L’État au miroir de la politique culturelle

Séance du lundi 26 juin 2000

par Mme. Maryvonne de Saint Pulgent

 

 

Les Français mettent leur politique culturelle au nombre de ces singularités dont ils aiment tout à la fois à s’accuser et à se glorifier, et c’est sans doute pourquoi il est difficile d’en faire un examen nuancé et serein, évitant la diatribe sans tomber dans le dithyrambe. Ces deux genres lyriques ont ainsi conjointement contribué à propager la thématique de ” l’exception culturelle “, sujet d’exécration pour les uns, d’admiration pour les autres, et de confusion pour tous, puisque cette expression désigne indifféremment le modèle français de politique culturelle et le principe selon lequel les aides publiques à la culture devraient être exclues du champ des négociations sur la libéralisation des échanges entre États membres de l’Organisation Mondiale du Commerce. Le principe est clair, et il a fondé la décision du gouvernement français de se retirer de la discussion sur le projet d’Accord Multilatéral sur l’investissement, dès lors qu’y avaient été incluses contre son avis des clauses sur le cinéma et l’audiovisuel ; il semble cependant que lors des débats préparatoires à la conférence de Seattle la France ait renoncé à convertir ses partenaires européens à ce principe et se soit ralliée à l’alternative plus modeste, suggérée par les Canadiens et finalement adoptée par la Communauté, d’ouvrir les discussions avec un objectif de défense de la ” diversité culturelle ” dont les voies et moyens restent au demeurant assez floues. Le modèle politique, lui, est touffu, prolixe, chargé d’histoire et d’ambitions, et d’un baroquisme qui décourage l’analyse et donc l’imitation. Il est vrai que la plupart de nos partenaires européens, notamment les Allemands et les Britanniques, se sont désormais ralliés à la formule française du ministère de la culture. Mais celle-ci ne résume pas notre politique culturelle, qui se distingue surtout par la place considérable qu’elle tient dans le débat public et dans l’imaginaire national et par le rôle central et quasi monopolistique qu’y joue l’État. C’est pourquoi on peut en user comme d’un miroir pour y déchiffrer certains des traits caractéristiques de cet État, en vérifier la permanence depuis deux siècles et en diagnostiquer l’archaïsme, source de la crise actuelle de la politique culturelle française.
L’idée que la France se fait de son principat culturel dans le monde occidental n’est pas confirmée par les statistiques disponibles sur les pratiques et les consommations culturelles de sa population. Certes la part de la culture dans l’économie française est significative : selon l’INSEE les dépenses culturelles totales (incluant l’audiovisuel et la presse) atteignent 290 milliards de francs, toutes sources de financement confondues (subventions publiques, mécénat, dépenses des ménages et publicité) ; les ménages y consacrent 4% de leurs dépenses totales, soit un pourcentage d’une remarquable stabilité sur la longue durée, qui devrait se maintenir dans le nouveau contexte de forte croissance de la consommation domestique, et qui est, sans surprise, deux fois plus élevé chez les cadres et les professions intellectuelles ; enfin le secteur emploie 2% de la population active (435 000 personnes environ). Mais les comparaisons internationales, pour délicates qu’elle soient compte tenu de l’hétérogénéité des sources statistiques et des périmètres retenus, montrent la relative banalité de ces données dans les pays développés. Aux États-Unis les dépenses culturelles domestiques sont évaluées à 140 milliards de dollars, soit 3% des dépenses des ménages. En Europe, la France n’est que le deuxième employeur culturel, nettement distancé par l’Allemagne (plus d’un million d’emplois), et talonné par le Royaume-Uni (422 000 emplois). La vraie différence française est dans le poids de l’aide publique directe, dix fois plus élevée qu’aux USA et trois fois plus qu’au Royaume-Uni . Ce premier symptôme d’une forte tutelle publique est confirmé par l’ampleur sans pareille des moyens alloués au ministère de la Culture, en crédits (16,5 milliards de francs) et surtout en emplois : avec plus de 22 000 agents, ses effectifs atteignent 45% de ceux du ministère de la Justice, un ratio qui laisse tout de même rêveur. C’est que l’impressionnante croissance budgétaire du ministère de la Culture depuis sa création en 1959 – ses crédits ont presque décuplé en termes réels – a essentiellement profité à sa bureaucratie : sur la même période, la part des frais de structure dans les dépenses totales est passée de 3% à 25%. Simultanément, ont proliféré les textes sur les professions, les industries et même les simples pratiques culturelles : avec l’inflation du droit du patrimoine et du droit de la propriété intellectuelle, écrire, composer une chanson, chercher un trésor, collectionner sont devenues des activités réglementées.
Le brusque changement d’échelle des moyens de la politique culturelle a pu légitimement faire croire à une mutation corrélative de ses fins et à une rupture radicale avec la politique des Beaux-Arts de la troisième République : c’est notamment la thèse de Marc Fumaroli dans L’État culturel . De fait, il y a bien eu mutation de la définition juridique de la responsabilité publique dans ce domaine. La Déclaration des Droits et Devoirs de 1795 affirmait seulement le ” droit des citoyens à former des établissements d’enseignement et des sociétés libres pour concourir au progrès des sciences, des lettres et des arts “, et rangeait donc ce qu’on ne nommait pas encore ” la culture ” parmi les ” droits libertés “, ceux dont la nation se borne à garantir le libre exercice par tous en protégeant l’initiative privée en la matière, plutôt qu’en intervenant elle-même. Ce concept règne toujours dans la plupart des États occidentaux, au Royaume-Uni notamment, tandis que la France l’a abandonné en 1946 au profit de celui du ” droit créance ” : le préambule de la Constitution a alors énoncé que ” La nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture “, obligeant ainsi les pouvoirs publics à concevoir et mener une politique culturelle volontariste, et justifiant en droit ” l’impôt démocratisation de la culture ” contre lequel Raymond Boudon fulminait naguère devant votre Compagnie .
Cependant les constituants de 1946 n’ont fait que traduire en droit positif, avec bien du retard, la prescription de Rousseau en 1777, sur laquelle la Déclaration des Droits de 1795 était restée très en retrait : ” Puisque les beaux-arts doivent […] servir de moyens pour accroître et assurer le bonheur des hommes, il est […] nécessaire qu’ils pénètrent jusqu’à l’humble cabane du moindre des citoyens ; il faut que [ce] soit un des objets essentiels de l’administration de l’État ” . Mis à part l’emphase habituelle à la pensée des Lumières, c’est là que se situe la rupture idéologique avec le patronage éclairé des arts fastueusement pratiqué depuis le XVIème siècle par la monarchie française. Chacun mesure aussi la portée proprement religieuse d’un tel propos, explicitement repris par la Convention pour fonder sa doctrine sur l’instruction du citoyen par les Beaux-Arts, et l’écart avec les visées exprimées par les Britanniques sur ce même sujet quelques décennies plus tard : pour eux, l’éducation artistique du peuple devait limiter ses ambitions à susciter des vocations d’artisans dans les classes pauvres, à y combattre ainsi l’oisiveté, mère de tous les vices, et par suite à améliorer qualitativement la production industrielle du pays et quantitativement l’équilibre de sa balance des paiements. Ce mélange typiquement britannique de philanthropie et de pragmatisme a récemment été réactualisé et adapté à la ” nouvelle économie ” par le Premier Ministre M. Tony Blair, qui a tenu à justifier la création d’un ministère de la Culture peu conforme à la tradition locale par le souci d’accompagner la nouvelle dynamique culturelle du Royaume-Uni et de conforter ses effets bénéfiques sur la ” créativité ” industrielle de ce pays.
C’est également le credo rousseauiste, selon lequel l’art accroît nécessairement le bonheur et la vertu des hommes, qui fonde la mission assignée à la création française par l’évêque Grégoire, dans son discours du 31 août 1794 à la Convention : se proclamer ” enfant de la liberté ” et convertir le monde aux principes énoncés dans la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen . Il est à peine besoin de souligner l’actualité fin de siècle de cette thématique, qui identifie la défense des droits de l’Homme à celle de la culture française ou d’influence française : elle amène naturellement les artistes français à qualifier de liberticide toute remise en cause de leurs situations acquises, et à diagnostiquer une avancée de la barbarie dans tout affaiblissement de leurs positions sur les marchés culturels.
Cependant ce discours messianique est resté assez platonique tant qu’ont coexisté en France un État pratiquant le libéralisme politique et économique et une société bourgeoise prospère et faiblement imposée, qui avait les moyens et le goût de financer l’essentiel de l’activité artistique du pays. Les pouvoirs publics bornaient alors de fait leur action à un triptyque mécénat/protection du patrimoine/instruction publique, comme dans les autres grands pays européens. Les directions de l’Architecture et des Beaux-Arts n’intervenaient sur les marchés correspondants que pour satisfaire à leurs besoins en tant que maîtres d’oeuvre du patrimoine public, et pour le reste veillaient la protection des intérêts vitaux des artistes, par exemple à travers la législation sur le droit d’auteur. Conceptualisées par Condorcet et l’évêque Grégoire sous la Convention, la protection du patrimoine et l’inclusion des arts majeurs dans le programme d’instruction primaire obligatoire s’étaient incarnées très progressivement, au cours du dix-neuvième siècle, dans des institutions et des politiques qui ont structuré la vie culturelle française jusqu’à 1940 : le musée du Louvre et les musées de province se sont fondés et ont pris un vigoureux essor sous la Révolution et le Premier Empire, la monarchie de Juillet a créé le service des Monuments Historiques et conçu le premier régime juridique européen de protection du patrimoine avec la ” liste de Mérimée ” de 1840 (ancêtre de la loi du 31 décembre 1913), Guizot puis Jules Ferry ont effectivement installé des maîtres et des heures obligatoires de musique et de dessin dans l’enseignement public élémentaire et primaire. Cependant la France se singularisait déjà en faisant prendre en charge cette politique par l’État central, tandis que les régions ont dès l’origine été l’échelon principal d’intervention en Italie et en Espagne, de même que les länder en Allemagne et les villes au Royaume Uni : la tradition centralisatrice de notre politique culturelle perdure d’ailleurs encore aujourd’hui, la vague décentralisatrice des lois Defferre de 1982 l’ayant significativement épargnée. L’autre singularité française à l’oeuvre dès l’aube du dix-neuvième siècle est le cantonnement instinctif par l’État du mécénat artistique privé, qui se traduit par le recours privilégié à la régie, aux établissements publics et à la subvention plutôt qu’à la défiscalisation et au soutien de l’action philanthropique des particuliers : la Révolution ayant banni la fiducie de notre droit et promu autoritairement à sa place les peu attractives fondations d’utilité publique , le soin du patrimoine national a été confié à la Caisse des Monuments Historiques et à la Réunion des Musées nationaux, établissements publics créés pour la circonstance au début de ce siècle, tandis qu’en Angleterre cette mission a été prise en charge par le National Trust (1895), fondation privée chargée d’une mission d’intérêt public.
L’équilibre français a été brutalement rompu par la crise économique des années trente et les bouleversements sociaux nés des deux guerres mondiales, qui ont asséché les sources privées de financement de la culture. Les deux dernières Républiques ont alors réagi en la faisant entrer dans le champ de l’interventionnisme économique public et en compensant en ressources et en emplois publics les pertes de débouchés des artistes du côté de la société civile : d’où le décuplement des dépenses de l’État et des collectivités locales signalé plus haut. Parallèlement la planification à la Française s’est emparée de l’équipement culturel du pays et en a fait un objectif d’aménagement du territoire, et la diplomatie a enrôlé l’art dans son entreprise de reconquête de notre statut de grande puissance : c’est le sens de la création en 1945 par le Général de Gaulle, au sein du ministère des Affaires Étrangères, d’une direction générale des relations culturelles explicitement chargée de compenser, par une ambitieuse politique de propagande culturelle à l’étranger, l’irréversible recul de la puissance militaire française. Il faut bien voir cependant que l’installation de ce que Dominique Schnapper a très justement appelé ” I’État-providence culturel ” s’est réalisée très progressivement à partir de la fin de la seconde guerre mondiale, avant même Malraux et la Vème République par conséquent, et que cette nouvelle politique a longtemps coexisté avec l’ancienne, qu’elle a peu à peu grignotée mais dont il subsiste encore bien des traces à l’heure actuelle, en dépit de l’accélération du processus de remplacement pendant les deux ministères Lang. C’est alors seulement qu’a pu réellement s’incarner et s’épanouir la biséculaire ambition sacerdotale de la politique culturelle française, dont l’apogée coïncide significativement avec la célébration du Bicentenaire de la Révolution. Elle traverse depuis lors une crise qu’il faut maintenant tenter d’interpréter.
Cette crise couvait depuis que Pierre Bourdieu avait récusé, dans Les héritiers et surtout L’amour de l’art , la capacité de l’État à réduire des inégalités culturelles trouvant en réalité leur source dans les inégalités sociales perpétuées selon lui par la société capitaliste. Elle est devenue patente dans les années 1989-1991, lorsque les deux articles de foi de la doctrine ministérielle – la démocratisation culturelle et le soutien inconditionnel aux avant-gardes artistiques – ont fait l’objet de tirs croisés des revues Esprit, Commentaire et Le Débat, qui ont dénoncé simultanément la faillite esthétique des secondes et le ” mythe ” de la première, révélé par les enquêtes statistiques sur les pratiques culturelles françaises . Cependant le diagnostic des échecs de la politique culturelle française ne s’est pas accompagné jusqu’ici d’une réflexion d’une égale pertinence sur leurs causes, sans doute en raison du développement séparé de la pensée critique sur la culture et de celle sur l’État, deux problématiques dont on a déjà souligné l’étroite imbrication dans ce pays.
Le thème de la ” crise de la culture ” dans les sociétés démocratiques, magistralement traité par Hannah Arendt dès 1961, a mis plus d’un quart de siècle à s’acclimater en France. Alain Finkielkraut y avait consacré en 1987 un essai féroce, La défaite de la pensée , où il s’inquiétait comme Mme Arendt de l’instrumentation de l’art par les industries du loisir, mais où il dénonçait surtout le ralliement ” post-soixante-huitard ” de l’État et de nos universités à un ” différentialisme culturel ” étranger à la tradition républicaine française, qui place au contraire sa foi dans l’universalité de l’art et de la pensée. Quoique jugée passéiste par l’opinion éclairée, cette critique a été relancée et légitimée deux ans plus tard par la première affaire du ” foulard islamique “, où se sont affrontés les gardiens de la laïcité républicaine et les partisans de la tolérance envers les manifestations des religions et des cultures minoritaires . Elle s’est dès lors enracinée dans le débat intellectuel national, en dépit de la faible probabilité d’un retour prochain à ce que les sociologues appellent le ” légitimisme culturel “, dont Pierre Grémion a récemment analysé dans Le Débat le contexte sociologique perdu . Le rejet des classiques, c’est-à-dire de l’idée même de la hiérarchie des arts et des oeuvres qui fonde la conception universaliste de la culture, est selon lui l’inévitable conséquence de ” l’inflation culturelle ” de la fin des années soixante : cette expression de François Bourricaud dans Le Bricolage idéologique qualifie le phénomène né des effets conjugués de l’explosion démographique et de la modernisation qu’a connues notre pays après la guerre, soit la croissance exponentielle de la population scolaire et universitaire, la montée en puissance des médias audiovisuels et l’élévation rapide du niveau général des connaissances.
Les travaux de Marcel Gauchet sur modernité et démocratie nous permettent par ailleurs de rattacher la problématique des rapports entre l’État français et la culture à celle, plus générale, du rapport entre l’État et les croyances dans le contexte contemporain de ” sortie de la religion “. Marcel Gauchet rappelle dans La religion dans la démocratie que pour émanciper les citoyens de la domination institutionnelle de l’Église catholique, et forcer celle-ci à se cantonner dans la sphère individuelle, la République laïque avait ” élevé l’État sur le pavois ” et l’avait investi d’une dimension spirituelle. Mais la réussite de ce projet d’émancipation s’est logiquement accompagnée d’une éclipse politique du religieux, laquelle ébranle par contrecoup la métaphysique républicaine de l’intérêt général : dès lors que ” plus n’est besoin de dresser la cité de l’homme à la face du ciel “, la transcendance de l’action politique est elle-même remise en question. En même temps se redéfinissent les rapports de la société civile avec l’État. Le reflux des attentes logées dans le collectif relégitime les croyances individuelles, et plus généralement tous les types d’appartenance communautaire, mais sous une forme identitaire qui exclut la prétention à l’universalisme et érige en valeurs le pluralisme des croyances et des communautés et la tolérance envers celles qui se présentent comme minoritaires. La mission principale de l’État devient alors de ” reconnaître ” publiquement ces identités plurielles en tant que ” composantes de plein droit de la communauté globale ” et d’assurer leur ” compossibilité ” en leur fournissant les moyens de se manifester, voire même en les aidant à se constituer, sans pour autant remettre en cause la légitimité ni la visibilité des autres.
Cette analyse nous paraît éclairer de manière pertinente la situation actuelle de la politique culturelle française. L’art dans sa version universaliste a bien été, avec l’histoire de la France et de ses grands hommes, l’un de ces cultes de substitution que la République laïque a mobilisés au service de sa métaphysique de l’État, ce dont Malraux se faisait encore l’écho lorsqu’il affirmait en 1968 que ” la culture, c’est ce qui permet de fonder l’homme lorsqu’il n’est plus fondé sur Dieu ” . Il n’y a donc rien de surprenant à ce que cette version-là ait été frappée de déligitimation et enveloppée dans la commotion générale des transcendances décrite par Marcel Gauchet : la malchance a cependant voulu que cela se produise au moment même où se déployait le formidable appareil d’État destiné à accomplir le projet désormais anachronique de la faire ” pénétrer dans l’humble cabane du moindre des citoyens “. Dans sa version anthropologique, celle des ” pratiques culturelles ” qui comptabilisent dans les mêmes statistiques rassurantes la fréquentation des théâtres et des galeries d’avant-garde, les défilés de rollers, la célébration d’Halloween, l’amour des vieilles pierres et celui des rave-parties, la culture est sans conteste un de ces marqueurs identitaires auxquels il est désormais demandé à la puissance publique de reconnaître une égale dignité et de faire une égale publicité, et au sein desquels il lui est interdit de discriminer – pas même pour effectuer le tri parmi les prétendants au statut d’artiste et ses avantages fiscaux et sociaux, dont Alain Peyrefitte rapporte dans C’était de Gaulle qu’il préoccupait le Général lors de l’institution en 1964 de la sécurité sociale des artistes.
La crise de la politique culturelle n’est donc qu’un cas particulier de la crise de l’État, qui ne peut se comprendre pleinement hors de celle-ci, et encore moins trouver seule sa résolution. Mais elle en est aussi un cas singulier, dès lors qu’elle offre tous le spectacle fâcheux d’un décalage sans pareil entre l’implosion de son projet métaphysique et l’explosion des moyens mobilisés pour le mettre en oeuvre, entre la modestie de ses résultats et la pompe archaïque de son appareil administratif et réglementaire, entre son empressement à courir après toutes les innovations à la mode et à diagnostiquer le chef-d’oeuvre dans la plus anodine des créations, et l’arrogance avec laquelle elle prétend dicter les goûts et les dégoûts de la société civile. Cette béance grandissante entre ambitions et réalités fonde sans doute, sans la justifier complètement, la condamnation sans nuance quelquefois portée sur elle par les esprits les moins suspects d’obscurantisme.