Séance du lundi 10 mars 2003
par M. Guy Chaussinand-Nogaret
Le règne de Louis XVI peut se résumer en une phrase : c’est l’affrontement, en plusieurs épisodes, de deux conceptions dirimantes de la souveraineté. La première est un credo – le droit divin – que le roi n’a jamais abjuré. La seconde – la souveraineté nationale – s’est construite lentement dans l’esprit des parlementaires, des juristes et philosophes, avant de contaminer de larges secteurs de l’opinion, puis de devenir le voeu de toute la France. Le combat , dans un siècle largement rationaliste, était inégal, mais à force d’industrie, de diplomatie et de concessions nécessaires, pouvait aboutir à un compromis durable. Louis XVI, convaincu de la légitimité de son obstination, n’y consentit jamais. Sa déchéance était donc prévisible, sinon assurée.
Sans entrer dans le détail de deux décennies troublées, je me bornerai à conférer les indicateurs les plus sûrs, les erreurs commises et les occasions manquées qui conduisirent de façon mécanique au dénouement.
Le règne se déroule en deux phases successives d’inégale durée. La première, d’une quinzaine d’années, a tenté, en vain, de pallier les dysfonctionnements du régime pour assurer une meilleure gestion, mais les réformes ont échoué. La seconde, trois ans seulement, fit entrer le royaume dans le cycle de la révolution qui devait aboutir à la substitution de la République à la monarchie.
Deux étapes donc, qui ne sont ni contradictoires ni complémentaires. La réforme est par définition conservatrice : son objectif est en effet d’assurer la stabilité, voire la survie du régime. La révolution est subversive : son objectif n’est pas d’améliorer les institutions de l’Etat, mais d’anéantir le régime pour le remplacer. Cependant il existe une troisième voie : modifier le régime sans l’annuler.
Louis XVI a tenté la première. Ses audaces ont provoqué les réactions de ceux qui refusaient tout accroc au droits acquis et aux privilèges immémoriaux. Ses insuffisances ont été ressenties comme une provocation par ce qui devenait alors le parti le plus puissant de France qualifié d’un terme opposable au roi : la Nation.
Cependant Louis XVI refusa la troisième voie qui lui était offerte : un moyen terme entre monarchie absolue et république. Il dut donc subir la révolution où il perdit son trône et sa vie. Le règne avait pourtant commencé dans l’euphorie et les grands intellectuels, voltaire en tête, étaient devenus les chantres d’une nouvelle espérance. La prospérité poursuivait sa longue croissance – 70 ans de progrès continu – la tendance à l’enrichissement se précisait et les grandes crises démographiques et frumentaires qui avaient frappé le royaume pendant quatre siècles, étaient définitivement conjurées.
Au ministère une alternance rafraîchissante avait remplacé les ministres déconsidérés du règne précédent par des hommes ouverts aux exigences du siècle. Ils allaient tailler dans le vif, ce que Louis XVI prisonnier de sa conscience timorée et de ses entours agressifs n’avait pas prévu. La parlement avait été rétabli pour donner satisfaction à l’opinion qui voyait en lui l’instrument par lequel devait s’instaurer cette monarchie tempérée à laquelle le royaume aspirait. Pour Louis ce n’était qu’un retour à la tradition, mais c’était en réalité la restauration d’une opposition institutionnelle, la concession majeure à la possible modification d’un droit public suranné que l’opinion éclairée attendait désormais avec impatience.
Mais Louis, convaincu de l’incommunicabilité de son pouvoir, ne pouvait concevoir qu’un corps quelconque ou, la nation elle-même, prétendît limiter la puissance indivisible et illimitée qu’il tenait de Dieu seul et qu’il eût considéré comme une lâcheté ou une trahison de partager.
Aussi bien est-ce dans cette théologie du pouvoir que réside les raisons de l’échec des reformes. Certes l’opposition des corporatismes et des privilèges n’est pas étrangère aux abandons et aux volte-face d’un roi modeste et généreux, animé d’un amour sincère du bien public. Mais le profond empêchement était dans le coeur de Louis. Cet homme intelligent, cultivé et bienfaisant qui eût été un excellent professeur à l’école navale ou un prélat social et aumônier, était inapte à comprendre le siècle qui était le sien, par son atavisme, son éducation et sa foi religieuse. Les impatiences et les exigences politiques de ses sujets lui échappaient ou demeuraient pour lui un mystère : il n’y voyait qu’ingratitude et rébellion, et crime contre la providence divine. Les réformes qu’il souhaitait excluaient toute remise en cause de l’intégrité de son autorité. Mais Turgot avait de grands projets.
Au delà d’aménagements palliatifs, il prévoyait d’abord une révolution dans la structure de la société par la suppression de tout ce qui s’opposait à sa modernisation, privilèges, monopoles et corporatismes. Plus encore, il voulait ouvrir la voie à une représentation nationale par l’élection d’assemblées locales. Ces timides tentatives, Louis XVI et son entourage y virent des audaces sacrilèges. On le lui fit vite comprendre en le renvoyant à ses études. Plus que dans l’obstruction des intérêts menacés, la raison profonde de l’échec doit être cherchée dans l’aveuglement du roi qui ne comprenait ni la nécessité ni l’urgence de donner à la monarchie un contenu et un visage adaptés aux attentes explicites d’une nation parvenue à maturité.
La principale activité d’un nouveau ministère consiste souvent à annuler l’oeuvre du prédécesseur. C’est ce que firent les successeurs immédiats de Turgot. La suite fut plus désastreuse encore. Louis XVI avait besoin d’un ministre qui tranchât dans le vif, modifiât le régime et assurât l’avenir. Necker ne fut qu’un homme de ressources, un magicien. Il satisfit des besoins immédiats en hypothéquant l’avenir et en approfondissant le gouffre des finances.
Le déficit, la dette accrue encore par le financement de la guerre d’indépendance américaine – l’initiative la plus heureuse et la plus positive du règne – étaient alors la seule préoccupation du roi. Il leur attribuait ses malheurs quand l’opinion, toutes les forces vives de la nation n’y voyaient qu’une conséquence de l’obstination du roi à vouloir régler seul des questions qu’elles estimaient de leur responsabilité. Déjà s’élaborait dans toutes les têtes une solution de remplacement : la monarchie traditionnelle, bourbonnienne, absolutiste n’était plus apte à répondre aux difficultés de l’heure, ni surtout à l’attente des français. Certes, on ne remettait pas en cause la monarchie, et le roi, malgré son impopularité croissante accrue par la désaffection calomnieuse pour Marie-Antoinette, passait plutôt pour un homme sans dignité manipulé par sa femme et par une cour suspecte, pour un incapable plutôt que pour un méchant. En réalité Louis n’était ni médiocre ni indifférent. Mais il n’avait aucun projet et lui en eût-on proposé un qui fût réalisable et adapté aux exigences d’une situation irréversible qu’il l’eût repoussé parcequ’il aurait cru perdre son âme en cédant à la pression de la nécessité.
La réforme fiscale entreprise par Calonne n’aurait pas réglé la question pendante d’une représentation nationale, mais elle aurait donné au régime de l’assurance et du temps pour prendre des dispositions qui eussent fini par convaincre. Son échec ne laissait plus à Louis XVI que deux alternatives :
L’aveu d’impuissance, c’est à dire la réunion immédiate de Etats généraux, ou la réaction autoritaire.
Pour son malheur, il choisit sans enthousiasme mais sans remords la seconde solution, alors que l’opinion ne comprenait plus que le droit de légiférer, et en particulier de décider de l’impôt, restât une prérogative royale.
Mais Louis XVI était convaincu de la légitimité sacrée se son autorité. Il aurait cru trahir sa mission divine en se déchargeant d’une part de ses responsabilités. Son opiniâtreté, sur ce point décisif, le porta à une tentative désespérée : mettre au pas une opposition dont il s’obstinait à nier le caractère national et qu’il attribuait à la malveillance d’un corps qui portait alors les espoirs de la France.
Toucher au parlement était une faute. Aux yeux de la nation c’était un attentat contre les dernières libertés et la confirmation que le régime sombrait dans le despotisme.
Le parlement qui jouissait d’une immense popularité et que ses ennemis eux-mêmes estimaient nécessaire à leur cause, apparaissait comme le dernier recours. Il dénonçait l’arbitraire du pouvoir, affirmait que la loi ne pouvait procéder que du consentement de la nation, mettait en cause l’infaillibilité du roi et réclamait la convocation des Etats généraux. Louis et ses ministres décidèrent de le briser et de lui substituer une « cour plénière »toute dévouée au roi, un aréopage de princes et de dignitaires qui n’aurait d’autre volonté que celle du roi. La France entière se rebella. Barnave appela au soulèvement autour des parlements. La Fayette et Mirabeau crièrent à l’insolence : la preuve, disaient-ils, était faite que l’on ne voulait pas d’Etats généraux et que la cour plénière n’avait d’autre but que de les éluder. Le roi ne contrôlait plus son royaume : intendants et troupes chargées du maintien de l’ordre étaient assaillis. Des provinces se soulevaient. Dans Paris l’opposition s’organisait et concertait un projet de constitution. Elle se dotait d’une structure centralisée, le comité des Trente, dont les réseaux régionaux couvrirent bientôt toute la France. Necker, rappelé, gouvernait au jugé, sans plan et sans doctrine.
Louis avait peu changé depuis son avènement et refusait de voir le décalage entre l’archaïsme de ses convictions et le modernisme de ses sujets.
Esprit cultivé, curieux et droit, il n’avait ni la lucidité de Louis XV, ni l’application laborieuse de Louis XIV Mais une grande conscience de ses devoirs et de ses responsabilités. La faille, la faiblesse étaient dans le caractère : Timide, réservé et méfiant, il était patient et résigné plutôt que courageux, mais son apathie naturelle pouvait se transformer en résistance opiniâtre. Asservi aux prêtres, il était bourrelé de scrupules. Convaincu du caractère sacré de son autorité, élevé dans l’idée que sa volonté était celle de Dieu, et que ses sujets n’avaient aucun droit sur lui, il considérait ses obligations de souverain comme un contrat entre sa conscience et ce Dieu qui l’inspirait. D’ailleurs incapable d’oppression, il ne pouvait concevoir la révolte. Plein de bonnes intentions, il avait humanisé le code, assaini les prisons. Mais c‘était là plutôt charité chrétienne que volonté politique. En fait, il ne gouvernait pas, ne choisissait pas : il se contentait de céder, d’accorder tout ce que lui permettaient sa conscience et sa religion. Proie facile pour ceux qui sauraient jouer de ses scrupules et de ses préjugés, il était prévisible que, confronté à des situations qui exigeaient de l’audace et une grande liberté d’esprit, il s’accrocherait à ses préventions, se tiendrait à son parti et provoquerait des séismes dont il serait la première victime.
Pourtant les cahiers de doléances lui envoyaient un message très clair, et ceux qui étaient porteurs des voeux de la Nation ne laissaient aucun doute sur leur détermination à modifier le régime, à transformer les institutions, à imposer une constitution.
En prenant l’initiative, Louis restait maître du jeu. Quelques concessions, un projet de constitution qu’il eût lui-même dictée auraient comblé les attentes de l’assemblée et les voeux du royaume. Sa fonction en eût été consolidée, l’avenir préservé.
Tout au contraire, à la stupéfaction de ses auditeurs incrédules, il déclina un catéchisme d’un autre âge, prononça quelques menaces voilées, manqua l’occasion de recouvrer tout son crédit, une immense popularité et l’assentiment des plus exigeants de ses sujets.
Cette première carence, cette défaillance dramatique, compromit en quelques semaines l’autorité du roi, permit le transfert de l’initiative à l’assemblée qui se substitua à lui, abolit le régime traditionnel, s’attribua le pouvoir législatif, le droit exclusif de consentir l’impôt et de donner une constitution au royaume.
Maître de ses décisions, le roi eût peut-être cédé par lassitude, conservant ainsi une part non négligeable d’un pouvoir que personne ne songeait à lui ôter. Mais il se laissa manoeuvrer par une cour grisée par son arrogance et sa foi inébranlable dans les vertus de la violence. Il décida de casser les résolutions de l’assemblée et, le 23 juin, après avoir confirmé toutes les dispositions de l’ordre ancien, menaça l’assemblée de dissolution.
Ce type de coup de force peut réussir quand on a des troupes fidèles, une forte détermination, et une opinion flottante ou indifférente. Ce n’était pas le cas de Louis XVI, hésitant, sans appuis solides et désorienté par la résistance patriotique. Les escadrons dépêchés contre les députés refusèrent de les chasser. L’échec du roi était patent, son humiliation aussi.
Ici, il faut prendre le risque de lasser, en déclinant, au rythme de l’événement, la succession d’erreurs commises par Louis XVI, faute d’avoir compris le caractère irréversible d’une révolution dont il ne voulut jamais reconnaître la légitimité, et dont il aggrava par sa résistance la radicalisation.
Louis avait définitivement perdu l’initiative, mais ne s’en doutait pas encore. Cette cécité l’entraîna à commettre une faute fatale : le renvoi de Necker, seul ministre qui avait la confiance des Parisiens et des rentiers. On redouta la banqueroute, la Bourse fut fermée, les gardes françaises se mutinèrent, on s’effraya du spectre de la répression à l’arrivée des troupes mercenaires que le roi avait appelées. Les débordements populaires dont les réactions allaient désormais scander les étapes d’une dégradation régulière de l’autorité monarchique firent le reste. Après la première journée révolutionnaire du 14 juillet, paris passa sous le contrôle des patriotes, de la Commune de Bailly et de la garde nationale de La Fayette.
Le roi dut capituler, se soumettre à Paris et faire amende honorable. Les événements qui suivirent échappèrent complètement à son contrôle : municipalisation de la France, abolition du régime social traditionnel.
Il restait pourtant au roi une porte étroite par laquelle il eût pu se sauver : prendre la tête de la révolution pour en maîtriser le cours, anticiper, pour modérer les décisions de l’assemblée, se montrer patriote afin de neutraliser les patriotes. Par répugnance et abattement, il ne fit rien. Mirabeau, qui s’en désolait, prophétisait déjà le désastre final du « royal bétail.»
La grande peur, le 4 août, la nationalisation des biens du clergé donnèrent au royaume un nouveau visage : paysannerie libérée de ses servitudes, seigneurs dépouillés des moyens de tenir les campagnes en tutelle Eglise privée de ses revenus contrainte de subir une nouvelle organisation, égalité devant la loi et l’impôt, élargissement du recrutement des emplois publics. Ce fut une rapide révolution que consacra la déclaration des droits de l’homme en même temps que le principe de la souveraineté nationale.
Il ne restait plus rien de l’Ancien Régime, excepté la figure emblématique du roi dont personne ne proposait l’effacement mais qui faisait problème. Quelle place lui ferait-on dans la constitution ?
Le pouvoir exécutif lui était acquis. Mais l’assemblée avait établi un régime parlementaire en posant le principe de la responsabilité ministérielle. Le pouvoir législatif échappait au roi, malgré un compromis, qui lui accordait un veto temporaire si lourd de conflits qu’il eût été préférable qu’il ne l’eût pas. On le vit aussitôt qu’on lui présenta les décrets constitutionnels dont il différa la sanction. Le refus implicite, joint aux craintes d’un retour offensif du roi soupçonné de vouloir gagner Metz pour marcher sur Paris à la tête d’émigrés et de troupes étrangères, provoquèrent les journée d’octobre. Ramenés à Paris le roi et l’assemblée furent désormais à la merci d’une ville émeutière et la sûreté de l’un comme l’indépendance de l’autre n’étaient plus garanties.
La confiance que l’assemblée avait voulu établir entre la monarchie et la révolution par le partage des pouvoirs avait définitivement cédé la place à la méfiance réciproque. Le roi estimait qu’on lui faisait violence, et s’exaspérait que non content de lui préparer un rôle de marionnette, on prétendît lui dicter ses choix religieux. Il n’était pas prêt à composer avec la constitution et inspirait encore beaucoup de craintes. On le suspectait de préparer sa revanche et l’obsession du complot n’allait cesser de grandir jusqu’à l’ultime et décisive violence de1792.
En fait, ses prérogatives étaient largement illusoires : l’administration lui échappait en partie puisque administrateurs et magistrats étaient élus. Le doit de déclarer la guerre, qui lui avait été reconnu, dépendait du consentement de l’assemblée que, par ailleurs, il ne pouvait dissoudre. Il pouvait difficilement se constituer un parti dans l’assemblée puisqu’il lui était interdit de choisir ses ministres dans ses rangs.
D’ailleurs, malgré l’ivresse passagère de la fête de la fédération, la constitution était à son tour menacée. L’extrême gauche militait pour une constitution plus démocratique et l’Europe commençait à s’émouvoir. Marat prêchait la croisade pour libérer les peuples de l’oppression des rois.
Après le choix, d’autant plus malheureux qu’il se solda par un échec, de la fuite vers l’Est à la rencontre des contre-révolutionnaires, le soupçon de trahison pesa sur Louis dont le discrédit fut désormais bien établi. La nouvelle assemblée réunie le 1er octobre 1791 partageait largement la méfiance populaire et républicaine.
Dés lors Louis XVI accumula les fautes. Par rancune il rejeta l’offre des Feuillants et de La Fayette profondément monarchistes mais qui voulaient une application consciencieuse de la Constitution. Le centre, prêt à se joindre à eux, soutint désormais les Girondins qui formèrent un ministère que le roi n’accueillit qu’avec suspicion.
On se trouvait dans une impasse. L’assemblée et le roi d’accord pour une fois, virent dans la guerre la solution qui permettrait d’en sortir. Les Girondins y voyaient un moyen de consolider la révolution et de l’étendre à l’Europe. Le roi, qui prévoyait une défaite, et l’invasion de la France, espérait apparaître alors comme le dernier recours devant le désastre. Cependant les premières défaites ne lui apportèrent aucun profit et l’amenèrent à commettre de nouvelles fautes. En effet, menacée d’invasion, l’assemblée redoutait aussi des manoeuvres inciviques. Aussi prit-elle des mesures radicales contre les prêtres réfractaires et décréta le rassemblement à Paris des soldats des gardes nationales.
Exaspéré, Louis, sans égard pour la tension qui régnait à Paris, refusa de signer les décrets et fit plus encore : il renvoya le ministère. Ce geste irrita les sections parisiennes et les clubs et provoqua la journée du 20 juin.
Il était évident, aux yeux de l’opinion qui le rendait responsable de tous les dangers qui menaçaient le pays, que Louis XVI n’adhérait pas au nouveau régime. La menace d’invasion scella son sort. On l’accusa de n’avoir rien préparé pour le défense du royaume comme il en avait l’obligation. Cette inaction devint la preuve de sa complicité avec l’ennemi. Vergniaud à l’Assemblée, Robespierre aux Jacobins dénoncèrent la trahison du roi. La fièvre parisienne, accrue par l’arrivée des soldats fédérés, tourna à la panique. Un geste furieux des rois coalisés précipita le dénouement. Le manifeste de Brunswick, sollicité par le couple royal, enflamma les esprits et 47 section sur 48, considérant désormais Louis comme un traître, réclamèrent la déchéance. On réclama la réunion d’une Convention pour définir une nouvelle forme de gouvernement, une Commune insurrectionnelle s’installa à l’Hôtel de Ville, Santerre fut mis à la tête de la garde nationale et, le 10 août, les Tuileries furent investies.
Le 20 septembre Valmy sauva la France de l’invasion et la Convention réunie proclama la République. La prison, le procès puis l’exécution attendaient Louis XVI.
De Charles I à Nicolas II, les rois qui furent confrontés à une révolution ont connu le même destin tragique. Doit-on en accuser leur incompétence, l’impossible résistance aux ouragans de l’histoire ou leur refus obstiné de composer, de céder aux exigences de peuples irrités et plus exigeants?
Dans le cas de Louis XVI, le rejet d’une solution de compromis, la transformation de la monarchie absolue en monarchie constitutionnelle, justifie en partie son échec, la radicalisation sinon les excès d’une révolution heureusement commencée. Louis, imbu de préjugés, autocrate mou, bienveillant mais opiniâtre, a refusé d’admettre que la Constitution était la chance de sa dynastie et le plus sûr garant de la survie de la monarchie.
Mais on ne peut l’accabler de la responsabilité entière d’un échec auquel, dans son propre entourage, d’autres ont concouru. Ses croyances d’un autre âge paralysaient ses initiatives et il eut à faire face à des situations qu’il n’avait pas prévues et qu’il était inapte à maîtriser.
Tenant pour article de foi que Dieu lui avait confié une mission et qu’il était le seul dépositaire de la parole et de l’infaillibilité divines, il n’accepta jamais que l’on prétendît se substituer à lui. D’oint du Seigneur, il avait été dégradé, au rôle qu’il jugeait indigne de sa dignité, de premier magistrat sécularisé du royaume. C’était à ses yeux, une profanation et un sacrilège. Entre Louis et la révolution le fossé était creusé moins par l’antipathie que par l’incompréhension. Peut-être y a t-il incompatibilité, due à la théologie autant qu’à l’histoire individuelle des monarques, entre un roi de droit divin et un roi constitutionnel. Pour Louis XVI le glissement de l’un vers l’autre s’est révélé impossible. La solution résidait peut-être dans une autre alternative. Mirabeau, monarchiste lucide et révolutionnaire apaisé, y avait songé le changement de dynastie, le remplacement du roi inadapté par un prince modeste qui, devant tout à la Constitution, s’en accommoderait sans état d’âme et sans désir de revanche.
Mais cette substitution n’eut pas lieu et Louis XVI, suspect mais toujours confiant dans un possible retournement de situation, maintint jusqu’au bout, avec courage mais aveuglément, sa ligne de résistance qui, en satisfaisant sans doute sa conscience et sa foi en la légitimité de son opposition, le conduisit à l’échafaud, scellant du même coup l’abolition de la monarchie et, en dépit de restaurations plus ou moins heureuses, le triomphe de la République.
Victime de la violence révolutionnaire et de sa propre bénignité, Louis a aussi payé chèrement son manque de clairvoyance et son engagement sans nuance au service d’une cause perdue car l’histoire n’est indulgente qu’aux plus habiles qui flairent le vent et ne se prononcent pas contre son autorité, fût elle arbitraire. Le roi est mort de sa propre faiblesse autant que de l’acharnement de ses ennemis qui tentèrent d’effacer avec lui le mythe qu’il n’avait jamais voulu renier.
Il est possible de faire une autre lecture de l’attitude de Louis XVI : certains sont tentés de lui reprocher de n’avoir pas assez résisté, de n’avoir pas eu recours à la force, à la répression quand il le pouvait encore. Mais le caractère de Louis s’y opposait il était trop doux et bienveillant pour verser le sang de ses sujets, et c’eût été un mauvais calcul : le « restaurateur des libertés » fût apparu alors comme le « tyran » qu’on dénonça plus tard, le processus révolutionnaire et la furie populaire en eussent été décuplés et le dénouement précipité. Faire profil bas, s’associe sans réserve aux décisions de l’assemblée, restait le parti le plus sage. Dans une révolution, les fonctions ambiguës sont dangereuses et la tiédeur vite assimilée à une trahison. Louis, partagé entre vertu et rancoeur, était une victime idéale.