Jaime Antúnez Aldunate, Le Commencement de l’Histoire. Réflexions hier et aujourd’hui : Russie-Ukraine-Europe centrale, 2024

Rémi BRAGUE

Rémi BRAGUE a déposé l’ouvrage suivant en séance du 6 mai 2024 :

Le Commencement de l’Histoire. Réflexions hier et aujourd’hui : Russie-Ukraine-Europe centrale de Jaime Antúnez Aldunate (s.l., Les Acteurs du Savoir, 2024, 276p.)

Présentation en séance

Texte prononcé en séance

Je dépose sur le bureau de l’Académie l’ouvrage de M. Jaime Antúnez Aldunate. M. Antúnez est le président (nous dirions « secrétaire perpétuel ») de notre jumelle, l’Académie des Sciences sociales, morales et politiques du Chili.
La première version du livre, en espagnol, date de 1992. Il est ici réédité dans une traduction française due à l’auteur lui-même. 1992 fut aussi la date de publication du livre de Francis Fukuyama sur la fin de l’histoire, après son article retentissant de 1989. Le titre de M. Antúnez constitue donc le contrepied exact de celui de Fukuyama.
Le livre a donc plus de trente ans d’âge. Il a été réédité au Chili en 2022. L’auteur l’a actualisé par une introduction (p. 15-23), un épilogue (p. 237-242) et, dans le corps du texte, par quelques va-et vient entre 1992 et aujourd’hui (pp. 71, 74, 80, 159). Il y fait le bilan de ce qui reste juste et des espoirs déçus.
L’auteur a effectué en 1990 et 1991 une série de reportages pour la revue chilienne El Mercurio. Il livre donc sorte de journal de voyage dans l’Europe dite de l’Est, juste au moment où, si je puis jouer sur les mots, elle fut désorientée par la chute de l’empire soviétique et se mit à la recherche d’une nouvelle orientation.
Après un premier chapitre introductif, le voyage commence par la Pologne (ch. II-IV, p. 35-55). L’auteur s’attarde sur la Russie, à laquelle sont consacrés pas moins de neuf chapitres (ch. V-XIII, p. 57-169), soit la moitié du volume. Il passe plus brièvement par l’Ukraine (p. 171-183), par la République Tchèque (185-201), puis rapidement par la Hongrie (201-208). Restent en dehors du tableau les pays des Balkans.
La question directrice est celle de l’identité culturelle et religieuse des pays fraîchement libérés de l’idéologie léniniste et menacés de se contenter d’un modèle purement consumériste.
Outre les impressions personnelles du voyageur, l’ouvrage est riche de citations, parfois des conversations privées. Elles donnent la parole aux interlocuteurs, lesquels sont souvent des personnalités qui ont laissé un nom dans l’histoire, comme Vaclav Havel, mais aussi des gens moins connus, mais au moins aussi importants par leur influence. Le livre s’achève sur une longue et profonde conversation (24 pages) avec le philosophe polonais Stanislaw Grygiel (212-235).
Le livre s’ouvre par une préface de notre consœur Chantal Delsol et se clôt par une postface du philosophe Henri Hude. Ces deux textes, respectivement de 8 et de 21 pages et très substantiels, ne sont pas ce que le livre a de moins intéressant.

Rémi Brague

Olivier Schmitt, Préparer la guerre. Stratégie, innovation et puissance militaire à l’époque contemporaine, 2024

Georges-Henri SOUTOU

Georges-Henri SOUTOU a déposé l’ouvrage suivant en séance du 29 avril 2024 :

Préparer la guerre. Stratégie, innovation et puissance militaire à l’époque contemporaine de Olivier Schmitt (Puf, 2024, 448 p.)

Présentation en séance

Texte prononcé en séance

Pendant longtemps l’étude de la Guerre a reposé sur deux piliers, la stratégie théorique d’une part et l’histoire militaire de l’autre. Ces deux axes disciplinaires ne convergeaient d’ailleurs pas toujours aisément.
Mais depuis les années Soixante et encore plus depuis le début du siècle nous assistons à un profond renouvellement. On a ajouté en effet aux approches traditionnelles les apports de l’économie, de la sociologie des organisations et de l’innovation, de la politologie. La guerre est ainsi comprise comme un phénomène social, à l’ère de la mondialisation et des grandes organisations.
Le livre permet de mieux comprendre la contradiction qui menace tout établissement militaire : d’une part une tendance à la stabilité et au conservatisme, en fonction du respect de traditions qui contribuent à l’esprit de corps, de la réticence à remettre en cause de délicats équilibres civilo-militaires, ou encore d’une vision trop théorique de la stratégie. De l’autre la nécessité de l’adaptation et du changement, face à des adversaires qui évoluent, dans une dialectique complexe.
Chaque camp cherchera en effet à contourner et à surprendre l’adversaire, par la stratégie, la géographie, les armements, les tactiques, l’organisation.
Si elles veulent survivre et vaincre, les armées doivent constamment s’adapter et innover, ce que le profane conçoit, mais elles doivent aussi, et cela est au moins aussi difficile et moins bien connu, diffuser très rapidement l’innovation qui réussit en fonction de l’expérience, dans toutes les unités et dans tous les secteurs, y compris la chaîne logistique et l’industrie de défense.
C’est dire l’intérêt de cet ouvrage, très complet et d’une remarquable clarté.

Georges-Henri Soutou

Sébastien-Yves Laurent, État secret, État clandestin : essai sur la transparence démocratique, 2024

Georges-Henri SOUTOU

Georges-Henri SOUTOU a déposé l’ouvrage suivant en séance du 22 avril 2024 :

État secret, État clandestin : essai sur la transparence démocratique de Sébastien-Yves Laurent (éd Gallimard, 2024, collection NRF Essais, 359 pages)

Présentation orale en séance

Verbatim écrit

David Djaïz et Xavier Desjardins, La Révolution obligée. Réussir la transformation écologique sans dépendre de la Chine et des États-Unis, 2024

Bernard STIRN a déposé l’ouvrage suivant en séance du 18 mars 2024 :

La Révolution obligée. Réussir la transformation écologique sans dépendre de la Chine et des États-Unis de David Djaïz et Xavier Desjardins (Allary Éditions, 2024, 304 p.)

Présentation en séance

Texte prononcé en séance

« Notre académie connait déjà David Djaïz, ancien élève de l’Eole normale supérieure, inspecteur des finances, à qui elle a décerné un prix pour son livre Slow démocratie. Son nouvel ouvrage, écrit avec Xavier Desjardins, professeur de géographie à Sorbonne Université, apporte une très intéressante réflexion sur les enjeux et les modalités de la transformation écologique, qualifiée de « révolution obligée ». 

Le livre part du constat que, sans être des modèles en matière de respect de l’environnement, en particulier de neutralité carbone,  la Chine et les Etats-Unis se sont engagés dans cette révolution avec les atouts qui leur sont propres, en s’appuyant sur les points forts de leur modèle économique et  politique. La Chine s’assure du contrôle, sur son sol et à l’extérieur de son territoire, notamment en Afrique, des matières premières dont dépend la transformation écologique. Elle maîtrise ainsi 60% de la production mondiale de lithium. Se projetant comme atelier écologique du monde, elle développe de nouvelles routes écologiques de la soie tout en renforçant à l’intérieur de ses frontières son contrôle sur sa propre population par une sorte de « totalitarisme vert ». Aux Etats-Unis, d’ambitieux programmes de recherche se conjuguent avec de vastes projets industriels, fortement soutenus par l’Etat. Une « réindustrialisation verte » se déploie de la sorte à grande échelle. Cette approche, expliquent David Djaïz et Xavier Desjardins, « vise à la fois à reconstruire la classe moyenne américaine, à relancer certains territoires sinistrés par la désindustrialisation et à renforcer les secteurs de pointe de l’économie verte de demain ». 

Face à ces deux modèles, le pacte vert européen fait encore pâle figure. Reposant sur des taxes, des quotas, des réglementations, il a tout d’un colosse au pied d’argile, qui manque d’ambition industrielle et n’exerce pas d’effet d’entraînement. Ecrites avant la crise agricole des dernières semaines, des pages laissent entrevoir les tensions qui s’exacerbent dans le monde rural. Aussi les deux auteurs appellent-il à la construction d’un véritable modèle européen. Constatant que la révolution écologique « sera une gigantesque machine à redistribuer les cartes », ils soulignent l’importance des mécanismes de solidarité, indispensables pour accompagner les plus fragiles. A partir de nombreux exemples concrets, ils montrent l’intérêt d’une démarche contractuelle, par filière comme par territoire, et invitent à une décentralisation qui permette davantage de souplesse et de créativité dans la mise en œuvre des objectifs définis aux échelons européen et national. Ils préconisent enfin la mise au point de nouveaux outils de mesure des enjeux écologiques et des résultats obtenus en ce domaine. Leur ouvrage ouvre un chemin permettant à nos nations démocratiques de prendre véritablement en main, dans le cadre européen,  une transformation qui est de toute façon inéluctable. Aussi m’a-t-il paru mériter de retenir l’attention de notre académie. « 

Michèle Cointet, La République assassinée. Mars-juillet 1940, 2023

Georges-Henri SOUTOU a déposé l’ouvrage suivant en séance du 18 mars 2024 :

La République assassinée. Mars-juillet 1940 de Michèle Cointet. (Bouquins Document, 2023, 336 p.)

Présentation en séance

Texte prononcé en séance

« Il s’agit d’une étude très complète et remarquable d’un aspect de cette période de la « Drôle de guerre » parfois laissée un peu de côté : la vie politique intérieure proprement dite, le Parlement, les partis, les hommes, les appareils, les conseillers de toute nature, les entourages.

Le 10 juillet 1940 s’explique aussi par les faiblesses institutionnelles de la IIIe République, qui, à la différence de 1914 et à cause des divisions de l’époque et des limitations des dirigeants (dont Daladier) n’avait pas su se réorganiser en vue de la guerre (pas d’ « Union sacrée », pas de gouvernement resserré en Comité de guerre).

D’autre part les noms que l’on voit apparaître au premier plan à partir de l’Armistice, à commencer par celui de Pétain, ne sont pas des surprises, ils circulent depuis des mois. Ou même, comme Baudouin ou Bouthillier, ils ont été mis en piste par Reynaud.

Dans le passage de la IIIe à Vichy il existe en effet une logique interne, ici très complètement et fidèlement documentée.

Outre la trame générale de l’ouvrage, on admirera la description de nombreux itinéraires personnels, qui progressivement divergent. »