Pour ou contre les autorités administratives indépendantes ?

Séance du lundi 29 octobre 2007

par M. Roland Drago

 

 

La rédaction du titre de cette étude ne doit pas conduire à une confusion. Il ne s’agit pas d’établir dans deux colonnes les arguments favorables ou défavorables concernant les Autorités administratives indépendantes, encore moins de désigner celles qui ont réussi et celles qui étaient inutiles, qu’il s’agisse de la France ou d’autres Etats. On doit les considérer comme une donnée du droit public et du système administratif dans la plupart des Etats du monde et réfléchir sur leur sens profond. La littérature en France et ailleurs est considérable et c’est à partir d’elle qu’on peut entreprendre la réflexion sur ce qui est véritablement un phénomène de notre époque [1].

Dans le droit français, une Autorité administrative indépendante est une institution créée par la loi, dirigée par un conseil délibérant composé de personnalités indépendantes, souvent dotée de la personnalité juridique et chargée de gérer un secteur de la vie nationale dans le domaine économique, technique, social, politique, intellectuel en n’étant pas soumise à la hiérarchie ministérielle. Elle agit par des avis, propositions, règlements, décisions individuelles, sanctions. Dès qu’on étudie l’une ou l’autre de ces autorités, tout est discutable dans cette définition qui est donc périlleuse comme toutes les définitions et c’est peut-être l’intérêt de cette étude. Mais il fallait bien partir par elle.

Dans les Etats de langue anglaise, le nom qui lui est le plus souvent donné est Quasi autonomous non-governmental organisations (QUANGOS) et c’est cette appellation qui est le plus souvent utilisée dans le monde.

Au point de vue historique, on pourrait dire que l’institution est ancienne en la comparant aux corporations de l’Ancien régime ou à l’établissement public tel que le reconnaissait le code civil. Cette comparaison n’est qu’approximative et on y reviendra. Il semble que le système est apparu aux Etats Unis à l’époque du New Deal, mais il s’est surtout développé au Royaume Uni après la seconde guerre mondiale.

En fait, si l’on peut utiliser un terme paradoxal et même vulgaire, on dira que l’extraordinaire expansion apparue au milieu du XXe siècle correspond à une mode et, pour la comprendre, on prendra l’exemple d’une autre institution, l’Ombudsman suédois [2]. Voici un organe de défense des citoyens, créé par la Constitution de 1809 et qui va fonctionner pendant tout le XIXe siècle et la moitié du XXe siècle sans que les juristes, les politiques et l’opinion de tous les pays le connaissent et en fassent l’éloge. Cette indifférence va cesser en 1954 avec la création d’un Ombudsman au Danemark. Le titulaire de cette fonction avait sans doute le désir de se faire connaître et il lança dans le monde un extraordinaire mouvement de publicité. Cette action fut bien reçue par la presse, le mouvement se répandit et chaque pays voulut avoir son Ombudsman. Seule, la France résistait en considérant que son juge administratif exerçait la fonction de contrôle avec plus de pouvoirs et de garanties. Mais elle finit par céder à la pression médiatique et la loi du 3 janvier 1973 créa le « médiateur » devenu en 1989 « médiateur de la République » et qui coexiste désormais avec le juge administratif. Le paradoxe continue puisque le Médiateur est aujourd’hui classé parmi les autorités administratives indépendantes !

La mode de l’Ombudsman est donc suivie par la mode des QUANGOS. Qui aurait jamais pu penser que la mode aurait des effets sur les institutions administratives ? A quels éléments du système étatique la mode s’attaquera-t-elle dans l’avenir ?

Selon le document parlementaire publié en 2006, le nombre des Autorités administratives indépendantes existant en France est actuellement de 55. La lecture de cette liste montre qu’elle ne remonte qu’à la fin des années 60. Il conviendra de se demander si des institutions correspondant à la définition n’ont pas existé avant cette période. Mais, auparavant, il est utile de rechercher d’abord quelle est leur position au regard du droit constitutionnel et ensuite, de situer leur pouvoir réglementaire.

Les solutions données dans ce domaine par le Conseil constitutionnel sont bien connues et ont situé la position des autorités administratives indépendantes par rapport au gouvernement au regard de l’article 21 de la Constitution. On citera ce passage classique de la décision 217 DC du 18 septembre 1986 :

« Considérant… que, dans l’exercice de ses compétences, la CNCL sera, à l’instar de toute autorité administrative, soumise à un contrôle de légalité qui pourra être mis en œuvre tant par le gouvernement qui est responsable devant le Parlement des activités des administrations de l’Etat que par toute personne qui y aurait intérêt ».

L’indépendance des autorités n’est examinée qu’au regard de la durée des mandats des membres (Cons.const, n°260-DC du 28 juillet 1989). Quant au pouvoir réglementaire, il suffit qu’il soit attribué par la loi [3] (Cons.const, n°173-DC du 26 juillet 1984).

Ainsi, le juge constitutionnel s’est comporté de façon en quelque sorte minimale, sans aborder véritablement le fond. Le Conseil d’Etat a agi de la même manière.

Autrement dit, on se situe dans la vision traditionnelle des actions administratives qui se traduisent soit par la hiérarchie à l’égard des services, soit par la tutelle à l’égard des collectivités territoriales et des établissements publics. L »‘indépendance » des autorités est ignorée ou traitée par prétérition. Quant aux décisions individuelles prises par ces autorités, on a pu admettre que le contrôle soit attribué aux tribunaux judiciaires puisque le principe de séparation n’a pas valeur constitutionnelle. C’est le sens, on l’a compris, de la célèbre décision rendue à propos du Conseil de la concurrence (Cons.const. n°224-DC du 23 janvier 1987).

Les Autorités administratives indépendantes font donc partie d’un ensemble qui ne comprend ni les services centraux ni les services extérieurs d’un ministère ni des établissements publics. Constituent-elles pour autant une catégorie juridique nouvelle ? On pourrait le soutenir. Mais les éléments communs sont très généraux et peu nombreux alors que les différences institutionnelles sont infinies. Même les titres varient : Haute autorité, Autorité, Agence, Conseil, Commission, etc…

Après avoir situé les Autorités dans le système juridique national, il a semblé utile d’en examiner une de plus près et de prendre comme exemple la Haute Autorité de Santé (H.A.S.) créée par la loi du 13 août 2004 et le décret du 26 octobre 2004. L’adjectif « Haute » est utilisé par quelques autres « Autorités » après avoir été celui qui accompagnait dans le passé l’organisme chargé de l’audiovisuel et qui est devenu le C.S.A. D’après l’article 35 de la loi, elle est une autorité « publique », qualification également donnée à l’Autorité des marchés financiers réorganisée en 2003 et impliquant l’attribution de la personnalité juridique. Son objectif principal est de regrouper un certain nombre d’organismes de même nature existant auparavant, dans un but de simplification [4].

Elle est dirigée par un « Collège » de huit membres choisis, comme ceux du CSA, selon le modèle du Conseil constitutionnel : six sont désignés deux par deux par le Président de la République, le Président de l’Assemblée Nationale, le Président du Sénat, les deux derniers étant désignés par le Président du Conseil économique et social. Ce procédé peut certainement donner confiance aux usagers, mais on ne doit pas oublier que le Conseil constitutionnel est une juridiction.

L’administration est sous l’autorité d’un directeur général, elle comprend 350 permanents et au total 3000 personnes exerçant des fonctions de correspondants ou d’experts.

Son objet étant de simplifier le système existant dans le domaine de la santé et de la protection sociale, elle a absorbé une dizaine de commissions ou d’organismes existant précédemment. Outre ses fonctions propres, le « Collège » voit chacun de ses membres présider une des 7 commissions. La plus importante est la commission « Evaluation des médicaments » dite « Commission de la Transparence » qui succède à une commission indépendante. Elle comprend 20 membres nommés par le « Collège », quatre membres de droit qui sont des directeurs de l’administration centrale ou d’autorités administratives, les directeurs des caisses d’assurance et un représentant des fabricants de produits pharmaceutiques proposé par les organisations syndicales.

Cette présentation rapide peut étonner par son ampleur et il est probable qu’elle étonnera car l’idée d’Autorité administrative indépendante pouvait signifier plus de simplicité alors qu’apparaît un véritable ministère.

La loi et le décret ont été intégrés dans le code de la sécurité sociale et c’est l’article R. 161-70 de ce code qui formule les compétences de la HAS :

« Pour l’exercice des missions mentionnées à l’article L. 161-37, la HAS rend des avis, formule des recommandations et propositions et prend les décisions mentionnées aux articles R. 161 -71 à R. 161 -75 « .

On voit que ce texte a été rédigé avec une certaine jubilation. Les verbes sont ceux qui conviennent chaque fois au complément, les actes correspondent à tous les pouvoirs que détient l’Autorité. Ce faisant, on constate que la HAS ne prononce pas de sanction alors que cette compétence appartient avec toutes les autres au Conseil de la concurrence et à l’AMF.

Les avis peuvent être demandés par le gouvernement à propos des décrets et par les ministres ou d’autres autorités pour les arrêtés ou les décisions.

Les propositions peuvent être demandées par les mêmes autorités mais peuvent aussi être des initiatives de la HAS.

Les recommandations concernent, d’après le texte, les soins et le remboursement des médicaments. Elles peuvent être demandées par des ministres ou les services mais aussi correspondent à des initiatives de la HAS. Sans doute, selon la jurisprudence, les recommandations sont insusceptibles de recours mais elles s’insèrent dans le processus décisionnel ou s’appliquent à des retraits d’autorisations, le principe du contradictoire et la règle d’impartialité devant être respectés.

Il en sera de même des décisions qui concerneront les médicaments ou les procédures de soins. On ajoutera que selon l’article L. 161-41, le Collège peut, dans certains de ces cas, déléguer sa compétence à la Commission de la Transparence. Pourquoi avoir supprimé cette Autorité alors que, n’étant désormais qu’un organe interne de la HAS, elle peut se voir déléguer une compétence qu’elle n’a plus ? Le processus de cette délégation peut comporter des illégalités à tous les niveaux à propos de ce que, dans le contentieux administratif on appelle une « opération complexe [5]« . La complexité des mécanismes est peut-être, à la HAS comme dans la plupart des autres Autorités indépendantes, l’effet de leur autonomie. Serait-elle la même dans une administration classique ?

Reste enfin le problème de l’impartialité. Si on en croit la presse, ce serait là un problème majeur dans les Autorités. Les mécanismes qui règlent la matière à l’intérieur de la HAS — et qui doivent être semblables dans la plupart des Autorités indépendantes — sont nombreux et importants alors que, pourtant, comme cela a été dit précédemment, elle n’a pas un pouvoir de sanction. Mais il est vrai que le refus ou le retrait d’un médicament ou, à l’inverse, le favoritisme sont dépendants de l’impartialité.

Les procédés sont nombreux et leur base est l’article L.5323-4 du code de la santé publique qui concerne le secret et la discrétion professionnels ainsi que les conflits d’intérêts.

Les articles R. 161-84 à 86 appliquent la règle et la complètent. Ils interdisent pour les membres et agents les relations avec les entreprises qui relèvent de la HAS, même par personnes interposées. Tous et même les collaborateurs occasionnels ne peuvent traiter une question dans laquelle ils auraient un intérêt direct ou indirect, ni évidemment en recevoir des avantages. Les obligations des membres du Collège sont encore plus contraignantes. En outre, les règlements intérieurs de la Haute Autorité et de la Commission de la Transparence contiennent la reprise de toutes ces situations dans leur chapitre « déontologie ». Et la sanction est la cessation des fonctions et, bien entendu des poursuites pénales.

Cette sévérité est normale. On peut seulement regretter que, à l’inverse, la représentation des entreprises soit si réduite dans les divers organismes délibérants, Collège et commissions.

On a souhaité présenter les divers aspects de la HAS car sa création est sans doute la plus récente mais aussi parce qu’elle et sera une des plus importantes des Autorités, enfin parce qu’elle a dans sa compétence la santé et la sécurité sociale, c’est-à-dire un des problèmes majeurs de ce temps.

La loi du 13 août 2004 a été soumise au Conseil constitutionnel qui a rendu à son sujet la décision n° 2004-504 DC du 12 août 2004. La décision contient des réserves d’interprétation qui figurent dans les considérants 13, 19 et 33 et concernent dix articles. Sous ces réserves, la loi a été déclarée conforme à la Constitution. C’est dire qu’aujourd’hui le procédé s’est intégré dans le droit français.

Les études du Conseil d’Etat en 2001 et celles de l’Office parlementaire en 2006 ont très largement abordé l’ensemble des questions que l’on pouvait se poser.

Dans leur ensemble, les 55 Autorités administratives indépendantes peuvent être divisées en trois groupes. Le premier est constitué par les plus anciennes : le Médiateur avec ses caractéristiques particulières : la CADA (Commission d’accès aux documents administratifs) destinée à élargir les droits des citoyens à l’égard de l’administration ; la CNIL (Commission nationale informatique et libertés) dont le particularisme a été souligné dès sa création en ce qu’elle peut faire progresser son pouvoir de régulation en fonction d’une discipline liée à des progrès techniques extraordinaires ; enfin le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) qui a changé à trois reprises de nom et de compétences.

Dans le second groupe figure avant tout le Conseil de la concurrence, constitué dans le cadre économique majeur de l’Union européenne, qui fonctionne comme une juridiction qu’il n’est pas et dont les décisions individuelles peuvent être déférées non au juge administratif mais à la Cour d’appel de Paris. Vient ensuite l’Autorité des marchés financiers réorganisé par la loi du 1er août 2003 qui a regroupé sous ce nom deux Autorités concernant l’une la bourse et l’autre la banque et dont les structures internes ont servi de modèle à la HAS. Enfin, la HAS elle-même, créée en 2004, regroupant plusieurs Autorités et à laquelle a été consacrée la partie précédente.

Le troisième groupe est très divers. Il convient de signaler la HALDE (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité) créée par la loi du 30 décembre 2004 sur le modèle de la HAS [6]. On peut également signaler les deux organismes chargés de la régulation, d’une part, des communications électroniques et des Postes et, d’autre part, de l’énergie à la suite de la privatisation d’entreprises publiques. Les autres, dont certaines sont anciennes, concernent les élections, les sondages, la presse, l’éthique, etc.

La première question qu’on peut se poser est évidemment de rechercher si ces créations ont alourdi le système administratif. L’Office parlementaire a abordé cette question sans pouvoir lui donner une réponse catégorique. Il est certain que, selon les décisions du Conseil constitutionnel, les Autorités sont des institutions administratives. Il est certain aussi que, dans un certain nombre de cas, elles ne formulent que des avis et que la décision revient aux ministres ou au gouvernement. Mais, ainsi qu’on l’a déjà indiqué, il ne peut y avoir de tutelle sans quoi l’esprit même de l’institution serait atteint.

A l’inverse, et c’est peut-être là l’aspect le plus significatif, dans la plupart des cas les dirigeants sont nommés. Il n’y a donc pas ce qu’on pourrait appeler une « décentralisation par matière » qui s’opposerait à la décentralisation géographique. Mais la création des Agences a-t-elle fait disparaître ou a-t-elle absorbé des services ministériels ?

A propos de ces « Collèges » se pose un autre problème. Dans certains cas, par exemple celui de la CADA ou du CSA, le collège comporte des membres de l’Assemblée Nationale et du Sénat. Même si cette règle comporte des avantages ou des justifications, elle ne peut être admise puisqu’il s’agit d’Autorités administratives. Cette participation est donc contraire à l’essence même du système. Autant il est souhaitable que le Parlement contrôle les Autorités et même développe ses relations avec elles, autant il ne peut être admis que des représentants du pouvoir législatif y participent [7].

Il faut ensuite aborder la question majeure. D’abord celle du pouvoir régulateur, ensuite celle des propositions et des décisions individuelles, enfin des sanctions qui peuvent être aussi bien des impositions, des retraits de fonction et des amendes dont le montant peut être extrêmement élevé. Il suffit, pour comprendre cette situation, de relire la liste figurant, comme on l’a indiqué dans la partie précédente, dans l’article R. 161-70 du code de la sécurité sociale, encore que la HAS ne puisse infliger des sanctions financières alors que celles-ci peuvent être décidées par le Conseil de la concurrence et de l’AMF. Dans ces derniers cas, les Autorités agissent comme de véritables juridictions au point que la presse dit fréquemment qu’il est fait « appel » devant la Cour d’appel de Paris. On arriverait alors à penser qu’un grand nombre des Autorités réunit dans sa compétence les trois pouvoirs et constitue une sorte de micro-Etat.

C’est justement là que le contrôle juridictionnel intervient alors même qu’il est partagé. L’effet est et sera non seulement quantitatif mais changera de nature; On évoquera auparavant un procédé curieux qui est déjà le signe de cette singularité et suppose un mélange des genres. Ce procédé concerne le CSA et résulte de l’article 42-10 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée en 1999 et en 2004. Il est également signalé dans l’article L. 553-1 du code de justice administrative. Le président du CSA peut vouloir prononcer des injonctions à des sociétés en cas de manquement à leurs obligations. Il doit alors s’adresser au président de la Section du contentieux du Conseil d’Etat, statuant en référé, pour les confirmer, au besoin en les assortissant d’une astreinte.

La même procédure a récemment été étendue au président de l’Agence de régulation des télécommunications [8].

On termine enfin par la question déjà examinée à propos de la HAS, celle de l’indépendance et de la déontologie des membres et agents des diverses Autorités. Il s’agit aussi des « conflits d’intérêts » qui peuvent se rencontrer d’autant plus que la représentation des entreprises à l’intérieur des collèges est réduite. Des directives ont été adoptées en 2002 et 2003 par l’Union européenne à propos, notamment, de l’exercice du pouvoir règlementaire, qu’il s’agisse des recommandations ou de ce qu’on appelle « la régulation [9]« .

Le paradoxe tient aussi au fait que ces règles doivent s’appliquer aussi bien quand les Autorités prennent des décisions administratives réglementaires ou individuelles que lorsqu’elles exercent une fonction quasi-juridictionnelle (retraits d’autorisations, amendes). Ainsi qu’on l’a vu précédemment, la matière est déjà largement traitée par les statuts législatifs alors qu’on aurait pu imaginer une loi d’ensemble concernant toutes les Autorités.

On arrive alors à une situation devenue classique, celle du « procès équitable » telle qu’elle résulte de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme. Certes, il arrive encore qu’on puisse en douter à lire un arrêt du Conseil d’Etat du 11 juin 2003 [10].

En effet, aujourd’hui, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat et la Cour de cassation appliquent l’article 6-1 aux « organismes administratifs » qui, en raison de leur nature, de leur composition et de leurs attributions peuvent être qualifiés de tribunaux au sens de l’article 6-1. La question est devenue trop classique pour l’exposer ici en détail [11]. On mesure ainsi le sens d’une telle évolution, non seulement sur le plan européen mais surtout dans le droit administratif français.

Ces institutions viennent d’être l’objet de l’étude souvent citée de l’Office parlementaire d’évaluation qui a présenté des recommandations. Celles-ci sont au nombre de 30 et sont groupées en six groupes : améliorer les conditions d’exercice des pouvoirs des AAI ; rationaliser le régime juridique et l’organisation ; améliorer les conditions de saisine ; renforcer l’indépendance des autorités et leur donner des moyens adaptés à leur mission ; fortifier l’indépendance des collèges et des services ; renforcer le contrôle démocratique de l’activité.

Ces recommandations sont pertinentes et font preuve de bon sens. Il reste que les Autorités administratives indépendantes impliquent un bouleversement non mesurable encore du système étatique.

Faut-il, comme on l’a fait un jour pour les collectivités territoriales, leur donner un statut juridique unique ? On a vu qu’on n’a pu y parvenir pour les Groupements d’intérêt public. Et on se souviendra qu’on n’y était pas parvenu pour les entreprises publiques.

Il est certain que, à ce jour, les jurisprudences du Conseil constitutionnel, du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation ont su encadrer le phénomène de façon satisfaisante mais nécessairement partielle. II reste que la masse législative et réglementaire a atteint un niveau insupportable, sans compter les règlements intérieurs. Et l’on ne peut penser qu’à Portalis : « La loi gouverne mal lorsqu’elle gouverne trop ».

Texte des débats ayant suivi la communication

 


[1] On se contentera de citer trois études qui sont les plus récentes.

En premier lieu, Conseil d’Etat, Rapport public 2001. « Réflexions sur les autorités administratives indépendantes ». Etudes et Documents, n°52, pp. 251 à 462.

Il s’agit ensuite des deux tomes établis par l’Office parlementaire d’évaluation de la législation, tome I, 137 pages ; tome II, 449 pages (Assemblée Nationale, n° 3166 ; Sénat, n°404, 15 juin 2006) sous la direction du sénateur Patrice GELARD et intitulés « Les autorités administratives indépendantes; évaluation d’un objet juridique non identifié ». Le rapport qui concerne essentiellement la France contient une étude de droit comparé de près de 300 pages concernant 16 Etats, établie sous la direction du Professeur Jean-Marie PONT1ER.

On signalera enfin le compte rendu des travaux de l’Académie internationale de droit comparé à son congrès d’Utrecht en juillet 2006 et portant sur « Le pouvoir régulateur des autorités administratives indépendantes » avec 15 rapports nationaux et le rapport général du professeur Yseult MARIQUE de l’Université de Bruxelles. L’ouvrage concernant cette question paraîtra bientôt aux éditions Bruylant à Bruxelles.

Pour souligner l’actualité du sujet, on signalera enfin deux articles parus très récemment dans le journal Le Monde : J. TIROLE, « Nos autorités de régulation doivent rester indépendantes » (23 février 2007) ; B. LASSERRE, « Attention à ne pas multiplier les autorités indépendantes » (24 février 2007).

[2] V. à ce sujet A. LEGRAND, L’Ombudsman scandinave, 1970, Préf. R. DRAGO.

[3] Sur toutes ces questions qui sont classiques, V. notamment R. CHAPUS, Droit administratif général, tome I, 16e éd., 2001, n°293et s.

[4] V. à son sujet, le dossier de presse établi par son service de communication La Haute Autorité de santé. Principes fondateurs, rôle, missions et organisation, 21 pages plus annexes, 26 janvier 2005.

[5] V. M. RONCIERE, « Actualité de la notion d’opération complexe », LFA. août 1996, n°101.

[6] V. J.R. LECERF, « Une étape pour la HALDE ». Les Annonces de la Seine. 16 mars 2006.

[7] Cette question est abordée dans le rapport de l’Office parlementaire, t.I, p. 46 et s. ; p. 110 et s. Ce problème de l’incompatibilité présente, on le comprend, une grande importance notamment au regard du contrôle de l’indépendance.

[8] V. R. CHAPUS, Droit du contentieux administrai 12* »* éd., 2006, n°1655.

[9] V. G. MARCOU, « La notion juridique de régulation » AJDA 2006, p.347. H est difficile d’admettre ce terme qui n’est qu’une transposition de la langue anglaise alors que le droit public français connaît depuis toujours la notion de « pouvoir réglementaire ».

[10] CE., 11 juin 2003, EDF et Sté nationale d’électricité et de thermique. Rec. Tables, p. 780.

[11] V. R CHAPUS, op.cit. n°139 et s. – V. également E. ZOLLER, « Procès équitable et due process of law. D.2007.517.