Jean-David Levitte : La pandémie en termes géopolitiques

Quels changements géopolitiques globaux
la crise du coronavirus va-t-elle provoquer ?

Jean-David Levitte
Diplomate, ambassadeur de France dignitaire
Membre de l’Académie des sciences morales et politiques

Quels changements géopolitiques globaux la crise du coronavirus va-t-elle provoquer ?

Deux mouvements, qui étaient déjà à l’œuvre avant la crise, vont s’amplifier.

Il y a d’abord la tendance à la « déglobalisation », provoquée par la prise de conscience d’une dépendance excessive à l’égard de la Chine, devenue en quatre décennies l’atelier du monde, et, dans une moindre mesure, de l’Inde. Dès son élection en 2016, le président Trump a tenté, sans grand succès jusqu’à présent, d’imposer le rapatriement vers les États-Unis d’unités de production installées dans les pays à bas coûts. Aujourd’hui, les dirigeants européens le rejoignent en souhaitant qu’un certain nombre de biens d’importance «stratégique » soient produits dans l’Union européenne. C’est vrai pour les médicaments et vise la Chine et l’Inde. Mais c’est également vrai pour l’immense secteur dont dépend en partie notre place dans la compétition mondiale : l’intelligence artificielle et les « datas », et vise à mettre fin, en l’occurrence, au duopole américano-chinois.

Deux données majeures limiteront ce mouvement de « déglobalisation » : la taille même des marchés chinois et indien, que les grands groupes occidentaux ne peuvent ignorer et où ils devront continuer à produire pour les 2,7 milliards de consommateurs locaux. Et les coûts de production en Occident, qui inciteront les investisseurs à rechercher des implantations proches, en Afrique pour l’Europe, en Amérique latine pour les États -Unis.

Et c’est là qu’intervient le deuxième phénomène majeur, accentué par la crise du coronavirus : la compétition entre Pékin et Washington pour le leadership mondial.

La Chine de Xi Jinping se sent assez forte aujourd’hui pour relever le défi. Elle affiche clairement sa volonté de devenir LE leader mondial, en lieu et place des États-Unis. En témoignent sa montée en puissance dans les organisations internationales boudées par Washington, sa politique systématique de mise sous tutelle économique, financière, et donc politique, d’un nombre croissant de pays asiatiques et africains, enfin sa prétention à se présenter en contre-modèle de gouvernement efficace face aux faiblesses des démocraties occidentales.

L’issue de cette compétition est bien moins certaine que la propagande chinoise ne voudrait le faire croire. D’abord parce que la Chine se heurte à des défis redoutables chez elle, à commencer par le vieillissement accéléré de sa population. Ensuite parce que la Chine, à la différence de l’Occident, n’a pas d’alliés. Elle n’a que des obligés, qui ressentent ses pressions, et quand ils le peuvent y résistent.

Tout va donc dépendre de la capacité des pays occidentaux à relever ensemble le défi chinois, à réinvestir les organisations internationales et à proposer aux pays en développement l’aide financière considérable dont la plupart auront besoin pour faire face aux conséquences économiques de la crise du coronavirus.

Dans ce contexte exceptionnel, les élections américaines du 3 novembre revêtent une importance historique. Sans attendre, il revient à l’Union européenne, et singulièrement au couple franco-allemand, de prendre l’initiative et d’élaborer une stratégie globale ambitieuse, comme en 1975 avec la création du G7 lors du sommet de Rambouillet à la suite du premier choc pétrolier, ou en 2008 avec la création du G20 lors du sommet de Washington pour faire face à la crise financière.

Le 23 avril 2020