Séance du lundi 20 février 2006
par M. Jean-Amédée Lathoud
Réfléchir sur le rôle des procureurs, leur place dans l’organisation judiciaire, l’avenir du ministère public est un thème d’actualité, mais un sujet difficile. En effet nos concitoyens méconnaissent souvent les responsabilités et l’organisation du parquet : en 1995, un sondage révélait que 90 % des français, étaient favorables à l’indépendance des procureurs, mais il ajoutait que 85 % des français ne faisaient pas la différence entre un avocat, un juge, un magistrat du ministère public !!!
La réflexion sur les procureurs, s’inscrit dans une époque qui entretient une “culture de soupçon” ; les institutions et la justice connaissent une grave crise de confiance dans l’opinion. Certains évoquent les expériences étrangères, le modèle anglo-saxon de “Common Law”, pour proposer une réforme radicale du système français.
Je voudrais, pour éclairer le débat sur la place, le rôle et l’avenir du ministère public, des magistrats des parquets, des procureurs et de leurs substituts, développer successivement deux thèmes :
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Tout d’abord, pour mieux comprendre la situation actuelle, rappeler que le ministère public est un acteur essentiel de la vie judiciaire ;
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Ensuite nous interroger, sur le ministère public de demain, face aux interrogations d’aujourd’hui.
Le ministère public, acteur essentiel de la vie judiciaire
Les magistrats du ministère public, forment avec leurs collègues du siège — les juges —, le corps judiciaire.
A) Dans cette organisation, les “parquetiers”, successeurs des “gens du Roi”, les avocats et procureurs qui représentaient les intérêts généraux, du Roi…. devenus ceux de la République, sont des magistrats à part entière ; ils ont pour mission de défendre les intérêts de la société, dans le respect des libertés individuelles, comme l’a rappelé à plusieurs reprises le Conseil Constitutionnel (11.8.1993 et 2.2.1995).
Ils veillent à la bonne application de la loi et à la protection de l’intérêt général devant les juridictions.
Ils agissent, ils requièrent, ils concluent non pas au nom de l’Etat, ou du gouvernement, mais au nom de la Nation, de la République souveraine.
Les magistrats du parquet, ne sont pas une partie comme les autres ; ils ne représentent pas des intérêts particuliers ; leur légitimité est fondée sur une délégation de souveraineté : ils requièrent librement, en âme et conscience, au nom du peuple français, au nom de la Loi…
L’organisation hiérarchique du parquet et son rattachement au Garde de Sceaux, membre du gouvernement de la République sont garants de cette cohérence et de l’expression de l’intérêt général.
L’histoire du parquet, son statut, son avenir portent sur la difficile conciliation de l’indépendance de ses magistrats et de leur subordination au pouvoir de la nation.
B) L’organisation des magistrats du ministère public, permet un travail en équipe. Il existe un parquet devant chaque tribunal de grande instance, devant chaque cour d’appel, devant la Cour de cassation… Les procureurs, assistés de leurs collaborateurs (les substituts) également magistrats, travaillent “sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du ministère de la justice” (article 5 ord. 22.12.1958). Il existe 1960 “parquetiers”, sur un corps de 7500 magistrats. Ils sont installés à l’intérieur des Palais de justice, et des fonctionnaires travaillent à leurs côtés.
Cette structure hiérarchique, très discutée à la fin des années 90, a été réaffirmée, avec force, par la loi du 9 mars 2004, confiant au Garde des Sceaux la “conduite de la politique d’action publique” et la “possibilité de donner des instructions” générales ou individuelles positives ; le procureur général veille à l’application de la loi pénale sur l’étendue de son ressort, au bon fonctionnement des parquets ; il anime et coordonne l’action des procureurs de la République ; il a une responsabilité d’échange d’informations, générales ou particulières, entre les parquets et le Garde des Sceaux…
C) Les responsabilités confiées par le loi aux procureurs de la République et à leurs collaborateurs sont immenses. Je n’évoquerai pas les attributions des parquets devant les juridictions civiles ou commerciales, leurs compétences pour agir en matière de mineurs en danger, de majeurs à protéger, les pouvoirs qui leurs sont confiés en ce qui concerne les entreprises en difficulté, les officiers publics et ministériels…
Je me limiterai à la matière pénale, où le parquet joue un rôle essentiel.
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Les magistrats du ministère public, ont tout d’abord des responsabilités juridictionnelles
Les parquets reçoivent les plaintes, les dénonciations ; ils sont avisés chaque jour par les services de police et de gendarmerie de tous les crimes et délits qui sont constatés, par des rapports écrits, des communications téléphoniques…
Informés, ces magistrats dirigent l’exercice de la police judiciaire en donnant des instructions d’enquête, en désignant le service de police ou de gendarmerie le plus approprié, en requérant contrôle d’identité, examens techniques, garde à vue, perquisitions, saisies, auditions…
Les magistrats du parquet décident de l’opportunité des poursuites à l’issue de l’enquête initiale. Ainsi ils ont un choix important à opérer pour chaque affaire : les parquets peuvent décider de classer sans suite (auteurs inconnus ou poursuites inopportunes). Ils peuvent également décider une mesure alternative aux poursuites (rappel à la loi, classement sous condition, médiation réparation, injonction thérapeutique …), s’ils estiment que la victime est désintéressée, l’auteur ne réitéra pas, et que le trouble à l’ordre public a cessé…
Ils peuvent, enfin, décider de saisir les juges suivant plusieurs formes de procédures :
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- convocation devant le tribunal ;
- comparution immédiate ;
- propositions de composition pénale ou de comparutions avec reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) ;
- ouverture d’une instruction.
Aux audiences, les procureurs ont la responsabilité de requérir l’application de la loi, d’exposer les charges de l’accusation, de requérir la détention provisoire ou des peines. Ils disposent d’un droit d’appel.
Ils ont enfin, le devoir de veiller à l’exécution effective de ces peines, de concourir à l’entraide répressive internationale.
- Les magistrats du ministère public, ont, aussi en matière pénale, des responsabilités de politique criminelle.
Les parquets ont le devoir d’apprécier, la réaction judiciaire la plus, opportune, au regard des exigences de sécurité que souhaitent nos concitoyens et les pouvoirs publics.
Au delà du procès pénal l’engagement des magistrats du ministère public doit prendre, également en compte,
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l’intérêt des victimes (modalités d’accueil dans les services d’enquête, au palais de justice ; avis sur les suites données aux plaintes ; soutien aux associations d’aide aux victimes…)
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la prévention (par exemple en matière de mineurs victimes ou auteurs de délinquance ; en matière de circulation routière ; de toxicomanie ; de lutte contre la récidive pour les SME, les TIG ou les sortants de prison…)
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l’ordre public, en relation avec les autorités administratives (préfets, police, gendarmerie, DTE, DCCRF, environnement, etc…) et les collectivités territoriales (départements pour l’assistance éducative et les communes pour la sécurité)
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les moyens humains et matériels dont disposent la juridiction (PJJ, SPIP, nombre de magistrats et de fonctionnaires) dans le cadre des exigences de la récente loi organique de finance (LOLF) (objectifs, performances, enveloppes budgétaires, plafonds d’emploi…)
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Ce modèle français est critiqué à la suite d’échecs graves dans plusieurs procédures, de l’envoi d’un hélicoptère en Himalaya, à la lumière de certaines expériences étrangères. Beaucoup militent pour une réforme fondamentale du ministère public. Ils mettent en cause son organisation hiérarchique, sa place centrale dans la procédure, le statut de magistrat de ses membres…
Quel ministère public pour demain ?
Le débat public porte depuis plusieurs années sur la qualité de magistrat, des membres du ministère public, dans la mesure où ils sont hiérarchisés jusqu’à un membre du gouvernement. On s’interroge sur la comparaison de notre système avec ceux de l’étranger et sur la bonne organisation de l’Etat, notamment en matière d’exercice de la police judiciaire.
Certains considèrent (cf M. Le procureur général BURGELIN, Figaro du 8 février 2006) que le parquet français est condamné par l’évolution internationale.
Notre ministère public peut-il rester une exception française ?
Certes le modèle anglo-saxon des pays de “Common-law” est devenu majoritaire dans le monde. Dans ce système, le procureur que nous connaissons n’existe pas : la police dirige les enquêtes, les avocats de la défense recherchent les preuves aux frais de leurs clients, l’accusation est soutenue à l’audience par des avocats …
Mais le système américain, n’est pas sans reproches : il est cher et inégalitaire pour les parties ; les victimes n’y occupent pas une place centrale, il n’exclut pas les erreurs judiciaires (cf article Libération 12.06.2000 ; “Etats Unis : l’horreur judiciaire – Aux USA, 68 % des condamnations à mort prononcées entre 1973 et 1995 ont dû être révisées”).
On note qu’en Grande Bretagne on a récemment créée un “Crown prosecution Service” pour contrôler les policiers du “Home office”.
Le Conseil de l’Europe, dans une recommandation 2000 (19) adoptée le 6 octobre 2000, par le Comité des ministres, “sur le rôle du ministère public dans le système de justice pénale”, reconnaît aux états la possibilité d’organiser “un ministère public qui dépende du gouvernement, ou se trouve subordonné à lui”, à condition que cette organisation, permette au ministère public d’agir de façon équitable, impartiale et objective, pour favoriser l’équité, l’efficacité et la célérité de la justice pénale.
Ainsi le système français, est compatible avec nos engagements internationaux et avec les “standards” européens, soucieux de garantir les droits de l’homme et d’accroître l’efficacité de la justice pénale.
La mondialisation a certainement une influence considérable sur les évolutions nécessaires de nos institutions. La France, a modifié la Constitution en juillet 1999 (nouvel article 53-2), pour ratifier la Convention portant statut de la Cour Pénale Internationale (CPI) chargée notamment de juger les crimes contre l’humanité.
Cette organisation nouvelle a mis en place des solutions originales, compromis entre des traditions juridiques différentes :
Le procureur (élu pour 9 ans, par les 89 états qui ont reconnu la CPI) a le pouvoir d’ouvrir des enquêtes, mais son instruction est supervisée, contrôlée par une “chambre préliminaire”, qui garantie les droits de la défense, des victimes et les poursuites. Cette chambre préliminaire confirme les charges avant que ne s’ouvre le procès devant la cour de jugement.
L’expérience et l’histoire nous diront si ce système, que la France a largement inspiré, influencera notre législation interne… Des réformes sont attendues de tous. Le législateur décidera, le moment venu, le système le plus approprié à nos attentes de sécurité et de liberté.
Mais il paraît souhaitable pour le ministère public de continuer à concilier appartenance à la magistrature et organisation hiérarchique
Les membres du ministère public, ne sont pas de simples “agents du pouvoir exécutif”, ils sont des magistrats : pour analyser les faits d’une enquête, pour diriger les services de police judiciaire, pour apprécier l’opportunité des poursuites individuelles, pour prononcer des réquisitions pertinentes et humaines, les procureurs doivent partager les mêmes valeurs, la même éthique, la même démarche intellectuelle que les juges :
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connaissances juridiques, humaines et techniques ;
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impartialité, refus d’un esprit partisan ;
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objectivité, discernement, esprit critique ;
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culture de doute, rapidité de décision ;
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loyauté, délicatesse et courtoisie ;
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respect des individus et individualisation de leurs réquisitions ;
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souci de veiller au respect de la loi et des libertés, à l’efficacité de la justice.
C’est pour cela, que les procureurs ne s’expriment pas au nom d’intérêts particuliers, (bien sûr légitimes) mais que la loi leur reconnaît, une totale liberté de parole, pour “exprimer ce qu’ils croient convenable au bien de la justice” (article 33 du code de procédure pénale).
Les magistrats du ministère public, qui expriment l’intérêt général, ne peuvent être isolés ; ils travaillent nécessairement en équipe.
Cette structure hiérarchique, n’est pas une bureaucratie : elle est la condition de la cohérence de la direction des policiers et des pratiques de poursuites menées par les parquetiers dans les juridictions ; elle permet la garantir, le principe d’égalité des citoyens devant les poursuites. Sans une structure hiérarchique, il y aurait place pour l’arbitraire des uns, les désaccords des autres (par exemple pour répondre à la toxicomanie, aux violences urbaines…). Les confusions provoquées par des enquêtes parallèles ou les refus de coopérer doivent être évités, grâce à une coordination.
Cette organisation hiérarchique, justifie que les parquets rendent compte de tous les événements susceptibles de troubler l’ordre public, d’illustrer des difficultés d’application de la loi pénale, de connaître un retentissement médiatique important, ou de poser les questions touchant le bon fonctionnement de l’institution…
Une telle organisation, suppose un sens de l’écoute, du travail en équipe, l’acceptation des différences et l’aptitude au dialogue, pour atteindre l’objectivité et l’impartialité ; les responsables hiérarchiques en sont garants.
Cette organisation hiérarchique, reconnue par le Conseil Constitutionnel (9 mars 2004), ne peut être “coupée” des pouvoirs publics, responsables devant la nation et ses représentants, de la politique pénale.
Car la politique pénale, n’est pas seulement l’affaire des magistrats de l’ordre judiciaire. Elle concerne également la prévention, l’éducation, les soins… Elle implique un engagement important des autorités administratives, des élus locaux…
La politique pénale, à laquelle les décisions judiciaires contribuent, concerne aussi la pertinence des lois, les modalités de leur application, l’exécution des peines éducation, de prison ou d’amende…
La politique pénale touche l’entraide répressive internationale, les intérêts fondamentaux de la nation…
A ce titre, il est légitime qu’un dialogue permanent existe entre le parquet, qui assure une “interface” avec des juges indépendants, et le Ministre de la justice. Un renforcement des garanties statutaires reconnues aux procureurs, la transparence des instructions individuelles et générales, une meilleure organisation de compte-rendus d’activité…doivent permettre de renforcer un dialogue, permanent, confiant et sans servilité.
Les réformes à venir sont nécessaires et difficiles, mais elles prendront en compte la complexité de ces missions remplies pour le Bien Commun.
Comme, l’écrivait, en avril 1995, dans la Revue Municipale de Versailles, ville dont il était alors le Maire, Monsieur le Bâtonnier DAMIEN,
“Ce doute de l’opinion, ces errements, sont le signe d’une crise latente que des réformes permettront, je le pense, de surmonter, pour que les français retrouvent cette confiance indispensable dans leur Justice, reflet d’une confiance retrouvée en eux-mêmes”.