Communication du lundi 22 avril 2024 de Jean-Baptiste Bladier, Procureur de la République de Meaux
Thème de la communication : La petite et moyenne délinquance : incompréhension ou méconnaissance ? Le regard d’un procureur
Synthèse de la séance
La délinquance du quotidien ne recouvre pas l’entièreté de l’activité journalière d’un parquet. Les attributions en matière civile, commerciale ou administrative occupent une large part des effectifs (30% dans un parquet comme celui de Meaux qui compte 20 magistrats, ce qui le situe au 15ème rang national sur le total des 169 parquets qui existent en France). La justice criminelle ou de la grande délinquance économique et financière mobilisent 6 à 7% des ressources du parquet de Meaux.
Pour le procureur de Meaux, la justice pénale du quotidien s’attache trop à une obsession gestionnaire, celle des flux et des stocks de procédures, et méconnait trop souvent la « gestion du risque » de récidive ou de réitération.
Aujourd’hui, les parquets de première instance comptent 1720 postes. Au sein du parquet de Meaux, le ratio est de 2,76 parquetiers pour 100 000 habitants ce qui est dans la moyenne nationale mais largement inférieure à la moyenne européenne (de l’ordre de 11,8).
La justice est souvent la cible de deux griefs : son incapacité à gérer la délinquance dans un délai raisonnable et son insuffisante sévérité. Toutefois, l’impératif majeur pourrait être davantage celui de la prévention du risque, de la récidive, et de la réitération.
En 2022, sur les 4,1 millions d’affaires pénales traitées par les parquets, 56% ont été classées sans suite en raison de l’absence d’élucidation des faits. Pour les 1,7 million de procédures restant, à l’alternative binaire qui se résumait jusqu’il y a à peu de temps au choix de classer sans suite (15% des cas) ou de saisir la juridiction de jugement (un cas sur deux), s’est substitué depuis quelques années un exercice plus complexe de choix de réponses au sein d’un éventail de mesures (35% des cas) : avertissement pénal probatoire, classement sous condition d’indemnisation de la victime, médiation pénale, réparation pénale, contribution citoyenne, réalisation d’un stage de formation. S’il décide d’une poursuite, le magistrat du parquet peut confier l’enquête à un juge indépendant, le juge d’instruction (2,8% des cas), pour les affaires les plus graves. Les parquets ont ainsi fait preuve d’inventivité pour augmenter le volume des réponses pénales sans aggraver l’encombrement des juridictions de jugement.
Concernant la critique portant sur la lenteur de la justice, il existe un fossé entre la réalité vécue par les gens de justice et la perception de nos concitoyens. L’organisation actuelle des parquets est pensée autour de ce double impératif quantitatif et calendaire : traiter le plus grand nombre de procédures dans les délais les plus courts possibles.
Si la question de l’indépendance de la justice est souvent examinée à l’aune d’un possible interventionnisme politique, il est tout aussi important de cultiver une indépendance face à l’air du temps.
Le débat sur l’efficacité de la justice mérite également d’être ouvert lorsqu’on lit dans une étude officielle publiée par la Chancellerie en 2023 que « plus de la moitié des sortants de prison – 54% – en 2016 [avaient] commis une nouvelle infraction dans les 3 ans ». Trouver la réponse pénale qui produise l’effet escompté est une préoccupation constante pour le magistrat du parquet.
Que manque-t-il pour parvenir à plus d’efficacité dans la mission de prévention de la récidive ? Le manque pourrait se trouver dans le déficit d’évaluation criminologique. Le magistrat du parquet ne dispose d’aucune évaluation du risque criminologique que représente tel justiciable. La justice souffre d’une sous-culture criminologique. Pour y pallier, des procureurs de la République déploient des dispositifs expérimentaux s’inspirant du modèle anglo-saxon des juridictions dites « résolutives de problèmes ». L’enjeu est d’améliorer la prévention de la récidive chez des personnes dont la délinquance est en lien avec une addiction à l’alcool ou aux stupéfiants.
Les relations du parquet avec ses interlocuteurs prennent aujourd’hui l’allure d’une sorte de contractualisation permanente qui exige de l’institution de se comporter davantage comme un partenaire que comme une autorité. Cette évolution se note dans les relations du procureur avec la police et la gendarmerie, mais aussi avec les élus et les autres administrations – la plupart des politiques publiques aujourd’hui comportant une dimension judiciaire qui se traduit par un protocole ou une convention – ou encore les médias. La gestion des sollicitations journalistiques est quasi quotidienne et le recours à une conférence de presse tend à se banaliser.
Le statut des magistrats du parquet, qui sont à la fois des magistrats de l’Ordre judiciaire et les membres d’une institution hiérarchisée, offre des garanties aux justiciables – que n’offrirait pas le statut de fonctionnaire. La première garantie est l’exercice du principe de l’opportunité des poursuites ; la seconde garantie offerte au justiciable par l’appartenance du parquet à la magistrature est le principe de « la servitude de la plume et la liberté de parole », qui parait peu compatible avec le statut du fonctionnaire qui n’est pas censé s’exprimer en son nom propre. Le « parquet à la française » est une caractéristique de notre organisation judiciaire qui est une garantie pour le justiciable et pour l’État de droit.