L’avocat-roi du XIXe siècle

Séance du lundi 30 janvier 2006

par M. Jean-Gaston Moore

 

 

« Gloire aux pays où l’on parle !
Honte aux pays où l’on se tait ».
Clémenceau

« L’indépendance du Barreau est un rempart
contre les atteintes du pouvoir ».
Berreyer

 

Les arts, la culture, la justice, les institutions sont le reflet d’une société, d’une époque. Ils évoluent avec elle, insensiblement, sans rupture apparente dans la continuité, en raison des goûts, des mœurs. Celui qui y vit le perçoit qu’après un certain temps. Il n’y a pas de rupture brutale mais progressive.

L’existence précède l’essence.

Rétif de la Bretonne qui a vécu la Révolution en a été le témoin passif. Dix, vingt ans sont nécessaires pour la constater.

L’avocat roi du 19ème siècle n’est pas le produit d’une génération spontanée, son apparition est celle d’une époque qui l’a suscitée ? Chute de l’ancien règne, Révolution, Empire, Restauration, monarchie de juillet.

Pour l’expliquer, le comprendre, il nous faut la rappeler sommairement.

La naissance effective de la profession d’avocat remonte au 13ème siècle, aux ordonnances du 23 octobre 1274 et du 11 mars 1374. La première nous a donné un Pape Guy Foucault. L’organisation effective de la profession telle que nous la connaissons est plus tardive.

C’est celle de François 1er dite de Villers-Cotteret. Elle exclut l’avocat de la défense pénale annonce en dépit du talent de Poyet, Dumoulin et autres, l’ordonnance de 1670, confirmation de la précédente bien que l’avocat ait joui d’une aura incomparable et d’un grand prestige. Cette audience n’a pas échappé à Louis XIV qui, à l’image du pouvoir central a souhaité un barreau organisé auquel il fait appel pour l’élaboration de son projet de codification, le premier avant Napoléon.

C’est lui que a décidé que le bâtonnier serait désormais élu par ses pairs, de même le conseil de discipline. Le premier bâtonnier élu fut Montholon.

Forts d’une aura incomparable d’avocats prestigieux, le barreau s’installe. Bâtonnier élu, amorce d’un conseil de l’ordre ayant une compétence disciplinaire, maîtrise du tableau. En grand organisateur, Louis XIV avant Napoléon, soucieux de former un recueil de lois civiles rédigées en un style clair et précis, sollicite le concours des avocats et des magistrats : la voie est ouverte par Cujas. Le Président Lamoignon dirige et organise cet immense dessein. Il fait appel à une commission de douze avocats dont Auzanet, Fourcroy… et leurs travaux débouchent sur les ordonnances de procédure (1667), des eaux et forêts, du commerce (1673), hypothèques (1673), frais de justice, marine (1681), colonies (1685)… mais également, sur celle qui nous occupe l’ordonnance criminelle de 1670.

Celle-ci, après des hésitations, des oppositions, exclut l’avocat de la défense pénale à l’exception du péculat, de la concussion, du faux, de la banqueroute. Cette ordonnance confirme celle de Villers-Coteret écartant l’avocat de la défense pénale jusqu’à la Révolution.

Cette exclusion a généré des générations d’avocats proches dans leur exercice de celles d’aujourd’hui de l’avocat consultant, arbitrant.

L’avocat est un conciliateur qui rapproche les esprits et devient le premier juge de ses clients, souvent c’est un arbitre.

L’originalité de cet avocat est qu’il est l’ancêtre de celui du 21ème siècle : consultations, plaidoiries, arbitrage.

Si l’éloquence, la plaidoirie est l’un de ses attributs qui est empreinte d’archaïsme, l’avocat réputé est le consultant qui aide le juge dans son travail le plus délicat.
Le consultant ou jurisconsulte est le “roi”.

Ce titre n’appartient qu’aux avocats ayant au moins vingt d’ans d’exercice. Ils ont l’honneur de signer les mémoires. Les plus grands furent comme Tronchet et Portalis et deux autres rédacteurs du Code civil. La Cour peut renvoyer un litige devant un consultant (l’équivalent de notre médiateur).

Cet avocat consulte. Ce rôle conduit l’avocat consultant à l’arbitrage. Certains plaident.

Le grand orateur civiliste du siècle fut Gerbier, Berreyer père également. Mais l’avocat de celui-ci, s’il est celui du droit des personnes est, comme celui d’aujourd’hui, un avocat d’affaires.

Berreyer père en est l’exemple.

Berreyer père, bien que se défendant d’être le mandataire de son client, est néanmoins rédacteur d’actes juridiques, mais, précise-t-il, en présence de celui-ci. L’avocat de la période classique et de celui du siècle des Lumières, en l’excluant de la défense pénale, a suscité un avocat conseil par ses mémoires, consultations, arbitrage, médiation, qui sont les activités dominantes de cet avocat d’affaires.

L’encyclopédie, l’influence des philosophes qui revendiquent la liberté d’écrire, de pensées, dont le Mariage de Figaro est le révélateur, sont les signes avant coureurs d’une volonté de changement. C’est Voltaire avec l’affaire Colas, c’est l’avocat Longuet, le premier à pratiquer la plaidoirie de rupture le développement du mémoire en matière pénale qui supplée à la plaidoirie (exemple : déjà Pélisson et Fouquet, Beaumarchais et Voltaire).

Avant même la chute de la monarchie, Louis XVI avec l’ordonnance de tolérance, supprime par décret du 8 octobre 1789, la torture et autorise la présence muette de l’avocat pendant l’instruction, mais il admet la plaidoirie de l’avocat à l’audience.

Avec la chute du Barreau qui se suicide (les 16 août et 2 septembre 1790) bien qu’ils fussent majoritaires à l’Assemblée et que Tronchet fut leur bâtonnier, ces ex-avocats doivent désormais apprendre la défense pénale à laquelle ils n’y sont pas préparés. Le procès de Louis XVI en témoigne.

Jacques Vergès en l’un de ses récents ouvrages souligne la faiblesse de la défense. N’en fut-il pas de même dans le procès du Maréchal Ney en 1815 ? Il était assisté de Dupin aîné et de Berreyer père, tous deux des avocats chevronnés mais avocats d’affaires maîtrisant mal la défense pénale. Leurs erreurs ont conduit à la condamnation à mort de Ney.

L’avocat n’est pas l’avocat roi, il le deviendra favorisé par l’évolution politique et sociale qui générera, nous le verrons, l’avocat roi.

Ils durent en faire l’apprentissage, même ceux qui avaient le talent eurent du mal à s’y adapter comme Bellard et Bonnet.

Le rétablissement de l’ordre en 1810, rétablissement sous contrôle : bâtonnier et membres du conseil désignés par le pouvoir, non maîtrise du tableau, défaut de monopole de la plaidoirie. Cependant l’ordre qui compte 300 avocats voit émerger à côté des grands anciens Berreyer père, Chauveau-Lagarde, l’avocat de Marie-Antoinette, Dupin aîné, futur président de la Cour de cassation, Bellard, Bonnet.

Hostiles à l’Empire ils se rallient aux Bourbon. Bellard a fait afficher une proclamation en faveur de Louis XVIII. Le roi reconnaissant le Conseil de l’Ordre est reçu par lui. Nombre d’entre eux comme de Sèze occuperont les postes les plus élevés de la magistrature.

Les avocats espèrent que la chartre apportera la liberté, en particulier celle de la presse.

Très rapidement, ils seront déçus… Si l’ordonnance du 20 novembre 1822 est un pas vers l’indépendance de l’ordre, elle est encore très restrictive. Des escarmouches inévitables se produisent entre le pouvoir et les avocats en charge fatalement d’affaires qui dérangent le pouvoir.

C’est dans l’ordre des choses, la réponse de Moro de Giafferi à un avocat général s’étonnant qu’un avocat aussi brillant défende les gredins, l’illustre : « M. le Président, en Cour d’assises ne comparait pas les archevêques et les enfants de Marie ».

L’avocat est celui qui dérange par la défense qu’il assume en toute indépendance, dans des affaires sensibles de la liberté de la presse ou politique, les défendre tous.

Avec la charte, l’amorce de la liberté de la presse, d’un débat parlementaire même au sein d’un parlement croupion, s’ouvre une ère nouvelle qui va faire de l’avocat, par la “force des choses”, des événements, l’avocat roi, en raison du rôle qu’il va jouer sans volonté délibérée, voire conscient des conséquences de son activité de défense sur les changements politiques dont il sera, sans le savoir, l’élément « moteur ».

Cette situation née de la période post révolutionnaire, de l’Empire, qui débouche sur la Restauration, la Monarchie de juillet, la République de 1848, le coup d’état du 2 décembre 1851, le Second Empire, la 3ème République, vont faire de l’avocat, l’avocat roi.

En apportant son concours il ignore qu’il sera à l’origine de la Monarchie de juillet puis de la 3ème République.

Louis-Philippe reconnaissant que c’est l’action des avocats qui a entraîné la chute de Charles X, rendra au Barreau la plénitude de son indépendance perdue à la Révolution, parcimonieusement retrouvée en 1810, 1815, 1822 par sa compétence actuelle, moindre néanmoins que celles du barreau de la deuxième partie du 18ème siècle qui, selon la formule de Robespierre citée magistralement par Monsieur André Damien, Président de l’Institut (13 décembre 1789) : « Cette fondation, dit-il, échappe à la fiscalité et au pouvoir absolu de nos rois, le barreau semblait montrer encore quelques traces de la liberté exclue du reste de la société ».

Sous la Restauration, les grands procès politiques, de presse et d’opinion en particulier, furent à l’origine de la chute de Charles X.

Une nouvelle génération d’avocats ouvrit celle de l’avocat roi. Elle est née avec le Berreyer fils, qui défendant le Général Cambronne en 1816, déclara aux juges de Louis XVIII : “Il ne convient pas qu’un roi aille ramasser les blessés sur le champ de bataille pour les porter à l’échafaud”. Plus tard, c’est le même Berreyer, traduit devant la Cour d’assises pour avoir participé à la conspiration de la Duchesse de Berry. Les avocats ayant envahi le box des accusés, refusèrent de l’évacuer. S’adressant au président : “Le banc des accusés est, Monsieur le Président, si honoré de la présence de Monsieur Berreyer, que nous pensons nous-mêmes nous honorer en y demeurant”. Le ministre public abandonna l’accusation.

Toujours à propos de la même affaire, étant arrêté en 1832, le Général Solignac l’invite à dîner avec l’espoir de l’exécuter après… il reçoit une dépêche le priant de l’élargir. Vexé, il s’écria à Paris : « Ce sont des poules mouillées ». Berreyer fut bâtonnier et membre de l’Académie en 1855.

Le véritable débat politique n’ayant pas lieu dans les chambres, il se faisait dans la presse. Une presse d’opinion prudente mais néanmoins très critique contre le gouvernement, en particulier de Charles X.

Ces affaires relèvent de la compétence de la Cour d’assises, assistés de leurs avocats, la Cour d’assises servit alors de tribune politique à défaut d’un véritable parlement… Défenseur des libertés publiques, de celle de la presse, le Barreau ne ménagea pas le pouvoir. Leur tâche devint plus périlleuse encore après le rétablissement de la censure en 1820, à la suite de l’assassinat du Duc de Berry, héritier du trône. Le journal “Fautif” peut être suspendu en cas de récidive, d’où l’initiative d’Odilon Barrot et de son confrère Mérilhou, à la suite de la suspension de l’un d’eux. Ils ont ouvert une souscription en faveur des journalistes. Lafayette, Laffitte y souscrivent. Le Parquet réplique et poursuit pour menées illégales. A la suite du soulèvement des premiers canuts face à la répression ordonnée par Thiers en 1834, ces avocats virent à « gauche ». C’est le cas de Pagès, Odilon Barrot, autrefois légitimistes.

Avec la reprise de la politique des banquets, le régime tombe. Pour la seconde fois, les avocats ont été les fers de lance de la révolution, celle de 1848.

La IIème République s’installant, c’est celle déjà des avocats : présidence, intérieur, justice, travail sont occupés par eux.

L’avocat maîtrisant magistralement la défense pénale, cette opposition politique donne des ailes à la parole.

Je ne sais ni lire, ni écrire”, disait le grand Berreyer, expliquant ainsi son retard dans la rédaction de son discours à l’Académie. Il décéda en 1868. On lui fit des obsèques nationales.

Charles Alexandre Luchard (1818-1882) appartient à cette génération d’avocats. Il plaida dans de très nombreuses affaires d’assises dont les procès Bazaine et Lafarge.

Amoureux de sa cliente accablée par des expertises aujourd’hui discutées, elle fut condamnée mais il lui évita la peine de mort. Libérée en 1852 (douze ans après), elle mourut l’année suivant sa libération. A sa mort, il se fit apporter le portrait de sa belle cliente, la seule femme qu’il eut vraiment aimée.

“Je ne suis pas tel ou tel avocat, je suis la défense”, déclarait Chaix d’Est-Ange, 1800-1876. Sa parole souffle le froid et le chaud. Il passe tout d’un coup de la passion habile et chaleureuse au ton glacial, ironique, coupant.

Rendu célèbre par l’affaire du Lieutenant de La Roncière qui lui donna l’occasion de plaider un procès douloureux (1834). En l’espèce, le prévenu fils d’un général, est accusé par la fille d’un général de tentative de viol.

Dans les lettres produites par celle-ci, il reconnaît les faits. Il fut condamné à douze ans de prison, mais libéré et réhabilité ces lettres s’étant révélées des faux. La plaignante étant une hystérique, une erreur judiciaire là encore fondée sur le témoignage unique d’une personne hystérique que l’on ne veut pas soupçonner en raison de sa naissance. C’est la répétition de l’affaire Fualdès et de Madame « Mensonge ».

Ces situations sont à rapprocher de l’affaire d’Outreau.

Les avocats par la notoriété qu’ils acquièrent se portent ou sont portés à s’engager dans la vie publique. Contestataires par profession, ils seront fatalement dans l’opposition, le Second empire les y conduit.

C’est le cas notamment de Jules Favre, élu bâtonnier, député de l’opposition. Il pratique, après Longuet, la plaidoirie de rupture.

Mais le plus fougueux sous l’Empire c’est Léon Gambetta qui force l’admiration. Il devint l’archétype de l’éloquence de la tribune. Il n’a rien d’un juriste. L’affaire Delescluze (1868) en témoigne : Gambetta veut réussir. Il sollicite des fonds pour élever un monument à Baudin tué sur les barricades le 2 décembre 1851.

Le journaliste Delescluze ouvre une souscription. Le pouvoir l’interdit à tort et soulève une tempête de protestations, alors que l’opinion était indifférente.

Sa plaidoirie à l’égard des magistrats et du pouvoir est d’une violence inouïe.

Gambetta devenu une idole, est élu à la veille de la guerre de 1870, député de Marseille.

L’opposition républicaine composée d’une majorité d’avocats va consacrer l’avocat roi au 19ème siècle et fonde ce que l’on a appelé la République des avocats.

L’avocat roi

Le gouvernement provisoire qui se constitue dès le 4 septembre 1870, est composé, en sa quasi majorité, d’avocats : Gambetta, Crémieux, Floquet, Arago, Ernest Picard, Jules Simon, Jules Grévy…

Après le 8 février 1871, le président de l’Assemblée est l’avocat Jules Grévy, le premier Garde des Sceaux Dufaure.

Désormais, les avocats figurent dans tous les gouvernements de 1875 à 1940. Sur treize présidents de la République, six sont avocats.

Depuis le premier ministère (Dufaure) à Paul Raynaud, 106 combinaisons ministérielles se sont succédées, 60 étaient présidées par des avocats. L’un des ministères Ribot comptait douze avocats sur 16 ministres.

Avec le recul du temps, l’étude de cette période historique de la révolution de la IIIème République nous enseignent que les avocats, en épousant leur temps, la défense des journalistes, des hommes politiques fatalement dérangeaient depuis la charte (1815 à la monarchie de juillet 1830, 1848 et 1871). L’exercice de leur rôle de défense au pénal a fragilisé le pouvoir et sans le savoir, ils ont installé la République. Ils ont depuis persisté à être au centre de la vie publique et judiciaire comme députés ou ministres, mais encore par leur présence dans les grandes affaires judiciaires de la fin du siècle : scandale de Panama, des décorations Rochette, Thérèse Humbert, mieux encore, l’affaire Dreyfus.

Au siècle finissant, une nouvelle génération a pris la relève en portant l’éloquence judiciaire jusqu’à la grande guerre, voire 1939 à son sommet.

Cette éloquence a été assumée autant par des avocats qui furent de grands civilistes comme des pénalistes (ex : Waldeck Rousseau, civiliste).

Il en fut ainsi de Labori, avocat de Zola, de Dreyfus, auteur des « Pandectes », premier rédacteur en chef de la Gazette du Palais, de ses tables. Il sera également l’avocat de Mme Caillaux dont il obtiendra l’acquittement.

La défense de Zola est assurée également par un grand nom du Barreau, Me Demange, que l’Ordre honorera spécialement, sans oublier Raymond Poincaré.

A Aix, à Toulouse, à Bordeaux, on peut citer de grands noms : Habasque, Royclottes, et mieux encore Peyerecave, ancien procureur impérial, le roi des Assises, celui de l’affaire Canabi.

A la fin du siècle, Henri Robert 1863-1936, membre de l’Académie française, bâtonnier, va renouveler l’éloquence judiciaire par sa brièveté, sa concision, sa précision, comme plus tard Maurice Garçon, c’est un esthète des jeux de mots et de l’esprit. On se plait à citer son habileté qui depuis a rarement été atteinte.

Ce barreau du 19ème siècle se prolonge jusqu’en 1914, voire 1940, avec des avocats comme Raymond Poincaré ou le Bâtonnier Albert Danet, et combien d’autres…

C’est la continuité dans un renouveau, dans une société en évolution, marquée, transformée par la guerre. Elle est assumée par une nouvelle génération qui se partage entre le Parlement et le Palais : Moro, Raymond Hubert, Maurice Garçon, Jacques Charpentier.

Nous avons jusqu’alors expliqué pourquoi l’avocat du 19ème a été appelé l’avocat roi. Cet état dans la société est dû, nous l’avons vu, à nos institutions.

Sous l’ancien régime, pas d’assemblées parlementaires et absence de l’avocat au procès pénal.

Après la Révolution, de la Restauration à le 3ème République, l’avocat est conduit à occuper une place prépondérante, du fait de l’évolution de nos institutions, rayonnement qui s’attache aux grandes affaires criminelles, politiques, qui occupent la scène de la vie au quotidien, en un temps où il n’existe ni radio ni télévision.

Cet avocat roi a une activité professionnelle de défense, d’où l’image de l’avocat et de la robe, l’homme du procès, des Assises et non des affaires.

Si l’avocat du 17ème et 18ème est un avocat d’affaires, des grands procès civiles, de l’écriture, des consultations, des mémoires et notes de plaidoiries qu’ils signent, celles-ci disparaissent au 19ème siècle. Celui du 19ème est un avocat pénaliste mais également civiliste, à un moindre titre. Il est assisté, au civil, d’un avoué. L’avocat est absent du Tribunal de commerce jusque dans les années 1900-1910. Il compte néanmoins de grands civilistes à l’exemple de Fernand Labori ou Waldeck Rousseau.

Ce Barreau du 19ème siècle vivait dans une très honnête aisance, pour ne pas dire opulence, pour ne parler que de l’avocat du quotidien. André Damien dans son incontournable livre « Les avocats du temps passé », nous donnent des chiffres :

Le carnet d’un avocat du quotidien : 1830-1840 – moyenne 50.000 F par an, alors qu’un haut magistrat gagne 12.000 F. C’est un avocat indépendant respecté, un notable scrupuleux, jouissant d’une indépendance économique et financière, ignorant l’impôt.

Lorsqu’en 1850 (loi du 15 mai 1850), on l’a assujetti à ce seul impôt, la patente, ce fut une révolution. S’il accepta l’assistance judiciaire, considérée comme inutile en raison du concours que le Barreau apportait depuis son origine aux pauvres, il refusa en revanche toute indemnité pour ne pas voir taxés ses honoraires par le juge.

Ne parlons pas des avocats ayant acquis de la notoriété. André Damien, en son ouvrage précité, nous en conte merveilleusement le faste, celui de ces réceptions, de l’hôtel qu’ils occupaient qu’ils ont acquis majoritairement de leurs deniers, dans l’exercice de leur profession.

Il est vrai que jusqu’en 1920 la fiscalité était absente du droit des affaires comme de celle des avocats.

L’impôt sur le revenu est entré en application après 1920 à des taux à faire pâlir aujourd’hui. (L’impôt sur le revenu net global était en 1939 de 9 % à partir de 100.000 F)

La fiscalité de l’entreprise moderne est née après 1945 avec la TVA, l’URSSAF et autres. En réalité, telle que nous la vivons aujourd’hui, elle n’existait pas. Ce qui était vrai pour l’avocat, l’était également pratiquement pour le chef d’entreprise. Il en fut ainsi pratiquement pour l’avocat jusqu’à la première réforme de 1971.

Il en était de même pour des lois sociales, à l’exception de celle sur les syndicats (1884), les accidents du travail (1898).

Cet avocat, en refusant d’être mandataire, est absent des justices de paix, du Tribunal de commerce. Ce n’est qu’à la fin du siècle, avec les lois le dispensant de procuration, qu’il en prend le chemin.

Il est vrai que quelques avocats éclairés, licenciés en droit, inscrits mais ne prêtant pas serment, se consacrent exclusivement au droit des sociétés. Ils ont le titre d’avocat conseil.

L’annonce du premier Code du travail est de 1906. Le rôle du conseil en matière de sociétés, c’est principalement la rédaction d’actes, la tenue des assemblés, leur suite peu complexe au RC (rien à voir avec aujourd’hui). Ces formalités sont assumées aujourd’hui par l’entreprise, leur secrétariat général.

Avec le recul du temps, de l’histoire, on constate que l’avocat conseil, d’affaires d’aujourd’hui ressemble à sons frère du 18ème. La comparaison est frappante : arbitrage, médiation, consultation.

Une nuance cependant : son aîné consultant, jouissait d’une autorité que les meilleurs d’aujourd’hui n’ont pas. Leur consultation ne s’impose pas au juge. Il n’en fait pas sa religion.

Certes, l’avocat incarne toujours la défense. C’est elle en effet qui évoque la défense, celui qui défend la liberté et l’honneur, mais l’abolition de la peine de mort en a réduit le prestige. Elle a, selon l’expression de R. Floriot parlant de sa suppression, « ne gâchez pas le métier en l’abolissant ». Mais les générations nouvelles devront adopter, comme les précédentes, leur éloquence renouvelée, modernisée, qui doit demeurer celle qui convainc, en espérant qu’ils démontent le pessimisme du plus grand du 20ème siècle , le Bâtonnier Jacques Charpentier qui en 1961, dans « Remarques sur la parole », disait que la parole était morte.

Texte des débats ayant suivi la communication