séance du lundi 29 juin 2009
Allocution de M. Jean-Robert Pitte,
Membre de l’Académie des sciences morales et politiques
Communication de Mme Valérie Pécresse,
Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche
Allocution de M. Jean-Robert Pitte,
Membre de l’Académie des sciences morales et politiques
Monsieur le Chancelier, Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Perpétuel, chers confrères,
J’ai la difficile mission de m’exprimer juste avant notre Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche à propos de la loi qu’elle a portée sur les fonds baptismaux en la faisant adopter par le Parlement le 10 août 2007, peu de temps après l’élection du Président de la République, en vertu du principe bien connu selon lequel les lois importantes doivent être votées en France dans la foulée d’une élection présidentielle.
Permettez-moi de commencer en vous relatant une expérience récente. Je n’ai pu assister à notre réunion de la semaine dernière, car j’étais à l’université de Maastricht, aux Pays-Bas, à l’invitation de son président, Jo Ritzen, qui réunissait un comité stratégique pour réfléchir à l’avenir de son établissement. J’ai dû répondre à de multiples questions à propos de la situation des universités françaises, personne ne comprenant cette agitation de l’hiver et du printemps 2009 qui s’est traduite dans un certain nombre d’entre elles par quatre mois de grève (sans perte de salaire !), une session d’examens plus ou moins bâclée et des diplômes au rabais.
Que répondre à des collègues — socio-démocrates dans leur majorité, ce qui se traduirait en France par socialistes — qui appliquent une réforme que leur président a mise en œuvre au début des années 1990 ? Il était alors Ministre de l’Éducation Nationale des Pays-Bas et avait institué une véritable orientation-sélection à l’entrée, des droits d’inscription significatifs se montant à 1500 € aujourd’hui, des liens forts avec les entreprises, une évaluation permanente et indépendante, une attention soutenue à la concurrence et aux classements nationaux et internationaux, des salaires contractuels, variables selon le mérite. Ajoutons que le mode d’élection des présidents et de leurs adjoints est totalement indépendant des professeurs locaux et, encore plus, des étudiants et des personnels administratifs. Le Comité de gouvernance de l’université, entre autres chargé de choisir le président après large appel à candidatures et consultation de la communauté, est constitué de cinq personnes seulement, venues du monde de l’entreprise ou de la vie intellectuelle, mais pas de l’établissement. Parmi elles, en ce moment, l’ambassadeur d’Inde aux Pays-Bas. Bien entendu, le président choisi doit, après son élection, présenter ses choix devant les doyens et l’assemblée des professeurs de chaque faculté. Il existe aussi un conseil des étudiants qui donne son avis sur la pédagogie et sur la vie matérielle du campus. Toute la communauté est tendue vers des objectifs de haut niveau : des étudiants toujours meilleurs recrutés dans l’ensemble du pays et à l’étranger, des recherches aux résultats évalués en permanence et internationalement reconnus, un budget public complété de ressources privées en hausse constante, une communauté d’anciens élèves (alumni) active, une attention soutenue aux débouchés professionnels des étudiants. Un détail montre l’état d’esprit de cet établissement : les meilleurs étudiants, dans la limite de 3 % des effectifs totaux, sont conviés chaque année à une grande cérémonie au cours de laquelle ils reçoivent en récompense un chèque du montant des droits d’inscription qu’ils ont versé quelques mois auparavant ! Je vous laisse imaginer les réactions que provoquerait une telle pratique dans notre pays.
J’ai souhaité vous exposer cet exemple pour vous dire à quel point l’université française vit sur une autre planète, totalement déconnectée des réalités européennes, tout au moins de celles de l’Europe du nord. L’active résistance aux réformes d’une minorité des professeurs, des chercheurs, des personnels administratifs et des étudiants, s’appuyant sur la passivité de la majorité, témoigne depuis des décennies d’un conservatisme incompréhensible au-delà de nos frontières. C’est également vrai à l’intérieur de celles-ci, au sein du milieu de l’entreprise, ou même de la politique, droite et gauche confondues. Les grands partis, les parlementaires et les gouvernements successifs et de couleurs alternées se méfient comme de la peste de l’idée de réformer l’Université, comme d’ailleurs l’Éducation nationale en général. Les deux années qui viennent de s’écouler ne sont pas faites pour les inciter à changer d’avis sur ce point !
Les communautés universitaires — surtout dans le secteur des Humanités — s’arc-boutent sur un état de fait qui les maintient dans le rôle ingrat de l’accueil de tous les étudiants non retenus dans les formations sélectives, lesquels représentent 35 à 40 % des bacheliers, et de la sélection par l’échec ou par la porte étroite de l’entrée dans la vie professionnelle des étudiants diplômés. Ce dernier étranglement s’explique par le refus de tout lien avec le monde de l’entreprise et, plus largement, professionnel qui, pensent-elles, les priverait de leur indépendance intellectuelle et les précipiterait vers l’abandon des savoirs généralistes et vers ce qu’elles nomment une « marchandisation » et un « utilitarisme » de l’enseignement supérieur. En résulte évidemment un cruel manque de moyens financiers. Les récents et réels efforts de l’État (un milliard d’euros annuels en plus pendant cinq ans) demeurent insuffisants pour offrir aux universités le même budget par étudiant que les classes préparatoires ou les grandes écoles publiques, sans parler de celles qui relèvent du secteur privé. La gratuité, considérée comme une garantie d’égalité des chances, interdit toute responsabilisation mutuelle des universités, de leurs étudiants et de leurs familles. Rappelons qu’après les Pays-Bas, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont sensiblement haussé les droits d’inscription dans les universités publiques (3000 £ et 1500 €), décisions prises par les gouvernements de gauche de Tony Blair et de Gerhard Schröder. Bien entendu, existent des systèmes variés de bourses au mérite et de prêts d’honneur.
Pardonnez-moi ce long préambule, mais il est nécessaire pour comprendre la teneur de la loi LRU. D’aucuns penseront qu’elle n’est pas allée assez loin dans la réforme, mais il faut comprendre que l’on a si longtemps résisté à une refonte du système dual qui régit notre enseignement supérieur, qu’il est chaque jour plus difficile de le réformer. Ainsi en est-il des mauvaises habitudes. Comme sur bien d’autres points, notre pays recule tant qu’il peut devant les réformes nécessaires et s’y résout généralement au terme de grands soubresauts politiques et sociaux, accompagnés de toutes les dérives violentes dont il a le secret depuis le XVIIIe siècle au moins. De toute évidence, le Président de la République et le gouvernement n’ont pas souhaité provoquer une émotion populaire massive à l’orée du quinquennat et c’est la raison pour laquelle la préférence a été donnée à des choix réellement neufs, mais d’ampleur limitée, dans l’espoir que, grisées par leurs nouvelles libertés et responsabilités, les universités iraient d’elles-mêmes au-delà. Je souhaite ardemment qu’il en soit ainsi, même si le chemin risque d’être long.
N’oublions pas pour achever de situer le contexte que le précédent gouvernement avait été ébranlé par la violente résistance à la modeste réforme de l’insertion professionnelle des jeunes, dite Contrat de Première Embauche (CPE), au printemps 2006. Ce n’est un secret pour personne que l’étudiant qui a présidé l’UNEF juillet 2005 à décembre 2007, M. Bruno Julliard, figure de proue du mouvement anti-CPE, a pesé de tout son poids sur le contenu de la loi LRU, en particulier en obtenant que la non sélection et la gratuité ne seraient pas remises en cause. Il est aujourd’hui, à 28 ans, adjoint au Maire de Paris chargé de la jeunesse et Secrétaire national à l’Éducation du Parti Socialiste. L’UNEF s’est opposée pour la forme à l’application de la loi à l’automne 2007 et au printemps 2009, mais les plus virulents des grévistes furent les coordinations et mouvements d’extrême-gauche mêlant étudiants, professeurs, administratifs et militants extérieurs aux universités.
Entrons maintenant dans l’exposé des principales nouveautés qu’institue cette loi par rapport à la précédente, préparée en 1983 par M. Alain Savary, ministre de l’Éducation nationale, et votée en janvier 1984.
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Les missions du service public de l’enseignement supérieur. Elles étaient au nombre de quatre : la formation initiale et continue, la recherche scientifique, la diffusion de la culture et de l’information scientifique et technique, la coopération internationale. Deux nouvelles missions importantes s’y sont ajoutées : l’orientation et l’insertion professionnelle, la participation à la construction de l’espace européen de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ce ne seront pas les plus faciles à mettre en œuvre, mais elles sont essentielles.
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La Conférences des chefs d’établissement de l’enseignement supérieur n’est plus présidée par le ministre, mais par un membre élu.
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Un bureau d’aide à l’insertion professionnelle des étudiants est créé dans chaque université, notamment chargé de diffuser aux étudiants une offre de stages et d’emplois variée et en lien avec les formations proposées par l’université. Il s’agit ici d’une mesure qui devrait entraîner une véritable révolution dans les mentalités universitaires. Bien entendu, les IUT et autre écoles internes, ainsi que les équipes pédagogiques des formations professionnalisantes, de licence ou de master, appliquent déjà ce principe depuis longtemps. L’important est de le généraliser. Il importe de tordre le cou à l’une des plus pernicieuses idées reçues du monde universitaire français, surtout dans le secteur des lettres et sciences humaines : la création et la transmission du savoir au plus haut niveau seraient contradictoires avec les préoccupations d’insertion professionnelle des étudiants. Ces dernières ne relèveraient que du seul secteur économique qui doit se charger de former les employés dont il a besoin. Voici pourquoi le taux de chômage des jeunes est si élevé en France : 21,5 % des 15-24 ans sont demandeurs d’emploi, ce qui place notre pays au 23e rang, sur 30, parmi les pays de l’OCDE
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Une excellente mesure complémentaire s’ajoute à la précédente : les établissements sont tenus de publier des statistiques comportant des indicateurs de réussite aux examens et aux diplômes, de poursuite d’études et d’insertion professionnelle des étudiants. Ce sera à l’État de vérifier son application honnête et rigoureuse, à l’occasion de la signature des contrats quadriennaux.
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Tout candidat est libre de s’inscrire dans l’établissement de son choix, sous réserve d’avoir, au préalable, sollicité une préinscription lui permettant de bénéficier du dispositif d’information et d’orientation dudit établissement, qui doit être établi en concertation avec les lycées. Il faut reconnaître que cette bonne disposition qui rend l’orientation obligatoire — à défaut d’une sélection — n’a guère été vraiment appliquée avec sérieux jusqu’à maintenant. Les universitaires ne souhaitent pas y consacrer de temps, les personnels administratifs s’estiment débordés, les lycées possédant des classes préparatoires ne souhaitent pas se séparer de leurs meilleurs élèves et ne les incitent donc pas à se tourner vers les universités. Ces derniers et leurs familles en sont d’ailleurs d’avance convaincus. Quant aux moins bons élèves, ils craignent d’être découragés d’entrer dans l’enseignement supérieur général ou d’être discrètement écartés au moment de l’inscription définitive. Quant aux bons élèves des sections professionnelles et technologiques, ils sont d’office dirigés vers les BTS et les IUT qui ne se privent ni de sélectionner, ni de recruter également de bons bacheliers généraux.
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Le recrutement des enseignants-chercheurs s’effectue parmi des candidats qualifiés par les sections du Conseil national des universités, par l’intermédiaire de comités de sélection proposés par le président et nommés en conseil d’administration, après avis du conseil scientifique. La moitié des membres siégeant doit être extérieure à l’établissement. Le président dispose d’un droit de veto dont on imagine qu’il sera très rarement exercé. La première année de fonctionnement de ce nouveau système dénote peu de changement par rapport à la procédure antérieure, hormis la difficulté de réunir des comités de sélection aussi nombreux que les postes à pourvoir et comportant un aussi grand nombre de membres extérieurs présents. Malgré les apparences, le localisme a encore de beaux jours devant lui.
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Tous les personnels titulaires et contractuels sont évalués par l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. Cette mesure doit permettre au président et aux équipes de direction d’organiser les services, d’attribuer les primes, intéressements et les promotions des personnels en fonction de leurs capacités, de leurs goûts, de leur manière de servir. Cette mesure d’un bon sens managérial évident est vigoureusement rejetée par les enseignants-chercheurs qui craignent d’être jugés sur leurs performances, ce qui est pourtant la règle générale dans le reste de la fonction publique et dans la plupart des pays du monde dont beaucoup vont bien plus loin, puisque l’on y négocie son salaire contractuellement. C’est le cas, par exemple, aux Pays-Bas où le salaire d’un grand professeur peut atteindre celui du premier Ministre ! Ce n’est un secret pour personne qu’un nombre important d’enseignants-chercheurs n’effectue plus de recherche et ne publie plus (20 à 50 %, selon les disciplines et les grades). C’est la conséquence d’une insuffisante gestion de leurs ressources humaines par les équipes dirigeantes des établissements. La modulation des services est un moyen raisonnable de remobiliser l’ensemble des personnels, d’appliquer à tous le principe quasi-généralisé à l’étranger des années sabbatiques, de redonner dignité et plaisir au difficile métier d’universitaire. C’est une culture qui s’apprend, ne serait-ce qu’en regardant ce qui se passe dans beaucoup de pays étrangers.
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Les établissements gèrent de manière autonome et globale leur budget, ce qui leur permet de répartir leurs ressources en fonction de leurs choix stratégiques. Un cinquième des établissements a accédé en 2009 à cette nouvelle compétence qui marque un réel progrès vers l’autonomie. Ils peuvent bénéficier du transfert à titre gratuit des biens mobiliers et immobiliers qui appartiennent à l’État. Ceux qui disposent de terrains à bâtir et de bâtiments en bon état ont tout intérêt à le demander. Les autres, beaucoup moins.
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Chaque établissement peut créer une fondation et bénéficier de fonds de mécénat fiscalement avantageux pour ses partenaires publics ou privés.
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Le président est un enseignant-chercheur ou un chercheur élu pour quatre ans et renouvelable une fois, sans qu’il soit nécessairement affecté à l’établissement, ni français. Le conseil d’administration qui le choisit comprend de vingt à trente membres, élus au scrutin de liste, avec une prime majoritaire dans les collèges des professeurs et des enseignants chercheurs. Les étudiants sont au nombre de trois à cinq et les personnels administratifs au nombre de deux à trois, ce qui est jugé insuffisant par les organisations syndicales. Pourtant, les élections qui ont eu lieu en 2008 et 2009 ont démontré que les majorités étaient souvent opposées chez les professeurs et les maîtres de conférences et que le choix revenait donc aux étudiants et aux personnels administratifs, généralement en accord sur le candidat à élire. Les personnalités extérieures, au nombre de sept ou huit, rejoignent le conseil sur proposition du président élu et ne participent donc pas à son élection. Il s’agit là, sans aucun doute, de la mesure la moins défendable de la loi LRU, en recul sensible par rapport à la loi Savary de 1984 qui prévoyait que les collectivités territoriales et les grandes organisations d’employeurs et de cadres désignaient leurs représentants préalablement. Ce système électoral a, jusqu’à maintenant, privilégié l’élection d’un certain nombre de présidents opposés à l’application de la loi LRU, alors qu’en 2007 la Conférence des présidents d’université y était quasi-unanimement favorable.
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En cas de difficulté grave dans le fonctionnement des établissements, le ministre ou même le recteur peuvent, à titre exceptionnel, prendre toutes dispositions imposées par les circonstances. Le Conseil national de l’enseignement supérieur en est informé. Une telle mesure est difficilement applicable comme l’ont montré les événements du deuxième semestre 2008-2009. Toute intervention trop visible d’un recteur ou du ministre aurait eu pour effet de souder davantage les communautés universitaires autour de présidents qui auraient été considérés comme des martyrs.
Pour sortir l’université française de l’impasse dans laquelle elle se trouve engagée, situation qui varie d’un établissement à l’autre, il est essentiel que la plupart des dispositions de la loi LRU soient appliquées en totalité et le plus vite possible. Celle-ci doit cependant être réformée en profondeur quant au mode de gouvernance, en particulier en redonnant un rôle central aux personnalités extérieures, ce qui ne sera pas le plus facile à réaliser deux ans seulement après sa promulgation et les difficiles débuts de sa mise en oeuvre.
La culture de l’évaluation devra beaucoup progresser, être indépendante, sans doute à terme européenne, prenant fortement en compte parmi ses critères l’insertion professionnelle des diplômés qui est encore largement ignorée des établissements, sans négliger pour autant la visibilité internationale des recherches qui y sont conduites et l’attractivité nationale, européenne et extra-européenne qu’elle exerce en matière de recrutement d’étudiants et d’enseignants et de chercheurs.
L’un des moyens les plus efficaces de moderniser les universités françaises et, du même coup, italiennes, espagnoles et grecques, serait d’achever le processus de Bologne, d’européaniser les accréditations de diplômes, d’adopter des règles de recrutement, des modes de financement et de gouvernance communs qui seraient proches de ceux des pays d’Europe du nord, mais aussi d’Amérique du nord et du Japon. Le brassage européen des étudiants, des professeurs, des personnels administratifs doit s’accélérer ou, plutôt, s’instaurer, tant la France est en retard à ce sujet par rapport à ses voisins du nord. Cela passe par le développement du plurilinguisme, tel qu’il existe partout en Europe du nord et de l’est, à l’exception de la Grande-Bretagne et de l’Irlande. Les universités françaises auraient tout à gagner à cette harmonisation européenne. À l’évidence, elles n’y sont pas intellectuellement et politiquement prêtes, le fonctionnement de leurs homologues d’Europe et d’Amérique du nord, ou d’Extrême-Orient leur paraissant dangereusement libéral.
Redonner de l’attractivité et du lustre à toutes les universités françaises est une nécessité pour l’avenir de notre pays. En effet, notre élite provient très majoritairement des formations sélectives qui, pour beaucoup d’entre elles, ont peu développé leurs activités de recherche. Au contraire, les universités disposent d’un immense potentiel sur ce plan. Il est urgent et indispensable de réduire la fracture entre les deux filières. L’autonomie implique de choisir ses étudiants et de s’engager à les conduire au succès, c’est-à-dire à une insertion professionnelle correspondant à leur cursus. Il faut donc parallèlement augmenter sensiblement le nombre de places dans les formations courtes technologiques et professionnelles, si possible en alternance, de manière à faire mieux et plus tôt comprendre à la jeunesse l’intérêt et les règles de fonctionnement du monde du travail. En même temps, il faut faciliter le passage pour les meilleurs des formations courtes aux formations longues. Ces dernières, surtout lorsqu’elles sont généralistes et non directement professionnalisantes ne peuvent être réservées qu’aux plus doués des étudiants.
À l’évidence, il faudra également songer un jour à augmenter les droits d’inscription, comme l’ont fait beaucoup de pays, en veillant soigneusement à éviter l’écueil d’une sélection par l’argent, ce qui est techniquement facile. C’est le seul moyen réel de responsabiliser les acteurs et les usagers de l’enseignement supérieur, de décourager les étudiants fantômes qui atteignent près du quart des effectifs dans certaines universités, parfois plus en fin d’année, enfin de procurer d’importantes ressources nouvelles, bien nécessaires à l’heure où les déficits publics se creusent. On ne peut espérer rendre attractives les universités, tant qu’elles disposeront d’un budget moyen annuel de 7000 € par étudiant (moins que pour un lycéen), contre le double en classe préparatoire et trois à dix fois plus dans les grandes écoles.
Refuser l’autonomie, même partielle, que confère la loi, c’est exprimer la nostalgie des temps jacobins, un peu comme si les collectivités territoriales voulaient revenir aux temps d’avant la décentralisation, lorsque les préfets étaient tout puissants. Beaucoup se plaignent de transferts de compétences insuffisamment accompagnés de transferts budgétaires, mais aucune ne réclame le retour à la situation antérieure.
Les universités françaises ne doivent plus se couper du pays réel et de l’avenir de sa jeunesse. On ne forme pas les cadres de la France et de la planète mondialisée sans les nourrir d’une culture du questionnement et de la remise en cause que seule la recherche peut permettre d’acquérir. Tant que les meilleurs lycéens éviteront presque tous de venir à l’université en premier cycle, sauf en médecine et peut-être en droit, notre enseignement supérieur restera bancal et incompréhensible vu depuis l’étranger.
Communication de Mme. Valérie Pécresse,
Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche
Monsieur le Secrétaire Perpétuel,
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Académiciens,
Je suis très heureuse d’être parmi vous aujourd’hui pour clore le cycle des séances publiques que l’Académie des Sciences morales et politiques a souhaité cette année consacrer à l’Université, la science et la recherche dans la France d’aujourd’hui.
Je vous remercie, cher Jean-Pierre Casanova, de me donner l’occasion de contribuer ainsi au débat public, en soumettant à l’avis de vos pairs, qui sont d’éminents spécialistes de la question, ma vision de l’Université dans la France de 2009.
Nous avons besoin de penser l’Université pour construire ensemble, une vision partagée de son avenir. Et l’action politique ne peut s’exonérer d’une réflexion de fond sur un sujet aussi complexe et aux enjeux si stratégiques pour notre pays.
Des Universités oui ! bien sûr ! Mais pourquoi ? Pour qui ? Pour quel projet de développement économique, social, culturel ?
Toutes ces questions qui ont animé vos débats, chaque lundi, sont aussi mes questions, celles auxquelles, depuis maintenant plus de deux ans, je ne cesse de proposer des réponses.
L’action politique doit assumer la réforme quand elle est nécessaire.
Les universités françaises attendaient la réforme.
Le Président de la République et le Premier ministre m’ont demandé de la mener, en conduisant les universités sur le chemin de leur autonomie.
Bâtir un projet d’établissement, faire des choix stratégiques de recherche et de formation, mener une véritable politique de recrutement, gérer un budget global, assumer une nouvelle liberté et en prendre toutes les responsabilités afférentes : voilà ce que le gouvernement propose enfin aux universités.
Et voilà le défi qu’elles sont, toutes, en train de relever.
Depuis le 1er janvier dernier, 20 de nos universités sont autonomes. Et le désir d’autonomie ne se dément pas. Plus de la moitié des universités devraient l’être au 1er janvier prochain. Je dois dire que c’est pour moi une immense satisfaction.
L’autonomie c’est le pari de la confiance : confiance de l’Etat dans la capacité des universitaires à s’ouvrir au monde socio-économique, à qualifier leurs étudiants et à préparer leur insertion professionnelle.
La loi du 10 août 2007 donne du poids à l’Université française. Elle en fait un acteur économique et social central. Elle lui offre la possibilité de participer pleinement à notre projet de développement, à notre projet de société.
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Alors, j’ai bien entendu certaine voix s’élever contre cette liberté nouvelle, perçue parfois comme une menace faite à l’indépendance des universitaires et aux libertés académiques.
J’ai même entendu les Présidents d’université se voir désignés par leurs pairs comme des autocrates en puissance.
Mon dialogue constant avec la communauté universitaire, dans sa diversité et parfois dans ses contradictions m’a, je dois le dire, ouvert les yeux sur la nécessité de refonder une véritable collégialité universitaire animée des valeurs de l’Université : la liberté, l’évaluation, la transparence, la transmission.
La réforme de l’université, ce n’est pas seulement le renforcement du pilotage des établissements, c’est aussi la reconstruction d’un corps, à la fois respectueux de la liberté scientifique individuelle, et tendu vers un objectif partagé.
L’autonomie est une pratique de la liberté et de la responsabilité qui partage, se délègue et s’organise.
Je dois à la vérité de dire, que j’ai été frappée, pendant ces six derniers mois, de la force des méfiances qui anime une communauté universitaire dont l’anxiété est paradoxalement proportionnelle à la qualité de ses membres.
Les universitaires doivent retrouver dans notre pays la légitimité sociale et la place symbolique que 25 ans d’abandon de l’Université par des gouvernements de droite comme de gauche ont sapées dans l’indifférence générale.
Tout autant que les questions de gouvernance, il était absolument indispensable de rendre le métier d’enseignant-chercheur plus attractif et de permettre à l’excellence des universitaires de s’exprimer plus librement au sein de nos universités.
Car la construction d’un projet d’établissement se fonde d’abord sur la communauté universitaire, sur ces femmes et ces hommes dont l’identité est dans la science, dans cette connaissance qu’ils maîtrisent, qui est leur légitimité et le sens même de leur engagement professionnel.
Pour accroître l’attractivité du métier d’enseignant-chercheur, la revalorisation des carrières est un préalable. Nous l’engageons dès aujourd’hui. Nous avons d’ores et déjà :
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doublé les taux de promotion des maîtres de conférences et des professeurs,
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augmenté les salaires d’entrée des jeunes maîtres de conférences de 12 à 25 %,
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créé une prime de responsabilité pédagogique cumulable avec la prime d’excellence scientifique.
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augmenté de 50 % les places à l’Institut Universitaire de France et créé 130 chaires d’excellence pour de jeunes talents universitaires recrutés conjointement par des universités et des organismes de recherche.
Tout cela à la demande de l’Académie des Sciences qui a exprimé toute l’importance qu’elle accordait à la fois l’augmentation des rémunérations et à la différenciation des carrières.
Mais au-delà de la question très légitime des salaires et des carrières, la redéfinition d’un statut qui prenne en compte la complexité du métier d’universitaire, était plus décisive encore.
Et c’est d’ailleurs la réforme de ce statut de 1984, que chacun s’accordait pourtant à reconnaître comme obsolète, qui a suscité les débats les plus vifs au sein de la communauté universitaire.
Nous avons échangé et travaillé… beaucoup.
Le nouveau statut réaffirme l’indépendance et l’identité académique des universitaires.
Il garantit, en toutes circonstances, une évaluation nationale indépendante et équitable.
Il assure la collégialité et la transparence des décisions.
Aujourd’hui, les universitaires disposent d’un texte qui renforce les garanties de leur statut tout en préservant la mise en œuvre par les présidents d’université d’une véritable gestion des ressources humaines, première condition d’une autonomie réelle des établissements.
Alors oui, ce statut ne va sans doute pas aussi loin dans la démarche d’autonomie des établissements, mais c’est une première étape indispensable. Cette étape est aujourd’hui franchie.
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La nouvelle université sera forte de tous les équilibres qu’elle aura construit en son sein pour fonder avec ses partenaires extérieurs des relations, elles-aussi, plus équilibrées et donc plus fortes.
Les universités se placent désormais au cœur de notre système de formation et de recherche. Au sein de grands Pôles de recherche et d’enseignement supérieur, elles sont en mesure de fertiliser leur potentiel et de recherche et de formation par des contacts renforcés avec les écoles et les organismes de recherche de leur territoire.
L’autonomie, c’est la liberté et la responsabilité pour chaque établissement. Les pôles de recherche et d’enseignement supérieur offrent à chacun d’entre eux la possibilité de nouer des alliances et des solidarités qui les renforcent encore.
Toutes les universités ont vocation à s’adosser à un PRES et à s’inscrire dans un réseau scientifique et pédagogique.
Je sais le rôle déterminant que jouent les universités pluridisciplinaires des villes moyennes. Elles offrent une formation de proximité indispensable pour l’atteinte de l’objectif national de 50 % d’une classe d’âge diplômée de l’enseignement supérieur.
Elles sont tout à fait en mesure de développer des niches d’excellence dans les domaines de spécialisation scientifique qu’elles auront su constituer.
Mais il était urgent de rassembler notre paysage de recherche, ses 83 universités et ses 225 écoles, pour lui donner, enfin, une lisibilité et une visibilité mondiale.
Et c’est dans cet esprit que le Président de la République a souhaité que notre pays se dote de campus universitaires dignes de ce nom.
Une dizaine de campus sont en train de voir le jour dans notre pays.
Autour de projets scientifiques fédérateurs et innovants, sur ces campus, universités, écoles et organismes de recherche, bâtissent l’Université française de demain, celle que l’on trouve partout dans le monde, celle qui offre aux scientifiques, aux professeurs et à leurs étudiants des conditions d’étude, de recherche et de vie, à la hauteur de leurs attentes.
Une université qui fédère autour d’elle toutes les forces de formation et de recherche qui l’environnent.
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Dans un monde multiculturel, concurrentiel, globalisé, la capacité à produire, transmettre et valoriser la connaissance est la clef de la réussite de notre pays.
Les frontières de la connaissance ne cessent de reculer devant la vitalité d’une recherche scientifique qui doit relever tous les défis du monde contemporain : lutter contre le réchauffement climatique, enrayer les épidémies mondiales, préserver la paix en explorant l’âme des peuples, assumer le vieillissement de la planète, répondre à la crise économique, trouver de nouvelles sources d’énergie….
C’est pourquoi il était si important d’inviter la communauté scientifique française à se doter d’une stratégie nationale de recherche et d’innovation qui fixe les grandes lignes thématiques et opérationnelles prioritaires de notre politique de recherche.
En portant une véritable stratégie de recherche, nos organismes pourront s’engager dans des coopérations plus fécondes et mieux coordonner leurs actions. C’est ainsi que j’ai soutenu le consortium de recherche dans l’agronomie et la santé animale entre l’INRA, le CIRAD et des établissements d’enseignement supérieur, et l’Alliance pour les sciences de la vie et la santé. Je souhaite que le CNRS s’engage résolument dans des coordinations similaires dans le secteur de l’énergie ou des technologies de l’information, qui devront fonctionner sur le modèle de l’Alliance pour les sciences de la vie.
Mais nos organismes de recherche doivent également travailler mieux et davantage avec nos universités.
Le CNRS en particulier, désormais partenaire d’universités autonomes, doit se garder de tout repliement sur lui-même. Il doit, au contraire, assumer pleinement son rôle de stratège dans la définition de grands programmes de recherche nationaux.
Tutelle scientifique, opérateur de recherche, réorganisé en Instituts disciplinaires forts, il accentuera son action en tant qu’agence de moyens en apportant personnels et financements aux unités mixtes universitaire.
Son action est décisive notamment pour lancer des programmes de long terme, nécessitant des investissements lourds et risqués.
Dans un partenariat d’égal à égal avec des universités renforcées, le CNRS participera ainsi à la conduite d’une stratégie de recherche qui irrigue résolument notre force d’enseignement :
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nos chercheurs sont désormais encouragés à enseigner davantage
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nos universitaires pourront bénéficier de temps de recherche supplémentaires.
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L’agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur procèdera à une évaluation unique, externe et transparente de nos Unités Mixtes de Recherche, pierres angulaires de notre système de formation et de recherche.
Enfin en France, le monde de la recherche et celui de l’Université se rejoignent pour bâtir la société de la connaissance dont notre pays a besoin.
Alors bien sûr, il y a loin de la réforme à la renaissance, mais je suis convaincue, qu’au delà même des choix stratégiques faits par le gouvernement, l’Université française est train de prendre son destin en main, forte d’un nouveau projet et d’une nouvelle capacité à le mener à bien au sein d’un paysage scientifique renforcé.
La refondation des universités françaises a commencé. Elle doit se nourrir d’un débat ouvert et constant. Je serais très heureuse de vous entendre sur ces questions.