qui aurait dû nous intriguer : que les enfants squelettiques du Sud se contentent de contempler sagement, des mouches dans les yeux, les vitrines du Nord repu et ses recettes-miracles contre l’obésité.
L’économie, la politique et les médias se trouvent au centre d’une nouvelle forme de guerre dont on n’a pas fini de mesurer les effets. et qui demande de nouvelles formes d’action, pas seulement militaire!
Au tournant du siècle, notre Académie toujours fidèle à ses missions
Certes, notre Académie n’a pas pour vocation de mettre en œuvre des politiques. On ne le répétera jamais assez : ses missions sont d’observation, de conseil, de mise en garde, d’incitation.
Pour ceux qui ne connaîtraient notre Compagnie que de loin, cette affirmation aura peut-être de quoi surprendre. L’ancienneté de l’institution ferait croire à l’ignorant qu’il y aurait erreur ici à vouloir représenter l’espoir. Il n’en est rien. Non seulement nous nous sentons comptables de l’avenir envers la jeunesse, mais encore nous mettons en œuvre les moyens de l’ambition que nous avons pour elle.
Notre vie académique a rarement été aussi intense que cette année, quoiqu’elle se soit fort peu répandue au dehors. C’est d’ailleurs notre habitude de ne travailler que la porte entr’ouverte. Une fois par an seulement, nous siégeons sous cette coupole. Entourés de nos invités, nous nous mettons en rapport avec le monde extérieur, et nous racontons, toutes portes ouvertes cette fois, les mystères de nos comités secrets et de nos discussions.
Ces paroles, qui- toute fausse modestie mise à part – pourraient paraître si actuelles, ont pour auteur Léon Say au cours d’une séance identique à celle-ci. Elles furent prononcées ici-même en 1895. Mais un tel jugement ne pourrait-il s’appliquer à la situation de notre Académie aujourd’hui ?
” Rarement aussi intense ” : tel est bien le constat que l’on doit faire si l’on jette un regard rétrospectif sur le travail accompli.
Le Président a opéré la synthèse du programme des communications faites cette année.
Le vice-Président a donné lecture du palmarès des prix et médailles.
Il faut ajouter à ces activités régulières, la création de groupes de travail. Ils abordent scientifiquement des problèmes actuels dont la liste se trouve à la fin du palmarès.
Présidés par des membres de l’Académie, ces groupes élaborent régulièrement des rapports, publiés dans une collection, spécialement créée aux Presses Universitaires de France, les “Cahiers des Sciences morales et politiques”.
En janvier prochain, sept volumes auront parus dans cette collection sur des sujets aussi divers et importants que
-le droit d’auteur et Internet,
-la protection de la vie privée et la société de l’information
-les implications philosophiques de la science contemporaine
-l’avenir des entreprises publiques
-les conditions durables de la satisfaction des besoins alimentaires dans le monde.
Au cours des prochains mois, paraîtront :
– le droit de la consommation
– la confection de la loi
– la démographie française
– le ” droit de la famille “
– trois volumes sur les problèmes de la presse face aux nouvelles technologies.
– les sciences morales et la langue française
– science, morale et politique de la communication
– l’hécatombe des jeunes sur les routes françaises
– les interventions chirurgicales en Afrique grâce aux satellites
Pour faire connaître plus largement ses travaux, pour laisser les portes grandes ouvertes, l’Académie met aussi l’intégralité de ses textes en ligne sur Internet. Notre ” Lettre hebdomadaire ” – dont le numéro 100 vient de paraître – est chaque mois consultée par 6 à 7 000 visiteurs, représentant de 70 000 à 80 000 connexions, dont la moitié depuis l’Amérique du Nord, soit près d’un million de connexions en douze mois pour l’ensemble de nos textes mis, plusieurs fois par semaine, sur le site.
Le succès rencontré – quoique encore modeste mais à la mesure de nos moyens – prouve que la demande d’une information de référence et de réflexions de fond existe.
Il serait déraisonnable de penser qu’à eux seuls ces moyens permettront de remonter le cours des choses ; du moins contribuons-nous à cette tâche difficile.
Il faut, si l’on veut dissiper la confusion qui brouille les traits de notre civilisation, insérer notre action dans des réseaux, au sens que l’on donnait à ce mot sous la Résistance. Du reste, dans ses Mémoires, le général de Gaulle leur a rendu hommage. Agissant dans le même esprit, il nous revient maintenant, aux réseaux de mort et d’infamie, d’opposer des réseaux d’humanisme et d’espoir.
Résister et combattre
Résister et combattre, telles sont les missions que le destin nous propose. Notre emblème – la Minerve romaine – conserve le sens de son origine : la sagesse certes, mais casquée et armée d’une lance, prête pour le combat !
Tandis qu’une coalition de pays, appuyée par l’Organisation des nations Unies, se bat loin d’ici pour faire triompher la justice contre la barbarie, notre bataille n’est pas celle des armes, mais celle de la parole. Notre volonté est de participer pleinement et librement au débat public, mais, avant cela, d’en favoriser la renaissance, au nom des valeurs de la démocratie.
Aujourd’hui comme hier, dans tous les secteurs de l’activité humaine, il n’a jamais existé que deux politiques possibles : une politique respectueuse des droits de l’Homme et une politique ” à la Machiavel “.
La première est fondée sur la recherche de la Justice et du Progrès. Elle est toujours imparfaite.
La seconde s’appuie sur la force ou la ruse. Elle est souvent la plus efficace. Ici encore, ici plus qu’ailleurs, l’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu ; car il ne faut pas se dissimuler l’habileté de certaines propagandes ni la faiblesse de certains esprits qui y sont exposés.
Quant à nous, parce que nous avons choisi la première, la seule qui compte à nos yeux :
” plaidons pour la justice et plaidons pour le droit ;
” plaidons pour la solidarité, et plaidons pour le respect de tous par tous.
Si certains se prenaient à railler notre ambition de plaider ainsi pour de bons sentiments, nous répondrions qu’il n’est pas de bonne politique sans bonnes intentions.
Car, au plus profond de nous-mêmes, nous croyons que les bonnes intentions ne valent que par la bonne politique, vers laquelle elles font tendre.
Nous n’avons donc aucune raison de céder à la tentation de Byzance.
C’est parce que nous n’y avons jamais cédé,
que nous sommes fidèles à nos prédécesseurs.
C’est parce que nous n’y céderons jamais
que nous serons dignes de nos successeurs.
C’est enfin la raison pour laquelle nous faisons nôtres les paroles de Thomas Jefferson, affirmant, à l’automne de sa vie, qu’il avait “conduit sa barque avec la peur derrière et l’espoir devant”.