Communication de Jacques de Larosière
Réflexions sur les politiques monétaires menées ces dernières années au niveau mondial, sur leurs défauts et sur les améliorations nécessaires

Conférence du lundi 18 septembre 2023 de Jacques de Larosière, membre de l’Académie, Gouverneur Honoraire de la Banque de France, Directeur général honoraire du Fonds monétaire international, ancien président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement

Thème de la conférence : Réflexions sur les politiques monétaires menées ces dernières années au niveau mondial, sur leurs défauts et sur les améliorations nécessaires

Synthèse de la séance

Lorsque l’on interroge les populations, c’est l’inflation qui apparaît comme le plus grand danger, avant même le chômage. Il s’agit donc d’un sujet qui, bien que technique, est éminemment sociétal. Comment imaginer que la monnaie, définie par Montesquieu comme « l’étalon qui permet de donner sa valeur à toute chose », puisse changer de valeur à tout moment ? La stabilité de la monnaie relève des banques centrales depuis leur apparition à la fin du XVIIè siècle. Mais depuis la fin du régime de l’étalon-or, puis du système de Bretton-Woods mis à bas par les dépenses militaires des guerres de 1914 et du Vietnam, le monde a pris l’habitude de financer les dépenses publiques par la dette, de jouer des dévaluations pour gagner des parts de marché à l’exportation et est entré dans un régime de flottement des taux de change.

Depuis la crise financière de 2007-2008, la politique monétaire des grandes banques centrales a été constamment stimulatrice. Les taux d’intérêt directeurs ont été maintenus à zéro ou en dessous, ce qui présente l’incongruité de taxer les épargnants désireux de financer l’économie. Par ailleurs, la croissance de l’émission monétaire a continuellement dépassé celle de l’économie réelle. Depuis 20 ans, le financement dépasse les besoins économiques, ce qui aboutit inévitablement à l’apparition de l’inflation, comme l’exprimait déjà en 1568 Jean Bodin, mais aussi Milton Friedman. Cette politique monétaire continuellement stimulatrice a contribué à une croissance massive de l’endettement des pays avancés. Or si l’on veut prévenir l’inflation, il est indispensable de surveiller l’évolution du crédit. En revanche, ces taux d’intérêt zéro n’ont pas soutenu l’investissement productif à long terme, les agents économiques préférant rester liquides. Il est ainsi devenu plus intéressant pour une entreprise de s’endetter à bas coût pour racheter ses actions plutôt que d’investir à long terme. Les banques centrales, quant à elles, ont inondé l’économie avec la création monétaire – ce fut le « quantitative easing » après 2008 – sous prétexte que l’objectif d’inflation (« un peu moins de 2% ») n’était pas atteint.

Quelles sont les conséquences de cette situation monétaire débridée ? La croissance exponentielle de l’endettement a entraîné la vulnérabilité du système financier, le court-termisme a envahi le système et les entreprises dites « zombies » se sont multipliées. On les estime à plus de 16% de l’ensemble des pays avancés. Enfin, la financiarisation extrême a privilégié les 10% les plus à même d’en profiter, aggravant les inégalités sociales.

Si la rapidité d’intervention et la puissance de feu des banques centrales ont par deux fois évité l’effondrement du système financier, ces crises (en particulier celle de 2008 et celle de l’euro en 2010) ont été en même temps provoquées par l’excès d’endettement lui-même, fortement encouragé par l’action des banques centrales.

Les banques centrales ont failli dans l’engagement formel qu’elles avaient pris de limiter l’inflation à « un peu moins de 2% ». L’inflation a resurgi en 2021, avant même l’invasion de l’Ukraine, à plus de 10%. Il est vital de vaincre l’inflation qui est une taxe qui frappe les plus pauvres. Relever les taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation est une sage décision mais les gouvernements vont devoir payer des taux positifs pour le service de leur dette et l’atterrissage en douceur n’est pas garanti. Toutefois avec des taux directeurs réels à zéro la politique monétaire actuelle est-elle suffisamment restrictive ? La lutte contre l’inflation des banques centrales est-elle crédible ? Malgré leur indépendance, oseront-elles se saisir vigoureusement du problème et affronter le risque de la hausse des taux ?
Il est temps dans un monde gouverné par le cycle financier que les banques centrales s’occupent de la stabilité des systèmes financiers.

Présentation du conférencier

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Séance consacrée à la transition énergétique avec Patrick Pouyanné et Denis Ranque

La séance du 11 septembre 2023 était consacrée à une question d’actualité : la transition énergétique avec deux communicants:

  • Patrick Pouyanné, PDG de Total Energies
  • Denis Ranque, Président de l’Académie des technologies et ancien PDG d’Airbus

Hommages

Le président Jean-Claude Trichet a prononcé des hommages aux académiciens disparus cet été :

Alain BESANÇON

Hommage à Alain Besançon

Hommage à Marcel Boiteux

Marcel BOITEUX
Basil Markesinis
Jacques-Yvan Morin

Hommage aux correspondants Basil Markesinis et Jacques-Yvan Morin

Synthèse de la séance

Patrick Pouyanné a rappelé tout d’abord les trois piliers qu’une politique énergétique se doit de respecter : l’énergie doit être disponible – avec la contrainte majeure qu’elle ne peut pas être stockée -, abordable en terme économique et durable en terme écologique. En 2022, 80% de l’énergie mondiale consommée provient des énergies fossiles – parmi lesquelles le pétrole, dont on consomme 300 millions de barils par jour, représente environ 30%. La demande en énergie n’a cessé d’augmenter du fait de l’augmentation de la population et va encore croître du fait de l’augmentation de la demande des pays émergents dont la population a pour l’instant une consommation 8 fois moins importante que la nôtre. Outre le fait que des investissements dans un système d’énergie décarbonée sont nécessaires, il est également important de continuer à investir dans la production pétrolière faute de quoi elle perdra 3 à 4% de sa capacité de production par an.
Par ailleurs, le changement climatique est un phénomène global. Si l’Europe et les États-Unis ont une responsabilité historique dans les émissions de gaz à effet de serre avec respectivement 350 millions de tonnes et 400 millions de tonnes d’émissions historiques, il est impératif aujourd’hui que des pays comme la Chine et l’Inde, qui émettent 40% des émissions mondiales de CO2, participent pleinement à un consensus tel que celui que l’Accord de Paris a tenté de faire émerger en 2015. Par ailleurs, une des mesures les plus efficaces pour lutter contre le réchauffement climatique serait d’arrêter la déforestation de la planète. Se pose alors la question de savoir où est la bonne gouvernance mondiale capable de faire respecter une telle mesure ?

Réécoutez l’intervention de Patrick Pouyanné

Denis Ranque a indiqué que si l’on souhaitait atteindre l’objectif du Net Zéro en 2050 cela impliquait de sortir quasiment intégralement des énergies fossiles. Pour cela deux voies sont possibles : la biomasse qui est neutre en carbone mais qui est en quantité limitée et l’électricité décarbonée (renouvelables et nucléaire). Toutefois, la technologie ne peut pas tout et un changement des comportements, voire des valeurs, individuels et collectifs, est indispensable comme l’a rappelé le rapport sur la « Sobriété » publié par l’Académie des technologies en mai 2023. La révolution énergétique est donc une question porteuse de conflits de valeur entre l’objectif climatique et le bien-être actuel. C’est par ailleurs une question éminemment politique et géopolitique, comme l’attestent les tensions franco-allemandes : par le traité de Lisbonne, la France a transféré à l’Europe les règles de la politique énergétique. De ce fait, alors qu’elle est l’un des pays les moins émetteurs de CO2 (chaque Français émettant deux fois mois de CO2 que son voisin allemand), elle subit des pénalités et des sanctions pour non-respect du mix énergétique imposé. La transition énergétique est donc loin d’être un simple sujet technique et technologique mais soulève de nombreuses questions d’ordre moral et politique.

Réécoutez l’intervention de Denis Ranque

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Communication de Marianne Bastid-Bruguière :
La gouvernance contemporaine en Chine, de Deng Xiaoping à Xi Jinping

Conférence du lundi 3 juillet de Marianne Bastid-Bruguière, historienne, sinologue et membre de l’Académie des Sciences morales et politiques

Thème de la conférence : La gouvernance contemporaine en Chine, de Deng Xiaoping à Xi Jinping

Synthèse de la séance

La gouvernance contemporaine en Chine de Deng Xiaoping à Xi Jinping, c’est-à-dire de la fin des années 1970 à aujourd’hui, a donné lieu à des torrents de littérature en toutes langues et continue d’en inspirer chaque jour. Pourtant, on pourrait soutenir que ce sujet n’existe pas. En effet, la notion de gouvernance telle qu’elle a cours en Occident depuis les années 1960 ne correspond en chinois à aucun terme spécifique. Cette notion neuve de gouvernance s’est répandue en Chine dans les années 1990 seulement, à partir de la littérature anglo-saxonne, et dans des textes spécialisés traitant de la gestion économique. Le Bureau officiel de traduction du Comité central du parti communiste chinois en a imposé une traduction qui emprunte des termes d’usage courant dans le vocabulaire politique chinois depuis la plus haute antiquité pour désigner un bon gouvernement. Et, inversement, le Bureau officiel de traduction a pris l’habitude de traduire par « gouvernance » (governance en anglais) ces termes chinois d’usage courant, quel que soit leur contexte. Cette assimilation purement formelle des concepts est trompeuse. Un contre-exemple à l’idée chinoise du bon gouvernement est la situation chaotique dans laquelle Deng Xiaoping est rappelé au pouvoir en 1974. Il retrouve un pouvoir mais non la tête du pays. Il est encore limogé dix-huit mois plus tard et c’est plus de deux ans après la mort de Mao Zedong qu’il prend la tête des affaires, en décembre 1978, mais sans en recevoir la titulature. Cette situation anarchique contraste avec l’unanimisme empressé du XXe congrès du parti communiste chinois en octobre 2022 et de l’Assemblée populaire nationale à sa session de mars 2023, confirmant Xi Jinping dans une suprématie absolue. Cette transformation profonde de l’État chinois, depuis bientôt cinquante ans, est en général interprétée soit comme l’action personnelle de certains dirigeants, soit par le recours à diverses théories des sciences sociales sur l’évolutions des organisations humaines. L’examen du détail des événements révèle un enchaînement qui résulte surtout du pragmatisme des acteurs chinois et étrangers à tous les niveaux.

La trajectoire de cette transformation récente de l’État chinois a jusqu’ici traversé trois phases, marquées chacune par un type différent de gouvernance. Sous l’égide de Deng Xiaoping jusqu’au début des années 1990, on assiste à une mutation progressive du système d’État, par en haut et par en bas, avec une séparation nette entre des pouvoirs de gestion exercés par l’administration d’État et la société civile et, d’autre part, la direction politique attribuée à la hiérarchie du parti communiste, ceci grâce à l’usage empirique d’incitations matérielles, de l’aide étrangère, de l’outil réglementaire et de l’éducation, une mutation secouée en permanence par des coups d’accélération et de régression. C’est une sorte de gouvernance horizontale. Les efforts de cette première phase pour instaurer une gouvernance modernisatrice, stable et durable sont continués sous le mandat de deux successeurs de Deng Xiaoping, mais avec des ambitions nouvelles du fait d’un engagement international massif. Il en résulte l’énorme croissance d’une bureaucratie désormais aux mains d’une technostructure fragmentée, foncièrement corrompue, qui impose ses choix au mépris de tout fonctionnement démocratique et aux dépens d’une cohérence d’ensemble, une technostructure au sein de laquelle le parti communiste perd son rôle spécifique et ses moyens de contrôle. Mais cette sorte d’éclatement de l’initiative s’accompagne d’une vigoureuse croissance économique et d’une action extérieure de plus en plus puissante car l’État de droit et la qualité technique de la gouvernance publique et des institutions ont rapidement progressé. Avec l’avènement de Xi Jinping au sommet du parti et de l’État en 2012 s’est engagée une troisième phase à contre-courant des deux précédentes, avec une gouvernance totalement verticale. En effet, au nom de la suprématie politique légitime du parti communiste et de l’unité nationale que ce parti est supposé incarner, s’instaure une hégémonie personnelle qui couvre un régime dictatorial de type fasciste auquel concourent différentes oligarchies territoriales, institutionnelles et économiques avec des moyens techniques sans précédent. Mais les refrains à l’unisson des dirigeants, des hauts cadres, des médias, de l’internet et de nombreux vieux et jeunes Chinois, non plus que l’intransigeance ordinaire de la diplomatie chinoise, ne doivent pas dissimuler qu’il subsiste une fragmentation et des divergences permanentes qui peuvent, selon la conjoncture, infléchir sensiblement la trajectoire du despotisme actuel.

À l’issue de sa communication, Marianne Bastid-Bruguière a répondu aux observations et aux questions que lui ont adressées J.D. Levitte, J. de Larosière, G.H. Soutou et J.C. Trichet.

Verbatim du conférencier

Verbatim de l’intervention prononcée par Marianne Bastid Bruguière.

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Communication d’Odile Renaud-Basso :
La gouvernance optimale des pays en transition vers l’économie de marché : questions actuelles et voies de solution

Conférence du lundi 26 juin 2023 d’Odile Renaud-Basso, Présidente de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD)

Thème de la conférence : La gouvernance optimale des pays en transition vers l’économie de marché : questions actuelles et voies de solution

Synthèse de la séance

La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) a été créée, à l’initiative de la France, en 1991 pour accompagner les pays de l’ex-bloc soviétique dans leur transition vers une économie de marché et un système politique plus ouvert. Elle intervient à ce titre pour améliorer la gouvernance des pays mais est également partie prenante de la gouvernance mondiale.

La première question qui se pose est de savoir dans quelle mesure la bonne gouvernance des institutions publiques et des entreprises est un facteur de développement économique ? Il existe un lien entre la qualité des institutions et la croissance et l’augmentation du revenu par tête. Inversement des institutions dysfonctionnelles ou des facteurs d’incertitude tels que la corruption peuvent décourager l’investissement et peser négativement sur la croissance. Les études réalisées par la BERD montrent un lien direct entre des institutions faibles et une faiblesse de l’innovation et de l’entrepreneuriat qui se combinent souvent avec un phénomène de fuite des cerveaux, comme en Albanie par exemple.

L’une des spécificités de la BERD est qu’elle travaille à l’échelle institutionnelle (au niveau du fonctionnement de l’État) et microéconomique (sur la gouvernance des entreprises privées ou publiques). Concernant l’accompagnement des réformes au niveau national, la BERD met l’accent sur trois objectifs qui sont essentiels pour une économie efficace et prospère : l’État de droit, la qualité de la gouvernance publique et des institutions, l’intégrité du secteur public et la lutte contre la corruption. Au niveau de l’entreprise, l’action de la BERD s’appuie sur la notion de gouvernance d’entreprise, auquel elle intègre aujourd’hui les questions de climat et d’impact social avec la prise en compte du concept d’ESG.

La BERD a notamment accompagné les autorités ukrainiennes après la révolution de Maïdan en 2014, dans une réforme profonde des marchés publics pour les ouvrir à la concurrence, améliorer la transparence et la qualité des biens et des services fournis. Elle a notamment appuyé le projet pilote « ProZorro », qui signifie « transparent » en ukrainien, et qui assure une transparence totale dans la passation de marchés publics en ligne. Ces changements ont créé une nouvelle culture de suivi et d’évaluation des marchés publics, qui s’est avérée efficace pour relever les défis de la passation de marchés d’urgence durant la pandémie de COVID-19 et qui fonctionne actuellement dans les conditions d’économie de guerre.

La gouvernance est également un élément central de la lutte contre le réchauffement climatique. Les entreprises du secteur énergétique notamment sont la clé de la transition vers des économies bas carbone. En 2020, la BERD a ainsi fait un prêt d’urgence de 300 millions d’euros à la Société Tunisienne de l’Électricité et du Gaz (STEG). Cette entreprise contribuera à plus de 40% de la réduction des émissions de gaz à effet de serre en Tunisie, en remplaçant notamment la consommation de gaz par des énergies renouvelables. En 2012, la BERD a aidé la Roumanie à réformer son code national sur la gouvernance des entreprises cotées, en s’appuyant sur les principes du G20 et de l’OCDE.

La guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine remet en cause frontalement les règles les plus basiques des relations internationales, comme l’intégrité territoriale et le respect des frontières, et a mis en lumière les divisions de la communauté internationale, faisant apparaître les difficultés à trouver des solutions multilatérales aux défis du moment. Les blocages et les divisions qui apparaissent notamment sur la question des échanges commerciaux et les principes du libre-échange ou encore ceux sur les solutions au traitement de la dette des pays surendettés sont préjudiciables au bon fonctionnement de la bonne gouvernance mondiale. La fragmentation, à l’œuvre du système multilatéral est préoccupante en ce qu’elle fait prévaloir des logiques individuelles ou de bloc sur les intérêts collectifs et la protection des biens publics mondiaux.

À l’issue de sa communication, Odile Renaud-Basso a répondu aux observations et aux questions que lui ont adressées J. de Larosière, Th. de Montbrial, F. d’Orcival, C. Delsol, H. Korsia, M. Bastid-Bruguière, M. Pébereau, B. Stirn, J.C. Trichet.

Verbatim du conférencier

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Communication de François Villeroy de Galhau – Gouvernance des dépenses et services publics : y a-t-il encore un espoir ?

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France, est intervenu en séance le lundi 19 juin 2023.

Thème de la conférence : Gouvernance des dépenses et services publics : y a-t-il encore un espoir ?

Synthèse de la séance

Pour François Villeroy de Galhau, à la question de savoir si, face à une dégradation constante de la dépense et de la dette publiques, à un investissement intellectuel décroissant et à un sentiment de dégradation des services publics, il y a encore un espoir, la réponse est oui ; et cette réponse affirmative émane d’un praticien convaincu que le management public est possible en France.

Le constat factuel est certes préoccupant : depuis 40 ans, les finances publiques n’ont cessé de se dégrader, la dette représentant 20% du PIB en 1980, 112% aujourd’hui, cette évolution de la dette publique s’expliquant par celle du ratio de dépenses publiques qui est passé de 46% en 1980 à 58% aujourd’hui. Alors que la France est entrée dans la zone euro avec un ratio de dette égal à celui de l’Allemagne, depuis lors la dette de l’Allemagne a augmenté de 8 points seulement tandis que celle de la France de 53 points. La France se singularise ainsi de la plupart de ses voisins européens, passant de la 7ème place à celle du pays détenteur du record des dépenses publiques. La France se distingue en particulier par le niveau de ses dépenses en matière de protections sociales (retraites, santé, chômage) qui représentent 34% du PIB contre 29,5% en moyenne dans la zone euro ; ainsi que celles concernant le logement. Depuis 2001, la France a ainsi connu une croissance de ses dépenses bien plus importante que ses homologues européens. Si l’on souhaite ramener la dette publique sous 100% du PIB (niveau pré-COVID), la seule clé réside dans la stabilisation des dépenses publiques.

Durant ces 40 dernières années, la réforme publique a suscité des espoirs successifs mais décroissants depuis le « renouveau du service public » sous le gouvernement Rocard en 1989, l’adoption en 2001 de la Loi organique relative aux Lois de Finances (LOLF), le travail de la « Commission Pébereau » en 2005, la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) sous le Président Sarkozy puis la Modernisation de l’Action Publique (MAP) sous le Président Hollande jusqu’à Action publique 2022,sous la présidence actuelle. Mais la superposition de réformes sectorielles et les vagues successives de décentralisation ont engendré une perte de vision globale pour l’administration, tandis que la dictature des émotions et de l’actualité masque les défis structurels. Il manque cette « énergie persévérante » identifiée par Tocqueville comme la marque nécessaire pour que les réformes entreprises par l’État réussissent. Malgré les apports de courant comme le New Public Management dans la décennie 1980-90 ou les travaux de Jean Tirole ou de Philippe Aghion, la recherche académique est en voie d’appauvrissement, faute de s’emparer de la question fondamentale de la qualité et de l’efficacité de la dépense publique, dont la difficulté inhérente tient à la difficulté de mesure de la production publique.

Face à un fort sentiment de dégradation des services publics et à une insatisfaction tant des acteurs que des usagers ou des financeurs/contribuables, le redressement des services publics passe par un management public qu’il est possible de mettre en œuvre, comme l’atteste l’exemple de la Banque de France dont la transformation combine davantage de services, moins de coûts – avec un recul des effectifs de 25% depuis 2015 – et une présence territoriale maintenue. Cette transformation réussie permet d’identifier quatre leviers du changement : la fierté et l’objectivation des missions, la responsabilisation sur les moyens, un changement de culture managériale, plus ouverte, plus participative, plus transversale, et, vecteur essentiel, la simplification des procédures.

À l’issue de sa communication, François Villeroy de Galhau a répondu aux observations et aux questions que lui ont adressées Jacques de Larosière, Michel Pébereau, Jean-Claude Trichet, Xavier Darcos, Jean-Claude Casanova, Bernard Stirn, Hervé Gaymard.

Verbatim du conférencier

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Hommage à Denis Kessler

La séance du lundi 12 juin a été consacrée à un hommage à Denis Kessler, disparu la semaine précédente. Le président Trichet a prononcé les paroles suivantes :

Denis KESSLER

“Élu le 11 janvier 2016 dans notre compagnie au fauteuil de Michel Albert, dans la section Économie politique, statistique et finances, Denis Kessler était une grande figure de notre Académie. Il incarnait à la fois le brillant universitaire, l’intellectuel toujours présent dans le débat économique et social, le redoutable débatteur et le chef d’entreprise lucide et courageux. Denis Kessler incarnait pour tous nos confrères une figure imposante dans nos débats et conversations académiques, par son éloquence, par l’usage remarquable de ses métaphores et par la grande rigueur et le courage de ses analyses. Courage intellectuel et courage physique dont il a fait preuve en luttant jusqu’au bout contre la maladie qui devait l’emporter.
Né le 25 mars 1952 à Mulhouse, Denis Kessler a été élève au lycée Albert Schweitzer de Mulhouse puis au lycée Kléber à Strasbourg. En 1973 il intègre HEC et en sort diplômé en 1976. Il cumulera cette formation qui le prépare à son destin d’homme d’action et de dirigeant d’entreprise avec une maîtrise de sciences politiques, une maîtrise d’économie appliquée ainsi que par un DEA de philosophie à l’université Panthéon Sorbonne, avant de soutenir un doctorat d’État en économie en 1987. Il est nommé chargé de recherche au CNRS en 1986 et réussit le concours d’agrégation de sciences économiques en 1988, avant de devenir professeur des universités à l’université de Strasbourg Nancy, puis d’être nommé directeur d’études à l’EHESS (l’Ecole des hautes études en sciences sociales).
Une nouvelle période de sa vie s’ouvre alors, couronnée de succès grâce à son audace, son goût pour les idées novatrices et à son esprit d’entreprise. Il devient en 1990 le président de la Fédération française des sociétés d’assurance, avant de devenir directeur général et membre du comité exécutif d’AXA en 1997 et 1998.
S’inscrivant toujours davantage dans le paysage entrepreneurial français il devient vice-président du MEDEF de 1998 à 2002, en contribuant à instaurer et diffuser une nouvelle vision du risque et de sa place pour l’entrepreneur mais aussi dans la société entière.
Une nouvelle et longue page de la vie de Denis Kessler s’ouvre le 4 novembre 2002 lorsqu’il devient président directeur général du groupe de réassurance, SCOR, qu’il va animer et hisser à la 4èmeplace mondiale et dont il a été le président pendant 21 ans, de sa nomination à son décès. Il en avait encore présidé la dernière assemblée générale le 25 mai dernier, avec une détermination et une volonté inaltérées, malgré la maladie.
Mais il manquerait encore une pierre à l’édifice de la vie trop brièvement retracée ici de Denis Kessler si l’on n’évoquait pas la dernière aventure dans laquelle il s’était lancé et qui résume peut-être les talents et les multiples qualités de cet universitaire-entrepreneur. Il s’agit de son entrée dans le monde éditorial avec la constitution en 2016 du groupe Humensis, né de la fusion des Puf et Belin, qui regroupe des maisons prestigieuses comme les Puf, qui étaient menacées de disparition du paysage éditorial français, ainsi que d’autres maisons comme les éditions de l’Observatoire, Le Pommier ou de nouvelles maisons comme Passés Composés qui est à l’origine de livres d’Histoire remarquables. C’est aux éditions Belin, que Denis Kessler a eu la fierté de publier des outils pédagogiques permettant d’éveiller les élèves à l’économie dans le cadre du nouveau programme de Sciences économiques et sociales en partie inspiré des travaux menés par la section Economie.

Réunion de la section Économie politique, statistique et finances au Palais de l’Institut le 17 avril 2023 en présence du doyen Jean-Claude Casanova, de Pierre-André Chiappori, Denis Kessler, Michel Pébereau, Dominique Senequier et du correspondant George de Ménil


C’est à ces multiples visages de Denis Kessler que la journée organisée le 20 avril dernier par l’Institut Aspen à la Fondation del Duca, autour de « Des hommes qui lisent » a rendu hommage. Reçu dans cette grande salle des Séances par Michel Pébereau qui avait mis en exergue ses nombreuses qualités, parmi lesquelles une capacité d’analyse exceptionnelle, le sens du bien commun, une remarquable lucidité dans l’évaluation des risques, un don incontestable de pédagogue, mais aussi celles de réformateur et de mécène, Denis Kessler incarnait de manière remarquable les multiples qualités de notre compagnie.”

Après cette lecture, l’Académie a observé une minute de silence.

Intervention d’Emmanuel Faber – La gouvernance mondiale de la transition verte : la nouvelle organisation internationale de normalisation de la finance durable

Emmanuel Faber, Président du Conseil des normes internationales d’information sur la durabilité, est intervenu en séance le lundi 5 juin 2023.

Thème de la conférence : La gouvernance mondiale de la transition verte : la nouvelle organisation internationale de normalisation de la finance durable

Synthèse de la séance

Si le lien entre comptabilité et climat s’impose comme une nécessité aujourd’hui compte-tenu des risques financiers liés aux questions de dérèglement climatique et de développement durable, ce n’est que récemment que la communauté comptable et financière a pris conscience de l’importance d’une comptabilité climatique et d’un cadre réglementaire spécifique d’informations liées à la durabilité. C’est à la 26ème Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques en 2021 à Glasgow que la création de l’ISSB a été annoncée. L’International Sustainability Standards Board est un organisme chargé de créer et développer des normes d’information financière relatives au développement durable afin de répondre aux besoins des investisseurs en matière d’information environnementale. Cette démarche s’inscrit dans la lignée des IFRS (International financial reporting standards) qui depuis 2005 constituent les normes permettant d’uniformiser la présentation des données comptables. La plupart des grandes entreprises européennes et des groupes français cotés ont adopté les IFRS, tel Danone en 2005. L’accélération du dérèglement climatique qui a entraîné par exemple l’arrêt du trafic sur le Rhin en raison de la chute du débit du fleuve ou qui fait dire aux plus grands groupes d’assurance et de réassurance qu’un monde à plus 4°C n’est pas assurable incite à trouver un langage comptable pour intégrer le climat dans l’analyse systémique des risques.

En mars 2022, l’ISSB a publié un projet préliminaire afin de définir le champ lexical du nouveau langage comptable intégrant les risques climatiques et le 26 juin paraîtront les deux premières normes, applicables dès le 1er janvier 2024. La première difficulté rencontrée dans ce travail est qu’aujourd’hui, au sein de la même entreprise, les décisions d’investissements et celles liées à l’application des critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) ne sont pas articulées entre elles. Un changement culturel et une véritable stratégie sont nécessaires pour éviter le risque du greenwashing. Par ailleurs, le risque serait que se développe une cacophonie analytique et comptable et que la fragmentation de systèmes de comptabilités se poursuive. L’autre difficulté est politique : les risques financiers liés au climat vont nécessairement faire basculer les marchés financiers mais la transition climatique ne pourra se faire que si elle est acceptée socialement et si les efforts sont répartis de manière équitable. À l’échelle internationale, l’accord de Paris conclu à l’issue de la COP21 a posé ce principe d’une responsabilité commune mais différenciée, les pays du sud demandant à juste titre la justice climatique. Dès lors, comment œuvre-t-on à une transition juste et à un juste partage des efforts ? Quelles réponses apporte-t-on à la fermeture des chaînes de valeur (par exemple des véhicules à moteur thermique qui seront interdits à la vente en Europe en 2035), comment forme-t-on la population à d’autres métiers, comment protège-t-on les plus vulnérables si la transition se traduit par une forte inflation ?

Le climat, bien commun de l’humanité, est peut-être le seul élément qui fasse encore exister un multilatéralisme, bien en berne par ailleurs. Les marchés financiers en sont un allié essentiel, le connecteur le plus universel à l’échelle de la planète. Toutefois, l’émergence de politiques publiques est fondamentale pour tracer la route et encadrer des marchés qui sont aveugles et ne sont pas tout puissant. En termes de gouvernance, il est urgent que la comptabilité du secteur public progresse également et que les États se dotent des outils de pilotage budgétaire à même d’accompagner la transition et de prendre en compte le risque climat dans la comptabilité publique.

À l’issue de sa communication, Emmanuel Faber a répondu aux observations et aux questions que lui ont adressées S. Sur, B. Stirn, J. Tirole, J. de Larosière, J.D. Levitte, J.C. Trichet.

Réécoutez la conférence

Intervention de Lionel Zinsou – Réflexions sur la meilleure gouvernance des pays en développement et émergents, en particulier des pays africains

Lionel Zinsou, Ancien Premier ministre du Bénin (2015-2016) et Président de Southbridge, est intervenu en séance le lundi 22 mai 2023.

Thème de la conférence : Réflexions sur la meilleure gouvernance des pays en développement et émergents, en particulier des pays africains

Synthèse de la séance

L’Afrique a un appétit de liberté, de solidarité et d’union. Tout « prince », en charge des affaires publiques, est confronté aux mêmes devoirs génériques, qui ne relèvent en rien d’un quelconque folklore. Il faut garantir une pérennité de l’action et une union des populations, ce qui relève de la gageure lorsqu’elles parlent 14 langues et qu’elles se sont souvent combattues. Il y a aussi à délivrer des résultats sociaux, notamment lorsque la jeunesse de la population fait parfois augmenter de 100 000 élèves en un an le nombre d’écoliers. Il faut également délivrer de la sécurité, notamment dans des régions où sont présentes des filiales de Daesch ou d’Al Qaeda, capables de s’unir pour co-produire de la barbarie, et dont les intentions sont bien plus politiques que religieuses, comme l’atteste le pourcentage élevé des victimes parmi les musulmans. La gouvernance africaine n’est pas une gouvernance exotique. Les responsabilités politiques sont les mêmes que partout ailleurs et il s’agit de déconstruire un certain nombre de clichés ou d’erreurs d’analyse. Tout d’abord, celle qui consisterait à penser qu’il faudrait un régime autoritaire pour engendrer un développement économique. Les exemples du Maroc, du Sénégal ou du Ghana invalident cette hypothèse erronée. La deuxième erreur serait de penser que la corruption est un inhibiteur de croissance. Certes elle a des effets, moraux et économiques, dévastateurs mais les plus fortes croissances- notamment asiatiques – sont-elles exemptes de corruption ? La troisième erreur serait de penser que les capacités de développement africaines seraient plombées par une croissance démographique excessive. Les raisons structurelles qui expliquent aujourd’hui que la croissance démographique reste forte en Afrique tiennent à l’allongement de l’espérance de vie et non à la fécondité qui régresse partout. Dans certains pays, comme en Tunisie, l’indice synthétique de fécondité est aujourd’hui inférieur au seuil de renouvellement des générations (1,8). La démographie n’inhibe donc en rien le fonctionnement politique et l’Afrique bénéficie d’un rapport très favorable entre les actifs et les inactifs, à l’instar de l’Inde. Une autre erreur serait de considérer qu’il y a un fort taux d’analphabétisme empêchant une large part de la population de s’intéresser aux affaires publiques. Or, aujourd’hui, le demos a beaucoup changé : il est parfaitement informé par les réseaux sociaux et a le sentiment de bien connaître les problèmes et les solutions possibles. Il y a une forte opinion publique, consciente et éclairée en Afrique aujourd’hui, avec de fortes aspirations démocratiques, comme on peut le constater au Bénin, au Sénégal, au Nigéria, au Kenya, en Tanzanie ou encore en Namibie.

La gouvernance économique a fait encore plus de progrès que la gouvernance politique. De nombreuses start up technologiques sont devenues des licornes. La progression du secteur économique est d’autant plus notable qu’il n’y avait pas de secteur privé au moment des indépendances.

Concernant la gouvernance mondiale, l’Afrique n’y est pas invitée. Elle a par ailleurs du mal à s’aligner sur l’Occident, pour des raisons mémorielles – dans son histoire, l’Occident n’a pas été la parfaite incarnation des valeurs qu’il défend, passant du code Noir au régime de l’indigénat et inventant le travail forcé après avoir aboli l’esclavage ; et pour des raisons immédiates. L’Afrique attend de voir si le dialogue, notamment concernant les négociations environnementales, est équilibré et souhaite peser du poids de ses 54 États qui peuvent peser s’ils s’unissent pour parler d’une même voix.

À l’issue de sa communication, Lionel Zinsou a répondu aux observations et aux questions que lui ont adressées X. Darcos, H. Korsia, J.R. Pitte, G. Alajouanine, F. d’Orcival, H. Gaymard, P. Delvolvé, M. Bastid-Bruguière.

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Intervention d’Alain Minc – la gouvernance des entreprises concurrentielles dans une économie capitaliste de marché

Alain Minc, haut fonctionnaire et chef d’entreprise, président d’A.M. Conseil et de la SANEF, est intervenu en séance le lundi 15 mai 2023.

Thème de la conférence : Réflexions sur la gouvernance des entreprises concurrentielles dans une économie capitaliste de marché

Synthèse de la séance

Alain Minc commence par dresser le panorama mondial des systèmes capitalistes qui sont en concurrence, comme des entreprises. Le capitalisme français, tout d’abord, se caractérise par trois traits spécifiques. Il est premièrement intensément capitaliste. La présence de groupes familiaux dans les entreprises du CAC 40 est extrêmement importante en France, du fait du poids de groupes récents dans le secteur du luxe mais aussi de groupes familiaux transmis de génération en génération. Ainsi, hormis la Californie, l’endroit où il y a le plus de grands capitalistes serait la France. Cet étrange paradoxe pourrait s’expliquer par l’hypothèse – provoquante – que l’on s’éduque peut-être mieux au capitalisme dans un environnement socialisant voire socialiste, même si l’on est entré aujourd’hui dans une période davantage « business friendly ». La deuxième caractéristique du capitalisme français est la présence des acteurs mutualistes et la troisième, celle des salariés comme actionnaires des entreprises capitalistes. Ceci est le produit des actionnariats salariés nés des privatisations, de l’existence d’une législation favorable à l’octroi d’avantages pour tous les plans d’actionnariats salariés et enfin d’une volonté politique « trans-courant » à l’intérieur du « cercle de la raison ». Il en résulte des entreprises où la part des salariés au capital est extrêmement importante, comme dans les groupes Bouygues, Eiffage ou Vinci par exemple. Ce principe de l’actionnariat salarié est d’ailleurs la seule manière de corriger la distorsion qui s’est creusée au cours des dernières années entre capital et travail au profit du capital, sans recourir à des hausses massives de salaires, impossibles du fait de la perte de compétitivité vis-à-vis de nos concurrents internationaux que cela induirait. Il serait bon qu’une loi fixe pour les sociétés cotées en bourse d’atteindre, dans les 3 ans, au moins 10% de leur capital détenu par les salariés, et pour les sociétés non cotées, d’émettre des actions sans droits de vote au profit des salariés.

Le capitalisme allemand se caractérise par la cogestion, la célèbre Mitbestimmung, qui fait que les conseils de surveillance sont partagés entre les représentants des actionnaires et ceux des salariés désignés par les syndicats. Contrairement à la France, qui dispose de banques exceptionnelles, le système capitaliste allemand s’accompagne de banques médiocres et ambiguës dans leur fonctionnement, mais sa richesse vient des entreprises moyennes, le Mittelstand, relevant de la propriété familiale, et non de la bourse.

Concernant le capitalisme anglo-saxon, la variante anglaise est plus pure car bâtie sur un schéma très simple : une action donne droit à un vote ; tandis que le système américain, plus ambigu, autorise d’avoir des actions avec de multiples droits de vote, des actions sans droit de vote et crée des mécanismes qui donnent un pouvoir léonin aux fondateurs des entreprises, comme on le voit pour les créateurs des GAFA dans la Silicon Valley.

En Asie du Sud-Est, et bientôt en Afrique, ce sont des oligarchies de pouvoir qui contrôlent des entreprises cotées. En Russie, on pourrait qualifier le capitalisme de capitalisme comprador, du terme employé par Marx pour désigner la bourgeoisie de rentiers.

Enfin, reste le capitalisme chinois dont la vitesse considérable de développement s’est néanmoins faite à l’ombre du Parti communiste et à la merci d’une mainmise du pouvoir politique sur le pouvoir économique.

Au cœur du capitalisme, quelle que soit sa forme, existe une matrice : l’entreprise. Qu’est qu’une entreprise ? une entité appartenant à ses actionnaires, une entité faite du capital (les actionnaires) et du travail (les salariés), une entité qui fait la synthèse entre les parties prenantes (actionnaires, salariés, clients, parties prenantes de l’environnement…). Depuis la loi PACTE de 2019, sont aussi apparues en France les entreprises à mission.

Un modèle français de la gouvernance d’entreprise gagnerait à emprunter aux règles anglo-saxonnes ce qu’elles ont de bon en termes de compliance (respect des règles) et d’accountability (transparence) et à rester très latin et attaché à un principe d’empirisme.

À l’issue de sa communication, Alain Minc a répondu aux observations et aux questions que lui ont adressées H. Gaymard, M. Pébereau, F. d’Orcival, G.H. Soutou, J.C. Trichet, J.R. Pitte, H. Korsia, L. Ravel, Th. Fortsakis.

Verbatim du conférencier

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Intervention de Patricia Barbizet – La gouvernance optimale des entreprises privées françaises

Patricia Barbizet, présidente du Haut Comité pour le gouvernement d’entreprise (HCGE), future présidente de l’Association française des entreprises privées au 1er juillet prochain et ancienne directrice générale de la société Artémis, est intervenue en séance le lundi 17 avril.

Thème de la conférence : La gouvernance optimale des entreprises privées françaises

Synthèse de la séance

La réflexion sur les modes de gouvernance est ancienne et on la trouvait déjà dans La République de Platon. Toutefois le questionnement sur la bonne gouvernance des entreprises est relativement récent. Jusqu’au milieu du XIXème siècle, les entreprises étaient majoritairement possédées et dirigées par leur fondateur ou ses descendants. Depuis, le capital des entreprises a été progressivement ouvert à des tiers, la production industrielle a changé d’échelle, les chaîne de valeur se sont mondialisées, les marchés financiers internationalisés et un mouvement de privatisation s’est développé à la fin du XXème siècle. Ces transformations ont amené à une réflexion sur les critères de bonne gouvernance.
Trois pouvoirs cohabitent dans les entreprises et sont concernés par ces bonnes pratiques : le pouvoir des actionnaires, le pouvoir exécutif qui assure la conduite quotidienne de l’entreprise et le pouvoir de supervision exercé par le conseil d’administration qui examine et valide les orientations stratégiques.
La quête de la bonne gouvernance est illusoire. Chaque modèle de gouvernance présente des particularités et doit donc être adapté à chaque entreprise. D’autre part, la gouvernance n’est pas un objet théorique mais une affaire de pratiques. Elle résulte d’un équilibre effectif de rapports de force.

La cristallisation des principes de bonne gouvernance d’entreprise date de 1978 et de la publication aux États-Unis par l’American bar association d’un guide du dirigeant de société côté. La France s’empare de la réflexion en 1995 avec le rapport Vienot, tandis que l’OCDE publie en 1999 un guide sur « les Principes de gouvernement d’entreprise ». Même si des traditions demeurent, comme le principe de Mitbestimmung en Allemagne, des principes communs de gouvernance sont aujourd’hui répandus dans le monde. Après les scandales Enron et Worldcome au début du XXIème siècle, le rapport Bouton en 2002 poursuit le travail d’amélioration du gouvernement d’entreprise selon le double prisme de la transparence et de l’efficacité. Aujourd’hui, le code Afep-Medef présente un ensemble de recommandations exigeant et précis et est adopté par la quasi-totalité des sociétés du SBF 120. Même si de mauvaises pratiques existent encore et que des écueils restent à éviter, tels que l’impréparation de la succession à la tête de l’entreprise, une priorisation excessive du court-terme, une répartition floue des responsabilités, ou encore le manque d’humilité et de mesure des dirigeants, la France est dans le peloton de tête de la bonne gouvernance des entreprises.

Institué en 2013, le Haut Comité de Gouvernement d’Entreprise suit et accompagne les entreprises dans l’application du code Afep-Medef. L’objectif du HCGE et l’application du droit souple qu’il promeut est d’inciter sans contraindre, selon le principe « appliquer ou expliquer » afin que les entreprises adoptent des pratiques vertueuses tout en tenant compte de leurs besoins et de leurs spécificités. Le HCGE est également très mobilisé par les règles de composition des conseils d’administration dont les visages ont beaucoup changé depuis les années 1990. Aujourd’hui la responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises constitue un nouvel enjeu de gouvernance. Se posent la question du partage de la valeur au profit de l’ensemble des parties prenantes, au-delà des seuls actionnaires ; et celle de la prise en compte des enjeux climatiques. La dernière modification du code Afep-Medef en tient également compte. C’est un nouveau chapitre de la gouvernance des entreprises qui est en train de s’écrire, dans lequel le HCGE a un rôle à jouer et où la France se place dans le peloton de tête de ces transformations profondes.

À l’issue de sa communication, Patricia Barbizet a répondu aux observations et aux questions que lui ont adressées D. Kessler, P. Delvolvé, J. de Larosière, J.C. Casanova, H. Korsia, M. Pébereau.

Consultez le verbatim du conférencier

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