séance du lundi 15 juin 2009
par Mme. Monique Canto-Sperber,
Directrice de l’UNS de la rue d’Ulm
Le moment présent est à bien des égards décisif dans l’histoire de l’École normale supérieure. Plus de deux siècles nous séparent de la création de l’École normale par la Convention en 1794, et pourtant peu de séquences historiques présentent une succession aussi serrée d’événements et de choix aux lourdes conséquences pour l’avenir. En effet, au cours des cinq dernières années, l’ENS s’est plusieurs fois trouvée à la croisée des chemins. Elle a dû choisir entre des options qui semblaient chacune l’engager dans des directions opposées. L’occasion offerte par la présente publication de rappeler les raisons de ces choix, les effets qui en étaient attendus et les évolutions qu’ils rendaient possibles est particulièrement bienvenue, car elle permet d’informer un large public des transformations survenues dans une institution qui joue encore un rôle irremplaçable dans la formation des élites de notre pays et reste l’objet, chez la plupart de ceux qui l’ont fréquentée, d’un attachement tenace et parfois passionné.
Les transformations qu’a connues l’École normale supérieure au cours des dernières années procèdent pour l’essentiel d’une réflexion menée sur son identité, réflexion que les mutations radicales survenues dans l’enseignement secondaire et les réformes engagées depuis 2006 dans le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche ont rendue encore plus nécessaire et urgente.
Je présenterai dans les pages qui suivent la réalité actuelle de l’École normale supérieure, et les principales mesures récemment introduites. J’évoquerai ensuite ses ambitions, qui tiennent en un programme aisé à énoncer mais difficile à mettre en œuvre : s’affirmer comme une grande école de recherche universitaire, fidèle à son histoire, soucieux de son identité, mais aussi résolu à s’inscrire pleinement dans la scène universitaire française comme un acteur autonome et un facteur d’évolution.
Toutefois, avant d’entreprendre un exposé qui sera parfois ingrat, je voudrais brosser un plus vaste tableau qui, à partir des ambitions de l’École normale supérieure d’aujourd’hui, représenterait sa vie et son histoire, depuis sa création par la Convention en 1794. Un tableau dont les scènes successives auraient toutes le souci de répondre à la question suivante : à quoi sert l’ENS ? Cette école, familière et admirée, en quoi est-elle plus que jamais nécessaire ?
Pareille question prend un relief particulier dans la situation présente, alors que les universités tendent à devenir les premiers acteurs de la scène de l’enseignement supérieur et de la recherche. Dans un monde où la tendance à l’uniformisation s’observe de toutes parts, la volonté de donner à l’École normale supérieure une présence accrue, une puissance renouvelée et de lui permettre de devenir un des établissements phares de l’enseignement supérieur parisien ne peut plus se limiter à rappeler le prestige ancien de l’École et doit être étayée sur des raisons fortes.
Les missions historiques de l’École normale supérieure et leur sens pour aujourd’hui
La création de l’École normale, pour reprendre le nom qui lui fut alors donné, répondait au vœu, nourri par les Conventionnels, de donner une réalité à l’idée d’une éducation nationale, d’une éducation destinée à l’ensemble de la nation. Pour accomplir cet idéal, il parut nécessaire de se doter d’un corps de professeurs aptes à former d’autres professeurs, et ainsi chargés de diffuser une éducation commune dans toute la nation. Cette ambition constante explique que l’ENS, deux fois fermée au cours de ses premières années d’existence, ait été par deux fois recréée, quasi à l’identique et avec le même but : former des enseignants.
D’une certaine façon, la vocation initiale de l’École normale persiste encore aujourd’hui. Ses élèves continuent d’y être formés en gardant pour ligne d’horizon le professorat, non au sens d’un débouché professionnel, mais plutôt d’une exigence de connaissances sûres et amples qui doit valoir pour tous ceux qui seront appelés à transmettre des savoirs, et surtout à créer et inventer des savoirs nouveaux. Car le métier d’enseigner a très tôt été lié au sein de l’École à la tâche de chercher, d’inventer, de créer. L’influence intellectuelle et scientifique de l’École normale supérieure, qu’aucune autre école professionnelle préparant aux métiers de l’enseignement n’aurait pu exercer, tenait à la réalité d’excellence qu’elle incarnait et dont le débouché le plus naturel et le plus immédiat était l’enseignement. En cela, l’ENS du début du XXIe siècle demeure fidèle à ses missions premières. Même si elle ne forme plus guère de professeurs du second degré, elle continue de donner à ses élèves un sens aigu de ce que les professeurs ont incarné pendant plus d’un siècle dans notre pays et qui a marqué l’excellence de l’enseignement secondaire français : une exigence de connaissances solides et générales, alliée au souci constant de critiquer les faux savoirs, deux conditions nécessaires, dans toutes les disciplines, pour garantir une transmission fiable.
À cette mission première de l’École normale supérieure s’est très tôt rattachée une autre raison d’être, qui la rend plus que jamais nécessaire dans le monde d’aujourd’hui. Les premiers cours dispensés à l’École normale, en janvier 1795, quelques mois après sa création, présentèrent, de par la volonté des fondateurs, les savoirs les plus nouveaux, à la pointe de la recherche de ce temps. Les recueils de ces leçons, ou Cours de l’An III de l’École normale, récemment publiés par les éditions Rue d’Ulm, avec l’aide de l’Institut de France, constituent un témoignage précieux et étonnant. Car, lorsqu’on y prête attention, n’est-ce pas une chose extraordinaire que de fonder une école de futurs maîtres en lui demandant d’accueillir les leçons des plus brillants chercheurs, chargés de présenter les savoirs les plus récents, au moment même de leur constitution ? Les premiers auditeurs ou élèves de l’École normale – ils étaient près de 1 400, de tous âges, venus de toutes les provinces de France, attirés par la bourse d’études qui leur était offerte – n’ont sans doute pas tous compris les leçons qui leur étaient dispensées dans l’amphithéâtre du Muséum d’histoire naturelle. Mais l’intuition qui avait inspiré pareille organisation, selon laquelle des futurs professeurs doivent pouvoir être aussi des auditeurs de chercheurs, et peut-être devenir eux-mêmes des chercheurs, était d’une certaine façon visionnaire. Elle a en tout cas marqué de façon indélébile le destin de l’École normale supérieure.
Lorsque l’École normale supérieure fut installée dans ses murs, rue d’Ulm, en 1847, lorsque Louis Pasteur en devint le directeur et installa son laboratoire de cristallographie dans le petit pavillon qui porte depuis son nom, elle se transforma en grande école de recherche. Sur les 130 000 m2 qui forment aujourd’hui le patrimoine immobilier de l’ENS, près de la moitié abritent des laboratoires de sciences expérimentales. Le lien entre l’enseignement et la recherche, aperçu par les Conventionnels, puis renforcé à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, est devenu aujourd’hui l’élément d’identité le plus puissant de l’École normale supérieure, car aucune autre institution d’enseignement supérieur ne l’a mis en œuvre de façon aussi forte et aussi constante.
Ces missions fondamentales, présentes dès la création de l’École normale supérieure, ont reçu depuis plus d’un siècle une vocation supplémentaire. Elle a trait au rôle que l’ENS a longtemps joué, et qu’elle joue encore, dans l’enseignement supérieur français. L’École normale fut créée un an après que les Conventionnels décidèrent de supprimer les universités. Elle a donc occupé tout au long du XIXe siècle une place que les universités ne retrouvèrent que progressivement après leur refondation dans les années 1890. Le besoin s’est alors fait sentir de préciser les liens entre l’École normale supérieure et l’Université de Paris. S’ouvrit ainsi une séquence d’histoire parfois tendue parfois apaisée où l’École s’est trouvée d’abord intégrée à l’Université de Paris, puis rendue de nouveau indépendante.
Les rapports entre l’ENS et les universités sont aujourd’hui mutuellement bénéfiques. À l’heure où l’on évoque le rapprochement entre grandes écoles et universités, il faut souligner qu’aucune grande école n’est plus liée aux universités que l’ENS. Ses formations (de master et de doctorat) et une part de sa recherche se font en collaboration avec les universités, et les parcours d’enseignement conçus pour les normaliens sont ouverts aux meilleurs étudiants des universités, ce qui a permis aux universités d’organiser en leur sein des filières sélectives. Ces partenariats universitaires ont été établis, dans toutes les disciplines, en fonction des spécialités et domaines d’excellence des universités parisiennes. Ils permettent à l’ENS d’accomplir sa mission nationale avec d’autant plus d’efficacité qu’elle reste indépendante des universités et ne se rallie pas à l’une plutôt qu’à l’autre. C’est précisément pour donner toute leur force à ses liens avec les universités, et parce ce qu’elle ne peut guère faire plus en matière de partenariats universitaires, que l’ENS n’a pas voulu entrer dans l’un des deux PRES universitaires qui se dessinent aujourd’hui à Paris, au détriment de l’autre et qu’elle a préféré proposer un groupement en dehors des alliances universitaires. Je reviendrai sur les conséquences de ce choix d’alliance, mais je veux en énoncer d’emblée la raison majeure : permettre à l’ENS, tout en renforçant sa présence nationale et internationale, de ne pas remettre en cause la carte riche et féconde de ses partenariats universitaires.
J’ai évoqué la volonté renforcée de l’ENS de demeurer un établissement autonome, j’ai rappelé comment, en traversant plus de deux siècles d’une histoire parfois agitée, l’École était parvenue à renforcer ses missions et à défendre la valeur de la formation intellectuelle et scientifique qu’elle incarne. Une question pourtant persiste. Pourquoi les trois caractéristiques qui viennent d’être rappelées, forgées au cours de son histoire et qui font aujourd’hui l’identité de l’ENS (l’idée d’une formation intellectuelle d’élite, particulièrement nécessaire pour la formation des enseignants, le lien entre la recherche et l’enseignement et une contribution singulière et appréciée à l’enseignement supérieur parisien), ont-elles eu besoin pour s’incarner d’une institution restée indépendante et qui affirme aujourd’hui avec une force accrue son autonomie et ses ambitions ? La réponse tient tout entière à l’identité de l’École normale supérieure et à son ambition majeure d’être l’une des plus remarquables grandes écoles de recherche universitaire française.
L’ENS, différente et semblable : d’une école de professeurs à une grande école de recherche universitaire
La scène de l’enseignement supérieur, en France mais aussi à l’échelle du monde, est marquée par deux traits nouveaux : une émulation accrue, comme en témoigne l’engouement dont les classements d’universités sont l’objet, et une internationalisation croissante. Dans ce contexte inédit, les établissements d’enseignement supérieur doivent mettre en valeur leurs atouts et leur identité mais sans pour autant se replier sur une singularité qui deviendrait illisible à l’échelle du monde. Ces conditions nouvelles entraînent des conséquences pour l’École normale supérieure. Elles lui imposent de définir précisément son identité, sa stratégie, ses ambitions non seulement à l’égard des universités françaises, ses partenaires naturels, mais aussi à l’égard des universités étrangères avec lesquelles elle entretient des rapports nombreux et anciens.
Aux yeux des collègues étrangers, peu familiers des différences entre universités et grandes écoles, l’École normale supérieure est perçue comme une research university, de niveau graduate (une université orientée vers la recherche et où domine largement la formation prédoctorale et doctorale), une « université de recherche » donc, de taille moyenne, très sélective, et où la part de la recherche est colossale. En revanche, les étrangers comprennent mal le lien de l’École normale supérieure à l’État, le statut de fonctionnaires-stagiaires de ses élèves, son corps enseignant réduit et sa mission initiale de former des professeurs de lycée. Il est donc vital pour l’École de montrer qu’elle peut adosser sa mission traditionnelle de former des professeurs à l’ambition qui est aujourd’hui au cœur de son activité de l’École : créer des savoirs nouveaux, rechercher, innover, inventer. Pour ce faire, l’ENS a dû rendre explicite ce qu’elle fait de singulier, qui tient à la mise en œuvre de deux idées : une idée de ce qu’est la meilleure formation intellectuelle et scientifique pour former des esprits créateurs dans le monde d’aujourd’hui, et une idée de la recherche.
Une des raisons d’être de l’École, je l’ai indiqué plus haut, tient à la formation qu’elle propose, une formation par la recherche. Les jeunes gens et jeunes filles qui entrent à l’ENS, qui ont en général une vingtaine d’années, sont d’emblée confrontés à une double injonction faite à la fois de demandes fortes dans l’acquisition et l’approfondissement des connaissances et d’incitations à découvrir et à créer. Laboratoires de recherche et salles de cours se trouvent, au sein de l’ENS, dans un proche voisinage, et les élèves de l’École étudient en même temps qu’ils amorcent des recherches. Ils acquièrent vite en suivant les cours, en travaillant dans les laboratoires, en étudiant à la bibliothèque, en s’entretenant avec leurs professeurs, la conviction qu’eux aussi pourront apporter quelque chose de nouveau, quelque chose de plus, à la masse de savoir qu’ils sont en train d’absorber.
En associant constamment études et initiation à la recherche, l’École normale supérieure ne forme pas nécessairement des chercheurs, elle forme avant tout, si l’on peut dire, des créateurs, qui sauront faire la preuve de leur inventivité quel que soit le domaine professionnel vers lequel ils s’orienteront. Or il est difficile de former un esprit à concevoir de nouvelles idées sans lui donner de solides bases dans un vaste ensemble de domaines, sans l’avoir aidé à travailler ses capacités d’expression et d’argumentation et sans lui donner le goût de la liberté créatrice. Les traits caractéristiques de la formation dispensée à l’ENS découlent de cette analyse : ils associent incitation à la recherche, solidité des connaissances générales, bonne maîtrise de l’argumentation et de l’expression, suivi individualisé sous forme de tutorat, valeur reconnue à l’autonomie, interdisciplinarité et ouverture internationale. À l’ENS, les connaissances spécialisées sont acquises sur un socle solide de connaissances générales et formatrices, et les parcours de formation sont conçus librement.
La prétention de l’ENS de former par la recherche n’est en rien autoproclamée. Un chiffre l’étaye sans conteste. 80 % des élèves de l’ENS font une thèse, et tous y sont encouragés, quel que soit le métier qu’ils choisiront par la suite – enseignement, recherche, entreprises, fonction publique, communication, etc. Car la thèse de doctorat que préparent presque tous les élèves de l’ENS est l’achèvement de la formation qui y est donnée. Au cours de son travail de thèse, l’étudiant doit trouver une idée originale à exposer, il doit montrer en quoi elle fait avancer l’état du savoir, de quelle façon elle se distingue de ce qui a été dit auparavant sur le sujet, il doit surtout défendre son point de vue par le raisonnement et l’argumentation. L’École normale supérieure a à cœur d’instiller chez ces élèves ce réflexe intellectuel de créativité et d’innovation. Aucune université, aucune autre grande école ne peut contester à l’École normale supérieure cette position pionnière dans la capacité à parfaire la formation de ses élèves par une première expérience de recherche, entendue comme apprentissage de la création et à l’innovation.
Loin de défendre un modèle intellectuel dépassé, l’École normale supérieure veut ainsi incarner un idéal de formation des intelligences à la fois novateur et indispensable à notre temps. Car l’idéal de formation par la recherche qu’elle défend n’est pas seulement réservé à quelques très bons élèves : il est plus largement une ressource pour l’avenir puisqu’il contribue à développer le type d’intelligence dont notre monde a besoin, une intelligence où la capacité d’associer connaissances précises et point de vue général est un atout colossal, au contraire d’une spécialisation trop précoce. Au-delà de l’ambition de bien former ses propres élèves, l’ENS veut prouver la valeur de ce modèle de formation qui consacre son originalité et le promouvoir.
L’autre idée qui traduit les ambitions de l’ENS a trait au type de recherches qu’elle pratique dans ses nombreux laboratoires. C’est là un autre domaine où il est aisé de constater que ce qui se fait à l’ENS ne pourrait se faire nulle part ailleurs : la caractéristique de l’École tient en effet à la promotion, au sein même de l’École, d’une recherche extrêmement réactive, qui profite grandement de la synergie entre les disciplines, l’entretient et l’encourage. C’est bien un avantage qui revient à un établissement de taille moyenne que de permettre des rencontres et des échanges réguliers entre les chercheurs des différentes disciplines.
Plusieurs dispositifs institutionnels ont été mis en place au sein de l’ENS pour favoriser l’émergence de thématiques de recherche nouvelles aux frontières des disciplines. L’organisation d’un département d’études cognitives en est un bon exemple, par sa capacité de rassembler au sein d’une structure unifiée, des recherches qui vont de la biologie à la philosophie. D’autres initiatives illustrent aussi la singularité de la recherche à l’École normale supérieure, comme la création d’une vaste unité de recherche où les travaux des philosophes, des historiens et des spécialistes de littérature sont rassemblés pour étudier les concepts de la pensée scientifique et l’élaboration des normes communes aux sciences, à la littérature et à la philosophie. Ce ne sont là que deux exemples parmi beaucoup d’autres, qui révèlent des traits communs aux recherches que l’ENS aujourd’hui est à peu près le seul établissement à abriter et promouvoir.
Le soutien apporté aux recherches interdisciplinaires ne doit pas faire méconnaître que l’excellence de la recherche menée à l’ENS repose avant tout sur les travaux réalisés au sein des disciplines. Si la présence d’excellents étudiants et doctorants et le très bon environnement scientifique que garantissent les laboratoires de l’École créent des conditions propices à la recherche, une grande attention est aussi portée au fait que les perspectives de recherche les plus nouvelles soient toujours proposées aux élèves : c’est ainsi que le département de mathématiques s’est imposé la règle de changer ses enseignants tous les dix ans. Pour mener cette politique, les partenariats avec les universités sont précieux car ils permettent d’ouvrir considérablement les recrutements d’enseignants.
L’École normale supérieure aujourd’hui
L’ENS compte aujourd’hui 2 300 élèves, parmi lesquels on dénombre 910 normaliens, reçus par concours dont plusieurs élèves étrangers (70 environ), de plus en plus nombreux parmi les candidats. Aux normaliens s’ajoutent 400 étudiants admis à l’École pour préparer le diplôme de l’École normale supérieure. On compte en outre 300 étudiants étrangers et environ un millier de doctorants qui travaillent dans les laboratoires de recherche de l’École, en sciences, en sciences sociales et en lettres. Le corps enseignant de l’ENS est composé de 280 professeurs, maîtres de conférences et agrégés préparateurs, auxquels s’ajoutent près de 900 chercheurs venus des différents organismes de recherche (CNRS, INRIA, INSERM et INRA) qui travaillent dans les laboratoires de l’École, y accomplissent l’essentiel de leur carrière professionnelle et font également office de tuteur pour les élèves et étudiants de l’École. Une cinquantaine d’enseignants-chercheurs des universités voisines mènent aussi leur recherche au sein des laboratoires de l’ENS. L’ENS compte plusieurs dizaines de laboratoires, dont beaucoup sont en partenariat avec des organismes de recherche. Ces laboratoires, pour plus de deux tiers d’entre eux, appartiennent à l’école scientifique, et pour le reste à l’école des lettres et sciences sociales avec, dans ce domaine, des centres de recherche réputés en archéologie et sciences de l’Antiquité, en économie, en sociologie, en histoire, en philosophie de l’esprit. L’ENS abrite enfin une bibliothèque de 850 000 volumes et une maison d’édition.
L’École normale supérieure recrute actuellement, par son concours d’entrée, environ 200 normaliens par an, autrement dit 90élèves scientifiques et 4 médecins (qui suivent un double cursus de médecine et de biologie), auxquels s’ajoutent 75 élèves littéraires et 25 élèves ayant reçu une formation exigeante en lettres et en mathématiques, formés pour devenir économistes ou spécialistes de sciences sociales. La scolarité des élèves normaliens est de quatre ans. Lorsqu’ils sont admis à l’ENS, les élèves acquièrent un statut de fonctionnaire stagiaire qu’ils conservent pendant leur scolarité ; ils souscrivent également à l’engagement de travailler au service de l’État pendant dix ans (les années de scolarité et celles de doctorat sont comprises dans cette durée). Une proportion importante d’élèves littéraires passe le concours de l’agrégation, alors que peu d’élèves scientifiques le préparent, à l’exception des mathématiciens. L’immense majorité des élèves de l’École entrent en doctorat et bénéficient d’une allocation spécifique qui finance leurs trois années de doctorat.
Les débouchés des élèves de l’École normale supérieure restent pour l’essentiel l’enseignement supérieur et la recherche, privée ou publique, mais de plus en plus d’élèves s’orientent aussi vers les grands corps de l’État, la haute fonction publique et les métiers de l’entreprise. La raréfaction des postes mis au concours dans l’enseignement supérieur ou dans les organismes de recherche amène les élèves à modifier souvent malgré eux leur projet professionnel qui, pour la très grande majorité d’entre eux, au moment où ils sont admis à l’École, est lié à la recherche.
Les récentes évolutions de l’École normale supérieure
Les données rappelées ci-dessus éclairent l’arrière-fond des choix qui ont été faits au sein de l’ENS au cours des dernières années. Ces choix visaient en effet à renforcer l’orientation de l’ENS vers la recherche et à amplifier le vivier des très bons étudiants en scolarité à l’École. Par ailleurs, les responsabilités et compétences élargies que l’École exerce depuis le 1er janvier 2010 ont représenté une étape importante de l’évolution de l’institution vers davantage d’autonomie. L’ENS est ainsi désormais dotée de la capacité de se définir comme un établissement d’enseignement supérieur à part entière, avec un corps enseignant propre dont elle est l’employeur. La mue amorcée il y a quelques années, dont les étapes majeures furent la création du diplôme de l’École normale supérieure, l’admission d’étudiants sur dossier, la délivrance de diplômes nationaux, la formalisation de la formation par la recherche et une nouvelle organisation de la recherche assortie d’un développement considérable de la recherche en lettres, sera en grande partie achevée. Je n’aborderai ici que certains de ces points.
Un diplôme pour identifier et valoriser la formation ENS
La formation reçue par les élèves de l’École normale supérieure, à l’École même, indépendamment de celle dispensée dans les établissements universitaires que les élèves fréquentent également, est un facteur important de leurs succès universitaires ultérieurs. L’originalité de leur projet de recherche, leurs connaissances générales, leur familiarité avec d’autres disciplines, la qualité de leur formation intellectuelle, leur aisance dans l’expression et l’argumentation ont été façonnées lors des séminaires, cours, tutorats, suivis à l’École. L’ensemble de ces enseignements constitue la contribution la plus singulière, à la fois originale et caractéristique, de l’ENS à la formation de ses élèves. Toutefois, avant 2005, aucune disposition institutionnelle ne permettait de reconnaître la réalité de la formation dispensée à l’École même, en plus des cursus de master et de doctorat. Au moment où le normalien quittait l’École, aucune trace n’était conservée des enseignements qu’il y avait suivis. Cette situation devait être amendée, faute de quoi c’était l’apport le plus précieux d’une scolarité suivie à l’ENS qui restait invisible et sans reconnaissance. La création d’un diplôme d’établissement, le diplôme de l’École normale supérieure, fut, en 2005 et 2006, la solution institutionnelle proposée pour remédier à cet état de choses. Grâce au diplôme, la formation propre dispensée à l’École pouvait bénéficier d’une reconnaissance institutionnelle qui non seulement valait pour elle-même, mais qui par ailleurs pourrait s’accrocher aisément au diplôme national de master.
Le diplôme de l’École normale supérieure est composé d’un master recherche et de 36 crédits complémentaires, qui correspondent pour chacun aux ECTS (European Credit Transfer System) du master européen. Les directeurs d’étude de l’ENS valident ces 36 unités, qui doivent être acquises sur l’ensemble de la scolarité à l’ENS, et qui doivent correspondre, en plus de la formation de type universitaire, à des enseignements ou initiatives caractéristiques de la formation intellectuelle et scientifique dispensée à l’ENS. Elles correspondent à des travaux personnels remarquables, des séminaires d’élèves, des initiatives intellectuelles orientées vers la recherche, des stages de recherche dans des laboratoires étrangers, bref à tout ce qui atteste chez un étudiant des qualités de recherche et d’innovation.
La généralisation du diplôme de l’École normale supérieure est aujourd’hui un élément clé de la stratégie de l’ENS. Il permet d’identifier et de valoriser le modèle de formation par la recherche, qui y est proposé et qui est devenu son image de marque. Il est l’outil institutionnel majeur qui permettra peu à peu, par la réputation qu’il devrait acquérir, de donner à la formation ENS une reconnaissance digne d’elle.
Des masters et des doctorats
Dès lors que l’École normale supérieure se donnait les moyens de valider la formation qu’elle dispensait, se limiter à accorder une reconnaissance institutionnelle aux seuls enseignements hors master, devenait peu justifiable. En effet, une grande partie des cours dispensés à l’École sont des cours de master, et pas seulement des cours qui s’ajoutent à ceux du master, surtout dans les disciplines scientifiques. Jusqu’à la création du diplôme, l’habitude de l’ENS était d’assurer la formation de master (dans les murs de l’ENS pour le M1, dans les universités aussi pour le M2) sans pour autant inscrire les élèves en master à l’ENS. Mais cette pratique devenait difficile à justifier au moment où l’ENS cherchait, grâce au diplôme, à faire reconnaître la qualité de la formation qu’elle dispensait. Comment l’École peut-elle attirer des étudiants étrangers, ou même français, en mettant en avant l’excellence de ses laboratoires, si elle n’est pas en mesure d’offrir à ces étudiants la possibilité de s’inscrire en master et en thèse dans l’établissement lui-même ? Dès lors que le diplôme de l’École servait à identifier la formation reçue à l’ENS et à renforcer sa visibilité internationale, il devenait nécessaire de trouver une formule pour inscrire des élèves et étudiants de l’École en master et en thèse, sous la forme d’une seule inscription à l’ENS ou d’une inscription couplée avec une université (Par ailleurs, un nouveau système d’allocation de moyens, en vigueur depuis un an, qui met directement en rapport le financement des établissements d’enseignement supérieur avec le nombre d’étudiants inscrits, incitait également à adopter cette politique). C’était la condition qui donnait sa pleine cohérence à la démarche de validation institutionnelle de ses enseignements dans laquelle l’ENS était engagée.
Bien que la politique d’inscription des élèves ait été mise en pratique il y a déjà plusieurs années par les autres Écoles normales supérieures et qu’elle soit aujourd’hui adoptée par tous les établissements d’enseignement supérieur soucieux de leur présence nationale et internationale, elle a d’abord suscité des inquiétudes au sein de l’École. Plusieurs enseignants craignaient que les normaliens n’eussent, de ce fait, que peu d’expérience de la vie des universités et restassent trop enfermés dans leur cocon normalien. D’autres redoutaient la mauvaise réaction de collègues universitaires qui se verraient ainsi « privés » de leurs « meilleurs étudiants ». D’autres enfin annonçaient que les universités sanctionneraient les normaliens lorsqu’ils seraient ensuite candidats à des postes d’ATER ou de maître de conférences dans les universités. L’observation de ce qui se pratique ailleurs ne semble pas, à première vue, justifier ces craintes. Les autres Écoles normales procèdent depuis des années à l’inscription de leurs étudiants dans leurs masters et dans leurs écoles doctorales sans qu’on ait observé d’inadaptation au monde universitaire parmi leurs élèves. Par ailleurs, les professeurs d’universités savent tous que pour juger une thèse, il faut connaître le laboratoire ou le centre de recherche au sein duquel la thèse a été préparée, pour les scientifiques c’est une information décisive. La qualité des laboratoires est le produit de la politique de recherche de l’établissement qui les accueille : le laboratoire donne une forme de caution à la thèse, et l’établissement garantit la qualité du laboratoire. Comment, dans ces conditions, justifier que la thèse soit inscrite dans une institution autre que celle qui héberge le laboratoire, alors même que l’institution hôte fait d’un tel laboratoire un élément phare de sa politique scientifique ? Enfin, la crainte que les collègues universitaires fassent durement payer aux normaliens, au moment d’un éventuel recrutement à l’université, leur inscription dans l’établissement où ils ont mené leur recherche n’est peut-être pas fondée. Elle s’est révélée fausse pour les élèves de Lyon et de Cachan qui, bien qu’inscrits en thèse dans leur établissement, n’ont pas été sanctionnés pour cette raison par les universités où ils ont fait ensuite acte de candidature. Il faut ajouter enfin que le monitorat que les normaliens agrégés doivent désormais accomplir pour valider leur agrégation leur offre la possibilité de faire un stage d’enseignement d’un an dans une université et de s’y faire connaître.
Afin de proposer à ses étudiants les meilleurs enseignements possibles en master et de les inciter à travailler dans les meilleurs laboratoires de recherche, l’École normale supérieure a choisi de proposer ses enseignements en partenariat avec les universités au sein de masters cohabilités et d’écoles doctorales coaccréditées. Au sein de ces partenariats, l’ENS joue souvent un rôle décisif. Surtout, l’ENS a conçu et mis en place, avec l’aide des universités, des parcours de formation qui correspondent au cœur de la scolarité de ses élèves et vont de la troisième année de licence à la fin du master (L3-M2). Ces parcours de formation, qui constituent une excellente préparation à la recherche sont uniques en France, ils sont ouverts aux élèves de l’École ainsi qu’aux meilleurs étudiants des universités partenaires qui peuvent bénéficier d’une mise à niveau. Ces parcours, reconnus par l’AERES comme parcours « excellence recherche » (en dépit du fait qu’ils relèvent à la fois de la licence et du master) donnent une image fidèle de ce qu’est la formation prédoctorale par la recherche à l’ENS, un bloc indissociable qui va de la licence au doctorat, où priment le sérieux des connaissances, l’interdisciplinarité et l’ouverture internationale.
Les seules exceptions qui ont été faites à cette politique de cohabilitation des formations sont une école doctorale « Lettres-Sciences » (la pluridisciplinarité est un effet une des singularités fortes de l’École) ainsi qu’un master consacré aux études antiques, lequel veut défendre une conception propre à l’ENS de ce qu’est la formation d’un étudiant dans ce domaine. Ce master « Antiquité » entend en effet promouvoir une formation très pluridisciplinaire, extrêmement soucieuse de l’apprentissage des techniques de lecture des textes anciens, ainsi que de l’unité du monde gréco-romain (la plupart des masters proposés par l’université sont en effet consacrés soit à la culture grecque soit à la culture latine) et de la familiarité avec d’autres langues anciennes.
Les étudiants admis à l’ENS sur dossier pour préparer le diplôme
Une autre mutation fut introduite au sein de l’École normale supérieure en 2005 au moment de la création du diplôme de l’ENS : l’admission d’étudiants sur dossier à côté des élèves admis par concours. Elle a suscité d’abord de nombreuses controverses, mais, cinq ans après, elle est unanimement acceptée. C’était une décision grave, et lourde de conséquences pour l’identité de l’institution, puisque le concours d’entrée est depuis plus d’un siècle l’élément qui définit l’ENS, ce par quoi elle est d’abord connue. Les raisons qui ont conduit à cette pratique d’admission parallèle ont trait à la part croissante de la recherche au sein de l’établissement et au décalage marqué, de plus en plus dommageable, observé entre le potentiel de formation et le nombre d’élèves. En effet, plus d’un millier de chercheurs travaillent dans les laboratoires de l’ENS. Ils incarnent un potentiel de formation très précieux et constituent avec les enseignants de l’École un remarquable vivier de tuteurs pour les élèves. Or dans de nombreux départements, le nombre d’élèves bénéficiaires potentiels de leur apport est très faible.
Le département d’informatique est un bon exemple du décalage entre le potentiel de formation et le nombre d’élèves. Il compte plus de 120 chercheurs dans des thématiques tout à fait originales comme la cryptographie ou la reconnaissance des visages. Mais il n’accueille actuellement que huit élèves normaliens par an. Ce n’est évidemment pas suffisant au regard du nombre de chercheurs, et dans un domaine essentiel pour le développement de notre pays. Le cas du département d’informatique n’est du reste pas un cas isolé. Il n’y a que quelques élèves par an en géosciences (alors que les sciences de l’environnement se développent de façon spectaculaire), quatre élèves en médecine et biologie, et à peine une dizaine d’élèves en chimie.
Le diplôme de l’École normale supérieure était l’outil institutionnel adéquat pour valider la scolarité à l’ENS d’étudiants qui n’avaient pas été admis par concours. Dans cet emploi, il correspondait à la pratique des anciens magistères, mis en place à l’époque où le système LMD n’était pas encore en vigueur. Mais à la différence des magistères, qui ne concernaient que les quelques départements qui en avaient fait le choix, le diplôme, et la scolarité qu’il sanctionne, sont soumis à des procédures et à un calendrier communs à toute l’École et ont été adoptés par tous les départements.
En 2005, les étudiants accueillis à l’École normale supérieure pour la première fois étaient censés préparer le diplôme réservé aux étudiants. En effet, l’année où le diplôme fut mis en place, il y avait en fait deux diplômes de l’ENS : l’un pour les normaliens, l’autre pour les étudiants. Au bout d’un an, cette pratique a été considérée comme peu satisfaisante et surtout incohérente. Puisque le diplôme a pour fonction d’identifier et de valider la formation reçue au sein de l’École et que cette formation est la même pour les élèves et les étudiants, rien ne justifiait qu’elle fût validée par deux diplômes distincts. Dès 2006, les deux diplômes étaient réunis en un seul, valable aussi bien pour les élèves, les étudiants et les étudiants étrangers.
Après quatre ans, le pourcentage d’étudiants recrutés par l’ENS semble se stabiliser et correspondre à 60 % des élèves. Le pari fait sur la capacité qu’a la formation ENS d’unifier une communauté étudiante d’origines différentes a été en partie réussi. Les étudiants sont nombreux et d’un excellent niveau en sciences sociales, biologie, chimie. En revanche, peu d’étudiants sont admis en mathématiques et en langues anciennes, où le niveau de la formation ENS est très élevé par rapport à celui de l’université et où les meilleurs éléments sont très majoritairement passés par la filière des classes préparatoires.
Les raisons qui ont motivé l’accueil d’étudiants : mettre en phase recherche et formation, élargir le vivier de recrutement de la communauté étudiante de l’ENS, attirer les bons élèves à l’École, quel que soit leur parcours, et se servir pleinement du potentiel de formation présent à l’École restent encore aujourd’hui d’actualité. Dans certaines disciplines, l’ENS n’a toujours pas un nombre suffisant d’étudiants. D’où la demande qui a été adressée au Ministère par l’École, dans le cadre de la rédaction de son projet stratégique pour les quatre ans qui viennent, d’augmenter le nombre de places au concours Informatique et Sciences sociales et de créer un concours Physique Sciences de l’ingénieur (PSI).
L’ambition de l’ENS n’est évidemment pas de croître sans limite, mais il est vrai que le développement optimal de l’institution qui lui donnerait les moyens de faire valoir son modèle d’enseignement pour la formation des élites de notre pays, aurait pour condition de mettre en phase son potentiel de formation et le nombre d’élèves qui en bénéficient. Cela laisserait imaginer une communauté étudiante autour de 3 000 élèves et doctorants. L’École normale supérieure deviendrait alors une véritable « université de recherche » de taille modérée, mais avec près de 2 500 graduate students et 500 undergraduate students.
L’évolution du concours d’entrée littéraire : banque d’épreuves et langues anciennes
S’il y a quelques années encore, les meilleurs élèves allaient tous en classes préparatoires, ce n’est plus le cas aujourd’hui, surtout pour les littéraires. L’orientation vers les classes préparatoires de khâgne et d’hypokhâgne est en effet en concurrence avec l’entrée dans des écoles où l’on peut être admis avec un baccalauréat mention Très Bien. Consciente de ce problème et soucieuse de maintenir un large vivier de très bons candidats à ses concours, l’École normale supérieure n’avait d’autre choix que d’analyser les raisons de cette situation nouvelle, et de modifier par voie de conséquence l’organisation des classes préparatoires littéraires ainsi que les épreuves de son concours AL.
Une des raisons pour laquelle de très bons lycéens, de plus en plus nombreux, renoncent à entrer en hypokhâgne et préfèrent être candidats soit aux classes préparatoires à d’autres grandes écoles, soit à des écoles qui les accueillent dès le baccalauréat tient au fait que la filière hypokhâgne-khâgne leur laisse peu de perspectives de réussir (sur 4 500 élèves aujourd’hui en khâgne, 200 seulement entreront dans une école normale), et ne leur donne en cas d’échec aucun autre diplôme que l’équivalent du L2 universitaire. Il fallait donc trouver un moyen d’accroître les perspectives de succès pour les khâgneux en offrant aux candidats la possibilité de se présenter après la khâgne à d’autres concours que ceux des ENS. La mise en place d’une banque d’épreuves, déjà pratiquée depuis longtemps pour les concours scientifiques, est apparue comme la meilleure solution pour atteindre ce but.
Pour la première fois en 2009, le concours d’entrée à l’ENS s’est donc réalisé en banque d’épreuves avec d’autres grandes écoles. La banque d’épreuves signifie que les épreuves (de philosophie, d’histoire, certaines épreuves de langue vivante) sont totalement ou partiellement communes. Dans cette banque d’épreuves, l’École normale supérieure garde la main sur l’organisation de son concours, sur les épreuves de spécialité et surtout sur son oral. Pour réussir la mise en commun de ses épreuves, l’ENS a dû renoncer, il est vrai, à l’un des traits qui définissaient son concours, le fait d’être sans programme puisqu’il fallait trouver un compromis entre une préparation dont l’esprit est très généraliste (dans les hypokhâgnes et les khâgnes) et des préparations (pour l’ENS Lyon et d’autres écoles) d’emblée beaucoup plus spécialisées. Mais les programmes qui sont en effet apparus pour la première fois en 2009 au concours de la rue d’Ulm sont très vastes, beaucoup plus vastes que ce que peut couvrir, par exemple, en une année le professeur de khâgne qui, de toutes façons, même pour une épreuve sans programme, choisissait d’étudier avec ses élèves seulement quelques textes ou quelques thèmes.
Une autre raison de la désaffection dont est l’objet la filière khâgne/hypokhâgne auprès des lycéens a trait à l’obstacle que présente au concours AL l’épreuve de langue ancienne. La plupart des élèves, même les plus brillants, ont abandonné l’étude du latin au cours des années précédentes, et de plus en plus d’élèves n’ont jamais étudié le latin ou le grec. C’est là un constat que l’ENS ne pouvait ignorer. Le dilemme était donc soit de maintenir à l’identique les épreuves de grec et de latin (à savoir, une version « sèche ») soit de concevoir une épreuve qui laisserait le choix au candidat entre la seule version et une épreuve mixte où la version est associée à une épreuve de connaissance de la culture antique (histoire, philosophie et littérature). De cette façon, le principe selon lequel un littéraire doit avoir une très bonne connaissance de la culture antique, principe auquel l’ENS reste plus que jamais attachée, pouvait être respecté sans que l’épreuve de version fût la seule épreuve qui permît de tester cette connaissance.
En contrepartie de ces mesures, l’ENS a obtenu une transformation considérable : les hypokhâgnes modernes et classiques sont désormais indifférenciées. Autrement dit, la classe d’hypokhâgne aujourd’hui est la même pour tous les élèves, et c’est seulement au terme de l’année d’hypokhâgne que le lycéen décide d’entrer dans une khâgne Ulm ou une khâgne Lyon. La conséquence de cette évolution, très bénéfique pour l’ENS, est que tous les hypokhâgneux doivent suivre un enseignement de langues anciennes (version et culture antique). Autrement dit, tous les élèves qui n’ont pas fait de langues anciennes en première et en terminale en étudient désormais une en hypokhâgne, comme « vrais » ou « faux » débutants. Grâce à cette mesure, tous les hypokhâgneux peuvent envisager d’entrer en khâgne Ulm, l’abandon de la langue ancienne n’étant plus un obstacle à la préparation du concours. Cette mesure a renforcé l’attrait de la khâgne Ulm pour les hypokhâgneux, ils sont en effet plus nombreux à s’orienter vers la préparation à la rue d’Ulm. Ces mesures ont donc contribué à enrayer la baisse du nombre de candidats au concours Ulm, elles ont rendu les classes préparatoires plus attrayantes et elles ont contribué à renforcer l’idée qu’une bonne connaissance de la culture antique est nécessaire à tous ceux qui veulent s’orienter vers des études littéraires.
L’ouverture des possibilités qu’auront les khâgneux d’intégrer une grande école devrait s’amplifier dans les années qui viennent. Plusieurs autres grandes écoles et grands établissements souhaitent être associés à la banque d’épreuves littéraires. Lorsqu’un khâgneux sur trois pourra nourrir l’espoir d’accéder à une filière sélective, les classes préparatoires littéraires s’imposeront sans doute à la fois comme la meilleure formation intellectuelle aujourd’hui disponible, ce qu’elles sont déjà, mais aussi comme très intéressante pour ses débouchés.
Les débouchés des élèves littéraires
Il n’est plus vrai que tous les normaliens trouvent aisément un débouché qui leur convienne à la sortie de l’École. Une grande majorité des élèves, en tous cas tous ceux qui font une thèse, ils sont environ 80 %, veulent s’orienter vers une carrière d’enseignant-chercheur à l’Université ou de chercheur. Tous les étudiants scientifiques qui le souhaitent y parviennent, d’autres trouvent un poste dans les grands corps de l’État, dans la recherche privée ou dans l’entreprise. En revanche, pour les élèves littéraires, il en est autrement. Les postes sont aujourd’hui très rares à l’université et au CNRS et il arrive que pour un poste de maître de conférences vacant en philosophie et en histoire, on trouve, parmi les dizaines de candidats qui se présentent, de nombreux normaliens. C’est une situation désolante que de voir tant de si brillants étudiants, si bien formés, agrégés, docteurs, être affectés contre leur gré dans des établissements d’enseignement secondaire. Pareil gâchis de talents correspond mal au considérable investissement que la société a consenti dans la formation des normaliens.
Pour remédier à cette situation, le souci est très vif dans l’École depuis 2006 d’accorder la plus grande attention aux carrières des élèves littéraires et de concevoir la scolarité à l’ENS, et plus généralement le bloc indissociable que forme les quatre années d’École et les trois années de rédaction de thèse, comme une formation professionnelle de grande qualité et pouvant ouvrir à de très nombreuses carrières, non seulement dans la recherche mais aussi dans d’autres types d’activité.
Au cours des dernières années, l’ENS a donc cherché à ouvrir l’éventail des débouchés pour les élèves littéraires, grâce à des accords noués avec d’autres écoles. Le principe de ces accords est toujours le même : ne pas porter atteinte à l’intégrité de la formation dispensée à l’ENS, mais la compléter éventuellement par une formation d’un autre type.
Les premiers accords ainsi conclus entre l’ENS et plusieurs autres grandes écoles ouvraient des débouchés en préparant au concours de l’Institut national du patrimoine où des élèves normaliens sont admis après une préparation raccourcie. D’autres ont trait à l’École de traduction. D’autres enfin portent sur l’ouverture aux écoles de journalisme. Des accords d’une plus grande ampleur sont aujourd’hui en négociation avec les écoles de commerce HEC et ESSEC. Dans les négociations avec les écoles de commerce, le principe suivant a prévalu : l’essentiel de la scolarité est accompli à l’ENS et l’admission à l’École de commerce est différée à la troisième année, avec une forte incitation à faire une thèse. En contrepartie l’École accepte comme étudiants des élèves de l’École de commerce qui suivent un enseignement adapté.
Une recherche d’établissement : mobilité, renouvellement, innovation
Une autre mutation décisive accomplie au sein de l’ENS a trait à la capacité nouvelle qu’a l’établissement d’inscrire l’ensemble des recherches menées dans les laboratoires (où les objectifs et les programmes restent à l’initiative exclusive des chercheurs) dans le cadre d’une recherche d’établissement. Mobilité, renouvellement, innovation, prospection de nouveaux domaines, synergie et réactivité caractérisent plus que jamais l’esprit dans lequel la politique de recherche est menée au sein de l’établissement.
Un grand soin est désormais porté à la formation et à la mobilité des élèves et des équipes, car ce sont là les conditions du maintien d’une recherche de qualité. Les séjours à l’étranger ou dans d’autres laboratoires sont devenus obligatoires pour les élèves. Des perspectives de recherche les plus nouvelles sont proposées aux élèves. La taille et les méthodes de travail de l’établissement, le fait qu’y soient rassemblés les meilleurs étudiants, des professeurs excellents de toutes origines, qui travaillent ensemble dans de bons laboratoires permettent une réactivité et une synergie maximales. Créer un environnement de recherche propice à l’innovation est décisif pour l’ENS qui doit constamment renforcer la capacité qu’elle a d’attirer les meilleurs chercheurs et les meilleures équipes.
De nombreuses autres mesures visent enfin à développer considérablement la part de la recherche sur projet, financée au sein de l’École. Des appels d’offres sont désormais lancés chaque année pour favoriser l’émergence de recherches pionnières ou la venue d’équipes nouvelles. Ces dotations de recherche, définies au niveau de l’établissement, sont destinées à encourager une recherche aussi réactive et pionnière que possible. Elles doivent aussi servir à financer l’amorçage de projets de recherche, qui peuvent trouver ensuite des subventions complémentaires. L’ENS veut aussi renforcer grâce à cela les recherches multidisciplinaires pour lesquelles elle offre un environnement particulièrement propice. La sélection des projets de recherche s’appuie sur les recommandations de ses conseils scientifiques et tient compte des axes de recherche prioritaires affichés au sein de l’établissement.
Entre passé et avenir, l’École normale supérieure 2010-2015
Les années 2010-2015 seront décisives pour l’École normale supérieure. Ses atouts sont réels, les défis à relever considérables et, sur bien des points, on peut dire que l’École est à la croisée des chemins. Il lui faut trouver la formule optimale pour défendre son identité tout en restant comparable aux autres établissements d’enseignement supérieur. Il lui faut mettre en œuvre une stratégie qui déploie son savoir-faire en matière de formation et consacre son originalité de recherche. Surtout, elle doit définir le cadre, plus grand qu’elle, où elle pourra se déployer au mieux, grâce à des synergies et des mises en commun avec d’autres établissements. Dans les années qui viennent, la question des alliances sera décisive.
Les leçons du passé
Les mutations qui viennent d’être évoquées ont été progressivement introduites dans une situation financière difficile. À la fin de l’année 2005, au moment où je suis arrivée à la direction de l’ENS, j’ai constaté que les finances de l’établissement étaient déséquilibrées et son budget en déficit structurel chronique. J’ai sollicité auprès du ministre de l’Enseignement supérieur de l’époque une enquête conjointe de l’inspection générale des Finances et de l’inspection de l’administration de l’Enseignement supérieur et de la recherche, enquête qui s’est déroulée dans les murs de l’ENS jusqu’en avril 2006. Les recommandations de la mission furent semblables aux recommandations d’ordinaire émises par ce genre d’instance : réduction des activités, licenciement de personnel, transformation de facilités gratuites en privilèges payants, toutes mesures que j’ai dû mettre en partie en œuvre, car je savais que les compléments de financement que j’avais demandés ne seraient accordés qu’à cette condition. Lorsque certaines mesures se sont révélées impraticables et ont suscité de violentes réactions qui risquaient de mettre en cause l’unité de l’École, telle l’introduction d’un droit d’accès et d’emprunt à la bibliothèque, de l’ordre de 20 à 50 euros par an, pour les anciens élèves de l’École devenus enseignants ou salariés, j’y ai renoncé.
Sans doute la direction de l’École n’avait-elle pas pris toute la mesure des conséquences que ces manières de faire introduisaient. Elle a sous-estimé la nécessité d’expliquer longuement les raisons qui les justifiaient et elle n’a pas eu la possibilité de mettre en place les instances d’échanges et de délibérations collectives indispensables dans un temps de fortes mutations. En 2006, n’existait à l’ENS aucun des moyens, instances et procédures, de concertation et de dialogue qui ont été par la suite introduits. Cette époque de troubles qui dura quelques mois est maintenant révolue. Un apprentissage mutuel a eu lieu, une bonne connaissance réciproque s’est peu à peu formée. Des structures communes de réflexion et de décision ont été établies qui permettent de constater la présence d’une réelle adhésion des enseignants et des chercheurs autour du projet de l’École.
Les ambitions pour les années qui viennent
Les nombreuses réformes mises en œuvre au sein de l’enseignement supérieur depuis quelques années sont en phase avec la mue accomplie au sein de l’ENS. Dans le mouvement actuel de recomposition des universités, le groupement Paris Sciences et Lettres dans lequel l’École est résolument engagée sera le vecteur essentiel qui doit porter son influence. Autonome dans sa gestion, établissement à part entière, l’apport de l’ENS à l’enseignement supérieur parisien sera plus que jamais d’actualité.
Les ambitions de l’ENS sont nombreuses. La première d’entre elles est de réussir la transformation de l’image publique de l’École, qui est encore trop souvent perçue comme une institution fermée sur elle-même, une école de professeurs, passéiste et protestataire, soucieuse de ses privilèges. L’ENS aura sans doute encore beaucoup à travailler pour être connue par un large public comme une grande école de recherche universitaire. C’est à cette condition qu’elle pourra fortement défendre les valeurs qu’elle incarne.
J’ai déjà évoqué la taille moyenne de l’École. Cette taille peut être une condition optimale de synergie et de réactivité, mais elle peut ouvrir aussi sur un risque de sous-dimensionnement. Par ailleurs, le caractère singulier de l’ENS est un atout puisque l’École peut ainsi se réclamer d’une identité forte qui suscite un fort sentiment d’appartenance, avec le risque toutefois de paraître rétive aux évolutions. Enfin, la présence incontestable de l’École dans l’histoire et la réalité nationales est également un avantage, mais à condition de ne pas réduire l’École à son passé glorieux.
Une deuxième ambition est de réussir l’autonomie, ou exercice des responsabilités et compétences élargies, dont l’ENS dispose, au même titre que les universités, depuis janvier 2010. L’École est devenue autonome dans sa gestion, employeur de ses personnels et de ses élèves et elle gère son budget de manière globale. Les capacités d’action de l’ENS sont de cette façon à bien des égards augmentées, puisque l’École a désormais la possibilité d’affecter rapidement des financements aux recherches et de mettre tous ses moyens au service de sa politique scientifique et pédagogique. Elle demandera bientôt la pleine possession de son patrimoine, en premier lieu celle du campus Jourdan qui sera totalement reconstruit d’ici 2015. Cette condition nouvelle d’autonomie, qui met l’ENS sur le même plan que les autres établissements, fait que sa contribution à l’enseignement supérieur parisien sera beaucoup plus visible.
L’autonomie dont il est ici question n’est pas une autonomie de statut, car l’École normale supérieure reste liée à l’État. Ce n’est pas non plus une autonomie budgétaire, car l’École dépend de l’État pour son financement, même si elle n’en dépend pas entièrement, la part des financements de contrats, européens ou privés, ne cessant d’augmenter. Mais l’on ne saurait trop insister sur l’importance des financements assurés par l’État, car étant récurrents, ce sont eux qui font vivre au quotidien la recherche fondamentale des laboratoires, tandis que les contrats sont destinés à des projets précisément définis.
Le défi principal qu’aura à relever l’ENS dans cette nouvelle condition d’autonomie, où elle devra elle-même distribuer les crédits de recherche, est de concilier des exigences d’efficacité dans l’allocation des moyens en évitant le saupoudrage et un très grand souci de légitimité. D’où la nécessité où s’est trouvée l’ENS de définir très vite les instances, procédures, critères qui doivent garantir auprès de la communauté des chercheurs la légitimité des décisions financières.
S’engager dans Paris Sciences et Lettres
Consciente de sa petite taille, de ses moyens insuffisants, consciente surtout du besoin de s’allier à d’autres établissements, l’École normale supérieure s’est engagée dans une démarche d’« union dans la proximité », si l’on peut dire. C’est ainsi qu’elle est devenue membre fondateur d’une réunion d’institutions, dénommée Paris Sciences et Lettres (PSL), aux côtés du Collège de France, de l’Observatoire de Paris, du Muséum d’histoire naturelle, de l’École de physique et de chimie industrielle (ESPCI-Paris Tech) et de l’École de chimie Paris-Tech. Ces établissements sont quasi contigus, ils forment ensemble, sur la Montagne Sainte-Geneviève, un continuum d’enseignement supérieur et de recherche. Ils seront unis au sein d’une Fondation de coopération scientifique.
Paris Sciences et Lettres a l’ambition de transformer le quartier de la Montagne Sainte-Geneviève en un véritable campus universitaire, constitué par une graduate school de 5 500 étudiants sévèrement sélectionnés (dont plus de 3 000 doctorants dans des laboratoires qui, dans certaines disciplines, comptent parmi les meilleurs du monde), où la circulation serait libre d’un établissement à l’autre, où les bibliothèques, restaurants, espaces multimédias, services médicaux seraient communs, où des chaires prestigieuses, des unités de recherche, l’accueil des collègues, des post-doctorants et des étudiants internationaux seraient partagés, où l’inscription dans le tissu urbain serait garantie et le souci d’ouverture sociale affirmé, grâce notamment à diffusion des savoirs au sein d’une université numérique accessible à tous.
Sous l’impulsion d’une politique commune de recherche et développement (R&D) et grâce à la richesse et à l’interdisciplinarité de son encadrement scientifique, Paris Sciences et Lettres permettra la mise en œuvre d’un continuum allant de la recherche la plus fondamentale à l’innovation technologique, dans les domaines à fort potentiel de développement et notamment les sciences du vivant, les sciences cognitives et les sciences de l’environnement.
L’ENS et ses alliés au sein de ce groupement partagent un même modèle de formation par la recherche et un même idéal de recherche réactive, pionnière et menée aux frontières des disciplines, puisque c’est la base la plus solide de leur groupement. Ce groupement, qui a permis à l’ENS d’être, avec ses partenaires, candidate au plan campus de rénovation de l’immobilier universitaire parisien, demandera à être l’un des campus d’excellence sélectionnés dans le cadre de la dotation permise par le grand emprunt. PSL, qui établira des liens de partenariat avec les autres ensembles universitaires parisiens et le groupement Paris Tech, est le cadre où s’inscriront les développements à venir de l’ENS.
Développement de la recherche et stratégie immobilière
Nombreux sont les axes de recherche que l’École normale supérieure, appuyée le cas échéant sur PSL, souhaite développer. Ils ont trait à des domaines où l’excellence disciplinaire de l’ENS est déjà bien établie (information quantique, neurosciences, géologie, informatique, archéologie et études antiques, histoire moderne) ainsi qu’à des initiatives interdisciplinaires. Par ailleurs, PSL lancera des programmes fédératifs qui couvrent un large ensemble de disciplines. La recherche portée par l’ENS sera aussi réactive que possible, elle sera animée par des appels à projets, appuyée sur des instituts fédératifs (institut d’information quantique, institut de physique théorique), elle proposera des programmes postdocs innovants ainsi que des offres pour faire venir sur le site de remarquables chercheurs et équipes.
Surtout, l’ENS, dans le cadre de PSL, se servira de sa stratégie immobilière au service de sa recherche. Plusieurs domaines d’action méritent d’être mentionnés car ils permettront le développement de l’École dans les années qui viennent. Le premier a trait à la rénovation d’ensemble des bâtiments de sciences expérimentales de la rue Lhomond, pour laquelle un complément de financement est attendu du plan campus. Le second porte sur la programmation des activités scientifiques du 29, rue d’Ulm où est installé le département interdisciplinaire de sciences cognitives et où seront prochainement établis le Centre de recherche interdisciplinaire de philosophie et d’histoire des sciences, un Learning Center scientifique et un ensemble de salles et équipements multimédia au service de l’activité scientifique. Un troisième et considérable chantier est constitué par le campus Jourdan, qui sera entièrement reconstruit et consacré à l’interface entre sciences sociales et modélisation. Y seront installés les départements de sciences sociales et de géographie de l’École, le département d’informatique, un Institut de l’environnement et de vastes espaces d’hébergement et de restauration. La programmation scientifique de ce campus en fera un lieu exceptionnel en Europe.
Présence internationale majeure
À partir de ces actions, le groupement Paris Sciences et Lettres a l’ambition d’être un centre d’enseignement supérieur et de recherche doté d’une grande visibilité internationale, puisqu’il serait classé, en tant que groupement, parmi les 20 premiers au classement de Shanghai et dans les tout premiers du classement du Times.
Dans la mesure où tous les établissements du groupement Paris Sciences et Lettres, dont la contribution à l’excellence française en lettres et en sciences est considérable, ont, tout en étant étroitement liés aux universités, une mission nationale (recruter des élèves dans toute la France, irriguer les laboratoires de recherche français), dans la mesure où ils jouent un rôle fédérateur sur la scène de l’enseignement supérieur et de la recherche française grâce aux liens étroits qu’ils ont avec les universités parisiennes et les organismes de recherche, les retombées positives en termes de visibilité et de performance qu’entraînerait à courte échéance un investissement dans ce campus illustreraient la science française et, au-delà, le modèle français de formation des meilleurs étudiants. Certes, le nombre d’étudiants de ce groupement pourra paraître réduit, mais ce sont tous des étudiants et doctorants de grande qualité, sélectionnés au meilleur niveau et qui constituent un vivier de talents pour l’avenir.
Je voudrais insister en conclusion sur le rôle singulier qui revient à la direction de l’École normale supérieure. L’autonomie nouvelle dont bénéficie l’établissement n’est évidemment pas une autonomie de statut. L’École reste liée à l’État, et sa direction est nommée par l’État, contrairement à une université où le président est élu, mais cette nomination indique d’abord que la direction a été jugée capable de défendre les intérêts de l’établissement, de le servir et de le garder fidèle à sa mission, elle n’a pas été nommée pour faire allégeance. Dans des temps d’évolutions profondes, cette fonction de direction devient inévitablement plus spéculative qu’administrative puisqu’elle conduit à imaginer sans cesse, par un exercice de pensée, ce que l’École sera dans dix ou vingt ans et comment l’accompagner dans des moments décisifs où se forge son destin. Cette tâche ne saurait être accomplie sans une conscience aiguë de la place qui est celle de l’ENS dans la vie scientifique et intellectuelle française : l’École normale supérieure est aujourd’hui l’un des rares établissements capables de défendre les valeurs universitaires d’exigence dans les connaissances, de sérieux dans leur transmission et de fécondité de la recherche. Elle lie le sens de l’héritage au goût de l’innovation.