Jean-François Mattei : Épidémies et atteintes de l’environnement

Épidémies et atteintes de l’environnement sont liées !

Jean-François Mattei
Membre de l’Académie des sciences morales et politiques
Président de l’Académie de médecine

 

Le coronavirus nous rappelle à la réalité

Depuis quelques années, nourris des progrès incroyables d’une révolution scientifique inédite, nous échafaudions des projets à la mesure de nos ambitions. La génétique, l’intelligence artificielle, les algorithmes et bien d’autres techniques étaient convoqués. Nous discutions de l’homme augmenté que le génie moléculaire semblait mettre à notre portée, un homme amélioré dans ses performances et qualités, un homme inaltérable promis à l’immortalité. Nous imaginions déjà un posthumanisme annoncé, dans un monde réinventé, élargi à d’autres planètes enfin conquises. La Terre nous semblait trop étriquée, devenue presque un village dont on pouvait faire le tour en moins de trente-six heures. Un sentiment de puissance inégalé nous habitait.

Lorsque, venu d’Asie, un virus s’est posé en rival, encore plus ambitieux que nous. Le « corona virus » envahissait la planète, semant l’angoisse et le désarroi, provoquant d’innombrables malades et des morts par milliers. Désemparés, nous constations que nous étions démunis. Ni vaccin, ni traitement avéré à lui opposer. Pourtant, lors d’études sur le bioterrorisme, le risque de pandémie avait été identifié très en amont[1]. Puis, dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008, la notion de pandémie fait son apparition et sera répétée chaque année avec plus d’insistance[2]. Mais aucune suite n’a jamais été donnée aux préconisations suggérées, confirmant que la prévention et l’anticipation ne sont pas la priorité de notre système de santé[3]. Tout nous manquait donc pour livrer la bataille à l’exception de l’engagement sans faille des femmes et des hommes qui ont fait profession de lutter contre la maladie en toutes circonstances. Le corona virus nous rappelait à la réalité. Loin de la fierté de nos savoirs et de nos technologies, nous nous découvrions ignorants autant qu’impuissants, il nous fallait lutter à mains nues. Sous nos yeux, le monde se révélait différent et la mort menaçait.

 

Notre environnement blessé aurait dû nous alerter

A l’évidence, les atteintes à notre environnement auraient dû nous alerter sur les changements du monde. Mais nous n’avions pas voulu les voir et nous refusions d’y croire. Pourtant, la nature sauvage se repliait devant la croissance démographique. Le surgissement continu des mégapoles avec leurs prolongements routiers et les chantiers industriels entraînait des mouvements incessants de population. Les océans exprimaient leur mal-être devant l’afflux incontrôlé de nos déchets, la terre surexploitée paraissait épuisée autant que souillée. L’air devenait difficilement respirable au point que la pollution atmosphérique provoquait chaque année plus de morts que le virus[4]. Mais ces morts étaient plus discrets et moins spectaculaires. Quant au réchauffement climatique, beaucoup s’accordaient à penser qu’il serait temps d’aviser le moment venu car seul comptait l’instant présent. Même les canicules meurtrières ne modifiaient guère la voie tracée. Rien n’y faisait car la course en avant ne pouvait être freinée. Confiants dans notre intelligence, nous étions persuadés de trouver la parade quand ce serait nécessaire. Nous étions aveugles à cette promesse du soir, à cette fin annoncée.

Quelques esprits lucides avaient commencé d’alerter. Une jeune génération posait son regard effrayé sur le monde car il s’agissait de son avenir. Elle réalisa que son environnement était blessé, probablement condamné si l’alerte n’était pas comprise et si rien n’était entrepris dans les plus brefs délais. Ces lanceurs d’alertes s’évertuaient à crier l’urgence de la menace et réclamaient la mobilisation générale car l’enjeu était vital.

 

Liens entre pandémie et atteintes environnementales

Impossible de ne pas être saisi par les liens entre les menaces portées par les pandémies et les atteintes à notre environnement. L’histoire des épidémies et des pandémies démontre qu’elles résultent le plus souvent de la responsabilité de l’homme. En détruisant par leurs incursions répétées les écosystèmes jusque-là préservés, les humains sont allés au contact de la faune sauvage. Dans les faits, ces animaux,  à la fois réservoirs et transmetteurs de virus, sont à l’origine de la plupart des maladies infectieuses émergentes. Par exemple, les chauves-souris sont connues pour héberger quantité de virus, elles sont le réservoir des Corona virus et pour certaines du virus Ebola. La transmission à l’homme peut se faire de différentes façons. La civette fut identifiée comme le vecteur intermédiaire de l’épidémie du Syndrome Respiratoire Aigu Sévère (SRAS) en 2002-2003, le pangolin est soupçonné pour le Covid-19. Déjà le chimpanzé avait été mis en cause pour la transmission à l’homme du VIH-sida. Une importante population de virus circule en permanence et, un jour ou l’autre, elle se manifeste lorsque la transmission virale franchit la barrière des espèces du fait de contacts nouveaux entre humains et animaux. Les virus contaminent alors l’homme, s’y reproduisent et provoquent une maladie qui peut être très grave telle que le Covid-19. Des travaux existent depuis des années sur les agents pathogènes présents chez les animaux du monde entier et susceptibles de contaminer l’homme[5]. Ils ont montré que les transmissions inter-espèces sont deux à trois plus fréquentes qu’elles n’étaient il y a quarante ans, en raison de la plus grande proximité entre humains et animaux. De tels travaux soulignaient qu’une pandémie était prévisible mais n’ont pas suscité l’intérêt et les réactions nécessaires. C’est la mauvaise compréhension des menaces virales dans leur diversité qui explique que nous soyons démunis face aux maladies qu’elles provoquent. La responsabilité de l’homme ne s’arrête pas là car l’élevage d’animaux domestiques est aussi à l’origine de telles contaminations. L’explosion démographique a créé de nouveaux besoins alimentaires et suscité des conditions industrielles d’élevage d’animaux domestiques qui s’écartent des processus naturels et peuvent aussi provoquer des zoonoses transmissibles à l’homme. Par exemple, le virus H5N1 de la grippe aviaire survenant chez les volailles est pathogène pour l’homme et l’apparition d’une forme transmissible d’homme à homme serait la porte ouverte à une pandémie. De même, l’encéphalopathie spongiforme bovine provoquée par un prion a pu se transmettre à l’homme et provoquer un tableau neurologique grave[6]. Les zoonoses constituent donc un problème émergent dont les dangers n’ont pas été suffisamment perçus. Il serait temps de réaliser que désormais une épidémie, ou même une pandémie, survient environ tous les trois ans et qu’il faut s’y préparer. L’anticipation conditionne l’efficacité de la réaction.

Il en va de même avec le réchauffement climatique dont les effets sur la santé des humains sont évidents. Le « moustique tigre » (Aedes albopictus) responsable du chikungunya s’installe et se développe désormais dans le sud de l’Europe, tout comme les moustiques responsables du paludisme, de la dengue ou de Zika qui étendent leur présence à de nouvelles zones aux températures plus accueillantes[7].

A l’évidence les changements de notre environnement et les épidémies sont liés du fait de l’action de l’homme.

 

Il est urgent de retrouver sagesse et valeurs d’humanité

Les liens entre pandémies et atteintes de l’environnement devraient nous conduire à modifier notre façon de vivre en redéfinissant nos valeurs d’humanité. La première est à l’évidence la valeur de solidarité. Or, force est de constater qu’aucun dialogue mondial n’avait été engagé sur le danger pandémique quand il s’agit pourtant d’un événement mondial qu’il faut affronter ensemble. D’autant que si les épidémies frappent partout dans le monde, elles révèlent aussi des inégalités considérables entre les pays. Les systèmes de santé sont parfois fragiles et peuvent s’effondrer sous le choc comme l’a montré l’épidémie due au virus Ebola dans certains pays africains en 2014. Une chose est d’avoir un système de santé et une couverture sociale propre à chaque pays, mais il devrait en aller tout autrement lorsqu’il s’agit de définir une stratégie commune pour endiguer une pandémie car les bactéries comme les virus ne connaissent pas les frontières. Un signe encourageant serait le partage complet des données et expériences des pays touchés par le Covid-19 qui seul permettrait de tirer toutes les leçons ensemble. Chacun comprend que l’enjeu est vital.

Bien qu’il soit difficile de prédire l’avenir, certains affirment que rien ne sera plus jamais comme avant. De fait, ce pourrait être la fin de la pensée postmoderne fondée sur le temps présent et l’individualisme[8]. La préoccupation environnementale comme le danger pandémique pourraient inverser ces repères et nous conduire à nous engager tous ensemble dans une action durable au service d’objectifs communs. Il s’agit désormais d’une exigence d’humanité. Le respect de l’environnement dans lequel il vit conditionne la santé de l’homme et, pour une grande part, son bonheur de vivre. Il est grand temps de passer aux actes.

[1] Rapport du Professeur Didier Raoult sur le Bioterrorisme remis au Ministre de la Santé et à la Ministre de la Recherche le 17 juin 2003.

[2] Livre blanc de 2008 sur la défense et la sécurité : « … Sur les quinze années à venir, l’apparition d’une pandémie est plausible. Quelle qu’en soit l’origine (naturelle ou malveillante), le traitement de ses conséquences serait identique, du point de vue de la protection de la population. La cinétique d’une pandémie à forte contagion et à forte létalité s’étendrait sur une durée de quelques semaines à quelques mois, en plusieurs vagues, qui seraient elles-mêmes espacées. Par son ampleur, sa durée, son extension géographique, son caractère indiscriminé, une telle crise est de nature à remettre en cause le fonctionnement normal de la vie nationale et des institutions…/… Il comporte l’orientation du système de veille et d’alerte sanitaires, un effort continu de recherche, de développement et de production de produits de traitement, la planification de la vie nationale en situation de pandémie, la sensibilisation précoce de la population, la formation des intervenants et leur entraînement par des exercices, la constitution de stocks nationaux correspondant aux principaux risques sanitaires, enfin une contribution à l’action des agences internationales compétentes. En cas de déclenchement de la pandémie, il s’agit d’empêcher que la crise sanitaire ne dégénère en crise humanitaire, économique, sécuritaire, voire institutionnelle… ».

[3] Mattei JF., Santé, le grand bouleversement, éd. Les Liens qui Libèrent, 2020.

[4] Focus Environnement et Santé, la Documentation française (juin 2019), l’étude de « santé publique France » estime à 48 0000 par an  le nombre de décès prématurés liés à la pollution de l’air extérieur.

[5] Carroll D. et al., The Global Virome Project, Science, 2018, 359, 6378.

[6] Mattei JF. (rapporteur), De la « vache folle » à la « vache émissaire », Assemblée Nationale, rapport n° 3291, 1997.

[7] Wallace-Wells D., La Terre inhabitable, (trad. Leclère C.), Robert Laffont, 2019.

[8] Mendras H. et Duboys Fresney L. (coll), La Seconde Révolution française (1965-1984), Gallimard, collection Bibliothèque des Sciences humaines, 1988.

Télécharger l’article
Épidémies et atteintes de l’environnement sont liées !

A lire également,  un entretien avec Jean-François Mattei
Réflexions sur la crise sanitaire
11 avril 2020 – site de la Fondation Charles de Gaulle

 

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.