Séance du lundi 10 octobre 2016
par M. Jean-Luc Florent,
Ambassadeur de France à Chypre
Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire Perpétuel,
Mesdames et Messieurs,
Permettez moi tout d’abord de remercier votre Président, le Juge Gilbert Guillaume, d’avoir bien voulu m’inviter à m’exprimer devant votre prestigieuse Académie sur la question de Chypre au regard de certains aspects du droit international. Celle-ci ne peut, en effet, être regardée comme une problématique exclusivement nationale en raison à la fois de ses origines et de la diversité des acteurs impliqués du fait de l’intervention de puissances tierces, au premier chef la Turquie, et de plusieurs Organisations internationales.
Occupée, successivement par les Grecs, les Romains, les Francs, et les Vénitiens, puis conquise par les Ottomans en 1571 avant d’être annexée par la Grande Bretagne en novembre 1914 à la suite de la déclaration de guerre de l’Empire Ottoman contre les Alliés, l’île de Chypre est formellement devenue une colonie Britannique en 1925 après le Traité de Lausanne de 1923. Elle est devenue Indépendante sous la forme d’un Etat bicommunautaire depuis le 16 août 1960, selon les modalités définies par la Conférence de Zurich à laquelle étaient représentées la Grande Bretagne, la Grèce et la Turquie, puis concrétisées quelques jours plus tard par l’Accord de Londres du 19 février 1959 conclu entre les mêmes puissances. Une fois indépendante, la République de Chypre est notamment devenue membre de l’Organisation des Nations Unies, du Conseil de l’Europe et, depuis le 1er mai 2004, de l’Union Européenne.
Dès sa naissance, elle à dû consentir à de sérieuses limitations de sa souveraineté en application de cet Accord de Londres. Par le Traité d’établissement, d’une part, qui octroie aux Britanniques deux bases souveraines au sud de l’île, à Akrotiri et Dhekelia, dont la superficie couvre 3% du territoire de la République de Chypre. Surtout par le Traité dit de Garantie, d’autre part, aux termes duquel la Grèce, la Turquie et la Grande Bretagne se voient, sous certaines conditions, accorder un droit d’intervention unilatérale afin de préserver l’indépendance, l’intégrité territoriale et l’ordre constitutionnel de la République de Chypre.
La jeune République de Chypre est donc placée d’emblée sous une sorte de tutelle internationale. Le fait qu’elle soit composée de deux communautés, les Chypriotes-turcs, minoritaires et activement appuyés par la Turquie, et les Chypriotes-grecs très liés à la Grèce, explique en grande partie cette situation peu commune, ainsi que les défis auxquels elle doit faire face depuis son indépendance. Il convient toutefois de noter que ces derniers, contrairement à une opinion répandue, n’ont jamais été suscités par une dimension religieuse entre musulmans et orthodoxes. Ils résultent plus généralement d’une cohabitation traditionnellement difficile entre les deux communautés qui est à l’origine du partage du pouvoir, sans doute trop systématique, établi entre Chypriotes-grecs et turcs par la Constitution de 1960, largement à l’initiative des Britanniques.
Les tensions communautaires, latentes, voire attisées, durant la colonisation Britannique, entre Chypriotes-grecs et turcs ont ainsi débouché, dès 1963, sur la paralysie du fonctionnement des institutions du fait du retrait de celles-ci des Chypriotes-turcs. Il répondait à la volonté du premier Président Chypriote, Monseigneur Makarios, de modifier, au profit de la communauté grecque, le délicat équilibre intercommunautaire institué par la Constitution de 1960, dont les limites sont rapidement apparues, du fait notamment des nombreux vétos opposés par le Vice-Président Turc pour bloquer les décisions souhaitées par la majorité Grecque.
Depuis, la question de Chypre est non seulement omniprésente dans la vie quotidienne des communautés Chypriotes grecques et turques, mais elle figure régulièrement à l’ordre du jour de plusieurs Organisations internationales ou régionales, principalement l’Organisation des Nations Unies, le Conseil de l’Europe et en son sein la Cour Européenne des droits de l’Homme, ainsi que l’Union Européenne. L’Organisation des Nations Unies par le biais d’une force de maintien de la paix et d’une mission de bons offices ; le Conseil de l’Europe et sa Cour principalement sous l’angle des droits des personnes affectées par le conflit de 1974 et la division consécutive de l’île ; l’Union Européenne depuis l’adhésion de Chypre. De ce fait, elle ne peut plus être considérée comme une question exclusivement nationale puisqu’elle doit désormais s’inscrire dans le cadre des diverses mesures ou décisions adoptées par ces Organisations, lesquelles sont dictées par le droit qui leur est applicable.
Elle a d’emblée et principalement été suivie par l’Organisation des Nations Unies à laquelle Chypre a adhéré en 1960 une fois son admission recommandée par le Conseil de sécurité par sa résolution 155 du 24 août 1960, puis entérinée par l’Assemblée générale.
Inquiet des tensions persistantes entre les deux communautés, le Conseil de sécurité des Nations Unies à, en effet, été amené à établir, dès le 4 mars 1964, par sa résolution 186 la Force des Nations Unies pour le maintien de la paix à Chypre, plus connue sous son acronyme français de FNUCHYP, afin de prévenir les violences intercommunautaires. Régulièrement renouvelée depuis sa création jusqu’à aujourd’hui, cette Force est l’une des plus anciennes de l’Organisation des Nations Unies. Elle comporte actuellement près de mille membres et est composée de militaires, policiers et administrateurs. Initialement déployée sur l’ensemble du territoire de l’île, son mandat a été substantiellement modifié en 1974, en application de la résolution 353 du Conseil de sécurité, à la suite de l’invasion turque du nord de l’île en juillet 1974. Elle est depuis principalement chargée d’empêcher toute reprise des hostilités entre les parties, ce qu’elle est parvenue à faire avec succès, et d’assurer la gestion de la zone tampon, correspondant à la ligne de cessez le feu, qui sépare l’île d’est en ouest et dont la largeur peut varier de quelques mètres, au centre de Nicosie, à plusieurs kilomètres. Il convient toutefois de relever que la FNUCHYP n’est pas intégralement financée par le budget des opérations de maintien de la paix des Nations Unies, la Grèce et Chypre en assurant une partie du financement.
Prétextant du risque d’un rattachement de Chypre à la Grèce (l’enosis) à la suite du coup d’Etat fomenté en juillet 1974 contre le Président Makarios par la Garde nationale Chypriote, encouragée par la junte militaire Grecque, la Turquie a, en effet, envahi militairement le nord de Chypre le 20 juillet. Le conflit armé turco-chypriote provoqué par cette invasion a entraîné, outre de nombreuses pertes humaines, le déplacement des Chypriotes-turcs au nord de l’île et celui de la très grande majorité des Chypriotes-grecs au sud. Pour justifier juridiquement cette intervention, la Turquie a invoqué l’article IV du Traité de garantie de 1960 au motif de rétablir l’intégrité et la souveraineté de la République de Chypre menacées selon elle par l’enosis, ainsi que pour protéger les droits constitutionnels et la sûreté des Chypriotes-turcs. Le fondement juridique de cette intervention militaire, visiblement bien préparée, est cependant discutable au regard des dispositions mêmes de l’article IV du Traité de Garantie. Celles-ci ne semblent pas, en effet, permettre une intervention armée unilatérale de cette ampleur et prévoient également une consultation préalable des autres puissances garantes, laquelle n’est pas intervenue en l’espèce.
Malgré les diverses résolutions du Conseil de sécurité appelant notamment à un cessez le feu et au retrait de toutes les forces étrangères, la résolution 353 en particulier, cette invasion a débouché sur la division de facto de l’île de Chypre, la Turquie en occupant depuis maintenant plus de quarante ans, la partie nord de la ligne de cessez le feu, soit 37% de la superficie de l’île.
Compliquant davantage les chances d’une réconciliation, la communauté Chypriote-turque, avec l’aval de la Turquie, s’est autoproclamée indépendante en novembre 1983 sous l’appellation de « République Turque de Chypre Nord » (RTCN). Le Conseil de sécurité, par sa résolution 541 du 18 novembre 1983, a d’emblée condamné cette déclaration unilatérale comme « légalement nulle et non avenue » et exigé son retrait. La « RTCN » n’ayant pas obtempéré, le Conseil a alors demandé, par sa résolution 550 du 11 mai 1984, à tous les Etats de ne pas reconnaître la « RTCN » et de s’abstenir de tout acte susceptible d’assister cette « entité sécessionniste », qualifiant la partie nord de l’île de « zone occupée ». Si la reconnaissance d’un Etat par un autre Etat est, en droit international, un acte discrétionnaire, celle de la « RTCN » est donc, en l’espèce, interdite par le Conseil de sécurité. A ce jour, seule la Turquie a reconnu la « RTCN », méconnaissant de ce fait l’autorité des résolutions du Conseil de sécurité, lesquelles sont obligatoires pour les Etats membres de l’Organisation des Nations Unies en vertu de l’article 25 de sa Charte. Elle a toutefois échoué jusqu’à présent dans ses innombrables tentatives visant à la faire reconnaître par d’autres Etats, en particulier par certains Etats membres de l’Organisation de la Conférence Islamique.
Depuis lors, la question interminable de la division de l’île ne cesse de produire ses effets négatifs, en dépit des pourparlers continuellement menés, sans succès jusqu’à présent, entre les différents leaders des deux communautés, sous l’égide de la mission de bons offices du Secrétaire Général des Nations Unies activement appuyée par le Conseil de sécurité. Pour faciliter cette mission de bons offices, le Conseil n’a pas hésité à fixer les paramètres fondamentaux d’un règlement de la question de Chypre sous la forme d’une République fédérale bicommunautaire et bizonale, excluant de ce fait l’idée d’une confédération réclamée avec force par la partie Turque.
L’espoir d’une possible réunification de l’île n’a cependant jamais été aussi fort que lors de la présentation, en 2004, du projet de règlement proposé par le Secrétaire Général des Nations Unies de l’époque, plus connu sous le nom de Plan Annan. Ce faisant, le Secrétaire général transcendait sa mission de bons offices pour devenir un véritable médiateur, ce qui constitua un précédent non sans conséquences. L’un des objectifs recherchés par ce Plan, avec l’aval de l’Union Européenne, était notamment de permettre l’adhésion imminente d’une Chypre réunifiée à cette dernière, bien que le Conseil Européen tenu à Helsinki en 1999 ait décidé que la réunification de l’île ne devait pas constituer une précondition à cette adhésion.
Très complet et détaillé, ce plan instaurait principalement un partage du pouvoir entre les deux communautés par le biais de deux états constitutifs largement autonomes, l’un dirigé par les Chypriotes-turcs, l’autre par les Chypriotes-grecs, et regroupés au sein d’un gouvernement fédéral essentiellement doté de seules prérogatives régaliennes, politiques étrangère et monétaire notamment. Il prévoyait également un échange de territoires, précisait le sort des colons turcs massivement implantés dans la partie nord de l’île et autorisait le retour, sous certaines conditions, de Chypriotes grecs dans la partie nord de l’île. Il a été approuvé à 65% par la communauté Chypriote-turque lors du référendum du 24 avril 2004. Elle y voyait avant tout l’espoir de sortir de son isolement politique et commercial croissant et de sa relation exclusive avec Ankara. Il a en revanche été massivement rejeté par les Chypriotes-grecs à une majorité de près de 76% qui l’ont considéré comme trop déséquilibré au profit des Chypriotes-turcs et de nature à compromettre les valeurs liées à l’hellénisme auxquelles ils demeurent très attachés.
Malgré cet échec, l’Organisation des Nations Unies a maintenu en place la FNUCHYP ainsi que sa mission de bons offices, mais n’envisage pas, en l’état actuel des choses, d’aller au delà.
Curieusement, la question de Chypre n’a guère été évoquée stricto sensu sous l’angle du droit international humanitaire, alors même que les affrontements militaires occasionnés par l’invasion Turque du nord de l’île constituaient un conflit armé, à tout le moins interne, sinon international. Elle l’a, en effet, été davantage sous celui des droits de l’homme du fait des recours interétatiques ou individuels engagés devant la Cour Européenne des droits de l’Homme.
La Cour de Strasbourg a été ainsi saisie de plusieurs affaires interétatiques, en 1974, 1975, 1977 et 1994 à l’initiative de Chypre contre la Turquie au motif de la violation par cette dernière de nombreuses dispositions de la Convention Européenne des droits de l’Homme de 1951 résultant de l’invasion et de l’occupation de la partie nord de Chypre depuis 1974. Ces différents recours portent essentiellement sur la question des Chypriotes-grecs disparus à la suite du conflit ; les droits de propriété des personnes déplacées et leur incapacité à y avoir accès ; les conditions d’existence des Chypriotes-grecs enclavés dans le nord de l’île.
Sans qu’il soit besoin d’entrer dans le détail de ces différents arrêts de la Cour, il convient d’en retenir essentiellement que la Cour s’est d’abord déclarée compétente et qu’elle a ensuite largement tranché en faveur des griefs invoqués par Chypre. Pour justifier en l’espèce sa compétence, qui était contestée par la Turquie, la Cour s’est fondée sur la non reconnaissance internationale de la « RTCN » découlant des résolutions du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies. Elle en a conclu par voie de conséquence que la Turquie exerçait un contrôle global et effectif dans le nord de Chypre, grâce notamment à sa présence militaire sur place, dont on estime généralement qu’elle consiste en un contingent permanent de l’ordre de 35.000 soldats, et plus généralement au pouvoir qu’elle y exerce. A ce titre, Ankara était donc responsable du respect de la Convention Européenne des droits de l’Homme dans la partie de l’île qu’elle contrôle.
Sur le fond, la Cour a considéré que la Turquie n’a pas suffisamment coopéré avec le Comité des personnes disparues (CMP) mis en place par les Nations Unies en 1981 pour aider à identifier les Chypriotes-grecs et turcs disparus à l’occasion du conflit de 1974 ou pour déterminer leur sort ; a empêché les Chypriotes-grecs déplacés de regagner leur domicile et donc de récupérer leurs propriétés dans le nord, lesquelles sont pour la plupart occupées par les Chypriotes-turcs et des colons turcs ; a soumis les Chypriotes-grecs enclavés dans la péninsule des Karpas à des discriminations qu’elle a qualifiées « d’avilissantes », en particulier en matière religieuse et éducative.
En 2014, la Cour a tiré les conséquences de ces « violations massives et continues » de la Convention par la Turquie en octroyant une indemnisation globale de 90 millions d’euros au profit des familles Chypriotes-grecques qui en ont été victimes. La Turquie a alors indiqué qu’elle ne verserait pas cette indemnisation, refusant donc d’appliquer les arrêts de la Cour, alors même que ceux-ci ont un caractère contraignant pour les Etats Parties à la Convention Européenne des droits de l’Homme de 1951.
Cette jurisprudence de la Cour a été confirmée dans plusieurs arrêts consécutifs à des recours individuels de ressortissants Chypriotes contre la Turquie, dont l’affaire Loizidou de 1998 sur l’impossibilité d’accès des Chypriotes-grecs à leurs biens situés dans le nord de l’île et l’affaire Varnava et autres de 2009 sur la question des personnes disparues.
La division de Chypre ne manque pas, enfin, d’avoir un impact non négligeable au sein de l’Union Européenne. Dès l’adhésion de Chypre à l’Union Européenne en mai 2004, malgré l’échec du Plan Annan, cette dernière a ainsi été contrainte de décider que l’application du droit et de l’acquis communautaires sera suspendue dans la partie occupée du nord de Chypre, tant que celle-ci ne sera pas contrôlée par le Gouvernement légal de Chypre, le seul reconnu par la communauté internationale. Il en résulte notamment que la communauté Chypriote-turque ne peut commercer directement avec l’Union Européenne et ses Etats membres, ni bénéficier des aides européennes dispensées dans le cadre des politiques structurelles communautaires, ce qui constitue pour elle un handicap certain à son développement économique.
En outre, la non reconnaissance de la République de Chypre par la Turquie au motif qu’elle ne représente pas l’ensemble des populations vivant sur son territoire, est un facteur de complication supplémentaire pour l’Union Européenne.
C’est le cas, au premier chef, dans le cadre des négociations menées en vue d’une éventuelle adhésion de la Turquie à l’Union Européenne. Outre les interférences dans ce processus directement liées à la question Chypriote, il est évident, en tout état de cause, que la Turquie ne pourra jamais adhérer à l’Union Européenne tant qu’elle n’aura pas reconnu la République de Chypre. Tout élargissement suppose, en effet, l’accord unanime des Etats membres de l’Union Européenne, dont celui de Chypre. C’est également le cas du refus persistant de la Turquie d’appliquer à l’égard de Chypre le Protocole additionnel de 2005 à l’Accord d’association entre l’Union Européenne et la Turquie afin d’adapter ce dernier à l’élargissement de l’Union Européenne à dix nouveaux Etats en mai 2004. Elle interdit par exemple tout accès à ses ports ou aéroports de bâtiments ou aéronefs Chypriotes ainsi que le survol de son territoire par des aéronefs chypriotes. Le problème risque aussi de se poser demain dans l’éventualité d’un accord entre la Turquie et l’Union Européenne en matière de libéralisation des visas.
En outre, chaque fois qu’elle en a la possibilité, en fonction des règles constitutives de l’Organisation concernée, la Turquie s’oppose à ce que la République de Chypre, pourtant la seule reconnue par la communauté internationale, puisse devenir membre d’organisations internationales. C’est en particulier le cas s’agissant de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), ce qui complique singulièrement le fonctionnement et le renforcement de la coopération entre cette dernière et l’Union Européenne ; de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE), Chypre étant le seul Etat membre de l’Union Européenne qui n’y soit pas représenté.
Par ailleurs, l’on voit mal comment la République de Chypre pourrait intégrer la zone Schengen, ce qu’elle souhaite, tant que l’île ne sera pas réunifiée dès lors que la ligne actuelle de démarcation ne saurait être érigée en frontière extérieure commune de l’Union Européenne.
Qui plus est, la Turquie n’hésite pas à contester, en paroles et en actes, le droit légitime de la République de Chypre d’explorer et d’exploiter les ressources naturelles, notamment gazières, dans sa zone économique exclusive. Or le potentiel en hydrocarbures de la zone économique de Chypre est, en effet, de nature, dans un futur certes éloigné, à diminuer la dépendance de l’Union Européenne vis-à-vis des Etats tiers en matière d’approvisionnement énergétique.
La Turquie tente de justifier sa prétention selon des argumentations différentes en fonction de la zone géographique considérée. Lorsque les activités d’exploration ou d’exploitation se déroulent dans une zone où la Turquie ne peut manifestement pas prétendre y exercer des droits, le sud de la côte de Chypre par exemple, elle invoque alors la nécessité de protéger les intérêts de la communauté Chypriote-turque qui doit pouvoir profiter des revenus tirés de l’exploitation de ces ressources, ce que la République de Chypre ne nie pas dans le principe, mais subordonne à une réunification de l’île. Quand ces activités sont prévues à l’ouest de la côte de Chypre, elle fait alors valoir un chevauchement avec le plateau continental qu’elle revendique. Dans ce dernier cas, le droit international de la mer prévoit que les deux Etats impliqués doivent négocier une délimitation de leurs espaces maritimes concernés. Au cas d’espèce, la possibilité de parvenir à une telle délimitation par voie de négociations entre Chypre et la Turquie est d’autant plus incertaine que la Turquie ne reconnaît pas la République de Chypre et, qu’à la différence de cette dernière, elle n’est pas partie à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982. La voie arbitrale, sinon juridictionnelle, pour procéder à cette délimitation est également, et pour les mêmes raisons, difficilement envisageable en l’état actuel des choses.
A ce jour, la question de la division de Chypre n’est toujours pas résolue en dépit des nombreux efforts déployés par les acteurs nationaux et internationaux. Le nouveau processus de négociations engagé depuis mai 2015 entre le Président Chypriote, M. Nicos Anastasiades, et le leader de la communauté Chypriote-turque, M. Mustafa Akinci, toujours sous l’égide de la mission de bons offices du Secrétaire Général de l’Organisation des Nations Unies, constitue un nouveau facteur d’espoir d’une possible réunification de l’île presqu’aussi important que celui suscité, en 2004, par le Plan Annan. Malgré la bonne entente entre les deux leaders et certaines avancées sur de nombreux points, il semble cependant, une fois de plus, se heurter aux habituelles divergences de vues, notamment sur la question sensible des garanties de sécurité souhaitées par les Chypriotes-turcs, ce qui augure mal d’une nouvelle cohabitation entre les deux communautés après plus de quarante ans de séparation.