Séance ordinaire du lundi 28 juin 2021 « Santé et Société », sous la présidence d’André Vacheron Président de l’Académie des sciences morales et politiques
L’arnaque en santé
Marc Gentilini Membre de l’Académie nationale de Médecine
Télécharger le diaporama support de la communication Télécharger le texte de la communication
1 – L’ARNAQUE
Le mot est récent : il vient de faire son entrée dans la neuvième édition du Dictionnaire de l’Académie Française (sur le point d’être finalisée)[1]. Mais la pratique est ancienne. De tout temps, des hommes ont travesti la réalité et cherché à tromper leurs semblables, pour le pouvoir, le profit ou la popularité. Y compris dans le domaine de la santé ! La duperie peut alors avoir des conséquences dramatiques pour le malade victime, et parfois pour toute la société. L’arnaque en santé remonte au moins aux premiers siècles de notre ère, avec l’apparition de la Thériaque, contrepoison « magique » à la composition abondante (des dizaines de principes actifs), fantaisiste (poudre de vipère, poudre de testicule de cerf…) et très variable, dont la préparation secrète a donné lieu à de multiples falsifications[2]. Durant des siècles, la faiblesse des connaissances scientifiques et médicales (Primo saignare, deinde purgare, postea clysterium donare, Purgon et Thomas Diafoirus) a constitué une porte ouverte à toutes les croyances et superstitions, de bonne ou de mauvaise foi. Dès le Moyen-Âge, une bulle papale désigna les chats noirs comme les serviteurs du diable et appela à leur extermination… favorisant ainsi la propagation des rats et celle de la peste qui ravagea le monde et décima l’Europe Aux XI et XIIe siècles, l’ergotisme, intoxication par ingestion d’alcaloïdes issus de l’ergot de seigle, feu interne ou mal des ardents, sans explication et sans traitement, entraîna un culte des Saints, dont Saint Antoine (feu Saint Antoine), qui se montra moins bénéfique qu’une bonne nutrition de pain de froment. Six cents ans plus tard, lors de la Révolution française, l’abbé Gilbert Soury, prêtre réfractaire, guérisseur réputé, incarcéré, guillotinable, fut libéré après avoir soigné un député révolutionnaire venu le consulter jusque dans sa cellule. Sa « tisane », « la Jouvence de l’Abbé Soury« , est toujours commercialisée, mais non remboursée par la sécurité sociale ! Avec les progrès exceptionnels de la science, de la recherche médicale et de la thérapeutique, le XXème siècle aurait dû marquer le triomphe de la médecine scientifique et la fin du charlatanisme. « Plus de progrès en 40 ans (de 1940 à 1980) qu’en 40 siècles » disait, avec raison, le Pr. Jean Bernard ; hélas, il n’en fut rien. Car les escrocs s’adaptent aux aspirations des hommes et aux nouveaux défis auxquels la médecine est confrontée. Quelques affaires retentissantes :- Alexandre Bogomoletz (1881-1946) invente, dans les années 1930, un « sérum antiréticulaire cytotoxique », l’Elixir de longue vie. Mais il mourut à 65 ans !
- Jean Solomidès (1911-1979) propose de soigner le cancer à l’aide des « physiatrons synthétiques », des produits à base de peroxydes dont l’un obtiendra une autorisation de mise sur le marché en 1952 avant d’être retiré… reconnu toxique et cancérigène.
- Mirko Beljanski (1923-1998), dans le même esprit, met au point et vend illégalement des tests censés détecter les agents cancérigènes ainsi que des produits prétendument efficaces contre le cancer et le sida (le RLB, Remonte Leucocyte Beljanski). Poursuivi à plusieurs reprises pour exercice illégal de la pharmacie, il trompera jusqu’au Président de la République.
- Maurice Mességué (1921-2017), surnommé « le Pape des plantes », guérisseur auto-proclamé, sera lui aussi poursuivi à de nombreuses reprises pour exercice illégal de la médecine, mais jamais condamné. Devançant la mode actuelle du retour au naturel, prônant le soin par les plantes, il avait acquis une importante notoriété en « traitant » les maux de personnalités.
- Andrew Wakefield, chirurgien britannique, publia en 1998 dans la revue The Lancet une étude frauduleuse établissant un lien entre l’administration du vaccin ROR (conférant une protection contre la Rougeole, les Oreillons et la Rubéole) et l’autisme. La panique, alimentée par une scandaleuse couverture médiatique, provoqua une chute de la couverture vaccinale en Angleterre pendant au moins dix ans. Le Dr Wakefield avait été engagé (et largement rétribué !) par un avocat britannique qui souhaitait intenter une action en justice collective contre les fabricants du ROR. Par cupidité, Wakefield a profondément entamé la confiance dans la vaccination et contribué à la résurgence de la rougeole, qui a tué plus de 200 000 personnes (principalement des enfants de moins de 5 ans) dans le monde en 2019[3]. L’étude falsifiée n’a été retirée par The Lancet qu’en 2010, douze ans après sa publication, et l’imposteur bénéficie toujours du soutien de personnes totalement incompétentes en vaccinologie mais influentes (une députée européenne, Michèle R., un acteur américain, Jim C., et jusqu’au Président Donald Trump).
II – Les thérapies alternatives, « médecines parallèles » : nouvel eldorado de l’arnaque
Depuis une dizaine d’années, l’arnaque connaît un nouvel essor sous les atours des pratiques dites parallèles, ou douces, rejetant la médecine scientifique qualifiée « d’occidentale ». S’autoproclamant « thérapies », elles ne reposent sur aucune base scientifique. Souvent teintés d’ésotérisme, fantaisistes, leurs intitulés constituent déjà, pour certaines, tout un programme : auriculothérapie, iridologie, kinésiologie, reiki, fleurs de Bach, électromagnétisme… D’autres sont l’objet de débats polémiques : naturopathie, sophrologie… Sans oublier l’ancestrale, millénaire et mystique « médecine traditionnelle chinoise » ! Au mépris des connaissances scientifiques, n’ayant jamais apporté la preuve de son efficacité, elle bénéficie d’une aura magique, exacerbée par la tendance à la critique systématique de « l’occident », la persistance d’un certain romantisme oriental… et renforcée par la propagande agressive de la Chine. En 1911 pourtant, après la chute de la dynastie Qing, la médecine traditionnelle chinoise, considérée comme une supercherie, fut interdite et sa pratique connut un net déclin[4]. Elle ne fut rétablie qu’en 1949 par la Chine communiste de Mao, en raison du manque de ressources pour soigner l’ensemble de la population par la médecine moderne scientifique, et devint un instrument au service de la promotion idéologique de la Chine. Quant à l’homéopathie, son effet placebo peut être un recours, mais la preuve de l’inefficacité des dilutions infinitésimales a été maintes fois démontrée. Et lorsque l’on laisse entendre que l’oscillococcinum est un vaccin, lorsque les homéopathes sans frontières[5] font l’apologie de l’homéopathie en Afrique dans le traitement des pathologies les plus graves (sida, paludisme, diarrhées infectieuses du nourrisson…)[6], il s’agit là, d’une indécente et honteuse tromperie ! Ces pratiques sont-elles toutes condamnables ? Elles apportent parfois un sentiment de bien-être, mais si celui-ci est monnayé contre un mensonge (« correction de l’équilibre énergétique », « rétablissement des flux d’énergie », « de la bonne circulation de l’énergie entre les deux pôles et les cinq éléments fondamentaux : le yin, le yang, le feu, le bois, la terre, l’eau, le métal »), est-ce moralement acceptable ? N’y a-t-il pas abus de confiance ? Sans être toujours dangereuses en elles-mêmes, elles peuvent en outre détourner les malades de la médecine scientifique, retarder le diagnostic d’une pathologie ou la prise en charge de symptômes sérieux ou évolutifs.III – Les différents types d’arnaques
- Un chef de service d’un hôpital parisien, infectiologue de surcroît, menait depuis plusieurs années une croisade pour la reconnaissance d’une prétendue « forme chronique de la maladie de Lyme »[7]. Dans l’incapacité d’appuyer scientifiquement ses dires, il utilisait des manipulations polémiques pour imposer son point de vue[8]: remise en cause des résultats scientifiques, accusations de corruption envers les autorités sanitaires, recours à l’opinion publique comme moyen de pression, dénonciation d’un complot… Ce Professeur de médecine et les réseaux associatifs sur lesquels il s’appuyait faisaient même la promotion de tests de diagnostic non validés, revenant toujours positifs d’un laboratoire allemand vers lequel on orientait les patients angoissés. En outre, il prescrivait, en dehors de toute recommandation officielle, des cures d’antibiothérapie à long terme et à fortes doses compromettant gravement la santé les malades dupés. Plus tard, ses prises de positions violentes et conspirationnistes dans le cadre de la Covid-19 lui valurent enfin d’être démis de ses fonctions de chef de service.
- Un prix Nobel de Médecine et un chirurgien cancérologue médiatique, eux, ont paniqué les jeunes parents et alimentent la défiance autour de la vaccination par des discours qui relèvent d’une scandaleuse imposture : ils se disent pour les vaccins, mais ne cessent de les mettre doute[9], en jetant le trouble sur les adjuvants[10], en laissant entendre un lien avec la mort subite du nourrisson[11]…sans aucun argument scientifique pour étayer leurs propos ! Et il ne s’agit pas d’une dérive isolée, tous deux sont récidivistes. Ce lauréat du prix Nobel de Médecine a notamment défendu la « piste microbienne » de l’autisme et l’intérêt des traitements antibiotiques contre cette pathologie[12], la mémoire de l’eau[13]…et proposé au Pape Jean-Paul II un traitement à base de gélules de papaye fermentée pour soigner sa maladie de Parkinson[14]. Son acolyte cancérologue, outre ses multiples pétitions semant le doute sur la vaccination[15], s’est une nouvelle fois compromis en 2019 lors d’un essai clinique illégal mené dans une abbaye près de Poitiers avec un pharmacien, ancien professeur des universités. Celui-ci explique sur un ton mystique, digne des gourous, qu’il avait « compris que le système Veille-Sommeil [lui] avait été révélé pour soigner les nombreux malades souffrant de dysfonctionnements de ce système » ; que la valentonine (la molécule objet de l’essai sauvage) « [lui est] apparue en quelques secondes, alors [qu’il se trouvait] dans des circonstances exceptionnelles. J’étais sans doute la bonne personne au bon moment (…), dans ma petitesse d’homme de foi aimant et écoutant Dieu, fort de mes connaissances dans des domaines aussi variés que la chimie, les sciences pharmaceutiques et médicales »[16].
4 – Arnaqueurs et victimes de l’arnaque
Les arnaqueurs sont des imposteurs, des escrocs et des criminels en tous genres : – organisés ou non (en associations, fédérations…) ; – dotés d’une formation scientifique ou non ; – dogmatiques, conspirationnistes ou simplement opportunistes. Ils partagent, dans tous les cas, les mêmes objectifs : – Argent – Audience médiatique, vedettariat : gourous, chercheurs en mal de reconnaissance… Ils s’enrichissent souvent au détriment de la santé des malades, profitant de leur détresse et de leur crédulité. Les arnaqués sont des : – malades victimes de malheur social ou de détresse psychologique ; – malades désespérés, souffrant d’une pathologie incurable, prêts à tout dans l’espoir de guérir ; – malades en errance diagnostique, dont la médecine scientifique ne parvient pas à apaiser les souffrances ; – personnes psychologiquement vulnérables, en perte de repères ; – conspirationnistes acharnés ; – partisans du « retour au naturel», mode « bio », agitant une défiance envers la médecine « officielle » et rejetant les médicaments dits « chimiques ». Dans le cas des faux médicaments, les principales victimes sont les malades les plus démunis, qui n’ont pas les moyens de se soigner avec des médicaments authentiques. Le trafic de faux médicaments est un double crime : crime contre la santé et crime contre la société, car il frappe les plus pauvres parmi les malades.5 – Les outils de l’arnaque
Depuis une quinzaine d’années, l’essor d’Internet, des réseaux sociaux et, pour une part, de chaînes d’information continue, a donné aux escrocs, charlatans, conspirationnistes et illuminés une tribune pour diffuser leurs idées et leurs arnaques auprès d’une large audience de victimes potentielles. Internet constitue également un artifice efficace pour ces malfaiteurs en quête de respectabilité : ils y créent (à l’aide d’un site Internet, d’une chaîne de vidéos en ligne…) un environnement d’apparence institutionnelle, affichant ostensiblement (sur Internet mais aussi dans leurs « cabinets » !) de faux diplômes, médailles, chartes ou codes de déontologie, ainsi que les témoignages (falsifiés ?) de personnes qu’ils ont « sauvées », « guéries »…dans le but d’attirer et tromper de nouvelles victimes. En l’absence de certification officielle, le pouvoir de maints guérisseurs est en effet fondé sur la confiance et la reconnaissance sociale. Dans le champ des médecines parallèles/alternatives (auriculothérapie, iridologie, kinésiologie, reiki…), la mise en exergue d’un lien avec la tradition, le sacré, la magie est également importante pour asseoir la crédibilité du faussaire, qui ne peut l’être avec un diplôme. L’idée de don inné est très souvent présente, couplée à celle de la transmission de savoirs et savoir-faire « secrets ». Une certaine religiosité s’inscrit sournoisement dans nombre de médecines parallèles. Exploitant le désespoir et le mal-être des malades, de nombreuses pseudo-psychothérapies alternatives sont proposées en groupe, en séances collectives, s’apparentant plus ou moins à un culte. Les imposteurs comblent un manque, une demande inavouée des malades, en transférant le problème initial dans la sphère collective. La souffrance n’est pas guérie mais déplacée, et les malades deviennent « dépendants » des guérisseurs, « qui les aiment et les protègent »[17]. L’arnaque en Santé se rapproche ainsi parfois des dérives sectaires. Le rapport de la Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires (Miviludes) portant sur l’année 2016 et le premier semestre 2017 constate d’ailleurs « une très nette augmentation » des inquiétudes et signalements au sujet des médecines complémentaires et alternatives (Santé, bien-être, développement personnel) sur cette période. Dans un autre registre, les arnaqueurs vont jusqu’à créer des structures présentées comme des fédérations scientifiques, composées « des plus grands experts indépendants », afin d’émettre des recommandations de prise en charge et donner un crédit « scientifique » à leurs allégations (c’est le cas notamment de l’ILADS, société internationale de la maladie de Lyme et des maladies associées, une association américaine demandant la reconnaissance d’une forme chronique de la maladie de Lyme et dénonçant le consensus scientifique et toutes les institutions compétentes).6 – Racines de l’arnaque et du rejet de la médecine scientifique
Les truands profitent de la défiance généralisée et de la confusion d’une société perfusée à l’information sensationnaliste en continu, où l’émotion et l’immédiat ont triomphé de la raison et de la réflexion. L’adhésion de l’opinion publique aux théories du complot est préoccupante. Ce conspirationnisme malsain naît en partie des carences de l’éducation, en particulier dans le domaine scientifique :- Exemple du sida : selon un sondage réalisé en 2018, 21% des 15-24 ans croient que le virus VIH peut se transmettre par les baisers ; 26% considèrent que l’on peut guérir du Sida ; 19% pensent que la pilule du lendemain peut empêcher la transmission du virus[18].
7 – Opportunisme et cynisme des arnaqueurs
Quel que soit le type d’arnaque, l’opportunisme et la réactivité sont deux des caractéristiques majeures des escrocs. Leur objectif est de profiter de toutes les situations de vulnérabilité pour s’enrichir au détriment des malades. Au mois de novembre 2015 par exemple, en réaction aux attentats de Paris, les offres de « (psycho-)thérapie contre la terreur » ont explosé. Les trafiquants de faux médicaments, eux, mettent à profit les ruptures de stock et le développement d’épidémies pour diffuser leurs produits mortifères : – Faux antirétroviraux en Afrique lors des ruptures d’approvisionnement ; – Faux médicaments contre la peste, à Madagascar, pendant l’épidémie de 2017 ; – Faux vaccins contre la rage, aux Philippines, en 2019, lors d’une pénurie de vaccins antirabiques authentiques ; – Faux vaccins antiméningococciques au Niger, chaque année, lors des flambées épidémiques de méningite cérébro-spinale à méningocoque. En réunissant tous les facteurs propices à l’apparition des trafics (pénurie de matériel de protection, absence de traitement, peur panique de la contagion, propositions thérapeutiques abondamment relayées dans les médias avant évaluation scientifique…), la pandémie de Covid-19 a constitué une aubaine pour les criminels. Après avoir falsifié les masques chirurgicaux, les tests de dépistage et les propositions thérapeutiques (hydroxychloroquine, ivermectine…), ils s’attaquent aux vaccins depuis le début de l’année 2021. De faux vaccins ont notamment été administrés à des milliers de personnes en Amérique Latine[20].- Les tisanes de feuilles séchées d’Artemisia : une arnaque prétendant lutter contre le paludisme
