Des académiciens en Sorbonne …

avec Jean-David Lévitte

Mardi 28 septembre 2021
Des Académiciens en Sorbonne
Grand Amphithéâtre de la Sorbonne

La transformation géopolique du monde depuis le 11 septembre 2001

Jean-David Lévitte 
Ambassadeur de France
Membre de l’Académie des sciences morales et politiques

Mardi 28 septembre, dans le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne, Christophe Kerrero, recteur de l’Académie de Paris – Académie régionale Île-de-France, a ouvert la seconde édition du cycle « Des Académiciens en Sorbonne » que Jean-Robert Pitte, Secrétaire perpétuel de l’Académie, et lui ont conçu il y a un an, sur le principe suivant : inviter des classes des académies de Paris, Créteil et Versailles et leurs professeurs à une conférence-débat avec un académicien sur un thème inscrit à leur programme.  La veille, un communiqué de presse commun a été diffusé pour faire connaître cette action aux journalistes et aux membres de la communauté éducative qu’elle est susceptible d’intéresser, soit en y assistant, soit en utilisant les ressources mises à leur disposition.

Photos : © Rectorat de Paris – Sylvain Lhermie

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Brève conversation avec Jean-David Lévitte
Enregistrement de la séance

En ce mardi 28 septembre,  Jean-David Lévitte avait choisi de traiter de la transformation géopolitique du monde depuis le 11 septembre 2001, en résonance avec la question inscrite au programme d’histoire de Terminale, « Le Monde, l’Europe et la France depuis les années 1999, entre coopérations et conflits », traitée à travers l’étude des « Nouveaux rapports de puissance et enjeux mondiaux » qui vise à éclairer les tensions d’un monde devenu multipolaire en analysant le jeu et la hiérarchie des puissances pour mettre au jour les conditions et les enjeux de la coopération internationale.  Le sujet de la conférence de M. Lévitte  était également lié à la question des nouvelles formes de conflits, au programme  de terminale de la spécialité Histoire, Géographie, Géopolitique et Sciences politiques.

Pour écouter Jean-David Lévitte, le public réuni dans le Grand Amphithéâtre  était composé, pour l’Académie de Créteil, d’élèves du Lycée Etienne Bezout de Nemours et du Lycée international François 1er de Fontainebleau, pour l’Académie de Versailles d’élèves du Lycée Jeanne d’Albret de Saint-Germain-en-Laye et du Lycée Jules Ferry de Versailles, et pour l’Académie de Paris, de classes provenant des Lycées Charlemagne, Dorian et Duruy. Soit 340 lycéens de 1ère et de Terminale venus avec leurs professeurs et, pour certains, avec le proviseur de leur établissement. Etaient également présents Marianne Bastid-Bruguière, membre de l’Académie des sciences morales et politiques et sinologue et Daniel Jouanneau, ambassadeur.

La conférence de Jean-David Levitte s’est articulée en deux parties :

Dans une première partie, centrée sur la date pivot du 11 septembre 2001, il a retracé la journée du 11 septembre telle qu’il l’a vécue dans son bureau au 44ème étage d’une tour située à quelques minutes du siège des Nations unies à New York et le travail diplomatique auquel il s’est livré le jour même  en prenant l’initiative de rédiger un court projet de résolution en concertation avec la mission américaine auprès de l’ONU puis de le soumettre aux autres membres du Conseil de sécurité : cette résolution 1368, adoptée à l’unanimité le 12 septembre, fut suivie d’un projet de résolution 1373 lui aussi adopté à l’unanimité le 28 septembre. Par ces deux textes, la communauté internationale, sous l’impulsion de la France, s’était dotée d’une stratégie ambitieuse et cohérente mise en oeuvre par le Conseil de sécurité. Elle avait permis d’éviter que les Etats-Unis n’agissent seuls et obtenu qu’il retournent dans le jeu collectif pour lancer l’opération « Enduring Freedom ». Ce ne fut pas le cas par la suite lorsque, devenu ambassadeur de France aux Etats-Unis en décembre 2002, M. Lévitte a vécu l’évolution profonde de la position américaine : en mars 2003, sous la pression des dirigeants néo-conservateurs auprès du président Bush fils, les Etats-Unis décidèrent de s’engager dans la guerre en Irak sans justification et sans résolution du Conseil de sécurité de l’ONU les y autorisant.  Avec les suites que l’on connaît en Irak et en Syrie et, en 2021, le retrait des troupes américaines d’Irak et d’Afghanistan.  Ce retrait, amorcé sous la présidence Obama, s’est accéléré avec le président Trump qui considère le multilatéralisme et les organisations internationales comme autant d’entraves à sa politique de puissance, laquelle se tourne à présent vers l’Asie pour contrer la fulgurante ascension de la Chine. Un cycle s’achève, donc, vingt ans après le 11 septembre 2001.

Dans une seconde partie, Jean-David Lévitte a « dézoomé » selon ses propres termes pour retracer, sur le long cours à partir des grandes découvertes au XVIe siècle, cinq siècles d’histoire qui ont consacré l’expansion et la domination du modèle occidental – chaque siècle signant la puissance internationale d’un pays, l’Espagne et le  Portugal au temps des grandes découvertes, puis la France,  l’Angleterre  et enfin au XXe siècle, les Etats-Unis – avant de resserrer la focale sur les quatre dernières décennies : jusqu’au XXe siècle, l’Europe a dominé le monde mais elle a commis  un double suicide collectif dont elle est à l’origine avec les deux guerres mondiales.  En 1945, un autre monde a émergé, avec la construction d’organisations internationales (l’ONU, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international) qui ont toutes pour particularité d’être basées aux Etats-Unis dans un monde cassé en son milieu par la guerre froide et où l’Europe est également cassée en son milieu par le rideau de fer. Et puis, l’histoire s’est remise en marche et, depuis, tous les dix ou douze ans, on change de monde.

De quand date cette remise en marche de l’histoire ?
De 1979. Le 11 février 1979, au début d’une année qui va transformer le monde, le Chah perd le pouvoir en Iran et la révolution islamique de Khomeiny s’affirme comme la protectrice des Chiites partout dans le monde, au-delà du Moyen-Orient, entraînant les conséquences que l’on sait au Liban et en Irak et jusqu’en Syrie. En 1979 également, la Chine voit l’accession au poste de numéro 1 de Deng Xiao Ping, l’architecte en chef de la réforme économique et de l’ouverture : c’est une transformaion sans précédent dans l’histoire de l’humanité à l’échelle d’un paysde 1, 4 milliard d’habitants et dont la communauté internationale ne prend pas tout de suite la mesure. L’année 1979 se termine avec l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS et le recul des Etats-Unis, le président Carter étant confronté à la crise de la libération des otages en Iran.
Dix ans après, le 9 novembre 1989 voit la destruction du mur de Berlin, puis la dissolution de l’Union Soviétique le 8 décembre 1991 : la décennie 1990-2001 correspond au pic de l’hyperpuissance américaine sur le plan économique, technologique, politique et militaire et voit aussi la transformation de l’Europe en  un ensemble peuplé de 500 millions d’habitants et progressivement constitué de 15, puis 28 pays. C’est la troisième mondialisation, celle de la globalisation avec l’ouverture des frontières, y compris de la Chine – « atelier du monde » – et de la Russie, accélérée par l’internet et le porte-conteneurs qui crée les « chaînes de valeur » (on produit là où c’est le moins cher et on transporte partout les marchandises en permanence).
Le 11 septembre 2001 est le pivot d’une nouvelle décennie avec la guerre en Irak lancée en 2003 et ses suites désastreuses qui ont prouvé les limites militaires et politiques des Etats-Unis. S’y ajoute la crise financière de 2007-2008.  Les pays occidentaux découvrent qu’ils avaient l’illusion que l’économie de marché allait entraîner nécessairement la démocratie et l’occidentalisation des valeurs dans des pays qui – Chine, Russie, Brésil, Inde, Turquie… – disent non à l’occidentalisation du monde et affirment leur rêve de revenir à leurs valeurs ancestrales, voire à leur ancien statut d’Empire.

En l’espace de 50 ans, nous sommes passés d’un monde bipolaire à un monde unipolaire puis multipolaire aux règles du jeu contestées, qui résulte de l’évolution des Etats-Unis après deux guerres ratées. Des progrès se font jour en matière de jeu collectif (l’accord sur le climat et l’accord sur le nucléaire iranien en témoignent) tandis que l’Amérique pivote vers l’Asie ; car un autre lion arrive : la Chine, qui se pense comme « la civilisation sous le ciel » et qui affirme sa vision du monde de puissance suzeraine : toute les routes de la Soie doivent conduire à Pékin. Une nouvelle guerre froide s’amorce avec des organisations internationales affaiblies par les divisions entre les pays alors qu’on aurait que plus jamais besoin d’elles pour affronter la crise du Covid et celle du climat. Face à cette Chine impérieuse et conquérante,  l’Amérique de Biden veut rassembler tous les pays qui partagent ses valeurs, de l’Alliance Atlantique à l’Indo-Pacifique, et conserver le leadership sur le plan de l’innovation technologique.

La situation exige, selon Jean-David  Lévitte que l’Union européenne prenne ses responsabilités dans la préservation d’un ordre mondial fondé sur ses valeurs. Et il conclut sur un message fort adressé aux élèves : « La réponse vous appartiendra ». L’Europe, qui a réussi à se construire sur les ruines de la Seconde guerre mondiale, est devenue un marché intégré de 500 millions de personnes et un « empire des normes » à même de faire respecter ses règles commerciales, mais elle est dépourvue des attributs de la puissance. Si elle veut continuer à faire la promotion des valeurs qu’elle incarne, il lui faut se doter des instruments de la puissance. C’est toute la question : l’Europe sera-t-elle le terrain de jeu de cette nouvelle guerre froide ou parviendra-t-elle à émerger à côté des grandes puissances ?

Après la conférence, durant une heure, Jean-David Lévitte a répondu aux questions posées par les élèves : Comment estimer aujourd’hui les forces et les faiblesses respectives des Etats-Unis et de la Chine ? A quoi ressemblerait le monde aujourd’hui si la Chine avait pris la mer et découvert l’Amérique au XVIe siècle ? La crise du Covid a-t-elle remis en question le modèle capitaliste que nous connaissons ? Selon quel modèle l’Europe pourrait-elle évoluer et s’affirmer comme une puissance  : un modèle de type fédéral ? N’est-il pas trop tard pour qu’elle puisse se donner les moyens d’être autonome ? Comment le pourrait-elle ?

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A venir prochainement :
Brève conversation avec Jean-David Lévitte (entretien filmé )
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