Remise du prix 2006 de la Fondation culturelle franco-taïwanaise

Institut de France, lundi 11 juin 2007

Lauréat : Jean-Luc Penso, maître de marionnettes, directeur du Théâtre du Petit Miroir

De gauche à droite : M. Lu Ching-Long, représentant de Taïpei en France, M. Michel Albert, secrétaire perpétuel de l’Académie, Mme Liu Wong Chin-Chu, président du Conseil des Affaires culturelles, M. Gabriel de Broglie, chancelier de l’Institut et M. Jean-Luc Penso, maître de marionnettes et lauréat du prix.

La onzième cérémonie annuelle de remise du Prix de la Fondation culturelle franco-taïwanaise s’est déroulée le lundi 11 juin en Grande salle des séances, en présence de M. le Chancelier Gabriel de Broglie, de M. le Chancelier honoraire Pierre Messmer, ainsi que de nombreux académiciens et personnalités.

M. Michel Albert, Secrétaire perpétuel de l’Académie et, à ce titre, co-président de la Fondation, a évoqué les défis auxquels est confronté le jury en raison du souci d’excellence qui préside au choix du lauréat et du trop petit nombre de travaux d’importance sur Taïwan. Puis il a souligné le parcours exceptionnel du lauréat 2006, M. Jean-Luc Penso, héritier français de la grande tradition des marionnettes taïwanaises.

Mme Liu-Wong Chin-Chu, ministre de la Culture de Taïwan, Président du Conseil national des Affaires culturelles, et, à ce titre, co-président du jury de la Fondation, a souligné les affinités durables qui lient son ministère et l’Académie ainsi que les lignes de convergence culturelle entre Taïwan et la France. Puis elle a remis le Prix de la Fondation au lauréat, non sans lui avoir rendu un hommage appuyé.

Mme Liu Wong Chin-Chu et M. Jean-Luc Penso

Dans son discours de remerciement, M. Jean-Luc Penso a retracé son parcours taïwanais et évoqué la mémoire de Li Tien-Lu, le Maître de marionnettes qui lui a transmis son art. Il a ensuite offert à l’assistance une démonstration dans le magnifique castelet en camphrier sculpté qui l’accompagne dans toutes ses tournées à travers le monde.

Le castelet de M. Jean-Luc Penso
Allocution de M. Michel Albert, secrétaire perpétuel de l’Académie

Madame le Ministre,
Monsieur le Chancelier,
Monsieur le Chancelier honoraire,
Messieurs les Secrétaires perpétuels,
Monsieur le Représentant,
Messieurs les Ambassadeurs,
Mes chers confrères,
Mesdames et Messieurs,

S’il est des îles où la culture n’est qu’un fidèle écho de celle du continent, il en est d’autres qui, comme si elles avaient atteint une masse culturelle critique, se singularisent à un moment donné de leur histoire et développent des caractéristiques propres. Les îles britanniques et l’archipel nippon illustrent parfaitement ce principe. Tout, dans leurs cultures respectives – philosophie, religion, esthétique, architecture, organisation politique – rappelle la culture du continent d’où sont majoritairement issues leurs populations, et pourtant rien n’y ressemble vraiment.

Moins connu, voire méconnu, est le cas taïwanais, pourtant tout aussi singulier. L’éloignement géographique pourrait être invoqué pour expliquer notre ignorance. Mais à l’ère de la circulation de l’information à la vitesse de la lumière, la distance est davantage un mauvais prétexte qu’un obstacle. Les véritables raisons sont autres, liées à l’histoire récente de Taïwan et aux relations complexes qu’elle entretient avec son immense voisin continental. Nous ne le savons que trop, seuls des préjugés sont à même de jeter un épais voile d’ignorance sur ce qui devrait susciter notre curiosité et notre intérêt.

On ne s’étonnera donc pas que notre Académie, qui a pour double vocation, d’une part, d’étudier tout ce qui ressortit aux sociétés humaines et aux manifestations de la pensée et, d’autre part, de favoriser la diffusion du savoir, se soit associée au Conseil national des Affaires culturelles de Taïwan pour aider à faire connaître la réalité taïwanaise en Europe. C’est ainsi qu’a été créée en 1996, sous l’égide de Monsieur Pierre Messmer, la Fondation culturelle franco-taïwanaise. Depuis onze ans déjà, elle récompense les œuvres, les études, les travaux qui « mettent en lumière les rapports entre l’Europe et Taïwan et contribuent à l’intensification des rapports culturels entre l’Europe et Taïwan ».

Année après année, le jury franco-taïwanais se réunit tantôt à Paris, tantôt à Taïpei, pour examiner les candidatures d’artistes, de chercheurs, de sinologues qui consacrent tout ou partie de leur talent à l’un ou l’autre aspect de la réalité taïwanaise. Mais il apparaît qu’en dépit du caractère fortement incitatif du prix décerné, le vivier de lauréats potentiels reste très limité.

Il est limité parce que trop peu nombreux sont ceux qui ont l’audace et l’indépendance d’esprit permettant de s’aventurer hors des sentiers battus. Pourtant, l’histoire récente aussi bien qu’ancienne de Taïwan, sa vitalité économique, sa complexité sociale et politique, sa démocratie encore toute jeune, ses traditions populaires, sa diaspora, sa créativité artistique, ses relations tantôt apaisées, tantôt conflictuelles avec la Chine, sa population composite, sa richesse linguistique constituent autant de champs d’exploration qui devraient susciter l’intérêt de nombre d’Européens.

Le vivier de lauréats est également limité en raison de l’exigence d’excellence qui préside au choix du jury. Le palmarès des années passées témoigne de ce souci constant de ne récompenser que des œuvres, des actions, des contributions de la plus haute qualité. Le lauréat de ce soir en est la vivante confirmation.

D’aucuns pourraient toutefois s’étonner que la digne Académie des sciences morales et politiques et le non moins digne Conseil des Affaires culturelles se soient associés pour récompenser un simple « joueur de Guignol ». Ce serait là méconnaître totalement à la fois la nature des marionnettes taïwanaises et la carrière hors du commun de M. Jean-Luc Penso.

Loin d’être une distraction légère ad usum Delphini, l’art des marionnettes auquel notre lauréat a été initié il y a plus de trente ans déjà, représente la quintessence de la culture taïwanaise traditionnelle. Éminemment populaire, cet art a assuré, dans tous les villages de Taïwan, depuis le XVIIIe siècle et jusqu’à une époque récente, la transmission de valeurs religieuses et morales, de thèmes littéraires classiques, de repères historiques, de légendes édifiantes et d’une esthétique visuelle aussi bien que musicale qui n’a rien à envier au grand opéra chinois.

Mais rien ne prédisposait ce trésor culturel menacé d’un oubli fatal à se retrouver dans les mains d’un jeune Français. Quelle destinée hors du commun que celle de notre lauréat qui, découvrant les mystères et les beautés des marionnettes taïwanaises, s’est pris de passion pour elles et leur a consacré à ce jour plus de trente ans de sa vie ! Trente années de travail consacrées par des tournées dans près de 70 pays, sur les cinq continents et, notamment, en Chine ! Mais trente années de travail consacrées surtout par la confiance et la reconnaissance qu’a accordées à M. Jean-Luc Penso l’un des derniers grands maîtres de marionnettes de Taïwan !

Le choix unanime du jury apparaît donc, une fois encore, comme répondant pleinement à l’objet de la Fondation culturelle franco-taïwanaise qui est d’établir des ponts entre l’Europe et Taïwan. M. Jean-Luc Penso y contribue magistralement et c’est ce qui lui vaut cette récompense que Madame le Ministre Liu-Wong Chin-Chu, Président du Conseil national des Affaires culturelles, à qui je passe la parole, lui remettra dans un moment sous vos applaudissements.

Allocution de Mme Liu Wong Chin-Chu, président du Conseil des Affaires culturelles de la République de Chine à Taïwan

Monsieur le Chancelier honoraire Pierre Messmer,
Monsieur le Chancelier Gabriel de Broglie,
Monsieur le Secrétaire perpétuel Michel Albert, Mesdames et Messieurs les Académiciens,
Monsieur le Représentant Lu Ching Long,
Mesdames et Messieurs

En tant que tant que Président du Conseil national des Affaires culturelles, je ressens comme un honneur et un plaisir tout particuliers de pouvoir participer, en ce haut lieu de culture qu’est le palais de l’Institut, à la onzième cérémonie de remise du prix de la Fondation culturelle franco-taïwanaise.

L’accélération du développement économique et technologique que connaît Taïwan est sans nul doute la cause des mutations sociales et du foisonnement culturel de ces dernières années. La diversité qui se manifeste spécifiquement dans le domaine culturel est fort bien reflétée par les domaines d’excellence des lauréats successifs de la Fondation culturelle franco-taïwanaise, qu’il s’agisse de littérature, de sinologie, d’histoire culturelle, des cultures aborigènes, des marionnettes traditionnelles etc. Pour ce qui est de la France, dont le nom est quasiment synonyme de culture, chacun sait avec quel soin le gouvernement et le peuple français s’emploient à en préserver et à en transmettre le riche héritage. Forts de l’intérêt commun qu’ils portent à la culture, l’Académie des sciences morales et politiques française et le Conseil national des Affaires culturelles taïwanais ne pouvaient que se retrouver pour créer le Prix culturel franco-taïwanais.

Le jury qui s’est réuni le 16 octobre dernier à Paris a, à l’unanimité, décidé de décerner le prix 2007 à M. Jean-Luc Penso qui, en héritier spirituel du défunt Maître de marionnettes Li Tian-Lu, se consacre entièrement, depuis plusieurs décennies, à la tradition des marionnettes taïwanaises.

Le théâtre de marionnettes à gaine, appelé également en taïwanais « théâtre de paume », s’est développé au XVIIe siècle dans le Sud de la province littorale chinoise du Fujian. Importé à Taïwan au milieu du XVIIIe siècle par des colons originaires de Quanzhou et de Zhangzhou, il est vite devenu l’un des éléments essentiels de la culture populaire insulaire. Sur des livrets directement inspirés de récits et légendes classiques, comportant des dialogues émaillés de poèmes, les marionnettes à gaine taïwanaises évoluent avec grâce dans des castelets magnifiquement sculptés, au son des deux genres de musique traditionnelle que sont le nanguan et le beiguan. Par la finesse de leurs traits, la beauté de leurs costumes et la grâce de leurs mouvements, elles atteignent à un extrême degré de raffinement.

Si l’évolution récente de la société a entraîné des dérives qui ont affecté la tradition des marionnettes, le fondateur du petit théâtre de marionnettes Yi-Wan-Ran, Maître Li Tian-Lu, élevé au rang de Trésor national, eut heureusement à cœur, avec quelques trop rares confrères, de préserver la tradition dans toute sa pureté et de la faire connaître à l’étranger.

Venu à Taïwan pour y apprendre l’art des marionnettes, le jeune Français Jean-Luc Penso fut adopté, formé, puis proprement adoubé par Li Tien-Lu qui baptisa le théâtre qu’il créa en 1978 à son retour en France « Théâtre du Petit Miroir ». Le castelet, que vous avez pu admirer en entrant, sculpté à Taïwan sur le modèle même de celui de Maître Li Tien-Lu, est orné de deux sentences parallèles qui rappellent la filiation artistique et spirituelle de celui que nous récompensons ce soir. Jean-Luc Penso a fait des tournées dans le monde entier, présentant, non seulement des grands classiques tels « le Voyage vers l’Ouest » ou « Wu Song et le tigre », dans la grande tradition technique et artistique des marionnettes taïwanaises, mais également, dans un style syncrétique mêlant les traditions taïwanaise et occidentale, une « Odyssée » ou encore une « Lanterne magique d’Aladin ». En décernant le prix 2007 à Jean-Luc Penso qui a tant fait pour le rayonnement des marionnettes taïwanaises à l’étranger, le jury de la Fondation culturelle franco-taïwanaise a pris une décision des plus avisées. Outre mes félicitations, je tiens à exprimer ce soir à M. Penso mes remerciements pour sa venue à Taïwan, en avril dernier, afin de participer à l’hommage qui a été rendu à une autre grand Maître de marionnettes, Huang Hai-Dai, décédé à l’âge de 103 ans.

Je tiens aussi pour terminer à remercier tous ceux qui participent au renforcement des liens d’amitié entre la France et Taïwan. Les rencontres entre deux peuples, entre deux cultures ne sont jamais le fruit du hasard, mais celui d’efforts communs. Assurément, l’amitié qui réunit depuis plus de dix ans l’Académie des sciences morales et politiques et le Conseil national des Affaires culturelles va continuer à susciter, entre Taïwan d’une part, la France et l’Europe d’autre part, des échanges intellectuels et culturels nombreux ainsi qu’une meilleure compréhension mutuelle. Au nom du Conseil national des Affaires culturelles et en mon nom personnel, j’exprime à l’Académie des sciences morales et politiques une très sincère gratitude pour l’œuvre accomplie. Je remercie également tous ceux et celles qui ont bien voulu ce soir nous honorer de leur présence et, avant d’écouter notre lauréat – puis de le voir exercer ses talents- je lui renouvelle mes félicitations.

Remerciement de Monsieur Jean-Luc Penso, maître de marionnettes, directeur du Théâtre du Petit Miroir, lauréat du Prix 2006 de la Fondation culturelle franco-taïwanaise

Madame le Ministre,
Monsieur le Chancelier,
Monsieur le Chancelier honoraire,
Messieurs les Secrétaires perpétuels,
Monsieur le Représentant,
Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs les Académiciens,
Mesdames et Messieurs,

À Taïwan, les marionnettes sont prises au sérieux. Et on les aime. Dans un récent sondage, elles ont été classées en première position comme symbole du pays. Les marionnettes sont arrivées il y a plus de 200 ans, en même temps que les immigrants du Fujian qui venaient peupler l’île. Mais elles ne servaient pas à distraire les hommes. Elles servaient à distraire les dieux et étaient utilisées dans des exorcismes et dans des rituels propitiatoires.

La popularité du genre a été telle, qu’à la fin des années 60, la télévision qui diffusait dans l’après midi un feuilleton de marionnettes très suivi a dû changer sa grille de programme. Les paysans quittaient plus tôt les rizières pour ne pas le rater et la production agricole s’en ressentait.

Alors que j’étais encore étudiant à Paris, ce sont les petites marionnettes du nord de Taïwan qui m’ont tout de suite séduit. Je les ai rencontrées au musée Kwok-On que dirigeait Jacques Pimpaneau, mon professeur de chinois aux langues orientales. Devant ma fascination immédiate, celui-ci m’a conseillé de partir à Taïwan. Il m’a récemment confié qu’il avait senti chez moi une âme de bateleur plus apte à jouer des marionnettes qu’à faire des études universitaires.

Quand j’ai annoncé à mes parents que je voulais partir à Taïwan pour apprendre les marionnettes, ils n’ont rien trouvé à redire devant l’étrangeté de ce projet. Je me dois de les en remercier ici. Il faut avouer que j’avais un argument imparable : un 16 sur 20 à l’UV de marionnettes que Jacques Pimpaneau avait spécialement créée pour moi et dont je suis le seul détenteur. C’est d’ailleurs la seule UV que j’aie jamais validée.

À Taipei, quand j’ai demandé à Monsieur Li de m’enseigner les marionnettes, lui en revanche, m’a regardé avec des yeux ronds. Il ne comprenait pas. Normalement, en 1974, un occidental était militaire américain, missionnaire, homme d’affaires ou professeur d’anglais. Mais quelqu’un qui ne venait même pas d’Amérique pour apprendre les marionnettes ! Il n’avait jamais vu cela.

Naturellement je lui ai proposé de payer mes cours et je lui ai donné une enveloppe fermée contenant de l’argent.

Deux fois par semaine, je suis allé chez lui et il a commencé à m’enseigner son art d’une façon assez distante. Puis, au bout d’un mois, l’enveloppe a réapparu et Monsieur Li me l’a rendue toujours cachetée avec ces mots : « Je ne comprenais pas ce que tu voulais, mais tu as l’air sérieux ; alors, je veux bien t’apprendre mon art. Je ne veux pas d’argent, mais je mets trois conditions :

« Tu apprendras aussi longtemps que je le jugerai nécessaire.
« Tu ne poseras pas de questions.
« Tu préviendras la presse pour que cela me fasse de la publicité ».

En 1974 Les marionnettes du nord que manipulait Monsieur Li jouaient des spectacles raffinés accompagnés par un orchestre de six ou sept musiciens. Les dernières troupes avaient de plus en plus de mal à affronter l’urbanisation de Taipei, la modernisation de la société et la concurrence des autres genres de spectacles. Il s’appuya donc sur moi pour relancer son art.

Avec la censure féroce qui sévissait dans la presse à l’époque, je n’ai pas eu de mal à trouver des journalistes ravis de parler d’un jeune Français qui apprenait les marionnettes.

Rapidement, une autre étudiante, Claire Illouz, vint me rejoindre puis, deux ans après, elle céda la place à Catherine Larue. Pendant cinq ans, Catherine et moi avons étudié ensemble auprès de Monsieur Li.

Notre maître était un pédagogue instinctif et exigeant. D’une patience infinie, il était avare de compliments, mais il nous encourageait sans cesse. Il ne nous a jamais frappés, contrairement à ses enfants, de leur propre aveu, mais nous avons senti plusieurs fois que cela le démangeait.

Tous les matins nous allions chez lui ; l’après-midi, nous le suivions durant ses représentations et souvent le soir, il nous emmenait voir des opéras chinois qui sont des spectacles de marionnettes en grand. Et non le contraire !

Il s’est toujours montré très concerné par notre travail et n’hésitait pas à nous entraîner dans de longs voyages à l’autre bout de l’île pour rencontrer tel sculpteur ou tel marionnettiste s’il le jugeait utile pour notre apprentissage.

L’art des marionnettes ne se limite pas bien évidemment à la seule manipulation si élaborée soit-elle. Monsieur Li nous a aussi initié à la musique, aux chants, aux récitatifs et à son répertoire, ou du moins à une partie de celui-ci, car il connaissait par cœur plus de 600 pièces.

Ainsi de 1974 à 1978, Catherine Larue et moi avons étudié auprès de Monsieur Li qui, peu à peu, nous a intégrés dans sa troupe. Il nous faisait jouer devant les temples en annonçant, non sans malice, que c’étaient ses étudiants français qui présentaient le spectacle. Immanquablement le public présent (pas les dieux) se précipitait derrière le castelet pour voir cette curiosité. Nous nous sommes sentis vraiment intégrés quand il a cessé d’annoncer notre présence.

C’est en 1978 que Monsieur Li nous a jugés dignes de créer notre propre troupe dont il choisit lui-même le nom : « Xiao Wan Jan », en filiation directe avec « Yi Wan Jan » qui est le nom de sa troupe. Nous l’avons librement traduit par « Théâtre du Petit Miroir » puisqu’en chinois, cela signifie le « Petit comme semblable » (sous-entendu « au grand théâtre »).

Avant même la création du théâtre du Petit Miroir, nous avons commencé à donner des spectacles. En 1975 au Festival d’Avignon puis dans plusieurs festivals dont la « foire exposition agricole des Côtes d’Armor » et surtout en plein milieu de mon service militaire, au Festival des Arts traditionnels de Rennes que dirigeait Chérif Khaznadar. À cette occasion, FR3 a fait une émission de treize minutes sur les marionnettes de Taïwan. Pendant des mois, le samedi après midi, cette émission a été diffusée tour à tour sur chacune des chaînes régionales. De retour de permission, mes camarades de garnison m’annonçaient qu’ils avaient vu les marionnettes, qui en Alsace, qui en Bretagne. Cette notoriété me permit de passer le reste de mon service militaire dans une tranquillité absolue.

Rapidement, entre nos longs séjours à Taïwan, nous avons joué en France et en Europe, puis, en 1981, nous avons été la première troupe à être invitée en Chine Populaire après la Révolution culturelle. Nous avons joué entre autres au Fujian, province maternelle des marionnettes, devant des spectateurs pour le moins étonnés. Cette région venait juste d’être ouverte aux étrangers, et dans de nombreux villages, la surprise était grande quand le public découvrait que les premiers étrangers qu’ils voyaient, animaient des marionnettes taïwanaises.

En 1982, à l’invitation de son directeur Antoine Vitez, nous avons eu l’honneur de donner une série de représentations avec les marionnettes de Taïwan au Théâtre National de Chaillot.

Pour l’occasion, nous avons fait construire à Taipei un magnifique castelet recouvert de feuilles d’or. Celui qui est dans le salon des conversations. Cette commande stimula les associations culturelles qui soutenaient de plus en plus les troupes traditionnelles. Pour ne pas être en reste, elles passèrent commande de castelets à des sculpteurs, mais en Chine Populaire, si bien que notre castelet, œuvre de Chen Zai-Zhang, est le dernier de son genre à être « made in Taïwan ».

Après Chaillot, avec l’aide de l’AFAA, qui est devenue depuis Cultures France, nous avons eu la chance de faire de plus en plus fréquemment des tournées à l’étranger et les marionnettes taïwanaises ont tourné un peu partout en Europe, mais aussi en Afrique, dans l’océan Indien, en Asie et en Amérique du Nord.

Catherine et moi avions le désir de partager l’art des marionnettes de Taïwan avec d’autres marionnettistes et nous avons invité Monsieur Li en France pour qu’il y dirige des stages. Pour beaucoup de gens du métier, ce fut une révélation et plusieurs troupes françaises adoptèrent sa technique à des degrés divers. Citons entre autres Karina Cheres, Dominique Houdart ou le Théâtre sans Toit dont le directeur Pierre Blaise parle de sa découverte des marionnettes de Taïwan comme de sa « Révolution copernicienne ».

À la suite de ces stages, nous avons continué à former sur un plus long terme des marionnettistes et nous sommes intervenus à plusieurs reprise à l’Institut international de la marionnette de Charleville-Mézières. D’autres depuis ont pris le relais et il est plaisant d’entendre de jeunes marionnettistes parler de la « gaine chinoise » sans en connaitre l’histoire.

À plusieurs reprises, nous avons pu faire venir Monsieur Li avec sa troupe en France et en Europe. Monsieur Li a même été invité à inaugurer avec un grand rituel d’exorcisme taoïste, la nouvelle salle de spectacle du centre culturel français de Rabat au Maroc. Yi Wan Jan a présenté ses spectacles plusieurs fois au Festival mondial de Charleville-Mézières, mais aussi au Musée Guimet. Elle a donné entre autres des représentations au Festival d’Avignon, dans le « In » et dans d’autre festivals aussi prestigieux un peu partout dans le monde avec l’aide de la commission pour les affaires culturelles de Taïwan.

En décembre 2000, nous avons créé ensemble « Le Singe blanc » et « Le Roi Dragon » à la Cité de la Musique à Paris. L’orchestre était celui de Yi Wan Jan et les manipulateurs Eric Minnaert et moi-même. Ce principe de coopération a rencontré un grand succès. Dans la même veine, grâce au Prix de la fondation culturelle franco-taïwanaise, et j’en remercie le jury, nous allons créer une pièce en 2008. Là encore il s’agit d’un beau projet puisqu’à l’invitation de la communauté chinoise de l’Ile de la Réunion, nous devons jouer à l’occasion de son centième anniversaire dans le temple de Guan Di de Saint Denis de La Réunion. Nous présenterons en français une pièce tirée du « Roman des Trois Royaumes » dont Guan Di sous le nom de Guang Gong est un des héros.

Lors de ses visites en France, Monsieur Li exigeait de voir nombre de spectacles et de visiter nombre de musées. Au Musée des Invalides, à la vue des armures et des chevaliers, il fut convaincu que de nombreux récits devaient en relater les exploits. Il nous demanda de travailler sur ces thèmes ou d’autres plus proches de notre culture. Il s’est carrément fâché quand j’ai tenté de lui expliquer que nous n’étions pas encore prêts.

De la mytholgie chinoise, nous sommes passés à la mythologie occidentale en adaptant l’Odyssée. Le théâtre National de Chaillot nous a accueillis. Le succès que nous avons rencontré nous a emmenés autour de la mer Méditerranée, en Afrique en Asie et en Océanie.

En 1988, « Voyages d’Ulysse » a été présenté en offrande au temple de Long Shan, à Taïpei. C’était la première fois qu’une troupe étrangère était invitée à offrir un spectacle pour les dieux du plus ancien temple de Taïpei.

Cette représentation a provoqué une polémique, mais nous avons été soutenus par de nombreux intellectuels de l’île qui y voyaient un bon moyen d’attirer l’attention sur le problème de la disparition des marionnettes de l’école du nord.

En 1990, suite à un don du Professeur Jin Zhe-Lin, le Théâtre du Petit Miroir s’est enrichi d’une magnifique collection d’ombres chinoises en échange de notre engagement d’en apprendre la manipulation. Nous avons alors demandé au dernier montreur de Taïwan, Hsu Fu-Neng de nous enseigner son art.

Avec l’aide de M. Li, il nous a formés, Catherine et moi, et nous avons créé « l’Enfant magique et le Roi Dragon », pièce mythologique qui relate l’histoire du dieu enfant Li Na-Zha. Cette fois encore, le spectacle a été joué à de nombreuses reprises en France et sur quatre continents. A Macao, bis repetita placent, nous avons donné une représentation de Li Na-Zha en offrande au dieu Li Na-Zha devant son propre temple.

Alliant technique tawanaïse et thème français, le « Roman de Renart » est venu par la suite. Ce spectacle nous entraîna dans des tournées invraisemblables sur les cinq continents, dont une de six mois qui nous mena de la Corée à l’Australie à travers une quinzaine de pays.

Après avoir pris 54 avions et donné plus de 100 représentations au cours de cette trop longue tournée, Catherine et moi avons décidé d’arrêter de travailler ensemble. Elle a rejoint une autre troupe, trop heureuse de récupérer une telle collaboratrice. Hélas, en juillet 99, juste un an après que M. Li nous eut quittés, elle a brutalement été emportée. Catherine aurait dû être à mes côtés pour recevoir ce prix.

J’ai continué en formant de nouveaux montreurs de marionnettes et d’ombres : Michèle Zedde, Eric Minnaert, Fabrice Moussy Mario de Carvalho et même ma nièce Lou et mon fils Adrien qui m’ont accompagné à l’autre bout du monde.

En effet, s’il y a bien un élément pour lequel la marque de Taïwan est présente au Théâtre du Petit Miroir, c’est dans la façon de travailler. Toute ma famille a été mise à contribution, tant au niveau artistique avec oncle, tante, nièces, beau-père, beaux-frères, femme et fils, qu’au niveau comptable, financier, administratif et informatique avec père, mère, beaux-frères et cousins, auxquels je pense particulièrement ce soir. Sans parler de ma sœur psychiatre qui nous soigne tous !, avec de nombreux amis, ils supportent le Théâtre du Petit Miroir depuis ses origines et me supportent…

Depuis septembre 2000, le Théâtre du Petit Miroir s’est installé à Issy les Moulineaux où nous avons ouvert une petite salle de spectacle dans l’ancien atelier de Claude Boujon, mon beau-père qui avait sculpté les marionnettes des « Voyages d’Ulysse » et d’« Aladin ».

Dans cette salle, nous donnons plus d’une centaine de représentations par an, sans compter les tournées qui continuent puisque demain, après un spectacle dans notre salle, nous partons au Brésil pour y présenter les marionnettes et les ombres de Taïwan. Cette tournée nous fera dépasser la barre des 70 pays visités. Cette année, nous avons créé un nouveau spectacle musical « Ratatouille Tignasse et compagnie », pour les tout petits, qui reste bien dans l’esprit des marionnettes et des ombres de Taïwan, sinon dans la lettre. Mais ce travail est aussi franco-taïwanais puisque la musique est une création de Liao Lin-Ni, une jeune et talentueuse compositrice taïwanaise.

Il est réconfortant de voir que par leur seul pouvoir, les petites marionnettes de Taïwan ont réussi à tisser des liens d’un bout du monde à l’autre en se jouant de toutes les frontières.

Je vous remercie de votre attention.

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