
Georges-Henri SOUTOU a déposé l’ouvrage suivant en séance du 8 septembre 2025 :
Internationalisation des méthodes de renseignement. Le cas des attachés militaires (introduction par G.H. Soutou) de Florian Bunoust-Becques, Gérald Arboit et Markus Pöhlmann (dir.), (ed Connaissances et Savoirs, 2024, 422 p)
Discours prononcé en séance
Les attachés militaires font pleinement partie du système westphalien. Leur rôle, tel qu’il avait été établi à la suite du Congrès de Vienne en 1815, fut maintenu après 1919 et réaffirmé par la Convention de la Havane de 1928 et la Convention de Vienne de1961. Leur domaine de compétence comprend les contacts officiels avec le ministère de la Défense et les militaires des pays hôtes ; ils sont les conseillers militaires de l’ambassadeur. D’autre part il est admis que les attachés militaires pratiquent le renseignement « ouvert », à partir de conversations, de la Presse, de l’observation des manœuvres, etc. En revanche le renseignement « « secret » leur est interdit par les conventions internationales (avec à la clé un risque de scandale et d’expulsion).
Ceci dit, le renseignement se pratique souvent sur les pays voisins et non pas dans le pays de résidence. Et il existe une zone grise, que l’on résumera par la formule « pas vu, pas pris » …
On note une incontestable internationalisation, et là l’ouvrage rejoint le courant des études actuelles sur la mondialisation, par le parallélisme des méthodes et du rôle des attachés militaires dans l’Europe d’avant 1914, qui s’étendra progressivement aux autres continents (les études de cas du volume se concentrent sur l’Europe, le Moyen Orient et l’Asie).
Cela vaut aussi pour la zone grise du renseignement. A l’époque, celui-ci relève encore largement des Armées. On note deux exceptions : la Russie avec l’Okrana, service policier exerçant également à l’étranger (on ne peut que souligner ici une impressionnante continuité culturelle), et la Grande-Bretagne, avec son Secret Intelligence Service, organisme civil, mais qui fut créé en 1909 seulement. Sans doute le mieux connu, grâce à une bibliographie importante, mais souvent pas moins mythique que les romans mieux connus du grand public.
La Guerre froide a provoqué de profondes transformations pour notre sujet. Dans le cas soviétique particulièrement, les attachés étrangers seront soumis en permanence à des provocations, manœuvres et chantages divers bien plus qu’avant 1945. Inversement les attachés des pays de l’Est en poste à l’étranger n’hésiteront pas à pratiquer les méthodes les plus illégales et intrusives.
Pour les attachés occidentaux en URSS, très surveillés, il y aura moins d’opportunités, mais une « zone grise » certainement encore plus importante que par le passé, puisqu’ils vont essayer de voir et d’observer ce qu’on ne veut pas qu’ils voient. On parlera d’ « observation intrusive » plus que d’espionnage au sens classique du terme, mais cela a certainement changé les choses par rapport à l’avant 1939.
En même temps, on observe une tendance contraire, qui a eu pour conséquence la diminution du rôle « renseignement » des attachés militaires : le passage des « services » du domaine militaire au domaine civil. On assista à la création de la CIA en 1947, du BND allemand en 1956, tous organismes civils, relevant d’autorités civiles. Cela réduisit le rôle « renseignement » des attachés militaires occidentaux.
Cependant le cas français fut particulier : en 1946 on essaya d’émuler, avec le SDECE, le SIS britannique. Le Service de Documentation Extérieure et de Contre-espionnage était en effet un organisme civil, à la différence du SR d’avant-guerre, mais ce fut un échec. On en revint dans les années 1950 à un système plus traditionnel, ou mixte civilo-militaire, dans lequel les attachés militaires retrouvèrent un rôle essentiel.
Mais, à partir des années 1990, on notera que la fin de la Guerre froide et les OPEX entraînèrent de plus en plus souvent, dans l’urgence, la fusion des divers rôles des attachés militaires, y compris le renseignement, les fonctions d’état-major, le conseil militaire vers Paris et vers les autorités locales, etc. On constate que les attachés militaires français rejoignent le mouvement général en Occident vers l’internationalisation, des méthodes et des coopérations,, mais que leur rôle en matière de renseignement diminue.
Mais à partir de 2008, avec l’arrivée massive des civils et les différentes réorganisations, le rôle des attachés militaires semble s’être considérablement restreint. En effet la centralisation et la civilianisation des instances, leur regroupement au sommet de l’Etat, et les nouvelles menaces, internationales par nature et plus exclusivement militaires, avec une coopération interalliée croissante, rendent les attachés militaires, sur le terrain, moins importants. Tandis que croît la coopération internationale entre états-majors de toute nature, ceux de l’Alliance atlantique comme ceux des Européens ou de l’ONU. Un aspect de plus de la fin du système de Westphalie.
Georges-Henri Soutou

