Notice sur la vie et les travaux de Pierre Tabatoni (1923-2006)

Séance du lundi 23 mars 2009

par M. Michel Pébereau

 

 

C’est le 6 mars 1995 que l’Académie des Sciences Morales et Politiques accueille Pierre Tabatoni au sein de sa section Economie politique, Statistique et Finance. Il succède à André Piettre, célèbre dans les milieux économiques français grâce à son essai sur les relations entre l’économie et la civilisation, les trois âges de l’économie et à son histoire de la pensée économique. Il a eu une vie professionnelle très riche. Il l’a toujours soigneusement séparée de sa vie personnelle heureuse avec sa femme, Francine Roure, dont je ne parlerai pas, pour respecter les principes qui étaient les leurs. Brillant universitaire, il a été un penseur visionnaire et aussi un véritable entrepreneur. Il est l’un de ceux qui ont contribué par leurs réflexions et par leurs engagements au développement de l’économie et de la société françaises pendant la 2ème partie du XXème siècle. Penseur visionnaire, il a été aussi un véritable entrepreneur.

 

Sa carrière est un modèle de l’efficacité que peut avoir l’éducation nationale pour la promotion sociale des enfants qui ont du talent.

 

Ses études lui ont permis de conjuguer une carrière universitaire et scientifique brillante avec des responsabilités administratives éminentes en France et à l’étranger.

 

Pierre Tabatoni est un pur produit de l’Ecole de la République.

 

Il naît le 9 février 1923 à Cannes. Son père, d’origine génoise, est un immigrant. Sa mère, française, est de famille italienne. Sa grand-mère paternelle parle mal le français. Son grand-père maternel est un jour parti voguer vers le Nouveau Monde, tel le Marius de Pagnol. Il a passé le Cap Horn et fait fortune dans la mythique Californie. Pierre ne devient français qu’en 1932, lorsque son père obtient sa naturalisation. Ses parents sont artisans. Son père est bottier et sa mère a un atelier de couture dont les clientes sont de riches voisines françaises et anglaises qui le fascinent, enfant. Ligure, européen et méditerranéen de naissance, Pierre Tabatoni rêve ainsi dès l’enfance de l’Angleterre et de l’Amérique.

Sa mère a passé son certificat d’études, et elle a l’obsession de la réussite scolaire de ses deux fils. Son frère aîné, Flaminius, moins ambitieux ou plus sage, sera professeur de philosophie. Encouragé par une institutrice porteuse des traditions des hussards de la République, Pierre entre en 6ème A du Lycée Carnot à Cannes. Il termine ses études secondaires au Lycée d’Antibes où il se lie d’amitié avec les enfants de russes immigrés. Il est brillant en mathématiques et passionné d’hellénisme. Il rencontre, en première, un professeur d’exception qui lui fait découvrir la richesse de la littérature : Dord de la Souchère, futur conservateur du musée Picasso d’Antibes. Il passe le baccalauréat de mathématiques élémentaires en juillet 1940, celui de philosophie en septembre.

L’Université d’Aix en Provence lui ouvre ses portes. Sous le charme des humanités, il s’inscrit en Faculté des Lettres et, pour s’assurer un emploi, en Faculté de Droit. Pour alléger la charge de sa famille, il est surveillant au Conservatoire des arts et métiers. En 1944, il a décroché ses licences de lettres classiques et de droit, un diplôme d’avocat et un autre d’études supérieures en économie politique. Il a découvert sa vocation : l’économie. Engagé volontaire, il devient infirmier militaire après une blessure provoquée par une mine. Il est libéré en 1946.

A la Faculté de Droit, il rencontre deux grands universitaires qui lui ont fait « acquérir le goût pour la finance nationale et internationale », dira-t-il plus tard : Gérard Marty, son directeur de thèse et Louis Trotabas, « son maître de finances publiques ». Pour financer ses études, il crée avec quelques amis une petite entreprise de consultants pour notaires spécialisée dans la rédaction de déclarations d’impôts.

Il obtient une bourse du Ministère des Affaires Etrangères pour passer deux années de « post graduate studies » à la London School of Economics and Political Sciences en 1948-49. En 1950, il soutient sa thèse de docteur d’Etat en Sciences Economiques dont le titre est : « Etude théorique de la translation et de l’incidence des impôts ». Il est, à 27 ans, le plus jeune des cinq agrégés de sciences économiques du concours de 1950. Ayant loué une chambre, pendant les épreuves, à l’hôtel des grands hommes, place du Panthéon, il y rencontre Raymond Barre, qui est reçu au même concours que lui.

Grâce à une bourse de recherche de la Fondation Rockfeller, il consacre deux années, de 1953 à 1955, à l’étude de l’économie monétaire et fiscale, comme « post graduate and research fellow » des départements d’économie des prestigieuses Universités d’Harvard et Princeton.

A 32 ans, Pierre Tabatoni est l’un des rares universitaires qui ait étudié l’économie à la fois en France, au Royaume Uni et aux Etats-Unis.
 

Sa carrière universitaire a alors déjà commencé. Elle se déroule à la fois en France et à l’étranger.

 

L’Université, c’est d’abord celle d’Alger, qu’il rejoint comme maître de conférence en 1950. On imagine son arrivée dans le port d’Alger que rappelait, non sans nostalgie, son ami le juriste Jean Dupuy, à l’occasion de la cérémonie de remise de son épée. Il est jeune. Il est beau. Il est brillant. Il va enseigner dans une université entourée d’un jardin exotique où de ravissantes étudiantes circulent parmi les bougainvilliers. Le monde lui appartient. Il noue à Alger des amitiés précieuses : outre Jean Dupuy, le constitutionnaliste Jean Boulouis, le juriste Michel Fabre, l’économiste Georges Henri Bousquet, exécuteur testamentaire de Pareto, et ami de Schumpeter. Dès ses premiers cours, sa culture, son sens de la pédagogie, sa capacité d’écoute et de dialogue, son humour rendent l’austère science économique accessible et séduisante pour tous ses étudiants.

Ses succès à Alger et ses études aux Etats-Unis sont le point de départ d’une carrière universitaire rapide dans des postes prestigieux et variés : en France, après Alger, Aix en Provence de 1952 à 1961 et Paris de 1961 à 1968, comme professeur d’économie, et Dauphine de 1968 à 1987 comme professeur d’économie financière et industrielle ; mais aussi en Suisse, au Centre d’Etudes Industrielles de Genève de 1960 à 1975, comme professeur associé, et l’été à l’European Institute for International Management de la Kellog à Burgenstock, de 1965 à 1985 ; et enfin aux Etats-Unis, à la Kellog School of Chicago-Evanston, l’une des plus célèbres business school du monde, comme, Distinguished Professor of International Strategy entre 1983 et 1992. Il effectue de multiples missions comme professeur visitant dans diverses universités et écoles en Europe, en Afrique, et en Amérique du Nord.

 

L’enseignement s’accompagne de responsabilités scientifiques.

 

Son passage à Harvard et les relations qu’il a nouées avec le Général Doriot, qui y a créé un enseignement original, l’ont convaincu de l’intérêt de recherches sur les sciences du management. Avec l’appui du directeur général de l’enseignement supérieur, Gaston Berger, il crée et dirige à Aix en Provence, de 1955 à 1961, le premier institut français d’administration des entreprises qui offre une formation de 3ème cycle à la fois à des étudiants et à des cadres d’entreprises, des programmes de formation à la recherche, et des séminaires spécialisés.

En 1963, il crée avec Alexandre Lamfalussy à Paris la Société Universitaire européenne de recherches financières, dont il est le secrétaire général de 1963 à 1966, et qui deviendra l’European Center for Studies on Money. La SUERF, qui rassemble des universitaires et des dirigeants d’institutions financières, a joué son rôle dans la prise de conscience de l’utilité d’une Union Monétaire.

De 1963 à 1973, il assure, avec François Perroux, la direction de l’Institut de Science Economique Appliquée, l’ISEA, et des revues « Economie Appliquée » et « Economie et Société ». Il est, de l’avis général, l’un des très rares — sinon le seul — chercheur qui soit parvenu à travailler aussi longtemps sur un pied d’égalité et sans drame apparent avec cet économiste génial, mais de fort caractère. Il dirige les savantes collections économiques des Presses Universitaires de France de 1965 à 1983 (SUP – l’économiste, économie contemporaine, systèmes et décisions).

En 1971, avec son ami Gaston Deurink, Président de la Fondation Université-Industrie de Belgique, il persuade Marshall Robinson, vice-président de la Fondation Ford, d’affecter un million de dollars à la création de l’Institut d’études supérieures en management à Bruxelles. C’est un grand réseau européen d’expertise multidisciplinaire, qui encadre des travaux de recherche et organise des échanges entre professeurs et chercheurs. Il rassemble 1.000 personnes aujourd’hui. Pierre Tabatoni en est le premier vice président de 1971 à 1980.

Après avoir mis en place l’Université Paris Dauphine en 1968, il y dirige, avec le sociologue Pierre Jarniou, un séminaire de 3ème cycle dont l’ouverture et la créativité sont inoubliables pour tous ceux qui y ont participé, et de 1971 à 1983, le centre de recherches sur les processus de management (CERPEM).

Il est nommé Senior Research Foundation Fellow à la Russell Sage Foundation de New York, en 1984-85. Il publie un article intitulé « les changements dans l’environnement des relations industrielles à la suite des chocs pétroliers de la décennie 1970 » qui devient une référence pour les étudiants de MBA.

En 1986 il crée à Bruxelles, avec Gaston Deurink, l’European Center for Strategic Management of Universities, financé par la Commission Européenne, où il fait de la recherche – action avec la conférence des recteurs européens, la CRE.
 

La création de l’IAE d’Aix a ouvert la voie du troisième axe de sa vie professionnelle : ses responsabilités administratives.

 

Dès les années 50, il devient en effet le spécialiste de l’enseignement des sciences de gestion des entreprises au Ministère de l’Education Nationale. Il participe à ce titre aux travaux du plan et de cercles de réflexion européens. Sa nomination au Club « Le Siècle », en 1962, lui permet de nouer des relations utiles dans les milieux économiques, administratifs et politiques. A partir de 1966, il est conseiller technique officieux, puis officiel du directeur général des enseignements supérieurs pour les études de gestion. Il participe activement au Comité consultatif des Universités (de 1966 à 1972), et aux débats interministériels qui débouchent sur la création de la Fondation Nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises, la FNEGE.

Lorsqu’il devient Ministre de l’Education Nationale, Edgar Faure, a l’idée provocatrice de centrer sur les études appliquées de gestion l’une des trois universités expérimentales qu’il crée au lendemain des évènements de mai 1968, celle de Dauphine. Il charge Pierre Tabatoni de sa réalisation. Nommé à l’été 1968 « administrateur pour l’organisation et le démarrage du centre universitaire de Dauphine », il assure la rentrée des étudiants dès janvier 1969.

En 1973, au moment où les Etats Unis sont affectés par l’échec vietnamien, le flottement du dollar et le Watergate, le Gouvernement lui demande d’aller occuper à New York le poste convoité de conseiller culturel auprès de l’Ambassade de France aux Etats-Unis. Grâce à ses relations avec les universités et les fondations américaines, et à sa passion pour la culture, sa mission est un succès. Son départ, en 1975, est vécu « comme une catastrophe pour la vie culturelle de la ville et la pérennisation des relations universitaires franco-américaines », comme l’a rappelé avec émotion, Yvette Mallet-Roumanteau qui dirigeait à l’époque le service audiovisuel.

Il revient à Paris pour créer — une fois de plus — une fonction nouvelle : celle de délégué général aux relations universitaires internationales au Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche qu’il occupe de 1975 à 1980. Il ajoute à cette responsabilité celle de directeur de cabinet du Ministre des Universités, Alice Saunié-Seïté à partir de 1976. L’objectif de l’équipe est alors clair pour la Ministre : « corriger les séquelles désastreuses des politiques universitaires improvisées depuis 1968 », « remettre les étudiants au travail » et « redorer le blason des enseignements supérieurs et de la recherche ». Il est pendant cette période, un intermédiaire irremplaçable entre cette femme de fort caractère, les universitaires et les équipes de Matignon et de l’Elysée. Il est nommé en 1980 Recteur de l’Académie de Paris et Chancelier des Universités. L’alternance politique écourte sa mission.

C’est ensuite au niveau international que Pierre Tabatoni exerce des responsabilités administratives. En 1989, son ami Jean Dupuy, est nommé Président de l’Université Internationale de langue française pour le développement africain créée à Alexandrie à la suite d’une décision de la Conférence des Chefs d’Etat des pays francophones. Il accepte pour deux ans le poste de recteur pour concevoir et lancer cette université. Il assure de 1990 à 2001 la présidence à Paris de « l’Institut Européen de l’éducation et des politiques sociales » créé à l’initiative de la fondation européenne de la culture d’Amsterdam : c’est un véritable réseau d’universitaires et d’experts européens qui publie le « Journal européen de l’éducation ».

Parallèlement à ses responsabilités scientifiques et administratives, Pierre Tabatoni crée et anime plusieurs institutions d’intérêt public dont je reparlerai. Il multiplie des missions d’expertise en France, dans les pays européens, aux Etats-Unis, pour l’OCDE, l’UNESCO, la Commission Européenne. Elles ont pour objet le développement économique, la gestion stratégique des organisations, notamment des entreprises et des universités, et l’évolution culturelle.

Une telle carrière a naturellement fait l’objet de nombreuses distinctions : décorations françaises et étrangères, et grades de docteur honoris causa dans diverses universités en Europe et au Japon.

L’œuvre de Pierre Tabatoni est considérable.

L’hommage qui lui a été rendu à l’Université Paris Dauphine le 30 novembre 2007 par des personnalités beaucoup plus qualifiées que moi en donne la mesure. Ce qui frappe dans son œuvre, qui est, comme lui-même, celle d’un économiste, c’est son esprit de synthèse, sa capacité à établir des relations, des ponts entre les expériences de différents pays, les recherches de différentes disciplines : c’est un véritable passeur.

Français, Pierre Tabatoni est aussi européen et citoyen du monde. Rares sont les universitaires de sa génération qui, comme lui, parlent couramment plusieurs langues vivantes tout en étant férus de latin et de grec, et qui ont appris l’espéranto – il en a obtenu le diplôme avec sa mère et son frère-.

Spécialiste des sciences économiques, il est convaincu de la nécessité des approches pluridisciplinaires : il sait que la science économique a besoin de modélisation et de mathématiques, mais aussi qu’elle ne peut faire abstraction des approches sociologiques, politiques, administratives et sociales.

C’est un penseur visionnaire et un véritable entrepreneur.
 

Un penseur visionnaire

 

Ses écrits en témoignent. Pierre Tabatoni a enrichi plusieurs grands problèmes de son temps d’une vision nouvelle. Dans les années 50, au temps de la reconstruction de l’économie après la guerre, il introduit dans notre pays l’économie financière publique et la science du management des organisations. Dans les années 80, quand la globalisation se développe, il apporte une contribution originale à l’analyse des marchés financiers. Au moment de la création de l’Euro, il procède à une analyse systématique de l’histoire monétaire de l’Europe. Et au début d’un XXIème siècle, lorsque l’accélération progrès scientifique fait rêver à une nouvelle économie, il élabore une théorie transdisciplinaire de l’innovation.
 

Au début des années 50, il joue un rôle essentiel dans l’introduction, en France, de l’économie financière publique.

 

A l’époque, la science des finances est traditionnellement une discipline à part entière, distincte de la science économique, tant à l’Université qu’aux Sciences Politiques.

Les recherches qu’il a effectuées pour sa thèse et ses études en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis ont convaincu Pierre Tabatoni que les finances publiques ont une l’influence directe sur le développement économique. Mais plutôt que de « prendre parti dans la querelle de l’intégration de la science des finances dans la science économique », il propose en 1954 une démarche conciliatrice dans un article de 120 pages de la Revue Economie appliquée consacré à « la rationalité économique des choix financiers dans la doctrine contemporaine des finances publiques ». C’est l’objet du manuel qu’il consacre à l’Economie financière en 1959 avec Hubert Brochier dans la fameuse collection Thémis.

Il se garde bien de désavouer les tenants de la tradition française d’une conception intégriste et autonomiste de la science des finances. Je le cite : « Le fait que c’est l’Etat, et non les individus, qui est le sujet de l’activité financière et de ses décisions, détermine une certaine spécificité du phénomène financier, par rapport au phénomène économique ». Et, dans l’introduction du Thémis, « Il n’est pas question de négliger les contraintes que la réalité fait peser sur toute décision financière, d’autant plus que l’histoire nous apprend avec quelle brutalité les réalités méconnues savent parfois se rappeler à l’attention des praticiens de la finance ».

Mais dans le Thémis, on trouve aussi que « le concept de l’autonomie du fait financier ne peut avoir aujourd’hui la même portée qu’à la période du libéralisme décentralisé, où la faible importance de la part économique de l’Etat était le meilleur garant de la fameuse neutralité fiscale… Les faits confirment l’intimité croissante des finances et de l’économie qui doivent mutuellement s’épauler dans toutes les phases de la conjoncture ». Les auteurs étudient ensuite la façon dont l’économie peut orienter les décisions financières, les effets économiques des prélèvements financiers, et la façon dont l’action combinée des prélèvements et des dépenses publiques commande la gestion du budget financier.

Ayant ainsi justifié la nécessité d’une synthèse, par l’économie financière publique, de la science des finances et de la science économique, Pierre Tabatoni et Hubert Brochier assignent à cette nouvelle science des décisions de l’Etat un objectif ambitieux : assurer la cohérence de l’activité financière de l’Etat avec son programme politique et économique.

Leur succès est rapide et durable. Il ne viendrait aujourd’hui à l’idée de personne de négliger les aspects économiques de toute décision relative aux finances publiques. [Lorsqu’il consacre, en 1986, un article de Commentaire à « la révolution fiscale aux Etats-Unis » de l’ère Reagan, Pierre Tabatoni reste cohérent avec ses analyses de jeunesse en concluant ; « Cette réforme revient, au moins dans ses principes, à une philosophie fiscale plus classique où l’impôt est avant tout une ressource, plutôt qu’un instrument de promotion économique et sociale »].
 

L’apport majeur de Pierre Tabatoni à la pensée économique, est incontestablement sa contribution à l’introduction d’une discipline scientifique nouvelle : la science des organisations, la science de gestion.

 

Dans ce domaine aussi, la France en est encore, dans les années 50, à la vision traditionnelle des processus de gestion de l’entreprise héritée de Fayol et de son ouvrage Administration industrielle et générale qui date de 1916. Après son passage à Harvard et le lancement de l’IAE d’Aix, Pierre Tabatoni est convaincu qu’une approche nouvelle est indispensable, à un moment où le développement des entreprises et leurs gains de productivité sont les clés de la croissance économique et du progrès social. Il fait prévaloir une approche pluridisciplinaire et dynamique de la firme et de son management en termes d’organisation et de processus stratégique.

Ses travaux font la synthèse de deux courants de pensée qui s’ignorent : les travaux américains de l’époque, qui posent l’entreprise comme une organisation sociale et étudient les conditions de ses modes de fonctionnement, et la tradition française d’économie hétérodoxe de Françoise Perroux. Il crée au sein de l’ISEA un Centre d’économie industrielle qui publie ses travaux de recherche dans une série de la Revue Economie et sociétés dédiée à l’économie de l’entreprise, de 1965 à 1973. Un numéro spécial de mars 1968, consacré aux stratégies d’entreprise, présente les résultats des recherches collectives qu’il a organisées pour la DGRST sur les contraintes stratégiques et leur perception par les entreprises. Il fait date dans l’histoire de la science du management des organisations en France.

L’ouvrage qu’il publie en 1975 avec le sociologue Pierre Jarniou aux PUF – Les systèmes de gestion : politiques et structures – est plus célèbre. Il est le fruit de leurs recherches dans le cadre du séminaire du 3ème cycle qu’ils ont co-dirigé de 1969 à 1973 à Dauphine. Leur ambition est d’analyser les processus de gestion des organisations, c’est à dire « des entités sociales qui rassemblent des personnes oeuvrant en commun en vue de réaliser certains objectifs ». Il ne concerne donc pas seulement l’entreprise, mais toutes les formes d’action collective.

Pour qu’une organisation atteigne ses objectifs, il faut que les dirigeants prennent des décisions et assurent leur mise en œuvre par des mesures coordonnées. Les processus de management sont ceux qui intéressent l’organisation dans son ensemble : ce sont ses stratégies, ses politiques et ses relations avec son environnement.

En analysant la façon dont le gestionnaire décide, fait réaliser et évalue les réalisations, les auteurs rompent avec la conception traditionnelle de l’analyse de la gestion de l’entreprise qui était centrée sur ses grandes fonctions. Ils établissent un nouveau paradigme des systèmes de gestion, qui concerne toutes les organisations : le triptyque « finalisation, organisation, animation ».

Le gestionnaire doit « finaliser » les actions de ses collaborateurs, c’est-à-dire définir leurs compétences, en particulier les buts qui leur sont assignés, ainsi que les contraintes qu’ils ont à respecter. Il doit « organiser » leur travail collectif, notamment en créant des sous-ensembles dont il définit les relations et auxquels il alloue des moyens. Enfin il doit « animer » l’activité, c’est-à-dire assurer la mobilisation de tous par des actions dites de contrôle social.

Au-delà de la création de ce triptyque qui est devenu l’un des éléments centraux de l’étude des organisations, Pierre Tabatoni et Pierre Jarniou procèdent à une analyse de la décision et du décideur. Toute décision est le choix d’une solution à un problème. Le décideur est à la fois un agent politique, un agent culturel, un agent de communication, et un agent d’innovation. Les auteurs s’efforcent de répondre à des questions fort délicates. Le décideur est-il rationnel ? Comment développer les méthodes rationnelles de décision ? Quelles sont les limites de la démarche rationnelle ? Quels sont les rapports que les organisations entretiennent avec leur environnement, avec la société dans son ensemble.

Dans la deuxième partie de l’ouvrage, les auteurs montrent que toute organisation est structurée par des composantes génétiques — son organisation du pouvoir, ses valeurs, sa culture — au même titre que par ses composantes fonctionnelles c’est à dire ses systèmes de finalisation, d’organisation et d’animation. Ses composantes historiques contribuent à modeler les unes et les autres.

Pierre Tabatoni et Pierre Jarniou ont l’ambition de proposer les bases scientifiques d’un management démocratique, capable d’organiser et de conduire le changement.

 

L’ouvrage consacré en 1988 à La dynamique financière par Pierre Tabatoni et sa femme Francine Roure, professeur de finance mathématique, relève d’une approche plus macroéconomique.

 

Les auteurs retracent en effet l’évolution du système financier mondial depuis le début des années 70. Ils analysent les facteurs qui se sont combinés pour favoriser l’innovation, et les transformations les plus significatives et les plus durables qui en ont résulté. Ils tirent les conséquences de la crise financière qu’a été le krach d’octobre 1987 en précisant : « aujourd’hui nous ne disposons pas encore d’une véritable théorie générale de l’économie financière, et c’est une des raisons essentielles, croyons-nous des insuffisances de nos systèmes de régulation ».

Les auteurs suggèrent que la distinction fréquemment faite entre économie réelle et économie financière n’est guère pertinente. Ils notent qu’exclure les services financiers du secteur productif est à peu près aussi absurde que de considérer, comme les physiocrates du XVIIIème siècle, que seule l’agriculture assurerait un « produit net », ensuite redistribué aux manufactures, aux commerces, aux administrations… « Les services financiers sont évidemment productifs » affirment-ils, « parce qu’il fournissent à l’économie les moyens de redistribuer les épargnes, les dettes, les liquidités et les risques, et qu’ils occupent ainsi un rôle central dans la dynamique économique ».

Cela ne les empêche pas de souligner que « l’harmonie des règles réelles et financières paraît grinçante, lorsque la finance s’exprime en bulles spéculatives qui explosent jusque dans la rue ». « La spéculation est en principe rationnelle » précisent-ils encore, « et la sanction des erreurs est sévère, mais elle n’est qu’un pari sur l’évolution de l’environnement, éclairé par l’analyse, l’expérience et aussi les bruits du milieu. Ses excès d’optimisme engendrent de vives réactions de sens contraire ; c’est toute l’histoire de la Bourse ».

« Les crises graves sont dues à la convergence de dysfonctions inhabituelles. Pour une part, certes, elles sont imputables aux imperfections du système de régulation propre au secteur financier lui-même, y compris sa réglementation. Mais elles sont dues aussi à la dégradation de la signification des politiques économiques qui affaiblissent, jusqu’à l’anomie, l’autorégulation qui est incluse dans les mécanismes ordinaires du marché ».

L’ouvrage analyse d’une manière rigoureuse les innovations principales et les facteurs technologiques, économiques, organisationnels qui les ont déterminées. Il met en évidence deux lignes de force : la mondialisation des marchés qui conduit à une véritable intégration de la sphère financière ; et la titrisation (qu’ils appellent titrification) des financements de l’économie qui élargit sans cesse la place des marchés par rapport à l’intermédiation bancaire classique. Leur analyse du développement des techniques de couverture des risques au service des entreprises est réaliste. Elle repose sur un soubassement mathématique rigoureux, mais présenté de façon accessible à la plupart des lecteurs.

Tout en regrettant les aberrations périodiques de la Bourse, les auteurs estiment qu’il n’existe pas d’autre système, décentralisé, de redistribution des capitaux risqués qui soit fondé sur des critères de coût et d’efficacité comparables et qui soit aussi largement ouvert aux différents agents économiques. Ils montrent comment l’innovation financière technique, organisationnelle et culturelle a permis avant tout de répondre aux besoins nés de l’importance prise par le financement des entreprises sous forme de titres négociables sur des marchés. Ils prennent le soin de souligner que toute nouveauté n’est pas une innovation durable, et même parfois n’est pas une nouveauté du tout, laissant à l’histoire le soin de faire le tri. « Il nous semble », concluent-ils, « que c’est moins l’innovation financière proprement dite qui est déséquilibrante que l’insuffisance d’innovation dans les systèmes de régulation ».

Leur diagnostic apparaît aujourd’hui prophétique.

 

En 1999, Pierre Tabatoni publie Mémoire des monnaies européennes du denier à l’euro.

 

Son intérêt pour les questions monétaires n’est pas nouveau. Il remonte à son étude des politiques monétaires et fiscales aux Etats-Unis de 1953 à 1955 et à ses articles dans la Revue économique de l’époque : « Note sur la Politique monétaire de stabilisation aux Etats-Unis depuis 1950 » en 1954, « la politique monétaire flexible aux Etats-Unis » en 1955, « le néoclassicisme monétaire aux Etats-Unis » en 1957.

Il n’est donc pas surprenant que la création de l’euro le conduise à un travail de mémoire sur la monnaie européenne.

Il montre d’abord comment les progrès de la monétisation ont accompagné et sans doute permis le décollage et la croissance économiques tout au long de l’histoire de l’Europe. Après le denier de Charlemagne, il étudie l’ouverture de nouvelles routes et de nouveaux réseaux par les expéditions commerciales à partir du Xème siècle ; le rôle des foires et des marchands-banquiers ; puis le circuit mondial des métaux précieux résultant de leur afflux en provenance du Nouveau Monde au XVIème siècle. Après l’économie- monde italienne, et l’activisme des marchands et des banquiers allemands du XIIè au XVIème siècle, il décrit la prééminence économique hollandaise au XVIIème siècle puis ce qu’il appelle l’exception anglaise et l’impasse française.

Dans la deuxième partie de l’ouvrage, consacrée à l’institution souveraine des monnaies, il montre comment se sont organisés les systèmes monétaires, ce qu’il appelle l’Europe de l’argent et l’empire de l’or. Il constate que la stabilité monétaire, objectif affiché du souverain, a été assez rarement assurée en Europe : la France a connu plus de périodes de désordres que de sursauts ; la stabilité du système anglais a été affectée par quelques grandes crises. La troisième partie intitulée « monnaie de banque et marché des monnaies » introduit le rôle des banques et du crédit dans l’analyse. Les deux dernières parties se situent de plain pied dans le monde contemporain avec une étude approfondie des politiques monétaires et des systèmes monétaires internationaux aux XIXème et XXème siècles.

L’ouvrage se termine, naturellement pour cet européen inconditionnel par une analyse très positive de l’intégration monétaire européenne, de l’écu à l’euro et sur un cri de foi : « une étoile est née ».

« Si l’on veut rechercher une leçon générale de cet apprentissage multiséculaire des phénomènes monétaires, à travers la complexité des initiatives et des erreurs commises », conclut-il, « c’est sans doute la notion de stabilité de la valeur de la monnaie qui apparaît comme son sceau de société ». « Notre histoire nous a appris que la stabilité des prix, l’absence d’anticipations inflationnistes …, sont nécessaires à une économie qui soit saine à long terme, et à une société de justice… La politique monétaire ne peut imposer la stabilité des prix et sa discipline à une collectivité qui n’en ressentirait pas l’exigence, et dont le leadership l’écarterait. La monnaie est un objet fondateur d’une société, qui s’établit dans la durée et dans ses normes culturelles ». Elle nécessite « la formation de l’esprit public ».
 

C’est à l’innovation que Pierre Tabatoni consacre son dernier grand livre en 2005.

 

Innovation, désordres, progrès est une œuvre d’économiste : c’est sous cet angle que la question est traitée. Mais Pierre Tabatoni est fidèle à l’approche pluridisciplinaire qu’il a toujours recommandée, [et il réalise une synthèse qui émerveille les spécialistes, comme le soulignait le sociologue Norbert Atler lors de l’hommage de Dauphine]. L’introduction place immédiatement le lecteur face aux paradoxes de l’innovation, génératrice à la fois de désordres et de progrès, mais aussi face à la relativité des concepts de désordres — car l’ordre est parfois bien contestable — et de progrès — les bouffées périodiques de misologie, de mépris pour les savants, en sont la preuve.

L’ouvrage est divisé en quatre parties qui font le tour du problème : processus, rythme, organisation, appropriation.

Il est logique de partir du processus, c’est-à-dire des pratiques qui engendrent, appliquent, diffusent les innovations à tous les niveaux, ainsi que de leurs effets sur l’évolution des systèmes concernés. Une sélection d’expériences et d’approches théoriques — en particulier l’apport de Schumpeter — permet de comprendre la complexité et les aléas des processus d’innovation ainsi que l’intérêt et les limites des modèles construits pour en rendre compte.

La deuxième partie, « rythmes », décrit l’accumulation des innovations au cours des trente dernières années, avec la révolution de l’information, la révolution biotechnologique, et les innovations financières. Elle montre les liens entre innovation, productivité et croissance à partir de comparaisons internationales, puis l’influence du rythme des innovations sur les cycles économiques et sur le développement à long terme.

Les développements consacrés à l’organisation sont, comme on pouvait s’y attendre, les plus originaux. La théorie des organisations est appliquée aux « modes d’organisation » de l’innovation. On retrouve les trois méthodes classiques de coordination des décisions : par le marché, c’est-à-dire par les prix ; par l’organisation hiérarchique, qui peut avoir bien des formes ; ou par l’auto-organisation. A partir de cette grille, Pierre Tabatoni passe au crible de la critique différents modes d’organisation de l’innovation à l’échelon national et au niveau de l’entreprise, ainsi que différents systèmes d’incitation à l’innovation, et d’organisation de la R et D.

La partie relative à l’appropriation est très instructive pour les lecteurs français, qui ont souvent la conviction que la diffusion des connaissances est d’intérêt collectif, parce que toute recherche a une « productivité sociale », et qui ont tendance à ignorer que l’appropriation privée de l’innovation est de plus en plus souvent de règle dans le monde. Après avoir recensé les différentes formes d’appropriation, Pierre Tabatoni se penche sur les doctrines de la propriété industrielle et sur la différence entre rendement privé et rendement social des brevets.

La conclusion confirme le caractère paradoxal du phénomène d’innovation dans tous ses aspects : l’innovation se développe sur la base de contradictions, qu’elle suscite en partie. Mais le concept de progrès est lui aussi paradoxal : difficile à utiliser, et encore plus à mesurer. L’innovation est de plus en plus encadrée par l’élargissement du champ des responsabilités, et le principe de précaution. L’entreprise est appelée au développement durable. Nos sociétés s’interrogent sur les relations entre progrès et bonheur car la corrélation entre croissance du PIB par tête et sentiment de bonheur ne fournit plus de belles images… Et de grands économistes travaillent à dresser des comptes nationaux du bonheur par enquêtes et modélisations.

L’innovation est l’une des réponses essentielles aux défis du XXIème siècle pour l’Europe : celui de la nouvelle répartition du travail qui résultera de la mondialisation, et celui de l’aspiration des européens au bonheur, plutôt qu’à la seule croissance économique. Pierre Tabatoni a procédé à l’étude de l’innovation, en 2005, comme il avait su le faire pour la productivité de l’entreprise au début de sa vie d’universitaire, lorsque celle-ci était l’une des réponses essentielles aux défis de la fin du XXème siècle pour la France : celui de la compétition résultant de la mise en œuvre du marché commun européen et celui de la croissance économique, pour assurer le progrès social.
 

Un entrepreneur schumpeterien

 

La curiosité intellectuelle de Pierre Tabatoni, son goût de l’innovation, l’ont conduit tout au long de sa vie à imaginer, à créer ou à transformer des organisations pour mettre en œuvre des idées nouvelles, pour lancer de nouvelles actions, pour faire progresser la société.
L’introduction et le développement des sciences de gestion au sein de l’université française resteront à cet égard l’une de ses traces majeures. Il s’est aussi engagé avec détermination au service de l’Europe des Universités et de la mondialisation.

 

L’introduction des sciences de gestion en France

 

Au lendemain de la guerre, la reconstruction de l’industrie est une priorité. Il faut notamment rattraper le retard accumulé, en termes de productivité, par rapport à une industrie américaine dont le développement a été accéléré par l’effort de guerre. L’Agence Européenne de Productivité, créée en 1953 par l’Organisation Européenne de Coopération Economique, l’OECE, l’ancêtre de l’actuelle OCDE identifie l’inadaptation de la formation des dirigeants et des cadres d’entreprise comme l’un des freins aux progrès recherchés. Développer des études modernes de gestion à l’université paraît a posteriori une solution évidente à ce problème. Mais cela ne se fera que par étapes. Et il faudra toute la ténacité de Pierre Tabatoni et de quelques autres pour l’imposer.

1) L’origine de son engagement ? Ses études aux Etats-Unis en 1954-55 bien sûr. Mais surtout sa curiosité intellectuelle. Il est à Harvard pour étudier les questions monétaires et financières à Littauer, le département d’économie situé à Cambridge. De l’autre côté du pont, à Boston, il y a la fameuse business school. La suite, je laisse Pierre Tabatoni lui-même la raconter : «Mes voisines de pallier étaient de très brillantes étudiantes de Radcliffe Collège, des philosophes, historiennes, artistes, anthropologues. Et la business school leur faisait corriger les copies de business policy. Elles ne jugeaient les copies que du point de vue de l’analyse problématique et de la qualité de la communication ». Pierre Tabatoni leur donne un coup de main. Et il prend l’habitude de fréquenter la business school, comme le lui avait suggéré Gaston Berger. « C’est comme cela que je suis passé », raconte-t-il, « presque sans désemparer, de l’analyse financière à la gestion financière, et à l’intérêt pour la gestion stratégique ».

2) Ancien industriel marseillais du secteur des engrais, professeur de philosophie, Gaston Berger est le Directeur Général des enseignements supérieurs de 1953 à 1960. Il estime que l’université est seule susceptible d’assurer l’évolution à long terme des études de gestion en raison de sa pluridisciplinarité et de son autonomie scientifique. Il a déjà créé un certificat d’aptitude aux enseignements de gestion. Il aide Pierre Tabatoni, à son retour des Etats Unis, à créer en quatre mois à Aix en Provence un Institut d’Administration des Entreprises. C’est une innovation scientifique mais aussi institutionnelle et pédagogique.

Une innovation scientifique : pour la première fois, la spécificité de l’enseignement de la gestion des entreprises est reconnue par l’Université.

Une innovation institutionnelle : l’Institut est rattaché à quatre facultés, et a une large autonomie ; il bénéficie d’un financement exceptionnel du Commissariat général à la productivité et du soutien d’entreprises privées.

Une innovation pédagogique enfin : l’utilisation de méthodes actives, non directives, par petits groupes ; des enseignements multidisciplinaires, incluant probabilité, recherche opérationnelle, sondages statistiques, psychosociologie ; de jeunes enseignants et des étudiants venant d’horizons divers.

Dès 1956 l’IAE d’Aix lance une action de formation permanente. Pour la première fois, une formation de 3ème cycle est offerte à la fois à des étudiants et à des cadres d’entreprise. Elle s’accompagne de programmes de formation à la recherche et de séminaires spécialisés.

Pierre Tabatoni s’attache à promouvoir ailleurs cette formule expérimentale. Il fonde une association nationale des directeurs d’instituts et centres universitaires d’administration des entreprises ; il en est le premier secrétaire général de 1955 à 1958. Plus d’une vingtaine d’IAE ont depuis lors été mis en place. Pierre Tabatoni crée aussi à Bruxelles en 1955 l’association européenne des centres de formation à la direction des entreprises qui deviendra par la suite la Fondation européenne pour le management. Il en est le premier président pendant 3 ans.

3) Lorsqu’il quitte Aix pour Paris en 1961, il continue à s’intéresser à la formation au management. Il participe à un important groupe de travail constitué par l’Agence Européenne pour la Productivité pour étudier les problèmes de la formation et du perfectionnement à l’administration des entreprises en Europe. Ce groupe recommande le développement de la recherche universitaire, la collaboration entre université et industrie, une adaptabilité transformatrice des programmes et de la pédagogie.

Ces réflexions influencent les travaux de la Commission de la productivité du IVème Plan dont les propositions conduisent à la création en mai 1968 de la Fondation Nationale pour l’Enseignement de la Gestion des Entreprises. L’objectif de la FNEGE est « de développer la connaissance des méthodes d’administration et de gestion des entreprises et de favoriser la formation des cadres occupant des emplois de responsabilité ». C’est Pierre Tabatoni qui réussit à convaincre le patronat et l’administration, en particulier Michel Debré, alors Ministre des Finances, de rassembler toutes les parties prenantes pour répondre au défi de la modernisation de l’enseignement de gestion.

Chacun a sur ce sujet ses idées. Les patrons sont attachés aux écoles de commerce, et veulent moderniser la gestion des entreprises par des techniques nouvelles et plus efficaces ; les hauts fonctionnaires cherchent à adapter les formations à la demande fortement croissante de cadres et de dirigeants ; quant aux universitaires, ils voudraient introduire dans les Universités un enseignement spécifique de gestion s’inspirant du modèle américain.

La FNEGE tient son premier conseil d’administration le 16 mai 1968 avec Pierre Tabatoni comme secrétaire général. En désaccord avec le Président, il démissionne le jour même. Il revient au conseil deux ans plus tard. Ses idées finiront par triompher. La FNEGE s’intéressera à la formation des formateurs de gestion, à la formation des cadres supérieurs et des dirigeants des entreprises et au rapprochement entre université et industrie. Elle financera la formation de centaines d’étudiants français en Amérique du Nord et favorisera la diffusion en France des méthodes américaines de management.

4) Dès le mois d’août 1968, Pierre Tabatoni s’engage dans une nouvelle aventure : la création de l’Université Paris-Dauphine.

En juillet 1968, Edgar Faure décide de diviser l’Université de Paris en treize entités et de créer trois Universités expérimentales ouvertes sur les problèmes de changement dans la société, à Vincennes, Lumigny et Dauphine. Deux de nos confrères – Gérald Antoine et Pierre Boiteux – ont raconté à l’occasion de l’hommage de Dauphine, comme témoins, la naissance de deux idées géniales du ministre : conférer une dominante économique et une ouverture sur la vie des entreprises à l’université qu’il a décidé d’installer dans l’ancien siège de l’OTAN ; et confier à EDF la mission de transformer ce siège en établissement d’enseignement. Inconcevable aujourd’hui. Quatre mois après, le 1er novembre 1968, les travaux sont achevés. « Le train marchait » conclut Marcel Boiteux, « A Pierre Tabatoni de s’occuper des voyageurs… ce qui n’était pas une mince affaire ».

Pas une mince affaire en effet, car le projet est très ambitieux sur le plan scientifique. Il s’agit de mettre en place une Université consacrée aux « sciences de la décision et de l’organisation », avec une approche pluridisciplinaire. On va enseigner des disciplines jugées complémentaires, allant du juridique aux statistiques en passant par politique, sociologie et psychosociologie. Trois départements sont créés : « économie, gestion, et mathématiques de la décision » — qui va se développer grâce aux initiatives de Francine Roure et à la notoriété de son corps professoral — deux de ses professeurs ont reçu une médaille Field. Pierre Tabatoni ouvre immédiatement, en même temps que le 1er cycle, un 3ème cycle de recherche, avec une large ouverture internationale.

Le défi le plus important est humain et politique. On est en septembre 1968. Les leaders de la « révolution de mai » viennent d’affirmer « leur volonté que l’étude du marxisme et la critique du capitalisme soient désormais la colonne vertébrale de l’enseignement de l’économie en France ». Pierre Tabatoni fait un pari : il considère que les meneurs de mai 68 seront moins dangereux pour le démarrage de Dauphine à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il en recrute plusieurs comme assistants en économie et sociologie et prépare avec eux ses programmes de sciences de gestion.

A l’issue de débats que Pierre Tabatoni lui-même qualifie de « souvent passionnés, conflictuels et turbulents », l’esprit du projet de Dauphine est respecté, « mais en approfondissant l’étude des relations entre économie et société ».

Pierre Tabatoni rend compte de sa mission le 10 janvier 1969 : la rentrée est terminée et 6 300 étudiants sont dans les locaux ; le corps enseignant a été recruté avec 12 professeurs, 20 maîtres-assistants et 90 assistants. Sa santé ne lui permet pas de rester aux commandes. Mais le navire a quitté le port, avec un équipage au complet. Et le cap est bon.

Pierre Tabatoni poursuit son œuvre, à Dauphine, au sein de son centre de recherches sur les processus de management jusqu’en 1987.

Plus tard, lorsqu’il occupe au Ministère d’importantes fonctions, il continue de veiller sur Dauphine : pour l’octroi de crédits ou de postes et pour des accords avec des universités étrangères. Il est là, aussi, pour fermer les yeux de l’administration lorsque le Conseil de l’Université décide en avril 1979 d’instaurer une sélection sur dossier à l’entrée de son 1er cycle ou pour aider à une intervention maîtrisée de la police afin d’évacuer la faune qui occupait depuis des années le hall d’entrée et les sous-sols et pour rétablir les examens.

5) Sa position au ministère lui permet aussi de parachever sa construction de l’enseignement des sciences de gestion dans notre pays. En 1970 il fait créer les maîtrises de gestion et de mathématiques appliquées aux sciences sociales (où la physique est remplacée par de l’économie et de la gestion) En 1974, il rédige le projet d’agrégation de sciences de gestion ; et le concours autonome est créé en 1976. Pierre Tabatoni est bien le père de l’enseignement des sciences de gestion à l’Université dans notre pays.

 

L’Europe des Universités

 

Dès le début de sa vie professionnelle, Pierre Tabatoni a été un partisan déterminé de la construction européenne. J’ai évoqué son engagement pour l’Europe monétaire et l’Europe du management des entreprises. Mais son action essentielle concerne l’Europe des Universités.

Comme le rappelait Jean-Claude Casanova dans son allocution à la messe célébrée à sa mémoire, il a voulu sans cesse, tout au long de sa vie, faire progresser les Universités en les modernisant sans renier l’héritage de leur passé.

1) Il appartient en effet, avec le regretté Raymond Barre, et nombre de nos confrères, Jean-Claude Casanova et Roland Drago notamment, à cette génération d’universitaires qui rêvent d’une réforme de l’Université à partir de la fin des années 50. Ils désespèrent un peu face à l’immobilisme relatif qui s’installe après la rupture de mai 1968, l’alternance politique de 1981, l’échec du projet de 1987, et la montée d’une contestation étudiante quasi-permanente qui s’oppose depuis lors à tout projet de réforme significative.

2) Alors Pierre Tabatoni se mobilise pour promouvoir dans les Universités, au niveau européen, les principes de management des organisations qui ont permis la modernisation des entreprises. Il crée en 1986 avec Gaston Deurink à Bruxelles le Centre Européen pour le Management Stratégique des Universités, que finance la Commission Européenne, et qui coopère avec la conférence des recteurs européens. Il en est, comme administrateur délégué aux relations universitaires, l’animateur stratégique de 1986 à 1994. Cette association scientifique internationale organise séminaires, études et conférences sur les politiques universitaires et fait de la recherche action avec la conférence des recteurs européens. La Commission lui confie la gestion du programme Comett pour le renforcement de la coopération industrie – université, et du programme Socratès (avec l’Association de Coopération Académique) pour les échanges d’étudiants dans l’Union Européenne.

Il participe activement au lancement du programme public d’évaluation institutionnelle des Universités proposé par la CRE en 1994-1995 et réalise, avec Andris Barblan, le secrétaire général de cette conférence, en 1998, plusieurs guides, dont un consacré aux « principes et politiques du management stratégique pour l’Université ». C’est d’un véritable programme d’action pour la réforme des Universités qu’il s’agit. Il conçoit « le management stratégique » comme une manière de piloter l’action collective nécessaire pour développer l’esprit de changement et de qualité dans l’Université et dans la société.

3) C’est que Pierre Tabatoni a bien compris à quels défis majeurs vont être confrontés les Universités au XXIème siècle. Il les énumère dans sa lecture sur « une éducation pour le XXIème siècle » à l’ASMP en 1997 : accorder autant d’intérêt à la formation continue des adultes qu’à la formation des jeunes et consacrer aussi, dans les diplômes, l’expérience acquise ; tenir compte de l’environnement plus compétitif et de la mobilité croissante des professeurs et étudiants ; être plus attentif à la qualité des services et du cadre de travail et de vie ; maîtriser les nouvelles technologies de l’information, qui rendront portable l’acte d’apprendre, aujourd’hui quérable ; apprendre à s’adapter à des changements rapides et imprévisibles sans crises incontrôlables.

Dans un colloque international organisé en octobre 2002, à Lyon, Pierre Tabatoni affirme ses convictions dans son exposé sur « l’Université, creuset de l’innovation ? » Pour lui, l’Université est, dans la société, le plus puissant milieu de pensée méthodique et critique, de liberté, d’ouverture, de tolérance et de communication : elle rassemble tous les ferments de la créativité. Elle est au premier plan de la recherche fondamentale libre, et elle est aussi engagée dans la recherche appliquée. Elle s’assure de nombreux réseaux, qui permettent la pluridisciplinarité. Elle ne forme pas les esprits seulement à la connaissance ; elle les exerce aussi à l’autonomie dans l’acquisition et l’application du savoir, ce qui les entraîne à la créativité.

Pierre Tabatoni, l’entrepreneur, n’a jamais cessé de proposer un chemin aux Universités européennes pour être le fer de lance de l’innovation. Mais l’Europe de la culture n’est aujourd’hui encore qu’une belle idée.

 

Les relations transatlantiques et la mondialisation

 

Sa culture et sa formation font de Pierre Tabatoni l’avocat du développement des relations transatlantiques et de la mondialisation.

1) Pierre Tabatoni est un acteur engagé du développement d’une relation privilégiée entre l’Europe et les Etats-Unis. Ses nombreux séjours aux Etats-Unis l’en ont convaincu : l’Europe a beaucoup à apprendre de l’expérience américaine, et les Etats-unis ont besoin de comprendre l’Europe, pour l’accepter comme un partenaire à part entière.

Ce sont des séminaires sur « les stratégies industrielles et financières dans l’intégration européenne » qu’il anime de 1983 à 1992 à la Kellog Graduate School of management à Chicago. Il prépare ses étudiants, fort sceptiques, à l’avènement prochain de l’intégration financière européenne et de la monnaie unique.

Dans le cadre de la Conférence des Recteurs Européens, il joue un rôle clé dans un dialogue poursuivi pendant trois ans, entre dirigeants d’Universités européennes et nord américaines, sur les conditions du renouveau académique dans un monde où l’Université a perdu ses monopoles d’enseignement et de recherche. Tout au long de sa vie, il utilise ses relations avec les grandes Fondations américaines pour établir des échanges avec les différentes institutions qu’il crée ou dirige, pour organiser des stages de formation aux Etats-Unis, au profit d’étudiants et d’enseignants européens.

Symbole de son engagement, il entretient pendant quatre décennies une relation d’amitié avec Donald Jacobs, le doyen émérite de la Kellog School of Management. Il lui refuse cependant en 1975 de devenir le doyen de cette école, préférant être disponible pour ses missions au Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Pendant 20 ans, de 1965 à 1985, il anime avec lui chaque année à Burgenstock en Suisse, à l’European Institute for International Management, un séminaire « Politiques économiques et financières internationales » pour des cadres internationaux. Lors de la cérémonie de Dauphine, Donald Jacobs concluait sa très émouvante intervention en affirmant : « Il y avait un maître parmi nous, et ce maître, c’était Pierre Tabatoni ».

Son regard vis-à-vis de l’Amérique n’a jamais cessé de rester à la fois admiratif et critique : compréhensif. C’est ce qui transparaît dans l’Analyse de la crise de 2000-2002 au coeur de la nouvelle économie, à laquelle il consacre une tribune à l’ASMP, tout comme dans La crise du modèle d’innovation aux Etats-Unis qu’il publie aux cahiers du CERPEM et où il n’hésite pas à souligner, à côté de ses forces, les faiblesses de la nouvelle économie américaine.

2) Européen convaincu et ami de l’Amérique, Pierre Tabatoni ne pouvait qu’être favorable au développement de l’économie de marché et de la mondialisation qui en est le corollaire. Bien sûr avec la mesure, et l’esprit critique qui le caractérisent.

Toutes ses réflexions dans le domaine des sciences de gestion s’inscrivent dans le cadre de l’économie décentralisée. Mais comme les français de sa génération, il recourt sans hésiter au concept de planification, et fait toujours grand cas des normes, qu’il considère comme des contraintes stratégiques : il légitime ainsi l’intervention de l’Etat. Dans ses réflexions sur l’innovation, il cherche un juste équilibre entre loi du marché et intérêt général.
Aussi est-il un partisan d’une mondialisation raisonnée. Il voit bien que les obstacles aux échanges sont, pour les entreprises, des obstacles au progrès. Son intervention aux 17èmes journées nationales des IAE, le 13 septembre 2004, est intitulée : « Espace européen et espace mondial : un défi pour l’entreprise ». Il y souligne que « la mondialisation d’aujourd’hui n’est que la poursuite de l’internationalisation des économies nationales qui a commencé depuis très longtemps ».

Mais on retrouve ici aussi son sens de la mesure, du relatif, de l’équilibre pourrait-on dire. L’une de ses conférences est intitulée, en 1998, « la mondialisation : idée juste, idée fausse, idée vague ? ». Et lorsqu’il livre quelques réflexions sur les négociations de l’Uruguay Round, dans les années 80, il les intitule : pour un « GATT bien tempéré ».

Ce souci d’équilibre ne le conduit néanmoins pas à une tiédeur dans les convictions. Il est favorable à la mondialisation parce qu’elle est un gage de paix, de sécurité, et de prospérité pour l’humanité. C’est le sens de sa fidélité aux conférences annuelles de l’Académie de la paix et de la sécurité internationale de Monaco [où il traite de sujets aussi vastes que « Crises monétaires et crises de société » en 1999 ; «  éguler la mondialisation : utopie de la sécurité collective économique » en 2001, ou encore « l’économie du terrorisme après les attentats du 11 septembre 2001 » et « l’économie dominante américaine est-elle contestable ? » en 2003].

On ne peut s’étonner que cet esprit curieux indépendant, attaché aux libertés et féru d’innovation se soit mobilisé pour appréhender les problèmes que va poser au monde la révolution des technologies de l’information.

C’est une question qu’il se pose d’abord très tôt comme économiste. L’étude des implications des nouvelles technologies a toute sa place dans ses ouvrages sur La dynamique financière, et Innovation, désordre et progrès, en 2005.

Très actif au sein de notre section, comme le rappelait le Président Yvon Gattaz à l’occasion de la messe célébrée à sa mémoire, Pierre Tabatoni anime et coordonne à l’Académie les travaux d’un groupe de réflexion sur La protection de la vie privée dans la société d’information – l’impact des systèmes électroniques d’information. Ces travaux sont publiés dans les premiers cahiers de notre revue : « Sciences Morales et Politiques ». Dans l’introduction de cet ouvrage préfacé par notre confrère Jean Cluzel et évoqué par notre confrère François Terré lors de l’hommage de Dauphine, il montre combien la notion de vie privée et ses pratiques sont complexes. Dans les chapitres qu’il rédige sur les stratégies des marchés de l’information, et sur les défis d’internet à la protection de la vie privée en Europe et aux Etats-Unis, il constate que nos connaissances sur l’efficacité des différents systèmes de protection sont encore limitées, et il conclut que sur un tel sujet, qui concerne à l’évidence l’ensemble de la planète, il serait bien utile qu’américains et européens parviennent à un accord.

 

Telle a été la carrière, telle a été l’œuvre de Pierre Tabatoni. Une carrière, une œuvre si riches et si foisonnantes qu’elles auraient pu occuper plusieurs vies. La carrière, l’œuvre, d’un universitaire, d’un penseur visionnaire et d’un véritable entrepreneur schumpeterien. Il est tout au long de sa vie resté fidèle à la mission de l’Université telle qu’il l’avait définie, et telle qu’elle figure, gravée, sur la plaque de la bibliothèque de Dauphine qui lui doit tant, la bibliothèque Pierre Tabatoni : « La mission culturelle de l’Université est de donner du sens, de la cohérence et des perspectives aux évènements ; elle doit exercer les esprits à la vérité, à la discussion et à la tolérance ».

Sa vie et son œuvre sont marquées par la volonté de concevoir des passages entre les cultures, entre les pays, entre les disciplines, entre les hommes, entre la pensée et l’action. Ce sont ces passages qui portent la capacité créatrice, anticipatrice, de l’action collective orientée vers la finalité du progrès.

Lui, le méditerranéen, le marin, pétri de culture hellénique, qui a fait de la petite ville de Bandol son port d’attache, a compris ce que la pensée et les pratiques américaines pouvaient apporter à l’économie financière et aux sciences de gestion.

Lui, l’agrégé de sciences économiques a compris que c’est de l’entreprise que la 2ème partie du XXème siècle avait besoin, et que les problèmes de son développement nécessitaient une réflexion pluridisciplinaire, une science nouvelle, enseignée selon de nouvelles modalités.

Lui, le mandarin héritier de l’Université souveraine, a cherché à concevoir l’Université du futur, l’Université du XXIème siècle, et en a construit une à Dauphine.

Cet individualiste amoureux de voile, toujours soucieux de créer des espaces de liberté — de pensée et dans la pensée — dans les organisations, pour l’innovation, a su développer une conception systémique, pluridisciplinaire, des organisations, et un management stratégique adapté aux défis qui leur sont lancés par les transformations économiques, technologiques, sociales et humaines d’un monde bouleversé par les innovations et par la globalisation.

Il a une vision moderne des relations entre la France et le monde, entre l’Université et l’entreprise, entre la connaissance et la pratique.

Le secret du succès de cet extraordinaire « passeur », qui a été innovateur par son art du passage, ce sont ses qualités.

L’intelligence et la curiosité d’abord, en permanence en éveil. La curiosité des autres, de leurs idées, de leur culture, de leurs actions. Une intelligence fondée sur une permanente ouverture, sur une capacité d’écoute sans a priori, sans limite, sur une profonde finesse et sur un esprit de tolérance.

La passion d’échanger pour comprendre et non pour dominer, pour donner plus que pour recevoir, la pédagogie aussi et l’humour, toujours respectueux de l’autre, dans l’échange.
Le souci d’entreprendre enfin, d’affronter avec passion et sans préjugé les défis du futur, de promouvoir le changement pour le progrès, en l’ancrant profondément dans l’histoire, dans la culture.

Le dernier grand ouvrage de Pierre Tabatoni consacré à l’Innovation, désordres et progrès s’ouvre en exergue sur un dialogue entre deux Titans : le pro-actif et créatif Prométhée, et son frère, le prudent Epiméthée. « Prométhée », dit Pierre Tabatoni, « sait bien ce que sont les dieux grecs, à l’image de l’homme. Ils ont leurs pouvoir et arbitraire, leur hubris, leurs domaines et leurs humains favoris, leurs rites particuliers, leurs défis et dénis. C’est toujours à lui de prévoir et d’engendrer l’espérance ». Dans la tradition de Prométhée, Pierre Tabatoni a consacré sa vie à prévoir et engendrer l’espérance.