Administration et justice

Séance du lundi 4 juillet 2011

par M. Pierre Delvolvé

 

 

Le mélange des deux expressions peut être explosif. La discussion qui suivra cet exposé le confirmera peut-être, comme ce fut le cas dans notre Académie en 1894 au cours d’un vif débat auquel Aucoc apporta un peu de sagesse*.

Et pourtant, si l’on considère chacun des deux mots isolément, c’est plutôt à des actions et à des solutions pacifiques qu’ils font penser, même si, en essayant d’en préciser le sens, on en rencontre vite l’ambivalence.

Celui de la justice a été dégagé dès l’Antiquité comme étant une vertu, et même une vertu cardinale. Pour Platon, elle est d’abord une vertu intérieure, permettant à l’homme de mettre en lui-même de l’ordre et d’y établir l’harmonie [1]. Elle est aussi le principe qui est le fondement de la cité : il « ordonne à chacun de remplir sa propre fonction [2] » et assure ainsi également l’harmonie de la cité : « La justice est cette force qui concourt avec les autres à la vertu de la cité [3] ».

Pour Aristote aussi, « la justice constitue la vertu finale », elle est « celle des vertus qui semble avoir la suprématie [4] ». Individuellement, « elle implique un comportement vertueux envers autrui », accomplissant ce qui lui est avantageux [5]. Collectivement, « est juste ce qui assure le bonheur des citoyens [6] ». L’analyse s’affine avec la distinction de la justice distributive, consistant à donner à chacun la part qui lui revient selon ses mérites, et de la justice commutative, comportant équivalence entre les obligations et les charges [7]. Elle se prolonge et s’élargit : « La vertu de justice est une valeur politique ; en effet la justice est la règle de la communauté politique ; or c’est l’exercice de la justice qui détermine ce qui est juste [8] ».

La formule comporte un glissement dans le sens du mot, car la justice dont l’exercice est nécessaire désigne déjà autant l’institution qui rend la justice et la fonction qu’il exerce que la qualité de ce qui est jugé.

Un nouveau glissement apparaît lorsqu’Aristote écrit que la justice est indispensable à la cité car, sans elle, « il n’y a pas d’administration possible d’une cité », la « bonne administration » de la cité est impossible [9].

Peut-on dire que tout est déjà en place pour notre sujet ? Bien des auteurs ont écrit sur la justice et son rapport avec les institutions : il suffit d’évoquer parmi d’autres, Cicéron, St-Thomas d’Aquin, Pascal, Stuart Mill, Hume, et, plus proche de nous, Rawls, pour percevoir la richesse et l’étendue de la réflexion. On ne peut ici qu’en donner un écho en disant que, si la justice doit être d’abord pour les hommes une vertu et pour la société, un principe, elle est pour les institutions à la fois une fonction et un organe.

Fonction, elle est le premier devoir du souverain [10]. La formation progressive du pouvoir royal le constitue en Etat de justice. Juristes, légistes, canonistes en théorisent l’aménagement autour de cette fonction centrale. Portalis, dans le discours préliminaire du Code civil dira encore que la justice « est la première dette de la souveraineté ». Elle est ainsi intrinsèquement liée à l’Etat, dont la souveraineté est la caractéristique première. C’est à juste titre que le Conseil d’Etat a pu considérer il y a peu que « la justice est rendue de façon indivisible au nom de l’Etat [11] ».

Pour rendre à chacun ce qui lui est dû, elle assure la sanction du droit dans deux sous-ensembles de fonctions : trancher les différends entre parties à un litige, punir ceux qui ont violé les règles. Dans les deux cas, elle le fait dans l’exercice d’un pouvoir, donc d’une puissance, qui impose la solution avec une autorité, celle de la chose jugée, à laquelle les justiciables doivent se soumettre.

Ces définitions élémentaires, si elles ramènent à l’essentiel, ne rendent pas compte de la complexité de la fonction juridictionnelle. Son analyse relève à la fois de la philosophie et de la théorie du droit. Elle a des conséquences en droit positif, car de la qualification de la fonction juridictionnelle dépendent les conditions de son exercice et la détermination de l’acte juridictionnel qui en découle, avec ses caractéristiques propres quant à son régime et à sa portée [12].

Elle peut être liée à l’identification de la justice comme organe, car c’est l’exercice de la fonction juridictionnelle qui peut permettre de reconnaître dans l’institution qui la remplit un organe juridictionnel, c’est-à-dire au sens courant du terme un tribunal. Dans cette optique, la justice regroupe l’ensemble des juridictions, constituées normalement de manière permanente, le cas échéant à titre occasionnel, certaines ayant une large compétence, d’autres étant spécialisées dans un certains types de litiges. La qualité de juridiction, c’est-à-dire d’organe de la justice, peut parfois être aussi délicate à délimiter que celle de fonction juridictionnelle : la composition, la procédure, l’objet d’un organisme peuvent être révélateurs, sans être déterminants; la fonction exercée peut permettre de déceler la nature de l’organe autant que l’inverse [13].

La difficulté se rencontre particulièrement lorsqu’il se rapporte à l’administration.

Elle s’accroît de l’indétermination de celle-ci.

Malgré la référence qu’une traduction contemporaine y voit dans un texte d’Aristote cité plus haut, la notion d’administration est beaucoup plus récente. Elle n’est guère apparue qu’au XVIIIe siècle dans son sens moderne. Au Moyen Age, écrit Jean-Louis Mestre [14], « Le terme… désignait… la gestion d’un patrimoine, l’exercice d’une fonction ou la charge d’un établissement ». Ce sens n’a pas disparu aujourd’hui quand on parle au sens courant de l’administration d’une fortune, ou, plus juridiquement, avec le Code civil de « l’administration… des biens de leur enfant » qui appartient aux père et mère (art. 382) ou de celle des biens de la personne placée sous sauvegarde de justice (art. 335), ou encore du conseil d’administration d’une société anonyme – passant d’ailleurs de la fonction exercée à l’organe qui l’exerce.

En matière publique, la notion d’administration s’est dégagée progressivement à travers celle de police [15] en la distinguant de la justice à laquelle celle-ci a été longtemps liée. Elle est mise en évidence notamment par Delamare dans son Traité de la police paru au début du XVIIIème siècle :  justice et police sont toutes les deux des tâches de l’Etat, mais la justice concerne « les affaires et les intérêts des particuliers », alors que la police a pour objet « le service du Roy et du bien public [16] » ; celle-ci consiste, selon les termes d’une ordonnance royale de 1669 [17], « à assurer le repos public et celui des particuliers, à la fois en adoptant des règlements » et « en veillant aux routes,  aux approvisionnements, aux prix, aux modes de travail etc. ». Elle est englobée dans l’expression « administration », qui, selon Roland Mousnier [18], à partir de 1756 est employée seule, sans adjectif, comme nous le faisons aujourd’hui pour désigner une organisation et une action publiques.

L’administration « diffère essentiellement du gouvernement », considère l’Encyclopédie méthodique éditée par Panckoucke à la veille de la Révolution. Elle « consiste dans les personnes et les choses qu’il emploie » ; elle « doit compte au gouvernement qui l’emploie » ; de plus, elle « peut recevoir différentes formes sans changer la constitution d’un Etat».

Ces formules trouvent un prolongement direct dans la Constitution de 1958 aux termes de l’article 20 de laquelle « le Gouvernement…  dispose de l’administration ».

Il ne la définit cependant pas. Mais, telle qu’il la désigne, il vise un ensemble d’organes et d’agents placés sous l’autorité du gouvernement. Il n’en épuise pas pour autant la catégorie car d’une part, il existe des organes d’administration qui ne sont pas soumis au pouvoir hiérarchique du Gouvernement, telles les collectivités territoriales, les autorités administratives indépendantes, et d’autre part le Gouvernement et le Président de la République sont eux-mêmes des autorités administratives [19]. Finalement il n’est peut-être pas moins mauvaise définition de l’administration que celle donnée par le Conseil constitutionnel dans sa fameuse décision du 23 janvier 1987 en désignant « les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République et les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle [20] ».

Mais cela ne rend pas compte de l’administration comme fonction. Il n’est pas de définition officielle. On ne peut que reprendre les formules de la fin de l’Ancien Régime, déjà évoquées, relatives à la satisfaction des besoins publics par des actions de deux types : l’adoption de mesures assurant l’ordre public et la fourniture de moyens nécessaires au public. Une formulation moderne parle de prescriptions et de police dans un cas, de prestations et de service dans l’autre ;  la corrélation avec les notions de puissance publique et de service public apparaît immédiatement, ouvrant de nouvelles perspectives et de nouvelles difficultés pour l’analyse de leur sens, de leur contenu et de leur portée.

Parce qu’elle est rattachée à l’exécutif et, à travers lui, à l’Etat et parce qu’elle réalise une tâche publique que les moyens privés ne peuvent suffire à réaliser, l’administration dispose d’un statut et d’une puissance lui permettant d’imposer des solutions, dont l’acte administratif, exécutoire par lui-même, est la forme juridique la plus courante.

Ramenées à l’essentiel, administration et justice se caractérisent ainsi par des sens parallèles (l’une et l’autre s’identifient à la fois comme organe et comme fonction) et par un moyen commun (l’une et l’autre exercent un pouvoir).

Comme parallèles, elles peuvent se rejoindre.

Comme pouvoirs, elles peuvent s’opposer.

C’est ce qui conduit à examiner successivement :

  • la combinaison de l’administration et de la justice ;
  • la confrontation de l’administration et de la justice.

 

La combinaison de l’administration et de la justice

 

La combinaison de l’administration et de la justice se réalise dans la rencontre de leurs aspects organiques et de leurs aspects fonctionnels, aboutissant à un croisement, voire à une confusion.

Elle peut se réaliser au niveau organique parce que les organes juridictionnels présentent des aspects administratifs tenant à leur institution générale et à leur désignation individuelle.

L’aménagement des tribunaux, leur création, leur implantation relèvent d’une organisation qui, pour porter sur le service public de la justice, se distingue de l’activité juridictionnelle. Si l’intervention du législateur est nécessaire en France et ailleurs pour créer des catégories nouvelles de juridictions, la mise en place de celles-ci relève de mesures qui, même si elles sont prises au niveau gouvernemental, émanent d’organes administratifs. Cela a été jugé en France il y a plus de cinquante ans [21] et encore illustré récemment à propos du remaniement de la carte judiciaire [22]. La solution se retrouve à l’étranger : la Constitution italienne par exemple prévoit expressément (art. 110) qu’ « il appartient au ministre de la justice de pourvoir à l’organisation et au fonctionnement des services de justice ».

La désignation des juges se distingue aussi de l’activité qu’ils exerceront après leur désignation. Elle n’échappe pas à une qualification administrative lorsqu’elle procède de la nomination par l’exécutif, comme c’est le cas en France [23]. Lorsqu’elle procède de l’élection, comme en France avec la Constitution de 1791 et aujourd’hui encore pour les tribunaux de commerce, les conseils de prud’hommes et les tribunaux paritaires de baux ruraux, ou à l’étranger en Suisse et aux Etats-Unis au niveau des Etats, elle est soustraite à l’exécutif ; elle n’en garde pas moins une similitude avec l’élection d’organes tels que les administrateurs municipaux ou régionaux.

Là n’est pourtant pas l’essentiel de la combinaison de l’administration et de la justice. Le plus important est le croisement des organes et des fonctions, lorsque des organes juridictionnels exercent des fonctions administratives (A) et, à l’inverse, des organes administratifs exercent des fonctions juridictionnelles (B).

 

Les fonctions administratives d’organes juridictionnels

 

On ne veut pas parler ici des mesures d’administration de la justice que sont amenées à prendre des autorités juridictionnelles car, si elles ne consistent pas à rendre un jugement, elles n’en sont pas moins directement destinées à en permettre l’adoption, comme c’est le cas des décisions répartissant les affaires entre les chambres d’un tribunal ou les portant devant une formation collégiale ou un juge unique.

On ne veut pas parler non plus de la fonction administrative qu’exercent des juridictions, tel le Conseil d’Etat lorsque, dans ses formations administratives, il rend des avis, ou, dans ses formations contentieuses,  statuant sur la légalité d’actes administratifs, il dicte la règle à observer dans certaines circonstances, notamment pour assurer l’ordre public [24] : si c’est une ligne de conduite qui est ainsi fixée, elle l’est à travers la formulation de la règle de droit à observer, et que sanctionne le juge : si la règle concerne l’activité administrative, elle n’est pas d’une nature différente de celle que les juridictions formulent pour les rapports de droit privé. En l’exprimant, un juge ne fait pas acte d’administration.

En revanche, le seuil de l’administration active est franchi lorsque le juge détermine la décision à prendre par l’administration (1°) ou, bien plus, lorsqu’il prend lui-même la décision (2°).

 

1°.    Dans le premier cas, il reste encore un intermédiaire entre le juge et la décision qu’il commande d’adopter : son ordre s’adresse à une autorité administrative ; il peut ne lui laisser aucun choix, mais il revient encore à cette autorité, en s’exécutant, de prendre la mesure. On peut en ce sens considérer que la fonction administrative restera assurée par un organe administratif et que l’organe juridictionnel n’exerce pas lui-même exactement la fonction juridictionnelle. Cela n’empêche que, dans l’exercice de sa fonction juridictionnelle, le juge détermine l’exercice de la fonction administrative.

La France en donne des exemples récents avec le renouveau du contentieux administratif, qui permet désormais au juge administratif d’adresser à l’administration des injonctions de prendre les mesures qu’implique nécessairement l’exécution de ses jugements ou arrêts [25]. Ainsi l’a-t-on vu ordonner au Premier ministre l’adoption d’un décret [26], à une commune la dépose d’une ligne électrique [27], à un maire la convocation du conseil municipal pour prendre une délibération [28].

Ces exemples suffisent à montrer que la France n’est plus isolée. En Allemagne, la loi sur les juridictions administratives du 21 janvier 1960 permet de saisir le juge d’une action en édiction d’un acte administratif : lorsque les conditions sont remplies, le juge peut enjoindre à l’administration de « procéder à l’action sollicitée ». En Italie, les tribunaux administratifs régionaux ont reçu de la loi du 6 décembre 1971 le pouvoir d’adresser à l’administration des injonctions d’obéir : ils peuvent à ce titre se substituer à l’autorité administrative. La loi espagnole du 13 juillet 1998 donne au juge administratif « le pouvoir, non seulement d’annuler l’acte, mais encore d’ordonner à l’administration de prendre les mesures nécessaires dans un certain délai, à cette occasion, le juge peut exercer le pouvoir discrétionnaire appartenant à l’administration [29] ».

Le cas de la Grande-Bretagne apparaît en contrepoint : classiquement l’ordre de « mandamus » ne peut en principe être dirigé contre la Couronne, mais les exceptions sont en voie d’élargissement depuis 1981 [30].

Elles laissent, comme dans les autres systèmes, la décision finale à l’autorité administrative.

 

2°.    Les juridictions peuvent aussi, dans d’autres cas, prendre des mesures à la place de l’autorité administrative. On pourrait presque parler d’administration directe par les tribunaux si leur intervention ne restait pas liée à l’existence d’un litige sur lequel ils sont appelés à statuer.

Ce fut le cas sous l’Ancien Régime. La confusion de la justice et de la police (v. supra) y conduisait à celle de la justice et de l’administration [31]. Les fameux arrêts de règlement des Parlements étaient moins l’établissement d’une législation parallèle aux édits et ordonnances du roi que la formulation des règles nécessaires à l’ordre public dans leur ressort.

Le rôle d’administrateur de certains juges se retrouve ailleurs et aujourd’hui.

Tocqueville vante le rôle du juge de paix aux Etats-Unis [32], qui n’est « que de faire la police de la société ». « Les juges de paix prennent part individuellement à l’administration publique. Tantôt ils sont chargés, concurremment avec les fonctionnaires élus, de certains actes administratifs ; tantôt ils forment un tribunal devant lequel les magistrats accusent  sommairement le citoyen qui refuse d’obéir, où le citoyen dénonce les délits des magistrats. Mais c’est dans la cour des sessions que les juges de paix exercent les plus importantes de leurs fonctions administratives… Au Massachusetts la Cour des sessions est tout à la fois un corps administratif proprement dit et un tribunal politique… Quand il s’agit du comté, les devoirs de la Cour des sessions sont donc purement administratifs, et si elle introduit souvent dans sa manière de procéder les formes judiciaires, ce n’est qu’un moyen de s’éclairer, et qu’une garantie qu’elle donne aux administrés…».

C’est peut-être le plus bel exemple de fonctions administratives exercées par les juges, dans un pays où la séparation des pouvoirs est considérée comme la plus achevée puisqu’elle n’entraîne pas la séparation des autorités administratives et judiciaires au sens où nous l’entendons.

Ce sens nous a conduits, comme on le rappellera plus loin, à créer des juridictions administratives, mais avec pour elles le principe de séparation des fonctions de juge et de celles d’administrateurs.

Or le juge administratif peut dans certains cas faire oeuvre d’administrateur en se substituant aux autorités administratives. C’est le cas dans les contentieux dits de pleine juridiction, par lesquels le juge saisi d’une contestation peut réformer une décision d’une autorité administrative en lui substituant celle qui devait être prise : ainsi le tribunal administratif peut modifier les prescriptions d’un arrêté de péril pris par le maire lorsqu’un immeuble menace  ruine ou celle d’un arrêté pris par le préfet au sujet d’une installation classée pour la protection de l’environnement [33].

Certes c’est le juge administratif qui agit ainsi : mais c’est bien en tant que juge qu’il exerce une fonction qui participe de l’administration active.

L’inverse peut se produire.

 

Les fonctions juridictionnelles des organes administratifs.

 

La contribution d’organes administratifs à l’exercice de la justice peut se situer  en amont de la fonction juridictionnelle proprement dite lorsqu’elle se borne à la provoquer ou lorsqu’elle constitue une étape préalable à l’intervention d’un juge. De la première hypothèse relèvent les poursuites qui sont engagées par une autorité administrative devant une juridiction répressive, telles celles qui le furent par décret devant le Haut Tribunal Militaire à la suite du putsch d’Alger [34] ou celles qui peuvent l’être par le préfet devant le tribunal administratif pour réprimer les auteurs de contraventions de grande voirie [35]. La seconde hypothèse est illustrée particulièrement avec les réclamations que, depuis 1927, les contribuables doivent adresser à l’administration fiscale avant de saisir le juge, dans une démarche qui est proprement « contentieuse » avant d’être juridictionnelle et permet justement d’éviter l’encombrement des juridictions [36].

C’est plus qu’un pas qui est franchi lorsque des organes administratifs exercent eux-mêmes des fonctions juridictionnelles. On peut en identifier plusieurs cas (1°) avant d’en mesurer les conséquences (2°).

 

1°.    L’Ancien Régime a attribué des fonctions juridictionnelles à des organes administratifs en particulier par défiance à l’égard des Parlements. L’institution des « intendants de justice, police et finances » marque non seulement encore les liens entre justice et police mais attribution d’un rôle proprement juridictionnel à ces « commissaires départis » ; il varie selon les époques, selon les provinces (il n’y a jamais eu de statut unique des intendants) et surtout selon les lettres de commission et les arrêts d’attribution du Conseil du roi [37], mais il couvre la majeure partie du contentieux fiscal et administratif [38]. La Cour des aides de Montauban constate et déplore en 1753 que « chargés de veiller sur l’administration des communautés, les intendants connaissent peu à peu de presque tous les faits contentieux qui s’y rapportent… [39]».

Sous la Révolution, la loi des 6, 7-11 septembre 1790 donne ancore aux corps administratifs créés en décembre 1789 des compétences contentieuses en en faisant des administrateurs-juges.

Aujourd’hui, dans un système complètement renouvelé, des organes administratifs peuvent aussi exercer des fonctions juridictionnelles.

Parfois cela conduit à leur reconnaître dans cet exercice une qualité de juridiction. C’était le cas naguère de l’ancienne Commission bancaire, dont la loi elle-même précisait que, lorsqu’elle infligeait une sanction à un établissement de crédit ou à une personne lui étant liée, elle était « une juridiction administrative [40] ». Il n’en est plus ainsi depuis qu’elle a été fondue dans l’Autorité de contrôle prudentiel par l’ordonnance du 21 janvier 2010.

Celle-ci la qualifie expressément « autorité administrative indépendante », comme le sont d’autres organismes par les textes qui les régissent (Commission de régulation de l’énergie, Conseil supérieur de l’audiovisuel, Commission nationale de l’informatique et des libertés, Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) , voire    « autorité publique indépendante » comme l’Autorité des marchés financiers, ce qui ne l’empêche pas d’être un organe administratif, comme l’étaient l’ancien Conseil de la concurrence [41] et l’ancienne Commission des opérations de bourse [42].

Or ces organes, outre les attributions consistant à encadrer et contrôler les secteurs d’activité relevant de leur activité, en prenant notamment des décisions, dans certains cas réglementaires, ont des attributions qui rejoignent les deux types de celles des juridictions : trancher des différends, infliger des sanctions [43]. Leur nombre et leurs attributions ont été accrues au cours des années récentes. C’est un des phénomènes les plus importants de la transformation de l’Etat et de son administration.

 

2°.    Il faut s’arrêter sur ses effets.

Le premier concerne la qualification à donner. Ce rôle relève de la « régulation », notion approximative qui couvre les modalités d’encadrement d’un secteur d’activité par différents moyens (la réglementation, le contrôle, la recommandation, l’injonction, la solution d’une contestation, la répression d’une infraction), qui sont autant d’instruments d’action : dans ce cadre, le règlement de différends et l’édiction de sanctions ne sont que des modalités parmi d’autres d’une action de police puisqu’il s’agit de faire réaliser et respecter un certain ordre et que les autorités spéciales qui la réalisent ne sont que des autorités administratives entreprenant autant sur les autorités administratives (voire politiques) de droit commun que sur les autorités juridictionnelles… comme les intendants autrefois. On pourrait parler à l’image de ces derniers de « commissions départies ».

Mais ces réminiscences d’Ancien Régime d’une part risquent l’anachronisme, d’autre part ne suffisent pas à écarter les qualifications de la Cour européenne des droits de l’homme.

Celle-ci ne s’arrête pas aux qualifications nationales et voit un tribunal au sens de l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans tout organisme qui tranche des droits ou obligations à caractère civil ou statue sur toute accusation en matière, non seulement pénale, mais répressive : « un ‘ tribunal’ se caractérise au sens matériel par son rôle juridictionnel : trancher sur la base de normes de droit et à l’issue d’une procédure organisée, toute question relevant de sa compétence [44] ». La Cour a ainsi qualifié de « tribunal » l’ancien Conseil des marchés financiers [45]. Le Conseil d’Etat l’a suivie pour l’ancienne Commission de contrôle des assurances [46], devenue l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles avant qu’elle soit fondue elle aussi dans l’Autorité de contrôle prudentiel.

Cette qualité doit être reconnue au sens de la Convention à tous les organismes dont on a vu qu’ils tranchent des différends ou infligent des sanctions. Elle contribue à résoudre les questions qu’on se pose sur la véritable nature de ces organismes [47].

Elle a entraîné la modification de leur composition et de leur procédure.

Alors qu’ils ont pu un temps exercer dans la même formation des fonctions véritablement administratives et des fonctions de caractère juridictionnel, désormais est soigneusement distinguée en leur sein une commission statuant exclusivement sur les différends ou sur les sanctions. Tel est le cas par exemple pour l’Autorité de la concurrence, l’Autorité des marchés financiers.

En même temps a été aménagée voire réaménagée la procédure pour que soient assurés les droits de la défense et l’impartialité de la formation de « jugement » et que, particulièrement, ne soient pas mélangées les fonctions de contrôle et de poursuite et les fonctions de « jugement ». La Cour de cassation fait application du code de procédure civile à l’Autorité de la concurrence [48], le Conseil d’Etat encadre le règlement des différends par le Conseil supérieur de l’audiovisuel dans des conditions rappelant celles de la procédure contentieuse [49].

Ces organismes deviennent ainsi de moins en moins administratifs et de plus en plus juridictionnels dans leur statut autant que dans leurs fonctions.

Cela peut finir par poser en termes nouveaux la question non plus seulement de la combinaison en leur sein de l’administration et de la justice mais aussi celle de leur confrontation avec l’administration et la justice.

 

La confrontation de l’administration et de la justice

 

Il suffit d’évoquer quelques événements, qui ne sont pas seulement anciens, pour illustrer la confrontation de l’administration et de la justice. Sous l’Ancien Régime,  l’édit de Saint-Germain de février 1641  interdit au Parlement de Paris et autres cours souveraines « de prendre à l’avenir connaissance d’aucunes affaires… qui peuvent concerner l’Etat, administration ou gouvernement d’icelui ». La Déclaration royale de 1652 interdit de nouveau au Parlement de Paris de « prendre aucune connaissance des affaires générales de notre Etat et de la direction de nos finances, ni de rien ordonner ni entreprendre, pour raison de ce, contre ceux à qui nous en aurons confié l’administration [50] ». Au cours de la fameuse séance de la flagellation du 3 mars 1766, Louis XV récuse la théorie selon laquelle les parlements forment un corps qui serait « juge entre le roi et son peuple », qui maintiendrait     « l’équilibre du gouvernement, en réprimant également l’excès de liberté et l’abus du  pouvoir » et devrait « opposer une barrière insurmontable aux décisions qu’ils attribuent à l’autorité arbitraire et qu’ils appellent des actes illégaux ».

L’époque contemporaine donne d’autres exemples. A la suite de l’arrêt Canal du 19 octobre 1962 [51], « le Président de la République et le Gouvernement ont constaté que l’intervention du Conseil d’Etat visant à rendre inopérante  une ordonnance prise sur un point essentiel… sortait du domaine du contentieux administratif qui est celui de ce Conseil… [52] ». Le Général de Gaulle sera plus brutal [53] : « Céder à une telle injonction, surtout en pareille matière, serait évidemment souscrire à une intolérable usurpation… Je tiens pour nul et non advenu l’arrêt du Conseil d’Etat… La décision est prise d’apporter par la loi à ce Corps abusif la réforme qui s’impose… ».

Les juridictions elles-mêmes ne sont pas en reste contre le pouvoir. Les dix-huit remontrances (rédigées par Malesherbes) que la Cour des aides de Paris adresse au roi entre 1756 et 1775 critiquent l’arbitraire des intendants et du Conseil du roi. On en trouve autant aujourd’hui dans des communiqués de syndicats de magistrats dénonçant l’arbitraire du pouvoir.

On pourrait trouver des manifestations semblables dans d’autres pays.

Au-delà des contingences de temps et de lieu, qu’on ne peut pas sous-estimer dans une pareille matière, on peut chercher plus profondément, au regard de principes, quelles sont les raisons qui expliquent la confrontation entre administration et les solutions permettant de les surmonter.

Les unes et les autres sont liées au contrôle que la justice exerce ou veut exercer sur l’administration. Ce contrôle n’est d’ailleurs pas uniforme : il peut porter sur les acteurs (les institutions ou les hommes), sur les actes (décisions, contrats), sur la responsabilité (réparation des dommages causés par l’administration)… Le contrôle n’a pas la même rigueur et la même portée selon les cas, et la confrontation administration-justice n’a pas non plus la même vivacité d’un cas à l’autre.

Il faut chercher si le contrôle de l’administration par la justice est possible (A) et dans l’affirmative, par qui il peut se réaliser (B).

 

 

La possibilité d’un contrôle de l’administration par la justice

 

Au-delà des rapports de force qu’on vient d’illustrer par les déclarations respectives des différentes « parties » à la confrontation, deux notions fondamentales sont en cause lorsqu’on examine la possibilité pour la justice de contrôler l’administration : les fonctions (1°) et les pouvoirs (2°).

 

1°.    En abordant le sujet, on a essayé de définir les deux termes de justice et d’administration, chacun ayant un sens organique et un sens fonctionnel. C’est le second sens qui est en cause ici. Il conduit à la question : la fonction administrative peut-elle être examinée dans l’exercice de la fonction juridictionnelle ?

La réponse a été donnée par la formule célèbre d’Henrion de Pansey [54] : « juger l’administration, c’est encore administrer ».

L’affirmation peut se comprendre.

Des exemples contemporains peuvent être donnés. L’examen par un juge d’un acte ou d’un comportement de l’administration comporte une appréciation qui entreprend sur celle que l’administration a eue de la mesure à prendre ou de l’action à entreprendre. Quand un juge considère que les circonstances locales ne permettaient pas à un maire d’interdire une réunion ou tout simplement de limiter le stationnement de véhicules, ou encore à un conseil municipal d’ouvrir une boucherie ou une épicerie, il pénètre dans l’exercice même des attributions des autorités administratives. Quand il considère encore que tel contrat n’est pas une concession de service public mais un marché public et que sa conclusion devait donc être suivie d’une procédure autre que celle que l’administration contractante devait observer, il pénètre aussi dans les modalités de l’action administrative. Quand il admet qu’en dépit des irrégularités commises une décision qui doit être annulée ne le sera qu’au bout d’un certain temps pour permettre à l’administration de se retourner, ou qu’un contrat conclu par l’administration doit continuer à s’exécuter notamment pour assurer au profit des administrés les prestations qui leur sont nécessaires, il contribue à la réalisation de l’activité administrative.

Ces exemples, qui correspondent tous à des solutions rendues par le Conseil d’Etat, certaines encore très récemment, illustrent la contribution de l’acte de  juger à l’acte d’administrer.

On en trouverait d’autres avec l’intervention des juridictions judiciaires : le refus de condamner le contrevenant à une réglementation de police parce que le tribunal de police la trouve illégale, la condamnation d’un fonctionnaire ou d’un élu local parce qu’en négligeant une forme de passation d’un contrat public il aurait favorisé une entreprise, comportent des appréciations qui, portant sur la validité ou même seulement la qualification d’un acte administratif, participent, en redressant la manière dont elle s’est exercée, au moins indirectement de la fonction administrative.

La Révolution l’avait bien compris.

C’est bien pour cela que la loi des 16-24 août 1790, qui est toujours le fondement de notre système de dualité de juridictions, dispose : « Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives.  Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions ». Le Directoire le confirme par le décret du 16 fructidor an III : « Défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître des actes d’administration de quelque espèce qu’ils soient ».

Est-il si sûr que « juger l’administration, c’est encore administrer » ? A Henrion de Pansey, Gaëtan de La Rochefoucauld répond [55] : « Lorsque l’on juge, on n’administre pas, et lorsqu’on administre, on ne juge pas ».

Juger, on l’a dit, c’est trancher un litige en appliquant la règle de droit.

Le litige est né avant que soit saisi le juge. Le juge n’intervient pas dans l’action, il intervient après elle ; il peut le faire très rapidement, dans des procédures d’urgence dont les référés administratifs sont aujourd’hui la meilleure illustration ; mais même dans ce cas, le juge n’est pas au commencement, il est à la suite; il n’est peut-être pas toujours seulement l’oméga, mais il n’est jamais l’alpha. En cela le juge se différencie de l’administrateur. Le maire dans sa commune, le préfet dans son département, le ministre à la tête de ses services, agissent, décident, tranchent même : c’est pour réaliser une action relevant de leur rôle propre. Ils le font si l’on peut dire ab initio. Leur activité et leurs actes peuvent être à l’origine d’un litige ; si litige il y a lieu, il sera second dans le temps, et le juge qui le tranchera sera second dans le rôle.

Il le fera en application du droit. Il pourra contribuer à la définition du droit et, préciser celle que l’administration doit appliquer. Mais son rôle à ce titre n’est pas différent de celui de tout juge, et notamment d’un juge qui statue sur les rapports de droit privé et précise les obligations des particuliers.

A l’issue de l’examen du litige, le juge prend une décision : pas plus qu’un juge civil qui reconnaît ou refuse de reconnaître la nullité d’un contrat conclu entre personnes privées ne se fait cocontractant avec ces personnes privées, un juge qui annule ou refuse d’annuler un acte de l’administration, en totalité ou en partie, ne fait acte d’administration.

C’est l’objet de son rôle contentieux qui le conduit à participer à l’appréciation de l’acte et à décider de sa survie. Cela n’en fait pas, même a posteriori, l’auteur de l’acte.

On peut reprendre ici les analyses de Tocqueville dans la Démocratie en Amérique au sujet « du pouvoir judiciaire aux Etats-Unis et de son action sur la société politique [56] : « Le premier caractère de la puissance judiciaire… est de servir d’arbitre. Pour qu’il y ait lieu à action de la part des tribunaux, il faut qu’il y ait contestation. Pour qu’il y ait  juge, il faut qu’il y ait procès… / Le deuxième caractère de la puissance judiciaire est de se prononcer sur des cas particuliers et non sur des principes généraux…/ Le troisième caractère de la puissance judiciaire est de ne pouvoir agir que quand on l’appelle, ou, suivant l’expression légale, quand elle est saisie… ».

Cela vaut pour le juge français comme pour le juge américain, pour le juge statuant en matière administrative comme pour le juge statuant en matière civile.

Dès lors, le juge reste dans la fonction juridictionnelle en jugeant   l’administration: le faisant, il ne participe pas de la fonction administrative.

Il n’est donc pas impossible à un juge de juger l’administration.

Si un obstacle peut se rencontrer, il peut se situer à un niveau plus élevé, en tout cas plus fort, celui du pouvoir.

 

2°.    Quand on parle de pouvoir, on pense immédiatement à la distinction des pouvoirs et donc à la séparation des pouvoirs.

La confrontation de l’administration et de la justice participe de la confrontation entre pouvoirs. On en a eu des exemples concrets. Il faut essayer de remonter à une réflexion théorique.

Il est banal mais aussi nécessaire de rappeler ici qu’administration et justice relèvent des deux pouvoirs distingués classiquement depuis Montesquieu : le pouvoir exécutif et le pouvoir qu’il vaut mieux appeler juridictionnel que judiciaire dans la mesure où cet adjectif ramène en France à l’ordre judiciaire alors qu’il existe un ordre administratif de la justice – ce qui est tout le problème.

Le rattachement de l’administration au pouvoir exécutif a déjà été évoqué plus haut, avec notamment la citation de la décision du Conseil constitutionnel du 23 janvier 1987, mais qui n’est illustration parmi d’autres : son intérêt est de souligner l’exercice de la puissance publique par ce pouvoir.

Quant à la justice, sa qualification de pouvoir, même traduite seulement par certains textes par la formule « autorité », outre qu’elle peut se prévaloir de Montesquieu, est justifiée par les prérogatives dont elle dispose au nom de l’Etat pour trancher et condamner, avec un « imperium » qui est exactement celui de la puissance publique.

Pouvoir exécutif, donc administration, et pouvoir juridictionnel, donc justice, peuvent bien n’être, selon Montesquieu même, que deux branches de « la puissance exécutive des choses » : celles « qui dépendent du droit des gens » et « celles qui dépendent du droit civil ». Elles se distinguent. La formule pourrait être exploitée pour soutenir que précisément tout ce qui relève de la puissance exécutive des choses dépendant du droit des gens, aussi bien dans l’action que dans la contestation, doit être distingué de ce qui relève de la puissance exécutive des choses qui relèvent du droit privé, et que dans la distinction même du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire se trouvent les éléments et le fondement de la soustraction du pouvoir exécutif au pouvoir judiciaire, donc de l’administration  à la justice, du moins à la justice ordinaire.

Ainsi, en tant qu’elle tient du pouvoir exécutif, l’administration ne pourrait être soumise au pouvoir judiciaire (entendu au sens juridictionnel).

Il y aurait donc une séparation de la séparation de l’administration et de la justice autant que de la législation et de la justice, et pas plus de possibilité de contrôle de l’administration par la justice que de contrôle de la législation par la justice.

En France, les deux phénomènes vont de pair : l’absence de contrôle de la constitutionnalité des lois par le juge (sur laquelle n’est pas revenue la récente réforme admettant la question prioritaire de constitutionnalité) correspond l’absence du contrôle des actes et de l’action de l’administration par le juge. Est ainsi poussée à l’extrême la séparation des pouvoirs.

La contre-épreuve est donnée par les systèmes de pleine séparation des pouvoirs, au premier rang desquels celui des Etats-Unis, qui admettent à la fois le contrôle de la constitutionnalité des lois et le contrôle de l’exécutif par toutes les juridictions.

Si en France il n’en est  pas de même, c’est en vertu d’une conception de la séparation des pouvoirs qui nous est propre mais dont la logique n’est pas évidente [57].

Elle n’a pas pour autant empêché le contrôle de l’administration par la justice : c’est seulement l’organe chargé du contrôle qui change.

 

La justice chargée du contrôle de l’administration

 

On est ici au coeur de la question de l’exercice de la justice à l’égard de l’administration.

On passe du sens fonctionnel au sens organique : par quel organe juridictionnel le contrôle de l’administration doit-il être effectué ? C’est la question de l’unité ou de la dualité de juridictions : le contrôle de l’administration doit-il être exercé par les mêmes juridictions que celles qui statuent sur l’ensemble des litiges ou doit-il être attribué à des juridictions qui lui sont propres ? La question est ancienne, le débat peut être houleux, aujourd’hui encore.

 

1°. Pour l’unité de juridiction, on peut faire valoir un argument de principe et des constatations de fait.

Si, par principe, l’administration est redevable d’un juge, ce ne peut pas être d’un juge différent de celui qui est appelé à statuer sur tout litige : la fonction juridictionnelle est une, l’organe juridictionnel doit l’être aussi. Soumettre l’administration au même juge que les autres justiciables, n’est que la conséquence de la soumission au même droit. A l’adage «un roi,  une foi, une loi,», on pourrait faire correspondre l’adage « un Etat, un droit, un juge ». L’existence d’une juridiction administrative spéciale serait sinon la négation, du moins la limitation de la justice à l’égard de l’administration.

La thèse peut se prévaloir de plusieurs auteurs, dont certains sont célèbres. On peut mettre sur le compte d’une animosité particulière les diatribes de Dicey contre le système français de dualité de juridiction et le Conseil d’Etat en particulier [58]. Des Français eux-mêmes n’ont pas été en reste, à toute époque [59]. Tocqueville, comparant le système américain au système français, ne dénonce pas seulement la garantie donnée au fonctionnaire par l’article 75 de la Constitution de l’an VIII [60], mais plus largement, y voyant une survivance de l’Ancien Régime, « l’intervention de l’administration dans la justice [61] ». Mon collègue Bernard  Pacteau a recensé toutes les charges dirigées notamment sous la Restauration contre le Conseil d’Etat [62]. Retenons parmi elles celle du Duc de Broglie : « Y a-t-il quelque chose que justice administrative ? Ne sont-ce point là des expressions malsonnantes… ou qui du moins frayent difficilement ensemble ?… c’est l’administration qui décide ; elle est en même temps juge et partie… N’est-ce point là une justice de cadi ou de parba ?… Il n’y a qu’une justice ; il n’y a qu’une raison et qu’une vérité… ».

Plus proches de nous, pareilles diatribes ont pu encore être proférées [63]. Sans aller jusqu’à ces outrances, sur un terrain plus juridique, l’unification de la justice française est encore réclamée de nos jours [64].

Elle peut s’inspirer de l’exemple d’autres pays, au premier rang desquels les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, présentés comme le modèle de la soumission des litiges d’ordre administratif au même juge que les autres litiges. « A de rares exceptions près, tout acte –adjudication formel ou informel, élaboration de règlement – est susceptible d’être contrôlé par les tribunaux. La plupart des actes importants ont été soumis par la loi au contrôle des cours d’appel (avec contrôle ultérieur et discrétionnaire de la Cour suprême). Les actes qui échappent à cette règle peuvent généralement être portés devant les cours de district (tribunaux fédéraux de première instance), et en appel, qui est de droit, devant des cours d’appel (et de nouveau ultérieurement devant la Cour suprême) [65] ». En Grande-Bretagne, « le contentieux administratif général (est) porté devant les juges de droit commun [66] » et aboutit à la Cour suprême depuis sa création en 2005 et son installation en 2009.

L’unité de juridiction est cependant relative. Tocqueville notait lui-même [67] que, si le fonctionnaire public commet un crime, « les tribunaux ordinaires sont toujours appelés à en faire justice », mais : « Commet-il une faute administrative, un tribunal purement administratif est chargé de le punir, et quand la chose est grave et pressante, le juge fait ce que le fonctionnaire aurait dû faire ». Avec la multiplication contemporaine des Agences, l’administrative law judge institué en leur sein peut apparaître comme un juge seulement spécial, mais qui devient normal en matière administrative [68]. En Grande-Bretagne, les Administratives Tribunals [69] ont été développés dans un certain désordre, les uns avec des fonctions juridictionnelles, les autres avec des fonctions administratives : « cette évolution entraîne le trait essentiel du contentieux administratif en Grande-Bretagne qui est la prédominance du droit administratif spécial administré par les juridictions spéciales par rapport aux juges des tribunaux ordinaires dont la mission est de veiller sur le droit administratif général et de trancher les questions de droit soulevées dans les appels contre les décisions des juridictions spéciales [70] ».

C’est déjà, même dans les Etats dotés d’un seul ordre juridictionnel révéler la nécessité de juridictions administratives. C’est un pas vers la dualité de juridiction.

 

2°.    Il est franchi dans de nombreux pays.

La France est évidemment le plus caractéristique.

C’est le résultat d’un long processus historique, dont l’origine se trouve sous l’Ancien Régime. L’interdiction aux Parlements de s’occuper des affaires administratives s’est combinée avec le développement parallèle d’organes dont on dirait aujourd’hui qu’ils ont « juridictionnalisé » au moins à certains égards le contentieux administratif [71] ; ils ont pu être spécialisés comme les chambres des comptes, les cours des aides, les bureaux de finances, les juridictions des eaux et forêts [72]. Au sein du Conseil du roi [73], les affaires contentieuses d’ordre administratif sont examinées non par le Conseil des parties, mais selon les cas par le Conseil des dépêches ou le Conseil des finances ; l’édit de 1738 y réglemente la procédure, essentiellement écrite et inquisitoire. Le système se retrouve modernisé avec la création du Conseil d’Etat en l’an VIII et la spécialisation en son sein en 1806 de la Commission du Contentieux. Il ne s’agissait encore que de justice retenue.

C’est avec la réorganisation du Conseil d’Etat par la loi du 24 mai 1872 que l’on passe définitivement à la justice déléguée. C’est d’elle que résulte le principe de l’indépendance de la juridiction administrative, au même niveau constitutionnel que celui de l’indépendance de la juridiction judiciaire proclamée par l’article 64 de la Constitution [74]. La distinction de l’administration active et de la justice administrative est définitivement acquise avec l’abandon de la formule du « ministre-juge [75] ». Avec la reconnaissance d’un noyau constitutionnel de la compétence de la juridiction administrative [76], l’existence même de la juridiction administrative est consacrée au niveau constitutionnel : c’est sur la Constitution que se fonde aujourd’hui la dualité des ordres de juridiction en France.

Cette solution de droit positif ne constitue pas à elle seule une justification logique. Elle peut être étayée. Portalis proclamait : « L’établissement d’une juridiction administrative n’est point une chose arbitraire. La nature des choses la commande ». La solution a été systématisée ultérieurement. Elle est reconnue aujourd’hui comme fondée sur la conception française de la séparation des pouvoirs, selon la démonstration faite par le Doyen Vedel [77], qui ne trouve son prolongement dans la décision du Conseil constitutionnel du 23 janvier 1987, dans laquelle il n’est pas difficile de voir sa plume et dont les termes sont régulièrement repris aujourd’hui [78].

On peut observer la particularité de la conception française et contester même sa cohérence logique par rapport à la notion classique de la séparation des pouvoirs [79].

On ne peut contester le résultat : la réalité de la soumission de l’administration au droit et de son contrôle par la justice qui, pour ne pas être exercée par le même ordre de juridiction que pour les particuliers, est une justice authentique [80]. Justice administrative n’est pas un oxymore.

Cela se confirme à l’étranger. La France n’est pas une exception [81].

Elle ne l’est pas en Europe [82] : « On trouve quatorze pays dotés d’une cour administrative suprême (Allemagne, Autriche, Belgique, Finlande, France, Grèce, Italie, Lituanie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Suède) [83] ».

Des juridictions administratives propres se retrouvent dans d’autres continents, ainsi au Liban [84], en Colombie [85], pour ne donner que ces deux exemples qui ne sont pas limitatifs.

Même dans les Etats où existe une cour suprême unique, le jugement d’affaires impliquant l’administration est confié à des sections ou des chambres spécialisées soit en Europe (par exemple Espagne, Estonie, Hongrie, Lettonie, Slovaquie) (v. note 83), soit ailleurs, notamment en Afrique [86].

L’existence d’une juridiction administrative est parfois inscrite dans la Constitution même [87].

L’étendue de la compétence de la juridiction administrative est plus ou moins étendue d’un pays l’autre, et peut ne pas englober la totalité des litiges dans lesquels est engagée l’administration. Elle comporte toujours le minimum de ce qui est le propre du pouvoir administratif.

Le droit comparé apporte ainsi son appui à l’existence d’une justice administrative, alors même qu’elle résulte en France sans doute plus d’une évolution historique que d’une nécessité logique. Il contribue à montrer qu’elle n’est pas seulement le fruit du passé : c’est une solution d’avenir [88].

L’essentiel est de constater le résultat : l’efficacité du contrôle de la justice sur  l’administration.

Par là-même se réalise la conciliation de l’administration et de la justice.

Texte des débats ayant suivi la communication

 


[1] La République, IV, 443 d-444 d (trad. R. Baccou, GF Flammarion)

[2] Ibid., IV, 432 e – 433 d

[3] Ibid., IV, 433 d – 434 c

[4] L’éthique à Nicomaque, V, 3, 1129 b (trad. R. Bordéiis, GF Flammarion)

[5] Ibid., V, 4, 1130 a 1

[6] Ibid., V, 4, 1129 b 15

[7] Ibid., V, 6,1131 a

[8] Politique, I, 2, 1253 a 37-39 (trad. J. Aubonnet, Gallimard)

[9] Ibid., III, 1283 a 20

[10] v. notamment, J. Krynen, L’idéologie de la magistrature ancienne Gallimard, 2009, p. 17 et s.

[11] Conseil d’Etat, Section, 27 février 2004, Mme Popin, Recueil des arrêts du Conseil d’Etat, 2004, Rec. 86, conclusions Schwartz ; Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, par M. Long, G. Braibant, P. Weil, P. Delvolvé et B. Genevois, 17ème éd., 2009, p. 858

[12] v. notamment R. Bonnard, « La conception matérielle de la fonction juridictionnelle », Mélanges Carré de Malberg, Sirey, 1933, p. 3 ; L. Duguit,  « L’acte administratif et l’acte juridictionnel », Revue du droit public 1906, p. 470 ; G. Jèze, « L’acte juridictionnel et la classification des recours contentieux », ibid. 1909, p. 667, P. Lampué, « La notion d’acte juridictionnel », ibid., 1946, p. 38 ; M. Waline, « Le critère des actes juridictionnels », ibid., 1933, p. 565

[13] v. notamment, R. Chapus, « Qu’est-ce qu’une juridiction ? La réponse de la jurisprudence administrative », Mélanges Eisenmann, Cujas, 1975, p. 265 ; J.-M. Auby, « Autorités administratives et autorités juridictionnelles », Actualité juridique-Droit administratif, juin 1995, n° spécial, p. 91.

[14] Introduction historique au droit administratif français, PUF, 1985, n° 108.

[15] M. Boulet-Sautel, « Police et administration en France à la fin de l’Ancien Régime. Observations terminologiques », Histoire comparée de l’administration, Munich, 1980, p.47-51, reproduit en Vivre au Royaume de France, PUF, 2010, p. 210 et s. : E. Lemaire, Grande robe et liberté. La magistrature ancienne et les institutions libérales, PUF, Leviathan, 2010, spécialement, p. 147 et s., « Justice et administration ».

[16] Préface de la 2ème édition augmentée, Amsterdam, 1729

[17] J. L. Mestre, op. cit., p. 162

[18] R. Mousnier, Les institutions de la France sous la Monarchie absolue, PUF, t. 2, 2ème éd., 1992, p. 34.

[19] Conseil d’Etat, 6 décembre 1907, Compagnie des chemins de fer de l’Est, Recueil, p. 913, conclusions Tardieu ; Les grands arrêts…, op. cit., p. 107

[20] Conseil constitutionnel, n° 86-224 DC 23 janvier 1987, Recueil des décisions du Conseil constitutionnel, p. 8 ; Les grands arrêts…, op. cit., p. 636. – Sur la notion d’administration, v. notamment G. Guglielmi, La notion d’administration publique dans la théorie juridique française de la Révolution à l’arrêt Cadot (1789-1889), LGDJ, 1191 ; V° Administration, in Dictionnaire de la culture juridique (sous la dir. de D. Alland et S. Rials), PUF, 2003

[21] Tribunal des conflits, 27 novembre 1952, Préfet de la Guyanne, Recueil, p. 642 ; Les grands arrêts…, op. cit. p. 437

[22] Conseil d’Etat 19 février 2010, Mollène et autres, Recueil, p. 20

[23] v. par exemple, Conseil d’Etat, Section, 10 mars 2006, Carre-Pierrat, Recueil, p. 136, à propos d’un décret de nomination de présidents de tribunaux de grande instance.

[24] Tel est le cas de toute la jurisprudence du Conseil d’Etat encadrant l’exercice des pouvoirs de police.

[25] Loi du 8 février 1995 ;  art. L.911-1 et s. du code de justice administrative.

[26] Conseil d’Etat, Section, 26 juillet 1986, Association lyonnaise de sauvegarde des locataires, Recueil, p. 293, conclusions Maugüé

[27] Conseil d’Etat, Section, 29 janvier 2003, Syndicat départemental de l’électricité et du gaz des Alpes-Maritimes et Communes de Clans, Recueil, p. 21, conclusions Maugüé.

[28] Conseil d’Etat, 5 mars 2001, Saez, Les grands arrêts…, p. 786

[29] M. Fromont, « Les pouvoirs d’injonction du juge administratif en Allemagne, Italie, Espagne et France. Convergences », Revue française de droit administratif, 2002, p. 551, spécialement p. 558

[30] M. David, « Ordres de mandamus et jugements déclaratoires dans le droit anglais », Mélanges Waline, Le juge et le droit, L G D J, 1974, t. 1, p. 19 ; J. Bell, « Sur le pouvoir du juge britannique d’adresser des injonctions à la Couronne », Revue française de droit administratif, 1990, p. 920

[31] v. notamment G. Sicard, « Administration et justice dans l’histoire des institutions françaises », Annales de la faculté de droit de Toulouse, 1963, p. 73-85

[32] De la démocratie en Amérique, Première partie, chapitre V- P. 133-134 dans l’édition Folio/Histoire, Gallimard, 2010.

[33] Conseil d’Etat 31 mars 2004, requête 250378 :
«Le Conseil d’Etat, …
Considérant qu’il ressort des dispositions combinées de l’article 29 de la loi du 3 janvier 1992 et de l’article 14 de la loi du 19 juillet 1976 que le contentieux des autorisations délivrées au titre de la loi sur l’eau est un contentieux de pleine juridiction ; qu’en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi du 19 juillet 1976, le juge administratif peut aggraver ou compléter les prescriptions de l’arrêté d’autorisation ou substituer aux règles fixées par le préfet, d’autres prescriptions techniques de nature à assurer la préservation de l’environnement ;
Considérant, en premier lieu, que l’administration n’apporte aucun justificatif de la nécessité pour les préfets d’imposer un débit réservé de 80 litres par seconde pour le ruisseau Noir et de 170 litres par seconde pour le Veyre ; qu’il ressort des documents versés au dossier, et notamment de l’étude d’impact produite, qu’un débit réservé de 125 litres par seconde pour le Veyre et de 50 litres par seconde pour le ruisseau Noir serait, dans les circonstances de l’espèce, en dehors de la période d’étiage, suffisant pour assurer le respect des dispositions précitées ;
Considérant, en second lieu, que l’administration n’apporte aucune justification à l’appui de son allégation selon laquelle l’interdiction générale de turbinage en été serait seule de nature à maintenir un état satisfaisant des milieux naturels fragilisés par de faibles débits ;
Considérant que, dès lors, il y a lieu pour le Conseil d’Etat de modifier, d’une part, les dispositions de l’article 5 de l’arrêté attaqué en tant qu’elles fixent le débit réservé à 80 litres par seconde pour le ruisseau Noir et à 170 litres par seconde pour le Veyre, et de substituer, respectivement, à ces valeurs celles de 50 litres par seconde pour le ruisseau Noir et de 125 litres par seconde pour le Veyre, d’autre part, d’annuler l’interdiction de turbinage estival posée par le même article ; que toutefois il y a lieu, afin de tenir compte de la fragilisation des milieux, et notamment de la faune piscicole, en période de sécheresse, de porter le débit réservé de juillet à septembre à 150 % des débits réservés fixés ci-dessus ; qu’ainsi les requérants sont fondés à soutenir que l’article 5 de l’arrêté interpréfectoral doit être modifié en ce sens ;
DECIDE
Article 1 : L’article 5 de l’arrêté interpréfectoral du 3 juin 2002 est modifié comme suit :
Prise d’eau du ruisseau Noir : (…) Débit réservé : 50 litres par seconde (…)
Prise d’eau du Veyre : (…) Débit réservé : 125 litres par seconde (…)
Turbinage estival : Durant la période d’étiage (du1er juillet au 30 septembre) les débits réservés pour le Veyre et pour le ruisseau Noir sont fixés à 150 % des valeurs mentionnées ci-dessus ».

[34] Conseil d’Etat, 11 mars 1962, Salan, Recueil p. 317 : ce décret « est intimement lié aux poursuites engagées contre l’intéressé, qui en sont la condition et le soutien inséparables ; il ne saurait dès lors être regardé comme un acte administratif détachable de la procédure suivie devant l’autorité judiciaire… »

[35] Articles L. 2132-20 du code général de la propriété des personnes publiques et L. 774-2 du code de justice administrative.

[36] Loi du 27 décembre 1927 ; aujourd’hui article L. 199 et R. 190-1 du Livre des procédures fiscales.

[37] v. notamment R. Mousnier, op. cit. t. 2, p. 484 et s.

[38] J. L. Mestre, op. cit. p. 191 et s.

[39] cité par J. L. Mestre, p. 192

[40] Ancien article L. 613-23 du code monétaire et financier

[41] Conseil constitutionnel 23 janvier 1987, précité note 20

[42] Conseil constitutionnel, n° 89-260 DC 28 juillet 1989, Recueil p. 71

[43] Par exemple, sont chargés de trancher des différends : la Commission de régulation de l’énergie, entre les acteurs du secteur de l’énergie (gestionnaires, utilisateurs, opérateurs, exploitants) (art. L. 134-9 du code de l’énergie), la Commission de régulation des communications électroniques et des postes à propos de l’interconnexion ou de l’accès à un réseau (art. L. 136-8 du code des communications électroniques et des postes), le Conseil supérieur de l’audiovisuel à propos de la distribution d’un service de radio ou de télévision (art. 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication modifiée).

Infligent des sanctions, notamment : l’Autorité de la concurrence pour les pratiques anti-concurrentielles (art. L. 464-2 du code de commerce) ; la Commission nationale de l’informatique et des libertés à l’encontre des responsables de traitements qui ne respectent pas les obligations relatives aux fichiers (loi du 6 janvier 1978, art. 17, 44 et s.) ; l’Autorité des marchés financiers à l’encontre des personnes qui ont contrevenu aux règles applicables en la matière (articles L. 621-15 et s. du code monétaire et financier) ; l’Autorité de contrôle prudentiel dans le domaine de la banque, des services de paiement, et des services d’investissement (art. L. 612-2 et L. 612-39 et s.) ;  la Commission de régulation de l’énergie pour les manquements des gestionnaires, opérateurs, exploitants et utilisateurs (art. L. 134-25 du code de l’énergie) ;  l’Autorité de régulation des communications électriques et des postes pour ceux des exploitants de réseaux ou des fournisseurs de services de communications (art. L. 136-11 du code des communications électroniques et des postes) ; le Conseil supérieur de l’audiovisuel pour ceux des éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle et les opérateurs de réseaux satellitaires (art. 42 de la loi du 30 septembre 1986).

[44] C E D H 27 août 1991, Demicoli c/ Malte, série A, n° 210

[45] C E D H 27 août 2002, Didier c/ France

[46] C.E. 28 octobre 2002, Laurent, Rec. p. 361

[47] Par ex. D. Costa, « L’Autorité des marchés financiers : juridiction ? quasi-juridiction ? pseudo-juridiction ? », Revue française de droit administratif, 2005.1174

[48] Cour de cassation, Assemblée plénière, 7 janvier 2011, n° 09-14316, Recueil Dalloz,  2011, p. 157

[49] Conseil d’Etat, 9 juillet 2010, Société Consult Distribution, Revue juridique de l’économie publique, mars 2011, p. 18, note N. Delzongles.

[50] J.-L. Mestre, op. cit., p. 190-191

[51] Conseil d’Etat. Ass. 19 octobre 1962, Recueil, p. 552, Les grands arrêts…, p. 539

[52] Communiqué officiel à l’issue du conseil des ministres du 24 octobre 1962.

[53] Mémoires d’espoir, t. 2, p. 74

[54] De l’autorité judiciaire en France, 12ème éd., 1818, 3ème éd. 1827

[55] Des attributions du Conseil d’Etat, 1829, p. 24. Dans le même sens, Vivien, Etudes administratives, 3ème éd., 1859 ; réimpression Cujas, 1974, t. 1, p. 132 : « Mais dit-on, en  pareille matière, juger c’est encore administrer. Cette réponse a  fait fortune et on l’a souvent répétée. Notre réponse est simple et naïve. En cette matière comme en toute autre, juger c’est juger »

[56] Première Partie, chapitre VI ; édition GF Flammarion, p. 165-166

[57] V. notamment M. Troper, La séparation des pouvoirs et l’histoire constitutionnelle française, LGDJ, 1973 ; J. Chevallier, L’élaboration historique du principe de séparation de la juridiction administrative et de l’administration active, LGDJ, 1970 ; de même, « Du principe de séparation au principe de dualité », Revue française de droit administratif, 1990, p. 712.

[58] An Introduction to the study of the law of the Constitution, 1885, 10ème édition, Londres 1959

[59] M. Jorat, « Supprimer la justice administrative… Deux siècles de débat », Revue française de droit administratif, 2008, p.456

[60] De la démocratie en Amérique, 1ère partie, chapitre VI, p. 171-173 dans l’édition GF Flammarion.

[61] L’Ancien Régime et la Révolution, Livre Deux, Chapitre IV, p. 123 et s. dans l’édition Gallimard, 1952

[62] B. Pacteau, Le Conseil d’Etat et la fondation de la justice administrative française au XIXème siècle, préface R. Denoix de Saint Marc, PUF, 2003 ;  également F. Burdeau, « Les crises du principe de dualité de juridiction », Revue française de droit administratif  1990.724

[63] v. Revue française de droit administratif, 2008, p. 469

[64] Par exemple, R. Drago et M.A. Frison-Roche, « Mystères et mirages des dualités d’ordres de juridiction et de justice administrative », Archives de philosophie du droit, t.41,1997, p. 139 ; D. Truchet, « Plaidoyer pour une cause perdue : la fin du dualisme juridictionnel », Actualité juridique-droit administratif 2005.1768 ;  L. Cohen-Tanugi, Le droit sans l’Etat, PUF, 2ème éd. 2010 ; La métamorphose de la démocration française, de l’Etat jacobin à l’Etat de droit, folio 1989, p. 196 et s. ; « L’avenir de la justice administrative », Pouvoirs, 1988, n° 46, p. 13 et s.

[65] A. Scalia (juge à la Cour Suprême), « La procédure administrative aux Etats-Unis », Etudes et documents du Conseil d’Etat, 1988, p. 251, spécialement p. 254. P. L. Strauss, « An introduction to administrative justice in the United States », in Administrative law. The problems of justice, sous la direction d’A. Pisas, Giuffré, Milan, 1991, t. 1, p. 489 et s.

[66] J. Bell, « L’organisation du contentieux administratif en Grande Bretagne», Etudes et documents du Conseil d’Etat, 1987, p. 215, spécialement p. 219. ; « Unité ou dualité de juridiction au Royaume-Uni », Revue française de droit administratif, 1990, p. 892 ;  W. Wade, « Administrative justice in Great Britain », in Administrative law. The problems of justice, précité, p. 1 et s. ; W. Wade & C. Forsyth, Administrative law, Clarendon Press, Oxford, 7ème éd. 1994.

[67] De la démocratie en Amérique, 1ère partie, chapitre V, p. 136 dans l’édition G.F. Flammarion.

[68] A. Scalia, article précité

[69] M. Froment, les « Administratives tribunals », Etudes et documents du Conseil d’Etat, 1977-1978, n° 29, p. 303 ; P. Gérard, « Les tribunaux administratifs britanniques », Actualité juridique-droit administratif, p. 3 ;  J. Bell, article précité, p. 218

[70] J. Bell, article précité Etudes et documents du Conseil d’Etat 1987, et p.xxx

[71] V. notamment J. L. Mestre, op. cit., p. 189 ; R. Mousnier, op. cit., t. 2, p. 307 et s. ;

[72] Les tables de marbre. Corneille fut avocat auprès de celle de Rouen.

[73] V. notamment M. Antoine, Le conseil du roi sous le règle de Louis XV, Droz, 1970

[74] Conseil constitutionnel n° 80-119 DC, 29 juillet 1980, Recueil p. 46

[75] Conseil d’Etat 13 décembre 1889, Cadot, Recueil 1148, conclusions Jagerschmidt ; Les grands arrêts…, p. 36

[76] Conseil constitutionnel, 23 janvier 1987, précité

[77] « La loi des 16-24 août 1790 : texte ? prétexte ? contexte ? », Revue française de droit administratif, 1990, p. 698

[78] En dernier lieu Conseil constitutionnel n°2011-631 DC 17 juin 2011

[79] Par exemple S. Velley, « La constitutionnalisation d’un mythe : justice administrative et séparation des pouvoirs », Revue du droit public, 1989, p. 767

[80] V. par exemple Le dualisme juridictionnel. Limites et mérites (sous la dir. d’A Van Lang), Dalloz, 2005

[81] v. « Unité ou dualité de juridiction à l’étranger », Revue française de droit administratif 1990, p. 863 et s.

[82] V. notamment M. Fromont, Droit administratif des Etats européens, PUF, 2006 ; Y. Aguila, « La justice administrative, un modèle majoritaire en Europe. Le mythe de l’exception française à l’épreuve des faits »,  Actualité juridique. Droit administratif, 2007, p. 290 ; Revue française de droit administratif 2008, n° 2, p. 225 et s.

[83] J. Andriantsimbazovina, « Les organes chargés de juger l’administration », Revue française de droit administratif, 2008, p. 241 ; v. aussi G. Marcou, « Une cour administrative suprême : particularité française ou modèle en expansion ? » Pouvoirs, 2007, n° 123, p. 133 et s. ; du même, « Caractères généraux et évolution de la juridiction administrative en Europe Occidentale », Revue française de droit administratif, 2006, n° 1, p. 83 et s.

[84] V. notamment les actes du colloque des 5-6 mars 1999, Conseil d’Etat libanais, Conseil d’Etat français, la Revue administrative, n° spécial, 1999, t. 2, p. 800 et s.

[85] V. notamment les notes du colloque des 19-21 novembre 1997 sur la juridiction administrative en France et en Amérique Latine, eod. loc , p. 175 et s.

[86] V. notamment les actes du colloque des 9-10 mars 1998, eod. loc. p. 401 et s.

[87] Article 95 de la loi fondamentale de la République Fédérale d’Allemagne ; article 103 de la Constitution italienne ; article 94 de la Constitution grecque

[88] ·  Y. Gaudemet, « Le juge administratif, une solution d’avenir », In Clés pour le siècle, Dalloz, 2003, p. 1213 et s.