Séance ordinaire du 7 janvier 2019
« L’action extérieure de la France”
Introduction au thème des travaux de l’année de 2019
par Georges-Henri Soutou,
président de l’Académie des sciences morales et politiques
L’ « Action extérieure de la France » : que veut-on dire par là ?
C’est l’action au sens de Goethe, « au commencement était l’action ». Il ne s’agit pas de faire le travail d’un centre de recherches universitaire, ou d’un Think Tank, ils ont leur rôle et ils sont mieux outillés pour le jouer, mais de nous placer dans l’axe que la composition de notre Académie, son rôle et ses traditions lui suggèrent pour un thème de ce genre : la réflexion sur l’organisation et l’action des pouvoirs publics dans le domaine de la politique extérieure de notre pays, dans tous les domaines, y compris militaire, culturel, etc.
Et pas simplement la « politique extérieure », ce qui est en fait très général, et comporte des prises de position de toute nature, y compris simplement déclaratoires et pas forcément suivies de mesures effectives, mais bien l’ « action extérieure », avec ce qu’elle comporte de choix, de problèmes, de plus ou moins grande efficacité.
Pourquoi « extérieure » et pas « internationale » ? Le choix du mot est voulu. La notion de relations internationales renvoie aux rapports interétatiques, mais couvre aussi toute sorte d’échanges non étatiques, et concerne beaucoup d’organisations variées, qu’elles soient gouvernementales ou pas. Cela dépasse donc largement le champ d’action des pouvoirs publics tel qu’on le comprend ici: c’est un autre sujet.
Ceci dit, même l’action des pouvoirs publics vers l’extérieur a depuis une génération considérablement évolué dans son contenu, son champ et ses méthodes et elle s’est beaucoup étendue. J’ai retrouvé un rapport des élèves de l’ENA en 1981 : il s’intitulait « l’Action extérieure de la France » ! La comparaison est frappante : à l’époque la notion est embrassée de façon technique, étroitement administrative. Aujourd’hui elle l’est de façon beaucoup plus large et variée, et nous essaierons de rendre compte de cette évolution et de refléter cet élargissement du champ.
Cependant on ne reprendra pas systématiquement ce qui a été fort bien fait par mes prédécesseurs pour l’économie et le Droit international, ou pour l’Opinion, même si bien sûr il y aura des recoupements.
Quant au dernier terme du titre, « la France », il est moins évident qu’il y a une génération. On se dit aujourd’hui Européen, ou citoyen du Monde. Certes, chacun est bien entendu libre de ses options philosophiques ou morales, mais le système international, qu’il soit plus ou moins multilatéral ou pas, reste interétatique. C’est le cas de l’ONU et des organismes qui en dépendent, c’est le cas de l’Union européenne pour tout ce qui n’est pas communautaire, et même pour le pilier communautaire les Etats ne disparaissent pas et certains ont fort bien assimilé les règles du jeu. Certes les Etats au sens moderne du terme n’ont pas toujours existé, et ils n’ont jamais recouvert la totalité des activités internationales et transnationales, mais ils ne sont pas près de quitter la scène.
Poser que la France a son rôle propre dans le monde n’est donc pas un archaïsme, même s’il est entendu que c’est de la France comme Etat que nous parlerons pour l’essentiel ; ses autres dimensions (historiques, culturelles, morales, sentimentales) ne seront évidemment pas ignorées, mais ne seront pas au cœur de nos propos…
En même temps on s’intéressera aussi, à travers quelques exemples, à l’image que nos partenaires peuvent avoir de notre action.
Le cycle de communications tentera de rendre compte des grandes tendances à long terme, structurelles, mais aussi de l’actualité, comme le Brexit et ses conséquences pour la France.
Et aussi de nos problèmes internes actuels, qui ne vont pas rester sans conséquence pour notre action extérieure, que ce soit pour des raisons budgétaires ou à cause d’éventuelles répercussions sur l’équilibre des pouvoirs et l’organisation de l’action publique.
On ne se contera pas de constater et décrire la situation présente, on essaiera de prévoir son évolution, et d’explorer des possibilités nouvelles ou alternatives.
En effet on peut considérer que la France a connu depuis 1945 deux modèles successifs d’action extérieure : celui de la Guerre froide, marqué par le choix de la solidarité occidentale mais aussi de l’indépendance nationale, de la construction européenne et de la substitution de la coopération avec le Tiers monde à l’ancienne politique impériale ; et le modèle de la période d’après 1990, avec une nouvelle étape de la construction européenne, un nouveau rôle dans le cadre atlantique et dans celui des Nations Unies, en particulier en vue de la promotion de causes universelles (droits de l’homme, environnement…) et l’acceptation de la mondialisation et de la dérégulation.
Mais la situation actuelle (réorientation de la politique américaine, montée de la Chine, résurgence de la Russie, problèmes de l’Union européenne et de la mondialisation) annonce sans doute une nouvelle phase de notre action extérieure.
Tandis que le modèle dit « expéditionnaire » de notre action militaire, tel qu’il s’est développé depuis la Guerre du Golfe, montre désormais ses limites.
Bien entendu chacun restera libre de ses opinions, nous sommes une Académie, dont les débats, souvent animés, parfois vifs, sont publics (et seront publiés). Mais nous pratiquons l’éthique de la responsabilité, nos remarques et propositions seront toujours faites « avec tact et dans un bon esprit ». C’est ainsi que notre Académie pourra, j’y compte bien, avec l’aide des intervenants et de vous tous, se rendre utile.