Séance du lundi 6 mars 2000
par M. Renaud Denoix de Saint-Marc
L’apparition du secrétaire général du gouvernement est, de façon naturelle, liée au développement progressif de la fonction de chef de gouvernement d’un régime parlementaire sous la IIIème République.
On sait que les lois constitutionnelles de 1875 n’avaient pas reconnu la fonction de chef du gouvernement mais que le président du Conseil, s’il n’est pas, comme l’avait déclaré Poincaré en 1920, ” le produit d’une génération spontanée “, est le fruit de la nécessité. Nécessité d’assurer la coordination d’un gouvernement collégial, dont le chef n’est que le ” primus inter pares ” nécessité de gouverner d’une main ferme pendant la guerre puis dans les années de l’après-guerre.
Il apparut vite en effet, en ces temps difficiles, que le chef du gouvernement ne pouvait se contenter, pour exercer ses fonctions de président du Conseil, de la seule logistique du ministre dont il assurait la responsabilité. Dans un rapport à la Chambre des députés, en 1917, Louis Marin appelait de ses voeux un ” organe d’enregistrement et de transmission, de rappel et de sanction ” des décisions du Conseil des ministres.
L’année suivante, une autre voix, celle de Léon Blum, s’élevait dans les ” Lettres sur la réforme de l’État ” pour demander de ” conférer à la présidence du Conseil, en matière d’administration et de législation générale, des pouvoirs analogues à ceux que le ministre des finances s’est acquis par une longue et heureuse suite d’usurpations sur tout ce qui touche les dépenses publiques “.
Ces deux plaidoyers nous semblent aujourd’hui prôner l’évidence. Pourtant, il fallut attendre la loi de finances pour 1935 pour voir apparaître l’embryon de ce qu’est l’actuel secrétariat général du gouvernement. C’est qu’à la vérité, les tenants de la réforme se heurtaient à la réticence et du Parlement, hostile à ce qui pouvait apparaître comme un renforcement de l’exécutif face aux Chambres, et du personnel ministériel, peu enclin à voir conforter le rôle de celui qui n’était pas leur chef selon les lois constitutionnelles de 1875. C’est donc seulement à la fin de 1934 que la loi de finances fixa les conditions dans lesquelles ” les crédits et le personnel nécessaires au fonctionnement du secrétariat général de la présidence du Conseil ” devaient être mis à la disposition de celle-ci.
Mais le secrétariat général du gouvernement devait encore assurer sa stabilité et sa neutralité de service administratif, deux caractéristiques liées l’une à l’autre. Jusqu’à la deuxième guerre mondiale, en effet, les membres du secrétariat général de la présidence du Conseil devaient jouir de la confiance du gouvernement en place et les premiers secrétaires généraux ne restèrent pas longtemps en fonction.
Stabilité et neutralité ne furent acquises qu’après la seconde guerre mondiale. La fonction fut rétablie par le gouvernement provisoire de la République française au profit de Louis Joxe. Le secrétariat général du gouvernement fut véritablement organisé avec la mise en place des institutions de la IVème République qui, entre autres traits, officialisait la fonction de chef de gouvernement avec le Président du Conseil.
Depuis lors, sept secrétaires généraux du gouvernement se sont succédés, tous issus du Conseil d’État : André Ségalat, M. Roger Belin, M. Jean Donnedieu de Vabres, M. Marceau Long, M. Jacques Fournier, votre serviteur, et M. Jean-Marc Sauvé qui assure aujourd’hui la responsabilité de cet emploi.
On peut caractériser la fonction du secrétaire général du gouvernement en disant qu’il est chargé de veiller à la bonne marche du processus décisionnel de l’exécutif et, plus généralement, le bon fonctionnement de la ” primature ” pour reprendre l’expression forgée par le président Senghor.
Pour la clarté de l’exposé, je distinguerai dans la fonction du secrétaire général du gouvernement trois aspects, en y consacrant des développements d’une longueur inégale : le secrétaire général du gouvernement dirige les services rattachés au Premier ministre ; il seconde le Premier ministre dans l’organisation du travail gouvernemental ; il assiste le Premier ministre dans ses relations avec les autres organes constitutionnels.I – Le secrétaire général du gouvernement dirige les services rattachés au Premier ministre.
Ce n’est sans doute pas là l’essentiel de ses fonctions ni la plus passionnante de ses tâches. Mais celle-ci n’en est pas moins essentielle en pratique.
1. Le secrétaire général du gouvernement assure la logistique du Premier ministre. A ce titre, il prépare et exécute le budget de ses services. Il gère les immeubles qui lui sont affectés, à commencer bien sûr par l’hôtel de Matignon. Il recrute et gère le personnel ; il est responsable des marchés de travaux et de fournitures. Cette fonction logistique s’étend, le cas échéant, aux ministres délégués et secrétaires d’État rattachés directement au Premier ministre.
2. Le secrétaire général du gouvernement exerce son autorité sur les directions ou services qui lui sont directement rattachés : la direction des Journaux officiels, la direction de la Documentation française, le service juridique et technique de l’information et de la communication, en particulier. Il gère plus qu’il ne dirige le Service d’information du gouvernement qui, en raison de son activité, est directement piloté par le cabinet du Premier ministre. Quant à la direction générale de l’administration et de la fonction publique, elle est mise à la disposition d’un membre du gouvernement et échappe donc toujours à l’autorité du secrétaire général du gouvernement.
Ce dernier prend aussi en charge un grand nombre d’organismes de nature diverse qui, en vertu d’une force centripète parfois mal venue, viennent s’agglutiner autour du Premier ministre. La liste en est longue et hétérogène ; c’est pourquoi il est difficile d’en dresser une typologie. On y trouve des organismes consultatifs, comme la commission nationale consultative des droits de l’Homme, une autorité administrative indépendante, telle la commission d’accès aux documents administratifs, des cellules d’impulsion et de coordination comme le comité interministériel de la sécurité nucléaire, la commission pour la simplification des formalités administratives, la commission supérieure de codification, des organismes constitués pour aider au règlement de problèmes importants, tels que l’observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, la mission interministérielle de lutte contre les sectes, la mission d’étude sur les spoliations durant l’occupation des biens appartenant aux juifs résidant en France. Mais cette liste est loin d’être exhaustive.
Dans l’exercice de cette mission, le secrétaire général du gouvernement est secondé par un directeur placé auprès de lui et par un directeur des services administratifs et financiers. Mais, il n’en demeure pas moins que rares sont les semaines où le secrétaire général n’a pas à régler un problème touchant directement à cette première fonction.
3. Deux observations pour en terminer avec ce premier point. Tout d’abord, à Matignon, les tâches du Cabinet, c’est-à-dire le conseil politique au profit du chef du gouvernement et la gestion administrative des services sont nettement séparées. Le cabinet n’a pas à interférer dans ces dernières et peut consacrer tout son temps et tous ses soins à sa véritable mission. Le membre du cabinet qui voudrait s’immiscer dans les attributions du secrétaire général du gouvernement serait rapidement et énergiquement rappelé à l’ordre. J’ai eu quelques occasions de le faire.
En second lieu, le secrétaire général doit sans cesse lutter contre les forces centripètes qui tendent à agglutiner autour du Premier ministre les missions les plus hétéroclites. Bien des personnes chargées d’une mission particulière cherchent avec obstination à être rattachées au Premier ministre, croyant pouvoir profiter de l’autorité et donc de l’efficacité qui en procèdent. Mais ces croyances sont souvent illusoires et ni Matignon ni les ” missionnaires ” ne tirent vraiment profit de ce rattachement. De façon périodique, il faut proposer la suppression ou le rattachement à un ministre déterminé de telle ou telle cellule administrative dont la présence auprès du Premier ministre n’est plus justifiée. Il n’est pas toujours facile d’obtenir cette dissolution ou ce départ.Il – Le secrétaire général du gouvernement seconde le Premier ministre dans l’organisation du travail gouvernemental.
Il n’est pas inutile de s’étendre sur le fait que la Constitution de 1958 a renforcé le rôle dévolu au gouvernement et affirmé la prééminence du Premier ministre sur ses ministres. Rappelons seulement ici, sans les citer, les termes des articles 20 et 21 de la Constitution.
Ainsi si le gouvernement, de type parlementaire, est un organe collégial et si les ministres participent aux Conseils où se décident les grandes orientations de la politique du pays ainsi qu’au pouvoir réglementaire par le contreseing, le Premier ministre est doté d’un rôle de direction et d’impulsion.
Pour caractériser le rôle du secrétaire général du gouvernement auprès du Premier ministre en ce domaine, on peut dire qu’il dispose des instruments de l’organisation du travail gouvernemental et qu’il assure un rôle de veille constitutionnelle.
L’organisation du travail du gouvernement commence par la distribution des tâches.
Il s’agit de la rédaction des décrets d’attribution des ministres et des décrets de délégation des ministres délégués et des secrétaires d’État. Au moment de la constitution du gouvernement, c’est là un travail à la fois urgent et délicat. Les premiers sont des décrets en Conseil d’État délibérés en Conseil des ministres. Ils définissent des pouvoirs de façon impersonnelle et peuvent subsister lorsque change leur titulaire. C’est d’ailleurs le cas pour les ministres les plus stables qui sont les plus ” régaliens “, tels la Défense ou la Justice. Les seconds sont personnels et doivent être modifiés lorsque changent le délégant ou le délégataire.
L’organisation du travail gouvernemental comprend, en second lieu, l’adoption d’un programme de travail du gouvernement. Il s’agit d’un document contenant les orientations principales du gouvernement, domaine par domaine, pour le semestre à venir. C’est un instrument de planification souple, indicative, de l’activité législative. Le programme de travail du gouvernement est en usage depuis 1974. A l’origine, il prenait la forme d’une directive présidentielle publiée. De 1981 à 1984, il était adopté en Conseil des ministres, mais non publié. Depuis lors, il constitue un document d’ordre interne au gouvernement. Il est élaboré de la façon suivante : les sujets sont proposés par les ministres ; ils sont rassemblés par le secrétariat général du gouvernement qui tente de leur donner une forme homogène, rationnelle, et un contenu plausible compte tenu des contraintes de l’ordre du jour du Parlement ; l’ensemble est soumis à la décision du Premier ministre, car il faut que ce programme reflète les engagements politiques résultant de la campagne électorale et de la déclaration de politique générale, tienne compte des urgences et notamment des contraintes communautaires, évite les pièges politiques et ne puisse être critiqué pour ses ambitions excessives.
Organiser le travail gouvernemental, c’est, en troisième lieu, assurer le secrétariat des réunions et comités interministériels. Aucune décision gouvernementale importante ne peut être prise sans avoir été délibérée par les ministres intéressés. C’est là la conséquence naturelle du caractère collégial du gouvernement. Quand un ministre décide d’une réforme, il doit obtenir l’accord des autres ministres intéressés avant de soumettre son projet au Premier ministre. Mais la procédure qui consiste à mener plusieurs négociations bilatérales est lente. Aussi, tend à s’y substituer la pratique de la délibération interministérielle Matignon. Est dénommée ” réunion interministérielle ” la réunion organisée au niveau des collaborateurs de ministres. Est dénommée ” réunion de ministres ” celle, plus importante en raison des enjeux en cours ou de la difficulté de l’arbitrage à rendre, qui réunit des membres du gouvernement autour du Premier ministre. On réserve la dénomination de comité interministériel aux formations interministérielles organisées par un décret réglementaire qui en fixe la composition, par exemple le comité interministériel d’aménagement et de développement du territoire. Les réunions interministérielles sont convoquées par le secrétaire général. Y assiste l’un de ses collaborateurs qui en établit le compte-rendu qui comporte en conclusion le relevé des décisions prises. Après accord du cabinet du Premier ministre, le compte-rendu, établi sur papier bleu, est diffusé par le secrétariat général du gouvernement aux ministres intéressés. Le secrétariat général du gouvernement conserve les dossiers des réunions, Mémoire des délibérations interministérielles, il est, à cet égard, le greffier de l’État.
A titre indicatif, en 1998, il a été tenu 1283 réunions interministérielles, 9 comités interministériels et 52 réunions de ministres. D’une façon générale, la tendance est l’accroissement du nombre des réunions interministérielles.
L’organisation du travail gouvernemental comprend enfin la formalisation des décisions. C’est le secrétaire général du gouvernement qui soumet à la signature du Premier ministre les projets de décret après avoir vérifié que les contreseings nécessaires ont été donnés ou, en cas d’urgence, après avoir pris le soin de les recueillir lui-même. Enfin, le secrétariat général assure la publication des textes au Journal officiel.
La fonction qui vient d’être décrite peut sembler très formelle et procédurale.
S’il l’on s’en tenait là, on ne retiendrait qu’une impression fausse du rôle réel du secrétaire général du gouvernement. Ces règles de procédure sont nécessaires à la bonne prise de décision. Mais elles sont également nécessaires pour permettre d’assurer le contrôle de la pertinence juridique des décisions à prendre.
En ce domaine, la responsabilité du secrétaire général est primordiale. Il est le conseiller juridique du Premier ministre et assure une veille permanente pour assurer le respect du droit, en particulier des règles constitutionnelles. Deux questions essentielles, au moins, se posent en permanence : celle du respect des domaines respectifs de la loi et du règlement, et celle du respect par la loi de la Constitution et des principes fondamentaux à valeur constitutionnelle, d’une part, des traités et engagements internationaux, d’autre part.
Il s’y ajoute, de plus en plus souvent, l’obligation de veiller à l’entrée en vigueur effective des lois en hâtant la publication des décrets d’application, ce qui implique une pression constante sur les administrations. La Constitution, on le sait, définit le domaine de la loi en plusieurs de ses dispositions, mais essentiellement en son article 34. Toutes les matières qui ne relèvent pas du domaine de la loi sont de la compétence du gouvernement. Certes, on le sait aussi, ces dispositions fondamentales de la Constitution ont subi une considérable érosion, du fait de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel et du Conseil d’État, du fait aussi de la pratique parlementaire. Il faut toutefois veiller à ce que les projets de loi ne soient pas trop prolixes en détails qui trouveront opportunément leur place dans les décrets d’application à venir. Mais il faut aussi que le projet de loi puise toute la matière législative et il est moins facile de déceler les lacunes d’un projet de loi que ses débordements dans le domaine réglementaire.
La veille juridique porte aussi bien entendu sur le respect de la Constitution et des principes fondamentaux à valeur constitutionnelle, sur celui des engagements internationaux de la France, en particulier de ses obligations européennes. Pour l’exercice de cette mission, le secrétaire général du gouvernement peut compter, non seulement sur ses collaborateurs directs, mais aussi sur la direction des affaires juridiques du ministre des affaires étrangères, le SGCI et, bien sûr, sur le Conseil d’État. Je reviendrai sur ce dernier point dans quelques instants.
Ce sont quelques règles non écrites de bonne administration, de bon sens qui président à l’organisation du travail interministériel au sein du gouvernement lui-même.
Mais il faut tenir la main à leur respect. La hâte, la précipitation sont sans doute mauvaises conseillères. Une coordination interministérielle insuffisante conduit à des malfaçons ou à des difficultés politiques. Mais, aujourd’hui, la tendance contre laquelle il faut le plus lutter est celle de la lenteur et de la lourdeur du processus décisionnel.III – Le secrétaire général du gouvernement assiste le Premier ministre dans ses relations avec les autres organes constitutionnels.
Cet aspect essentiel des fonctions du secrétaire général peut être décrit en distinguant, d’une part, les relations entre le Premier ministre et le Président de la République et, d’autre part, les rapports du chef du gouvernement avec les institutions extérieures à l’exécutif.
1. Les relations entre le Président de la République et le Premier ministre sont, au premier chef, des relations politiques, de nature profondément différente selon que notre pays connaît ou non une situation de ” cohabitation “. Il n’est pas besoin d’insister sur ce point et le secrétaire général du gouvernement ne prend aucune part à ce dialogue. Cette réserve est d’ailleurs indispensable à l’exercice serein de sa fonction et au crédit des avis et propositions qu’il est amené à formuler dans l’exercice de sa compétence, juridique et administrative.
Le rôle du secrétaire général du gouvernement n’est donc pas fondamentalement bouleversé par le changement profond des relations politiques entre le chef de l’État et le chef du gouvernement selon la conjoncture politique. Tout au plus, peut-on considérer qu’il est plus attentif, en période de cohabitation, au respect rigoureux des procédures.
A ce titre, le rôle du secrétaire général est primordial dans la préparation et la tenue des Conseils des ministres. L’ordre du jour du Conseil est préparé par le secrétaire général du gouvernement sur la base du programme de travail du gouvernement. La proposition d’ordre du jour est présentée par ses soins au Président de la République, en général au cours d’une audience que celui-ci lui accorde le lundi après-midi. C’est l’occasion pour le Président d’obtenir des précisions sur l’économie des projets de loi qui vont être examinés et sur les propositions de nominations prévues. Presque toujours, les propositions qui figurent à l’ordre du jour ont fait l’objet d’entretiens préalables entre l’hôtel Matignon et le secrétariat général de la Présidence et le Président a été informé de l’objet et de la signification des mesures proposées. Telle a toujours été la règle, même au cours des périodes de cohabitation. Enfin le Président arrête l’ordre du jour. Le plus souvent, il approuve l’inscription des projets de loi (partie A) et des communications des membres du gouvernement (partie C), même en période de cohabitation. En revanche, il n’est pas rare, et pas seulement en période de cohabitation, que le Président refuse une proposition de nomination ou décide de différer l’examen jusqu’à plus amples informations. L’ordre du jour, une fois arrêté, est diffusé aux ministres le mardi soir, par le secrétaire général, avec les documents nécessaires à l’examen des parties A et C. La partie B (nominations) n’est diffusée qu’à l’occasion du Conseil lui-même. Le mercredi matin, le secrétaire général du gouvernement met au point avec le secrétaire général de l’Élysée le projet de communiqué qui sera publié à l’issue du Conseil.
Le Conseil se tient dans le salon Murat, au rez-de-chaussée de l’Élysée, selon un protocole à peu près immuable qui a été souvent décrit. Le secrétaire général du gouvernement prend des notes aussi exhaustives que possible qui lui serviront à établir deux documents : un compte-rendu retraçant les propos tenus ; un relevé des décisions prises. Le premier document ne fait l’objet d’aucune diffusion. Il est conservé dans les archives du secrétariat général. On pourra toujours s’y référer pour vérifier la teneur d’un propos. Le second, après avoir été approuvé par le Président, est établi en deux exemplaires, l’un conservé à l’Élysée, l’autre à Matignon.
Le Conseil des ministres n’est pas une instance de décision et ses délibérations sont, par elles-mêmes, sans effet juridique. Ce n’est même pas un lieu de débat où s’élaborerait, semaine après semaine, la politique du gouvernement, où les désaccords entre ministres seraient exposés avant d’être arbitrés sur le siège par le Président. Mais l’importance du Conseil des ministres n’en doit pas pour autant être sous-estimée. Il est le point de passage constitutionnellement obligé pour un grand nombre de décisions gouvernementales. En outre, la tenue hebdomadaire d’un Conseil oblige le gouvernement à une grande rigueur dans la préparation de ces décisions. Cette contrainte pèse sur les travaux à exécuter en amont et incite à la rapidité et à la discipline. L’échéance hebdomadaire du Conseil est l’aiguillon qui pousse en avant la machine gouvernementale.
On appelle conseils restreints les réunions provoquées par le Président de la République et présidées par lui sur un sujet qu’il désire évoquer. Les conseils restreints n’ont pas de statut officiel et, par suite, leur composition n’est pas prévue par un texte. Un conseil restreint rassemble le Premier ministre, les ministres compétents mais aussi de hauts fonctionnaires. Ils font souvent au préalable l’objet de réunions préparatoires. Le secrétaire général y assiste. Il en établit un relevé de décisions soumis à l’approbation du Président de la République.
Le Général de Gaulle a fait un large usage de cette procédure, au gré des circonstances et sur les sujets les plus divers. Ses successeurs ont usé de la même formule, avec le même pragmatisme mais avec peut-être une moindre fréquence. En période de cohabitation, seules les matières où le Président peut se prévaloir de prérogatives constitutionnelles donnent lieu à conseils restreints.
2. Le gouvernement entretient, bien sûr, des relations avec les autres institutions de l’État. C’est encore le secrétaire général du gouvernement qui met en marche les procédures. On ne retiendra ici que les rapports avec le Conseil d’État, le Parlement et le Conseil Constitutionnel.
Le Conseil d’État doit être consulté sur tous les projets de loi et d’ordonnances. Le secrétaire général a en ce domaine le monopole de la saisine du Conseil. Il est représenté tout au long de la procédure consultative et co-préside avec un membre du cabinet du Premier ministre la réunion où est mis au point le projet de loi, au vu de l’avis du Conseil. S’il n’a pas le monopole de la saisine du Conseil en matière réglementaire, il règle les difficultés qui peuvent naître des divergences entre le Conseil et le gouvernement. Enfin, il doit être avisé à l’avance de la teneur des demandes d’avis dont les ministres entendent saisir le Conseil d’État.
Les relations avec le Parlement sont essentiellement procédurales. Il s’agit d’établir le décret de présentation des projets de loi, d’assurer les transmissions du projet d’une Assemblée à l’autre, de demander la convocation d’une commission mixte paritaire, de transmettre la déclaration d’urgence. A côté de ce rôle purement procédural, le secrétaire général s’efforce de suivre les débats, d’avoir l’oeil à la régularité de la procédure, de signaler au cabinet du Premier ministre les amendements qui pourraient poser un problème de constitutionnalité. Enfin, la loi votée, il est chargé de recueillir la signature des ministres responsables puis celle du chef de l’État qui assure la promulgation de la loi.
La loi constitutionnelle du 25 juin 1992 a inséré dans la Constitution un article 88-4 en vertu duquel le gouvernement doit transmettre au Parlement les propositions d’actes communautaires comportant des mesures législatives afin de permettre à chacune des deux Assemblées de voter des résolutions à leur sujet. C’est le secrétaire général du gouvernement qui est chargé d’organiser les relations entre le gouvernement et le Parlement sur ce sujet.
On doit enfin dire quelques mots des relations entre Matignon et le Conseil constitutionnel. Lorsqu’un recours a été formé contre une loi votée mais non encore promulguée, le secrétaire général du gouvernement est chargé de présenter au Conseil constitutionnel les observations du gouvernement sur le recours, même si la loi déférée trouve son origine dans une proposition de loi. Ces observations sont présentées par écrit. Depuis 1994, ces observations sont publiées au Journal officiel tout comme le mémoire qui a saisi le Conseil constitutionnel.
Voilà décrit aussi brièvement que possible le rôle du secrétaire général du gouvernement.
On aura constaté sans doute que le fonctionnement du gouvernement n’est guère encadré par des règles écrites.
Ce sont des règles de bonne administration, inspirées par l’esprit des institutions dont se dégage, par la réitération de leur application, une véritable coutume. Le rôle du secrétaire général du gouvernement, mémoire des institutions et gardien des précédents, est sur ce point très important.
Ce rôle est assuré avec des moyens en personnel très réduits et qui doivent le demeurer. En effet, le secrétaire général doit pouvoir entretenir des relations directes avec tous ses collaborateurs et le secrétariat général doit être très souple et très rapide dans ses réactions. C’est avec une quinzaine de fonctionnaire de catégorie A que le secrétaire général accomplit sa mission.
Il l’accomplit de façon efficace. Deux points pourtant pourraient faire l’objet d’améliorations. Si le secrétaire général fait preuve de son efficience pour faire face à l’activité quotidienne, parfois urgente, du gouvernement, il est mal armé pour dégager les perspectives de moyen terme. Le processus de décision intègre mal la prévision. En outre, la coordination entre la conduite des affaires intérieures et celle des affaires européennes est mal assurée. Les liens entre le secrétariat général du gouvernement et la SGCI devraient être resserrés.
Si l’on jette un coup d’oeil sur ce qui se passe à l’étranger, on peut relever que cette tâche de coordination est souvent confiée à des personnalités politiques ou des personnes liées au chef du gouvernement.
Certes, en Grande-Bretagne, le cabinet office ressemble au secrétariat général du gouvernement. Mais en Italie, le sort du secrétaire général de la présidence du Conseil est remis en cause à chaque changement de gouvernement. En Espagne, le système est mixte : le secrétariat du Conseil des ministres est assuré par un ministre qui dispose d’un service administratif. En Allemagne, la Chancellerie est dirigée par un ministère fédéral.
Le système français qui distingue nettement le cabinet politique du Premier ministre et un secrétariat général neutre et permanent revêt donc un certain caractère d’originalité.