L’aide médicale urgente. Evolution et perspectives

Séance du lundi 2 juillet 2007

par le Pr. Alain Larcan,
Ancien Président et Membre de l’Académie nationale de médecine

 

 

S’il est un réflexe ancestral et salutaire datant peut-être de l’ère paléolithique, c’est bien celui de se porter aux secours d’un blessé de chasse ou de guerre et de le transporter en un lieu calme et abrité pour lui donner les premiers soins conformes aux habitudes du moment. La parabole du « bon samaritain » illustre bien l’attention portée à son prochain, au moins par ceux qu’anime l’esprit altruiste de charité, de sauvegarde et de solidarité.

Dans des circonstances variées, mais surtout lors des combats, les légionnaires de la colonne Trajane, les cavaliers de l’Empereur Maurice, les moines et frères convers porteurs de civières, les garçons qui entourent Ambroise Paré au siège de Metz, les porteurs des ambulances de Sully au siège d’Amiens, les Despotats de Percy ne font pas autre chose que d’amener le plus rapidement et le plus confortablement possible le blessé aux chirurgiens.

Le relèvement peut s’effectuer à bras d’hommes mais une aide précieuse sera rapidement apportée par les moyens hippomobiles puis automobiles en attendant les moyens aériens, et dans certains cas fluviaux et maritimes. Ce premier mouvement centripète du relèvement des blessés, de l’acheminement de l’avant vers l’arrière lorsqu’il est linéaire peut être complété par un autre mouvement d’arrière en avant ou centrifuge celui-là qui peut amener le chirurgien à la rencontre du blessé. Le chirurgien et ses aides vont utiliser sous l’Empire soit des caissons d’artillerie sur lesquels ils montent à califourchon, c’est la saucisse ou Wurtz de Percy [1], soit des ambulances volantes assez rapides et bien équipées dont le Baron Larrey [2] va doter la seule garde impériale. Les gestes chirurgicaux étaient simples, rapides à exécuter, se bornant le plus souvent à une ligature artérielle, une immobilisation ou une amputation.

Parallèlement, à ce développement de l’aide aux blessés sur-le-champ de bataille s’organisa à partir du XVIIIe siècle une assistance aux victimes d’accidents imprévus et susceptibles d’être très rapidement mortels, en l’absence de sauvetage et de secours. Il s’agissait essentiellement des noyades et des asphyxies dues aux « exhalaisons nuisibles » et aux « vapeurs méphitiques » c’est-à-dire alors qu’ils n’étaient pas encore individualisés les gaz toxiques comme l’oxyde de carbone et l’hydrogène sulfuré. On parlait des « méfaits des feux allumés » et on se méfiait des fosses septiques et des cuves de tannerie. Dans tous les cas, il convenait de tirer la victime hors du péril, c’est-à-dire de réaliser une opération de sauvetage et ensuite de lui porter aide, c’est-à-dire de lui apporter du secours par des techniques variées de ranimation ou de ressuscitation dont la variété ne cesse de nous intéresser et de nous interpeller par ses différences mais aussi par ses ressemblances avec nos gestes d’aujourd’hui, en particulier le procédé dit du « bouche à bouche ».

De très nombreux travaux dans la seconde moitié du XVIIIème siècle ont trait aux « méthodes pour rappeler les noyés à la vie », traiter les « morts apparentes asphyxiques » ou encore les « personnes suffoquées par les vapeurs de charbon ». Quelle que soit la méthode préconisée, on s’accordait pour que l’intervention soit aussi rapide que possible et que les soins soient donnés de façon prolongée. Un effort d’organisation et de proposition des moyens fut le fait de sociétés de sauvetage et des autorités agissant soit indépendamment, soit en synergie. En 1766 fut fondée à Amsterdam la première société de secours et l’exemple fut suivi à Hambourg et surtout à Londres en 1774. On fabriquait des appareils, on répartissait des poêles mobiles, on diffusait des « catéchismes », on imprimait des affiches, illustrées de figures qui étaient placées le long des rives.

En France, les secours s’organisent au début des années 1770. Un pharmacien devenu échevin Pia, crée en 1772 pour le compte de la ville de Paris un établissement en faveur des personnes noyées. Il répartit le long de la Seine dans les corps de garde des boîtes « entrepôt » contenant les moyens de fumigation alors préconisés par voie aérienne et par voie rectale à l’instar des indiens iroquois, selon le père de Charlevoix. Il codifie les procédés et instruit des personnes assurant le service des corps de garde : déshabiller le noyé, lui souffler de l’eau chaude dans la bouche, insuffler la fumée de tabac dans les intestins, chatouiller le nez et la gorge, frotter le noyé, le saigner à la jugulaire et s’il manifeste quelques signes de vie, lui donner non pas quelques grains d’ellébore mais bien de l’émétique. Les résultats obtenus sont publiés régulièrement et les succès colligés avec le recul du temps semblent bien réels et significatifs. Les boîtes vont se multiplier dans les villes où passent les fleuves ; elles sont placées dans des commissariats (arrêté du 5 brumaire, an IX) ; les intendants diffusent largement, à l’instar de Turgot. ces données en particulier Louis Thiroux de Crosne à Rouen [3].

A Nancy, Dominique-Benoît Harmant préconise également l’eau glacée pour les « méfaits des feux allumés ». Il est intéressant de voir s’effectuer un rapprochement de situations différentes caractérisées par leur gravité et la nécessité d’une intervention rapide : noyades, asphyxies mais aussi malaises, gelures, morts apparentes d’enfants à la naissance. C’est à cette période que l’on commence à parler de secouristes, et l’intervention de non médecins ayant un rôle dans l’organisation des secours fait l’objet de différentes mesures d’éducation sanitaire de la part des pouvoirs publics. Je parle de secouristes mais il s’agit d’un anachronisme, car à l’époque, très curieusement on parlait des secouristes uniquement pour ceux qui portaient secours aux convulsionnaires du cimetière de Saint Médard sur la tombe du diacre janséniste Paris. Gardanne est le seul à employer ce terme de secourisme dans le sens qui est le nôtre aujourd’hui, en 1775.

En revenant aux secours militaires, l’organisation sanitaire et la logistique étaient placées sous le commandement des intendants et non des médecins, et malgré quelques progrès cette organisation laissait beaucoup à désirer. Dans toutes les armées européennes, le service de santé s’occupant des blessés de guerre n’était guère mieux loti que l’armée française. Dans la guerre de Crimée, dans les guerres d’Italie, à Solférino en particulier, dans le conflit de 1870, des critiques justifiées se feront jour et le cri d’alarme de Dunant après Solférino est l’acte fondateur de la Croix Rouge Internationale.

En dépit d’un début catastrophique, les conditions du relèvement, les premiers soins au poste de secours, le nécessaire triage en cas de lourdes pertes, surtout le traitement chirurgical dans les ambulances avancées en particulier les « auto-chir », le transport par ambulances automobiles et l’évacuation par trains sanitaires ne cesseront de s’améliorer au cours des quatre années du premier conflit mondial au point d’arriver in fine en 1918 à une sorte de perfection.

Il était normal que l’on cherchât en temps de paix à mettre en pratique ce qui avait été expérimenté sur une large échelle en temps de guerre. Certes entre 1870 et 1914 déjà, il y avait eu quelques tentatives d’équiper des ambulances de moyens de secours pour noyés et asphyxiés, de les répartir en différents points d’une grande ville et même de faire partir dans ces véhicules un interne, mais la tentative parisienne du Docteur Nachtel (1884), encouragée par Victor Hugo s’enlisera dans les rivalités entre l’assistance publique et la ville de Paris.

A la fin du XIXème siècle, le secourisme est à la fois celui qui apporte une aide et celui qui est membre d’une organisation de secours, par exemple l’association des secouristes français fondée en 1892.

A partir de 1924, Cot médecin-chef du Régiment des Sapeurs-Pompiers de Paris, et qui deviendra Médecin-Général, établit une véritable doctrine des secours. Disposant d’ambulances bien réparties, il préconise le prompt secours, les soins donnés sur place se continuant pendant le transport. Il associe les trois principes de sauvetage, de secourisme et de soins en assurant la mise en condition de survie et de transport. Il assure par ailleurs la formation des Sapeurs-Pompiers aux gestes de secourisme, préconise l’intervention en équipes et la présence éventuelle d’emblée ou sollicitée d’un médecin. Il s’agit donc bien là, à Paris, dans le cadre du Régiment de Sapeurs-Pompiers [4] du premier Service Mobile d’Urgence et de Réanimation, les soins allant à la victime extraite éventuellement du milieu agressif, mise en condition et transportée dans un véhicule approprié et équipé vers les structures hospitalières. Il aurait souhaité un hôpital spécialisé pour les urgences : Hôtel Dieu, Maison des gardiens de la paix, mais s’il réussit magnifiquement sur toute l’organisation extra-hospitalière confiée à ses seuls moyens, il ne put entamer le mur d’indifférence, voire même d’hostilité quand il cherchera déjà (!) à organiser les urgences à Paris.

Le schéma d’organisation des secours civils lors du second conflit mondial s’appuiera sur les Sapeurs-Pompiers, les ambulances de la Croix-Rouge-Française, les services de la défense passive. Il faut attendre les années 1950-70 pour que l’on commence à se préoccuper de l’échelon préhospitalier. Marcel Arnaud à Marseille, neurochirurgien, s’intéresse particulièrement au dégagement nécessitant souvent la désincarcération, aux soins sur place et pendant le transport des traumatisés de la route, en rappelant que « l’on ramasse trop souvent un blessé, qu’on transporte un mourant, que l’on hospitalise un mort ». Sur ces principes, une antenne ambulancière hospitalière médicalisée destinée aux accidents de la route fonctionna dès 1957 à Salon de Provence sous la direction du chirurgien Bourret.

Lors de l’épidémie de poliomyélite en 1956, Maurice Cara créa de toutes pièces un service mobile, équipé de respirateurs, permettant le transport inter-hospitalier souvent à distances de 200 km, des détresses neuro-respiratoires.

En 1962, je prends l’initiative de former à Nancy des externes des hôpitaux pour aller à la rencontre des situations urgentes, des détresses cardiocirculatoires, respiratoires et toxicologiques. J’établis un tour de garde quotidien dans une caserne de Sapeurs-Pompiers, puis j’en multiplie les postes en couvrant les secteurs du Département de Meurthe et Moselle de telle sorte que tout blessé, tout intoxiqué, tout cardiaque puisse être joint dans un rayon de moins de 18 kilomètres par une ambulance médicalisée dont les délais d’intervention devaient être les plus courts possibles après réception de l’appel bien entendu. Il s’agissait là de l’implantation d’un Service Mobile d’Urgence et de Réanimation mixte, associant Sapeurs-Pompiers et étudiants hospitaliers spécialement formés dont la localisation était effectivement extra-hospitalière, disposant du numéro d’appel des Sapeurs-Pompiers le 18, du maillage des Sapeurs-Pompiers tous secouristes qualifiés [5], avec possibilités de renforts, d’utilisation de moyens de désincarcération et de transmission performants.

Des initiatives comparables et parfois cependant différentes en ce qui concerne certains principes de base furent prises par mes collègues Serre à Montpellier, Lareng à Toulouse, Cara et Huguenard à Paris [6].

La nécessité d’une coordination départementale à partir d’un Centre Hospitalier important (Centre Hospitalo-Universitaire) se fit sentir et aboutit à la notion capitale d’aide médicale urgente (AMU) et de Service d’Aide Médicale Urgente (SAMU) dont le sigle euphonique est aujourd’hui si familier qu’il s’est substantivé et s’applique à toutes les situations de détresses, non seulement physiques mais encore morales et sociales.

 

L’Aide Médicale Urgente

 

Ainsi, le Service d’Aide Médicale Urgente avait été préfiguré dans diverses organisations avant le et les décrets fondateurs [7].

Il s’agit de l’aide médicale urgente et donc d’une institution publique qui garantit une médicalisation rapide et un transport médicalisé des situations urgentes et d’abord des urgences vitales.

Le SAMU, jumelé à l’organisation de l’accueil des hôpitaux dont nous reparlerons assure la gestion de l’urgence extrahospitalière, du « pied de l’arbre à l’accueil hospitalier ». Son but au demeurant très louable est de garantir un accès égal à des soins de qualité pour tous, en tout point du territoire. Le SAMU fait partie intégrante d’un hôpital important mais son activité principale se situe hors les murs avec des composantes centrale et périphériques que sont les Services Mobiles d’Urgence et de Réanimation (SMUR).

Il existe par ailleurs et nous en reparlerons un centre 15 de réception et de régulation des appels (CRRA), disposant d’un médecin régulateur et de permanenciers auxiliaires de régulation médicale (PARM). Cet ensemble doit apporter rapidement un savoir-faire, une compétence, une efficacité (et si possible une efficience…) dans toutes les situations d’urgence, réelles ou ressenties [8], à domicile, sur la voie publique, sur les lieux du travail, à l’école, dans les piscines, etc… En orientant au mieux les blessés et malades, il cherche à concilier les impératifs souvent contradictoires de proximité et de sécurité. Je sais d’expérience combien il est difficile avec ces moyens pourtant importants de concilier les principes que j’avais définis dès 1962 de cohérence du dispositif et en particulier du maillage du territoire, de la rapidité d’arrivée des secours médicalisés ou non, de leur technicité et de leur rentabilité. Il convient bien entendu de donner la préférence à la qualité technique et à la sécurité sur les avantages apparents et illusoires de la proximité.

L’aide médicale urgente s’appuie donc sur les SAMU, un en principe par département, certains ayant vocation de SAMU régional [9] lorsqu’ils sont implantés dans un CHU, sur les SMUR (Service Mobile d’Urgence et de Réanimation) dont un obligatoirement au siège du SAMU et les véhicules sont qualifiés d’unités mobiles hospitalières (UMH).

En 2007 il y a 107 SAMU et 384 SMUR, en principe, les SMUR doivent être répartis sur le territoire de façon à réaliser un maillage efficace en articulation avec les hôpitaux les plus proches.

Les SAMU doivent établir des conventions obligatoires avec les Services Départementaux d’Incendie et de Secours (SDIS) disposant de véhicules de soins aux victimes (VSAV), d’un Commandement Opérationnel de la Direction d’Incendie et de Secours (CODIS) et d’un Centre de Transmission et de Réception des Appels (CTA ou CTRA). Des accords plus ou moins variables sont également établis avec les permanences de soins médicales (et aujourd’hui lorsqu’elles existent, les maisons médicales de garde), les dispositifs privés de médecins urgentistes qualifiés de SOS médecins, les ambulanciers privés, les associations de secouristes (Protection Civile, et Croix-Rouge Française). Enfin, l’Aide médicale urgente doit s’appuyer sur les structures d’accueil hospitalières plus ou moins lourdes, polyvalentes ou spécialisées.

 

Mise en cause, évaluation critique de la notion d’Aide Médicale Urgente. Dispositions administratives et juridiques

 

Les apparences administratives et juridiques ainsi que l’ampleur des moyens déployés donnent l’impression d’un service public important, cohérent couvrant le territoire national et les DOM TOM . Cependant, le concept même d’AMU reste flou et ne recouvre, en dépit des apparences, aucune unité conceptuelle ou fonctionnelle, et ceci d’abord en raison de l’hétérogénéité des intervenants de la chaîne des secours : victimes… public, témoin(s), secouristes ou même médecin présents sur place, services de police et de gendarmerie, Sapeurs-pompiers avec leurs moyens d’intervention et, le cas échéant, leurs infirmiers et médecins, praticiens, unités mobiles hospitalières (UMH ou SMUR) dépêchées par le SAMU, ambulanciers privés et à l’hôpital d’accueil, ensemble du personnel [10]

Les textes qui concernent l’AMU émanent du ministère de la Santé et traitent de la question comme s’il s’agissait dans son ensemble d’un service public hospitalier, même et surtout lorsqu’il intervient hors de l’hôpital. Ils concernent les transports sanitaires, l ‘accueil hospitalier, la médecine d’urgence, le Plan blanc, etc. D’autres textes émanent du ministère de l’Intérieur chargé de la Sécurité civile ; ils concernent les missions de sauvetage et de secours pour les personnes et les biens, mais les missions qui nécessitent l’envoi de secours ont le plus souvent une composante de soins d’urgence ; les accidents de la route, les missions des Sapeurs pompiers, le secourisme, les dispositions ORSEC, le Plan rouge, etc. Même s’il s’agit de textes interministériels, et si l’on semble rechercher des rapprochements s’attachant à la même réalité, celle des secours, les textes exposent deux conceptions et comme deux systèmes, les uns axant tout sur l’hôpital, le SAMU-centre 15, les antennes SMUR et UMH, la participation des généralistes et des ambulanciers privés ; les autres sur le maillage des Sapeurs pompiers. Devant ces insuffisances et ces contradictions, le rapport Steg devant le Conseil économique et social, recommandait de ne pas légiférer davantage si on ne prenait pas en compte la globalité de la chaîne des secours, ses multiples intervenants ainsi que la spécificité du service public, meilleure sauvegarde de l’intérêt des usagers. Il mettait en garde aussi contre une attitude trop centralisatrice (« jacobine »), cherchant à mettre sur pied et à faire fonctionner un service unique, homogène sur l’ensemble du territoire. Sur ce point aussi, on pense à Montesquieu : « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires. »

Il conviendrait donc de se préoccuper de l’organisation générale des secours plutôt que de l’aide médicale urgente en préconisant :

  • la globalisation et l’intégration de tous les acteurs et de tous les moyens participant à la chaîne des secours ;

  • l’indépendance au moins relative des moyens de ramassage et d’évacuation par rapport aux formations de traitement (à l’instar des habitudes du Service de santé des armées en campagne) ;

  • la sectorisation et même la sous-sectorisation (à l’échelon du canton) assurant une vraie couverture de l’ensemble du territoire [11] ;

  • la coordination souple et harmonieuse en principe à l’échelon du département avec interconnexion des centraux 18 et 15, conseils et décisions médicalisées émanant des centres 15, envoi de renforts par les SMUR et les Sapeurs pompiers, utilisation rationnelle des vecteurs automobiles et héliportés ;

  • la collaboration et la concertation régulières des services publics [12] concernés comportant un échange permanent et loyal de services et de moyens, chacun gardant une autonomie de fonctionnement dans le souci d’une même finalité au service des victimes, mais sans hiérarchie ni subordination d’un service à l’autre.

Cette dernière formule devrait écarter définitivement « la guerre des urgences » (les Blancs et les Rouges…) tout en veillant à ne pas considérer les Sapeurs pompiers comme un personnel ancillaire du SAMU, à n’utiliser qu’en l’absence d’autres moyens et en leur évitant de subir des initiatives unilatérales du ministère de la Santé ayant des conséquences opérationnelles et financières sur les SDIS. Les secours rapides et efficaces à coût maîtrisé doivent considérer dans le domaine extra-hospitalier, les Sapeurs pompiers comme d’incontournables partenaires à part entière [13].

 

Procédures et moyens

 

Comme il est normal, un service de cette importance devait être évalué scientifiquement. Quelques remarques publiées dans la presse scientifique ont été faites concernant le transport et la première réanimation en particulier des traumatisés. On a remarqué et depuis corrigé par exemple une prescription excessive de certains solutés entraînant une hémodilution et un risque d’œdème cérébral, tout spécialement lorsqu’il s’agit de traumatismes crâniens. On a regretté que l’on n’emploie pas de façon large la transfusion à l’avant en utilisant en particulier lorsque l’on sait que l’on va se trouver devant une urgence hémorragique des flacons de sang dit de donneur universel non dangereux, que les centres de transfusion en raison des risques ne délivrent qu’avec beaucoup de réticence. On s’est interrogé sur les mérites respectifs des substituts du plasma et du sérum salé hypertonique. Les relevés statistiques, enfin certaines méta-analyses ont même mis en cause l’intérêt vrai des secours médicalisés spécialisés extra-hospitaliers en montrant que les résultats étaient sensiblement comparables en terme de mortalité et qu’il subsistait cependant un avantage pour les transports médicalisés en termes de séquelles et de qualité de vie. Malgré ces critiques, on doit souligner le sauvetage de vies et la meilleure survie lorsque la prise en charge avec médicalisation (ou même para-médicalisation) a été précoce et active (« agressive »).

Il est tout à fait normal que le Service d’Aide Médicale Urgente se préoccupe de l’évaluation, non seulement quantitative mais surtout qualitative de leurs interventions, et ne cesse de perfectionner l’éducation et l’entraînement de leur personnel [14] et la mise à disposition de moyens adaptés et performants. Les SAMU et SMUR doivent en effet disposer de moyens propres à l’urgence, robustes, faciles à mettre en œuvre et sans cesse perfectionnés : moyens d’immobilisation (matelas coquille), de perfusion, voire de transfusion ; moyens de réanimation cardiaque (défibrillateurs), d’assistance ventilatoire (respirateurs de transport [15] techniques, de ventilation non invasive ou VNI). On peut également dans l’ambulance pratiquer certains examens biologiques de lecture rapide, semi-monitorés (sorte de biologie embarquée) [16]. On dispose aussi de moyens d’informatisation et bien entendu de transmission ne rendant plus l’équipe extrahospitalière isolée mais susceptible d’obtenir des conseils et de demander des renforts [17]. Toutes ces techniques et tous ces protocoles de prise en charge doivent faire l’objet d’une évaluation scientifique permanente.

 

Critiques concernant la « tactique française » des SAMU

 

Les commentaires critiques sur le principe même de la tactique d’intervention sont en général le fait des pays anglo-saxons. Dans les pays anglo-saxons en effet, en particulier aux Etats-Unis d’Amérique, le secteur extra-hospitalier est l’apanage de « paramedics [18] » (« Emergency medical technicians paramedics » ou EMT [19]) c’est-à-dire de secouristes ambulanciers ou infirmiers montés à bord d’ambulances qui sont sollicités comme on le fait pour un taxi et qui patrouillent en permanence comme je les ai vus à Seattle dans l’attente d’un appel. Intervenant en équipes, ils sont rôdés à la pratique quasi-automatico-réflexe de certains gestes et de certaines techniques permettant la survie et le transport le plus rapide possible jusqu’au Centre Hospitalier. C’est l’habitude dite du « scoop and run ».

Ceci explique au-delà de la notoriété de la victime et du retentissement médiatique la polémique qui s’est instaurée à l’occasion de l’accident du pont de l’Alma et du décès de la princesse Diana : le monde entier se souvient de la mort de la Princesse de Galles, épouse du Prince Charles d’Angleterre. A 1 heure 33 du matin, le 31 août 1997, la Mercedes dans laquelle elle se trouvait heurta à 130 Kms/h un poteau puis le mur du tunnel de l’Alma. Dodi El Fayed et le chauffeur sont tués sur le coup, le garde du corps grièvement blessé ; la Princesse dans un état très grave est désincarcérée et « techniquée » par des médecins urgentistes du SAMU pendant deux heures sur place pour la rendre plus facilement transportable à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière où elle décède à 4h du matin. On sait combien l’événement a suscité de commentaires et d’hypothèses politiques, sentimentales et même criminelles. La responsabilité des soins pratiqués sur place et de l’organisation des secours d’urgence a été mise en cause par des chirurgiens français et surtout anglo-saxons. Dans l’ouvrage intitulé « mort d’une Princesse » Thomas Sancton et Scott Mac Leod, journalistes du Times, on peut lire « Diana dépendit des soins d’un système de médecine d’urgence qui en dépit de son excellente qualité générale a peut-être appliqué une méthode désastreuse pour traiter le genre de blessures dont elle venait d’être victime ». Il faut dire que dans le cas particulier il s’agissait d’une rupture de l’artère pulmonaire qui doit comme celle de l’aorte être soupçonnée lors de tout traumatisme thoracique avec enfoncement. Il aurait mieux fallu en effet dans ce cas particulier appliquer la doctrine anglo-saxonne en transportant même dans un état d’instabilité la Princesse à un hôpital de chirurgie thoracique où l’on aurait pratiqué une intervention d’urgence peut-être salvatrice.

Si les critiques ont pu en effet être fondées concernant ce cas particulier, il convient de ne pas opposer de façon aussi schématique et brutale l’aide médicale urgente à la française et les soins donnés par les « paramedics » aux USA (en l’absence de médecins ou « physicians »). On ne peut pas opposer « scoop and run » à une sorte de présentation un peu ironique de la doctrine française, « stay and play ». Il s’agit bien d’associer une action sur place (« stay and play », en évitant de traduire « play » par « jeu »…) et un transport aussi rapide que possible en maintenant la surveillance (« play and run »).

 

L’arrêt cardiaque, le défi des délais. Priorité au secourisme et à la coordination sectorisée des secours

 

Il faut dire cependant que l’urgence absolue que constitue l’arrêt cardiaque nécessite des gestes immédiats (massage cardiaque et défibrillation) à réaliser dans les minutes qui suivent l’arrêt, ne peut être prise en charge qu’exceptionnellement par les moyens lourds et spécialisés (SAMU-SMUR) dont les délais d’intervention restent en moyenne très supérieurs à 5 minutes sauf exception.

Il faut donc une chaîne de secours permettant d’intervenir plus rapidement en associant des secouristes tout venant se trouvant occasionnellement sur place, donnant l’alerte et pratiquant les premiers gestes et surtout des équipes de prompt secours qui compte tenu du maillage sont le plus souvent des Sapeurs-Pompiers qui interviennent dans des ambulances disposant de défibrillateurs semi-automatiques (DSA) ou automatique (DA). L’alerte est obligatoirement donnée également parallèlement aux SAMU-centres 15 qui mettent en œuvre des moyens qui arrivent secondairement, poursuivent et complètent la réanimation susceptible d’être aujourd’hui prolongée par l’hypothermie modérée de plus en plus précoce. La responsabilité du ou des premiers intervenants est capitale. Il leur faut donc connaître le risque, savoir appeler, décrire les éléments d’une situation urgente, déceler les signes de gravité immédiate ou potentielle et pratiquer le plus rapidement possible les techniques de secourisme : massage cardiaque externe et défibrillation ; tout ceci ne peut être dissocié d’une pratique largement diffusée, enseignée et recyclée des consignes : alerter, protéger, secourir et surtout des gestes élémentaires de survie et d’un secourisme plus différencié à une part que l’on souhaite toujours plus importante de la population (passer de 5 % à au moins 20 à 25 %), ce qui suppose un effort résolu et persévérant d’éducation sanitaire. Associé à l’équipement des ambulances en DF et à une dispersion raisonnable de ces appareils dans divers locaux recevant du public, il devrait être possible d’améliorer les résultats obtenus par le traitement d’urgence de l’arrêt cardiaque en passant de 5 % actuellement de survies sans séquelles à plus de 20 % et en s’approchant du 30 % anglo-saxon [20].

Il convient aussi et surtout d’affiner sans cesse la coordination des secours sectorisés en recourant aux maillage des formations les plus disponibles et les plus proches en particulier des sapeurs-pompiers, en multipliant l’information réciproque et l’envoi sur demande de renforts plus spécialisés venant à la rencontre, sollicités en fonction des caractéristiques de l’appel et des constatations des premiers intervenants, et ceci quels que soient l’obédience et le rattachement administratif. On doit donc s’orienter vers une unification de la chaîne des secours et un retour à l’appel immédiat des secours les plus proches, car si pour certaines urgences, on peut parler d’heure d’or (« Golden hour » de Cowley), pour une intervention efficace, en cas d’arrêt cardiaque, il s’agit de quelques minutes (moins de quatre ou cinq).

Au-delà du souci par ailleurs légitime d’établir des secours disponibles à tout moment et en tout lieu, il faut bien reconnaître qu’il subsiste une répartition obligatoirement inégale et hétérogène en dépit de la volonté toujours exprimée de l’égalité à l’accès des soins de qualité sur l’ensemble du territoire. Il n’est pas facile et probablement même impossible de concilier parfaitement les impératifs de proximité et de sécurité, d’égalité et d’équité dans tous les cas.

Un bilan des moyens des secteurs et des sous-secteurs quels qu’ils soient (jusqu’à l’échelon du canton) une excellente coordination des SMUR et des sapeurs-pompiers, une « mutualisation » chère à Michel Crozier de tous ces moyens intervenant immédiatement ou en renfort devraient permettre d’assurer un meilleur service et une parfaite qualité des interventions au service de tous, quelle que soit la localisation de l’appel sur le territoire. C’est dire que le réseau d’urgence doit être centré par le patient, son état, en tenant compte des ressources locales immédiatement disponibles [21].

 

Moyens d’intervention lourds et légers – l’hélicoptère pour mission primaire

 

Les moyens lourds (avec présence de médecins « seniors [22] » formés à l’urgence). resteront toujours l’apanage des SAMU et des SMUR hospitaliers mais il conviendra probablement de renforcer l’emploi des commandos de prompt secours basés sur le maillage des Sapeurs-Pompiers et d’établir en collaboration avec les SMUR, mais aussi les médecins de Sapeurs-Pompiers des formations intermédiaires, SMUR légers en quelque sorte qui n’appelleraient les moyens lourds et en particulier les hélicoptères que dans des circonstances précises ayant bénéficié d’une appréciation sur place et de premiers soins.

En ce qui concerne l’hélicoptère, je dois dire que leur emploi constituerait ou du moins aurait constitué un chapitre spécial du « mal français » si bien décrit par votre regretté confrère Alain Peyrefitte. Les hélicoptères ont surtout été utilisés d’abord pour les transports secondaires d’hôpital à hôpital, mais on devait rapidement se rendre compte que les hélicoptères légers particulièrement bien adaptés aux secours et pas seulement en montagne ou en mer, disposant d’une civière, de la possibilité de pratiquer sinon des soins, au moins de continuer la réalisation d’une surveillance pendant le transport, sont des moyens qui par leur ubiquité et leur rapidité peuvent réaliser de plus en plus des transports primaires du lieu de l’accident à l’hôpital dans des conditions de rapidité et d’efficacité certaines.

Or les hélicoptères français sont de diverses origines : hélicoptères bleus de la Gendarmerie siégeant en général au siège de la région militaire, hélicoptères rouges de la Sécurité Civile répartis le long des côtes et en montagne et dans quelques grandes villes en raison, il faut le dire, d’influences politiques ; hélicoptères kaki ou couleur sable de l’ALAT [23] qui appartiennent à des régiments d’hélicoptères et à une « brigade aéromobile » (autrefois division) ; hélicoptères de certains services publics en particulier des douanes ou enfin appartenant à des sociétés privées qui offrent leurs services en régie ou en location auprès des SAMU, longtemps subventionnés par des collectivités territoriales « riches », et aujourd’hui le plus souvent par les agences régionales d’hospitalisation (ARH). Il y a aujourd’hui environ 50 SAMU qui disposent d’un hélicoptère (de statut et de rattachement différents).

Les hélicoptères publics non directement rattachés aux SAMU ne peuvent être utilisés que sur réquisition et en général après préavis (d’au moins une heure) ou dans le cadre de contrats négociés entre les administrations comme il en a existé un moment entre le Ministère de la Défense et le Ministère de la Santé (avec une répartition que l’on pouvait juger aberrante).

Au siège d’un SAMU de région à Nancy, entre les hélicoptères bleus de la Gendarmerie à Metz et à Dijon, un hélicoptère rouge de la Sécurité Civile à Strasbourg, à côté du commandement aéromobile le plus important de France à Nancy et pendant longtemps de deux régiments d’hélicoptères à Nancy, il m’a fallu après 25 ans de démarches me résoudre à la formule d’un contrat de location d’un hélicoptère privé, alors que je tiens à le dire, les Allemands quelles que soient la localisation et l’appartenance des hélicoptères, ont quadrillé leur territoire de telle façon que la procédure d’appel se fasse au plus près et si l’hélicoptère le plus proche n’est pas disponible à un hélicoptère situé dans un cercle un peu plus extérieur. J’ajoute que le remboursement tarifaire (forfait et kilométrage) est le même pour tous les appareils et que le financement est assuré par un dispositif d’assurances négocié à l’échelon fédéral et national.

 

L’appel à secours. Le problème du numéro d’appel unique et de la coordination de ces numéros d’appel

 

Le problème du numéro d’appel unique « au secours » se pose pratiquement depuis l’invention de G. Bell. Le téléphone a joué un rôle essentiel dans le développement des secours. Présenté devant les sociétés scientifiques en 1877, il fait l’objet dès 1899 d’une réglementation et Paris et New York furent les deux premières grandes villes à s’équiper de bornes téléphoniques d’appel de secours, police et pompiers.

Les Russes, au début du XXe siècle, proposèrent un système que les soviétiques généralisèrent, de l’appel différencié dit « skoraya » : 1 pour la Police, 2 pour les Pompiers, 3 pour les stations d’ambulance. On aurait pu en France préconiser le 17 pour la Police et la Gendarmerie, le 18 pour les Services d’Incendie et de Secours, le 15 pour l’Aide Médicale Urgente mais leur implantation et leur généralisation sur l’ensemble du territoire se firent sans concertation suffisante entre les différents services et les PTT. Un central inter-déparmental interconnecté 17-18-15, au moins pour les départements de moyenne importance et la mise à part des appels urgents nécessitant un avis médical soumis à la règle du secret médical, éventuellement partagé par les standardistes et permanenciers, eût été une solution mais elle ne fut pas privilégiée malgré plusieurs « mariages » du 18 et 15 réalisés avec succès en particulier dans le Puy de Dôme, en Haute-Savoie, dans l’Aude…

Pour notre part, nous n’avons jamais préconisé l’hégémonie et le monopole de tel ou tel numéro ; le public a l’habitude de deux numéros pour tout ce qui concerne les urgences et les secours à personne ; une interconnexion avec autocommutation souple et intelligente, renvois d’appel et éventuellement écoute mixte, conférence à trois, représente la meilleure régulation permettant l’envoi rapide de moyens adaptés et ceci quels que soient le type d’urgence et les circonstances.

Je signale que le 112 [24] est un gadget européen imposé par le Danemark qui n’avait probablement rien d’autre à proposer aux institutions européennes… se superposant aux installations et aux habitudes nationales et ne se reliant pas au moins initialement aux numéros habituels le 15 ou le 18. Il y a encore d’autres numéros dits d’appel unique, ce qui est une contradiction : SAMU social, numéro des violences, Sidaction, etc…

A l’étranger, sauf en Russie, les numéros d’appel aboutissent aux services d’incendie et de secours ou de police et ne sont pas « médicalisés ».

Les téléphones portables ont certes diminué les délais d’alerte mais trop souvent appauvri en contrepartie la qualité des informations. Il faut signaler qu’il existe maintenant des signaux percepteurs placés dans la structure du véhicule.

Quel que soit le standard et s’il s’agit plus particulièrement du centre 15, dans le cadre du SAMU, il faut se préoccuper de distinguer ce qui est demande de conseils, ce qui est consultation téléphonée, ce qui est SVP médical ou même sanitaire au sens le plus large concernant les pharmaciens, les infirmiers, les vétérinaires (au total, plus de 30 % des appels au 15) …

Les questions très simples doivent être hiérarchisées car l’intervention doit être aussi courte que possible et cependant à l’issue de cette conversation il convient de donner un avis, voire de procéder à une décision, de suggérer une prescription, ce qui peut entraîner des responsabilités médico-légales et judiciaires de la « médecine téléphonée ».

Etant donné le nombre d’appels par jour et par an, les centres 15 sont aujourd’hui dans de nombreux cas saturés et de ce fait, il devient difficile de recevoir immédiatement les appels vraiment urgents. Il est ennuyeux d’entendre pour ce que nous appelons les appels rouges, pendant des secondes ou des minutes précieuses, la petite musique et : « vous êtes en relation avec…, quelqu’un va vous répondre » ; lorsqu’on cherche une réponse immédiate, ceci ne peut être considéré comme satisfaisant. En principe, les centres 15 doivent être à l’écoute, pouvoir donner des conseils mais surtout décider de l’envoi d’une ambulance publique : Sapeurs-Pompiers, SMUR ou ambulance privée, d’un secours médical en faisant appel éventuellement à un médecin généraliste de secteur dans le cadre par exemple d’une permanence de soins mais aussi médecin généraliste prédéterminé dit médecin effecteur ou correspondant de SAMU, enfin créer la possibilité d’une hospitalisation dans un lieu aussi proche que possible ou approprié à l’état réel ou seulement supposé de l’interlocuteur téléphonique. Le rôle des permanenciers auxiliaires de régulation médicale spécialement formés à l’appel est donc de percevoir une gravité réelle et potentielle, de calmer le jeu, de poser quelques questions essentielles comme : « parle t’il, respire t’il, a-t-il un pouls ? ». Ils doivent avoir des qualités d’écoute, faisant preuve de bon sens et de patience, tout en sachant que les minutes et même les secondes comptent. Les médecins régulateurs consultés par les permanenciers, selon les cas, donnent des conseils médicaux et prennent les décisions d’envoi de tel type de secours. Il convient de signaler de très nombreuses erreurs de numéros, faux appels, mauvaises blagues d’écoliers désœuvrés, parfois injures obscènes, confusion avec SOS social, SOS Amitié, consultations pour ce que nous appelons la « bobologie », parfois difficiles à distinguer des vraies urgences ; nous avons même vu des suicides en direct, des dénonciations, des appels concernant les animaux domestiques ou les ascenseurs en panne…

Devant ce problème de la saturation des centres 15, deux solutions sont possibles, soit comme le préconisent certains directeurs de SAMU d’élargir sans cesse la plate-forme en la rendant de plus en plus univoque ; de ce fait les responsabilités seront accrues mais il conviendra d’augmenter sans cesse et toujours les moyens… Ce sont les mêmes qui ont toujours fait de la conquête du numéro 15 un symbole de pouvoir et d’hégémonie [25]. L’autre au contraire est de réduire et de sélectionner ou de réorienter les appels en multipliant les numéros particuliers, les numéros de secteurs, les numéros « privés » du SAMU et les permanences de soins arrivant au même standard du 15 mais avec des numéros distincts de façon à ce que de plus en plus le numéro 15 soit effectivement réservé aux urgences vraies, vitales, qu’il s’agisse d’urgences réelles ou d’urgences ressenties comme telles.

 

Les structures d’accueil hospitalier

 

Tous ces services extrahospitaliers ne peuvent être réellement utiles pour le public que dans la mesure où ils s’articulent avec les Services d’Accueil des Urgences dans les structures hospitalières. Le rapport d’A. Steg en 1984 complété par de nombreux décrets concernant la réorganisation des urgences en 1993, en 1997 (30-05), en 2003 (16-04) à l’occasion de la canicule, en 2006 (22-05) et en 2007 ont conduit à une meilleure répartition des services d’accueil des urgences dits SAU, moins nombreux mais mieux équipés pour réaliser 24h/24 un accueil polyvalent de toutes les situations urgentes et permettant en particulier de réduire la mortalité de la première heure lors du passage à l’accueil ; ils étaient répartis en service d’accueil des urgences (SAU), Unités de proximité d’accueil de triage et d’orientation des urgences (UPATOU), ex antennes d’accueil et d’orientation (ANACOR) et pôles spécialisés (POSU) par exemple pédiatrie, obstétrique, psychiatrie. On parle aujourd’hui globalement de structures d’urgence [26]. En 2003 il y avait 200 services d’urgence ayant accueilli 13 millions de personnes. Là encore, comme pour les centres 15, l’activité de ces secteurs ne cesse d’augmenter [27] car le public va aux urgences de plus en plus facilement, par commodité, en confondant ces services avec les visites médicales non programmées ou les consultations à n’importe quelle heure de la journée ou en fin de semaine. De plus, une croyance partiellement inexacte est que l’urgence hospitalière est gratuite et sans ticket modérateur. Les centres sont donc victimes de leur succès ; le flux entrant étant par nature séquentiel et aléatoire (variable selon l’heure, le jour et la saison) ; ils sont de plus en plus sollicités et souvent saturés par le tout venant dont le comportement général a beaucoup évolué : consultations se présentant à toute heure, cas sociaux, petits maux, « bobos », « demandes d’hospitalisation d’urgence » pour placement en particulier des personnes âgées à la veille des vacances (urgences « déguisées »)… et ceci au détriment des urgences vraies, qui si elles n’ont pas fait l’objet d’une signalisation préhospitalière peuvent attendre d’une façon inconsidérée. A titre d’exemple, le Service d’accueil du CHU de Nancy a dénombré en 2006 42 585 passages se répartissant en 23 816 cas médicaux et 18 769 cas chirurgicaux.

Les délais n’ont cessé de s’allonger d’autant qu’à l’encombrement d’amont s’associent le plus souvent des difficultés d’écoulement en aval, vers les services qualifiés de « structures hospitalières ». La tendance est alors d’évoluer d’un service « filtre », plaque tournante vers un hôpital au sein de l’hôpital, ce qui constitue une déviance nouvelle et préjudiciable.

En dépit de la rationalité certaine de la réorganisation des structures d’accueil des urgences dans les hôpitaux publics et plus récemment dans les cliniques sous l’égide des pouvoirs publics à la suite des réclamations claires et exigeantes du rapport Steg, réclamant compétence, permanence et responsabilité. Il faut reconnaître que ces structures ne fonctionnent pas toujours de façon satisfaisante et que de nombreux rapports relatés dans la presse en font état [28]. Des descriptions remplies d’humour grinçant par des journalistes (C. Clerc), des écrivains (P. de Boisdeffre parlant du « grand embouteillage ») et même des responsables hospitaliers de haut rang (de Kervasdoué) s’en sont faits l’écho. Les griefs viennent essentiellement à la longueur des délais d’attente sur chaise ou sur brancard dans un contexte émotif compréhensible.

La durée d’attente est en effet de plus de 3 heures dans plus de 20 % de cas, de plus de 5 heures dans 10 % des cas ; elle est en moyenne d’1 h 50 à 5 h 10 (3h 40 en première approximation) selon les services et pour les plus de 75 ans, de 2 h 25 à 11 h 10 ! Il convient en effet de réaliser de nombreuses opérations, formalités administratives, examens cliniques, examens complémentaires pourtant regroupés, examens d’imagerie, examens biologiques, éventuellement un hébergement provisoire (pas plus de 36 heures) dans des structures « tampons [29] », associées au service d’accueil [30] et d’orienter les patients soit vers des soins sans hospitalisation, soit vers une structure hospitalière aussi spécialisée et adaptée que possible. Les statistiques montrent que 80 % de ceux qui se présentent aux urgences ne justifient pas une hospitalisation. Il s’agissait bien de consultations de commodité. Il faut donc réduire et accélérer les passages aux urgences sans perte de chance. Une parfaite coordination avec les structures d’amont est évidemment nécessaire. A l’intérieur même des structures, les responsables se sont penchés sur la multiplicité de ces problèmes ; il convient de s’orienter dans différentes voies : d’abord une optimisation du temps et des actions, l’intervention aussi coordonnée que possible des médecins et des paramédicaux (infirmières d’accueil et d’orientation, binôme médecin-infirmière), la surveillance attentive des indicateurs de qualité (analyse de la valeur, organisation du travail avec protocoles, bonnes liaisons et utilisation méthodique du matériel) ; enfin et surtout, la décision de catégorisation et d’orientation prise par un médecin qualifié et expérimenté ayant le sens de l’urgence : nature, catégorisation, gravité immédiate et potentielle, soins nécessaires. En dépit des progrès réalisés, il subsiste d’énormes problèmes de personnel tant en qui concerne leur nombre et leur qualification. Il faudrait éviter que le panneau « Hôpital » ne corresponde à une façade à la Potemkine…

En aval, le service d’accueil, structure à la disposition de tous, et d’abord pendant la nuit, lors des week-ends et des périodes de vacances… doit rester en en liaison permanente avec tous les autres services de l’hôpital [31]. Or la plupart des services se désintéressent progressivement de l’urgence non programmée. Chaque service doit ou devrait recevoir dans les meilleures conditions et parfois de façon directe ou très rapide, les urgences relevant de son orientation sans négliger les hospitalisations nécessaires de cas non encore diagnostiqués ou relevant de plusieurs pathologies comme cela est souvent le cas chez les personnes âgées [32]. Il conviendrait que dans chaque service et à l’échelon d’un hôpital tout entier il y ait une réserve de lits réactivable car une des grosses difficultés est liée à la fermeture, pour des raisons budgétaires, de lits dans de nombreux services. Il faut garder la possibilité d’une interaction de service à service (avec volant de sécurité, structures flexibles « accordéon »), enfin se préoccuper davantage qu’on ne le fait du moyen et du long séjour, des services de médecine générale polyvalente dotés de secteurs de consultations à horaires élargis et jugés pratiques par le public. Il en est de même pour la traumatologie légère, moyenne ou grave car dans l’ensemble les spécialités de cardiologie, de neurochirurgie, d’urologie, de chirurgie maxillo-faciale, de chirurgie de la main, des spécialités ORL et ophtalmologie fonctionnent pour les urgences dans des conditions satisfaisantes (filières plus ou moins spécifiques accédant à des plateaux techniques performants). Pour la psychiatrie, nous avons montré (1987) l’intérêt du jumelage d’un service d’accueil de CHU et d’une unité d’accueil des urgences psychiatriques disposant d’un personnel spécialisé, médecins et infirmiers venant d’un Centre hospitalier spécialisé (CHS) [33].

En ce qui concerne la traumatologie (et surtout les polytraumatisés) la réponse est variable selon les lieux. L’idéal est d’utiliser une filière de soins comportant un plateau technique performant, des équipes de traumatologie et de réanimation entraînées, de garde ou d’astreinte ; seule la régionalisation orientant vers des centres disposant de la « masse critique » (« notion de trauma center ») permettra de mieux réduire la mortalité et la morbidité.

Pour tous ces problèmes sérieux et préoccupants, il convient de rappeler que la situation est très différente à Paris et en Province, dans les villes pourvues d’un CHU ou non et bien entendu en zones urbaines ou rurales. A Paris, l’abondance des moyens rend plus complexe la recherche rationnelle des bonnes solutions ! Il faut tenir le plus grand compte des systèmes en place en cherchant à les améliorer plus qu’à décréter un système homogène qui ne tiendrait pas compte des données régionales et des cultures locales d’établissement [34].

 

La participation des généralistes reste en question.

 

Si l’on admet que près de 80 % des consultants qui se présentent aux urgences relèvent de la médecine générale, se pose alors le problème des généralistes et de leur intégration dans le système général de l’aide médicale urgente. Longtemps l’article 77 du code de déontologie a été appliqué avec conscience professionnelle par les médecins praticiens généralistes. Pour diverses raisons, cet article a été vivement attaqué et le Conseil national de l’Ordre, aux termes d’une négociation très dure, marquée par un refus clair et net des syndicats médicaux, suivi de réquisitions préfectorales, a dû le considérer comme obsolète [35] et a proposé une rédaction nouvelle insistant sur le volontariat. Ce fait très regrettable attire l’attention s’il en était besoin sur les difficultés actuelles de la médecine praticienne : inégale répartition des médecins sur le territoire, travail difficile et ingrat de certains dans les zones dites démédicalisées, zones rurales, zones à risques, friches industrielles, désir d’une vie plus calme sans appels de nuit ni même de week-end, absence de remplaçant disponible, sensation de ne pas être à la hauteur de la médecine d’urgence, etc…

Il convient de reprendre les problèmes dans leur ensemble ; celui de la démographie médicale [36], ceux des regroupements en cabinets médicaux et en maisons médicales de garde [37], des participations volontaires aux services de garde libérale de secteur, aux permanences de soins dans les grandes villes, aux centres 15 et aux services d’accueil des urgences, enfin de la spécialisation de certains par des diplômes appropriés [38] dans l’urgence à l’hôpital ou en pratique privée (service SOS-médecins qui ne font en principe que des visites en ville et non des consultations).

Une bonne formule serait pour tous ceux qui se destinent à la profession de généralistes un stage prolongé en médecine d’urgence avec prise de fonction pendant plusieurs mois, voire plusieurs années dans ces secteurs, ce qui préparerait fort bien à la vie de praticien et après installation à la participation d’un réseau médical bien implanté sur le territoire où « l’urgence » n’inquiéterait plus le praticien.

On va donc avoir le choix entre deux formules :

  • celle de médecins généralistes formés à l’urgence et intégrés dans l’organisation générale des secours et des urgences, assurant les gardes, soit à titre individuel, soit le plus souvent dans le cadre des permanences de soins, de la médecine de sapeurs-pompiers et des correspondants des SAMU ;

  • et celle des « urgentistes » qui consisterait à opposer aux généralistes ne participant plus à l’aide médicale urgente, des médecins spécialisés dans l’urgence, qu’il s’agisse pour la pratique privée de SOS médecins plus ou moins généralisé, étendant toujours leur rayon d’action et pour la pratique publique de médecins des SMUR, des SAU et plus accessoirement des médecins Sapeurs-Pompiers professionnels qui auraient tous une formation spécialisée de médecins de l’urgence avec comme perspective de carrière d’être urgentistes à vie.

Je pense que la première formule est de loin la meilleure et je ne suis pas certain que ce soit celle qui sera adoptée dans les années à venir… Ceci pose d’énormes problèmes en ce qui concerne les études médicales (programme, définition des spécialités et des sous-spécialités), et surtout la couverture « fiable et lisible » de l’ensemble du territoire dans des conditions satisfaisantes aussi bien pour les métropoles, les grandes villes que les secteurs dits ruraux.

 

Remarques d’ensemble et conclusions

 

La question abordée de l’Aide médicale urgence concerne tous les Français un jour ou l’autre de leur existence. Elle est d’une rare complexité et, en dépit ou même peut-être à cause de son succès et de ses résultats, on ne peut que constater des insuffisances, des faiblesses et des dysfonctionnements qui pourraient conduire à des impasses ou même des blocages susceptibles de remettre en cause la conception dite française de l’aide médicale urgente.

Il existe en fait deux domaines très souvent confondus avec, bien entendu des zones intermédiaires moins distinctes.

D’une part, celui des urgences vraies, objectives, surtout traumatiques et cardiaques survenant habituellement le plus souvent de façon inopinée et brutale et représentant souvent un risque vital ou fonctionnel sérieux. Associées à des urgences ressenties comme telles, par les intéressés et leur entourage, et nécessitant une même prise en charge diagnostique initiale, elles ne concernent au plus que 20 % des appels et demandes, dont 3 à 5 % de caractère vital exigeant une réponse immédiate et un envoi rapide de secours univoques et polyvalents comportant vecteurs, moyens d’intervention et personnel spécialement formé et entraîné. Tous les efforts consentis l’ont été pour ce type d’urgences pour lesquels les délais d’intervention doivent être brefs, ce qui suppose l’intervention des moyens de secours les plus proches et d’abord des Sapeurs-pompiers et éventuellement de secouristes et de médecins qui seront renforcés, le cas échéant, après un premier bilan communiqué au SAMU, par les moyens lourds médicalisés (ambulances, hélicoptère) venant à la rencontre ou faisant jonction sur place. Le départ simultané de ces deux types de secours peut se justifier dans un certain nombre de cas, l’arrivée sur place étant variable en fonction du lieu et des circonstances. C’est dire que le maillage des secours doit être quadrillé, sectorisé, interconnecté, et exige une parfaite coordination de moyens hétérogènes en ce qui concerne l’appartenance, mais réunis par la même finalité. Il faut rechercher la complémentarité, la subsidiarité de ces différents moyens en traquant redondances et doubles emplois. Il faut renoncer définitivement à la solution homogène et apparemment harmonisée confiée à un seul partenaire en situation de monopole, éviter les rivalités et les concurrences stériles et s’appuyer plus sur la réalité de terrain et les principes de base que sur les textes. La connaissance sans cesse actualisée des secteurs et sous-secteurs, l’utilisation rationnelle et mutualisée des différents moyens devraient conduire à une mise en œuvre immédiate de secours de proximité avec possibilité de suppléances, de renforts et d’envoi de moyens spécialisés en particulier d’hélicoptères à l’échelon du département, voire de la région.

D’autres demandes sont celles que l’on peut qualifier de « commodité » ou de « convenance » dans un contexte de société qu’il faut reconnaître, tenter d’expliquer et de comprendre. Elles relevaient il y a encore peu des consultations hospitalières à heures ouvrables, des consultations et visites de praticiens et de l’appel aux ambulanciers privés pour transport sanitaire simple. Ces demandes sont exprimées aujourd’hui au 15, devenu une sorte de SVP médical et même sanitaire et surtout dans les structures d’accueil hospitalier. Elles entraînent un indiscutable encombrement des centraux et de ces services au préjudice des urgences vraies et du fonctionnement de l’ensemble de l’hôpital public. Cette situation nécessite une prise de conscience dans sa globalité et aussi dans sa diversité loco-régionale ; il faut éviter que le fossé entre généralistes et hôpital ne s’approfondisse davantage ; il faut éviter aussi le cloisonnement de la médecine entre urgentistes et non-urgentistes. Il faut recommander la participation des généralistes aux permanences de soins et de secteurs, le développement de diverses filières de soins de suite, de réadaptation, d’hospitalisation à domicile, etc. Il faut que tout l’hôpital concerné participe au traitement des urgences « gestion en flux » et « mise en lien » des spécialités, les services d’accueil, gardant le rôle capital de plaque tournante et d’orientation vers les divers services de spécialité ou de médecine générale polyvalente et ne devant pas évoluer vers un hôpital au sein de l’hôpital. Il faut enfin développer des structures souples, adaptées à la demande (consultations à horaires élargis, hospitalisation de courte durée, antenne gériatrique, collaboration avec les centres médicaux sociaux). La participation souhaitable des généralistes et des cliniques privées doit s’effectuer dans un esprit de partenariat et de concession de service public.

Un effort considérable d’information et surtout d’éducation du public est absolument nécessaire. Il concerne les gestes de premiers secours, de secourisme et les procédures d’appel qu’il s’agisse des numéros à appeler pour une situation urgente ou ressentie comme telle ou de l’annonce d’une arrivée pour hospitalisation non programmée.

Là comme ailleurs, il faut respecter l’esprit et non la lettre des textes fondateurs et les adapter à la réalité du terrain et à l’évolution des mentalités en gardant à l’esprit les impératifs de sécurité, de proximité, de technicité et d’efficience qui ne peuvent se résoudre que dans le cadre d’un maillage souple de secours assuré par divers partenaires dans un esprit de subsidiarité et de mutualisation.

On ne peut revenir sur l’utilité certaine de la médecine d’urgence extrahospitalière mais la réponse aujourd’hui ne doit pas être seulement quantitative mais qualitative portant surtout sur les résultats obtenus dans certaines situations médicales [39] et chirurgicales, immédiatement et potentiellement graves pour lesquelles l’intervention précoce et parfaitement réalisée constitue un gage certain de survie sans séquelles.

Il ne faut pas opposer de façon schématique et caricaturale le système français et le système Nord-Américain, tout en reconnaissant que le système américain permet de réaliser dans les très bonnes conditions des gestes élémentaires qui permettent très souvent une survie en l’absence de médecin. En France comme ailleurs, on utilise désormais et on utilisera de plus en plus des paramédicaux dans l’organisation des secours d’urgence.

Il ne faut plus parler d’un numéro d’appel unique puisque nous en avons plusieurs mais savoir diversifier les appels tant en ce qui concerne leur nature que leur origine géographique tout en ayant la possibilité par autocommutation d’une interconnexion et d’une information permanente des différents services concernés.

Enfin, il faut mieux, à mon sens, une généralisation de l’esprit de la médecine d’urgence à l’ensemble des praticiens, généralistes et spécialistes, médecins hospitaliers et libéraux, plutôt que de privilégier une voie spécialisée trop étroite d’urgentistes du privé et d’urgentistes du public.

Il resterait à traiter des urgences collectives avec grand nombre de victimes : Plan Rouge, dispositions ORSEC, Plan Blanc [40], cellules de crise constituent des réponses qui ne sont que la montée en puissance des dispositifs de secours et de soins d’urgence et de leurs personnels, équipés, sensibilisés et entraînés à affronter accidents catastrophiques à effets limités et catastrophes vraies ; mais il s’agit là d’un autre vaste problème dont j’ai eu l’honneur de vous entretenir à deux reprises lors de communications antérieures.

La question des urgences concerne toute la population ; les responsables politiques et tous les techniciens des secours et des soins doivent se pencher sans cesse sur l’organisation, les restructurations et adaptations nécessaires. Dans l’intérêt des victimes et malades aux prises avec des situations urgentes, il faut assurer qualité des soins et sécurité en réduisant le plus possible la part du hasard et des inégalités « évitables et injustes » (Steg). Les efforts et les dépenses consenties sont à la mesure des enjeux et constituent, surtout s’ils sont bien répartis, un des meilleurs critères d’analyse et de jugement de notre société et de nos valeurs.

Texte des débats ayant suivi la communication

 


[1] Le système des ambulances de Percy fut proposé en 1798 lorsqu’il était premier chirurgien de l’Armée du Nord. L’idée était de transporter des chirurgiens à la façon des servants d’artillerie légère, portés sur des caissons, allongés en forme de saucisses, et tirés par des chevaux. On transportait ainsi 4 chirurgiens et leurs aides à raison donc de 8 par caisson (caisson réformé par l’artillerie et rembourré de cuir). Il y avait du matériel de pansements pour 100 blessés et en dessous deux brancards suspendus par des sangles.

[2] L’idée des ambulances volantes vint à Larrey dès 1793 à l’Armée du Rhin au siège de Spire. Il les décrit dans son chapitre de la campagne d’Italie en 1797. Il s’agissait de voitures à deux ou quatre roues tirées par un attelage de deux chevaux ; les voitures étaient suspendues sur autant de ressorts que de roues. Le plancher de la caisse était formé d’un cadre mobile glissant sur des roulettes, armé de 4 poignées pour permettre le brancardage. Les ambulances étaient destinées à enlever les blessés du champ de bataille après avoir donné les premiers secours et à les faire transporter aux hôpitaux de première ligne. Ces ambulances pouvaient suivre les mouvements les plus rapides des avant-gardes et étaient susceptibles de se diviser en un grand nombre de fractions ; chaque officier de santé était monté et pouvait avoir une voiture suspendue, un infirmier à cheval à ses côtés et tous les objets nécessaires à donner les premiers secours sur le champ de bataille.

[3] Ayant pris les avis de la Société Royale de Médecine, il préconise de ne pas pendre le noyé par les pieds, de le sécher, de le chauffer, de le frotter, d’effectuer une respiration bouche à bouche, en fermant les narines et pour les asphyxiés d’utiliser l’eau glacée sur le visage et sur le corps. Par souci d’économie, il juge trop onéreux la répartition généralisée des boites « entrepôt ».

[4] Aujourd’hui brigade (depuis 1967).

[5] Et traditionnellement orientés vers le traitement des intoxications par l’oxyde de carbone et des noyades.

[6] Ainsi que dans quelques autres villes en particulier à Châlons-sur-Marne (Perrin), Troyes (Mazure) et Dijon (Franck et Piganiol).

[7] Décret du 2 décembre 1965 sur l’organisation des transports sanitaires ; lois du 10 juillet 1970 (sur l’organisation du transport sanitaire), du 31 décembre 1970 (sur l’accueil des malades en urgence) et du 8 février 1979 (sur la coopération entre service public, hospitalier et médecine privée), lois du 2 janvier 1985 et du 6 février 1986 (loi Lareng). Ces lois même lorsqu’elles sont signées par plusieurs ministres, émanent du ministère de la Santé. En contre-point, se trouvent les lois concernant la Sécurité civile, elles aussi co-signées, mais émanant du ministère de l’Intérieur : loi du 22 juillet 1987 dite loi Pasqua, loi du 13 août 2004 concernant la modernisation de la Sécurité civile, l’adaptation permanente du dispositif de secours à l’évolution des risques et les conventions AMU. Elles sont complétées par le décret du 16 décembre 1987 concernant l’aide médicale urgente et les missions de régulation médicales attribuées au Centre 15 ; la circulaire de 1992 renfermant les textes de jurisprudence concernant les réseaux de secours et de soins d’urgence, les modalités de la gestion des appels d’urgence, les conventions 15-18 ; les décrets du 9 et 30 mai 1995 et du 22 mai 2006 relatif à la médecine d’urgence, etc.

[8] On peut en effet distinguer les urgences médicales au sens large – selon leur nature

  • recouvrant de nombreuses situations cliniques (traumatologiques, cardiologiques, toxicologiques, respiratoires, neurologiques, digestives, obstétricales, pédiatriques, psychiatriques, etc.)

  • selon les circonstances : urgences à domicile, urgences sur la voie publique, dans un lieu public, sur un lieu de travail, dans un moyen de transport collectif, etc., auxquelles s’ajoutent certaines situations liées au milieu (montagne, plongée) et les urgences collectives lors d’un sinistre, d’un accident catastrophique à effets limités ou d’une catastrophe. Si sur la voie publique il s’agit plus volontiers de traumatologie, il peut s’agir aussi d’urgences « médicales » (malaises, ivresses, arrêts cardiaques… et simulation) ; à domicile, il peut s’agir aussi d’urgences accidentelles caractérisées par leur caractère imprévu (intoxication grave, pendaison, électrocution, enfants coincés dans les ascenseurs…) ;

  • selon la nécessité ou non d’un dispositif de secours comportant moyens techniques de lutte contre le sinistre, moyens de protection, moyens de désincarcération et commandos de prompt secours avec chauffeurs, brancardiers-secouristes et éventuellement infirmiers et médecins, ces derniers pouvant arriver avec véhicules spéciaux type véhicule radio-médecin (VRM) ou unité médicale avancée (UMA). C’est peut-être ce dernier critère, assez facile à estimer, qui devrait orienter par priorité l’appel du public aux numéros d’urgence.

[9] A titre d’exemple, le SAMU 54 en 2006, a traité 145 000 « affaires », réalisé 2 523 transports terrestres primaires médicalisés, 500 transports secondaires et assuré 187 sorties aériennes primaires et 491 sorties secondaires.

[10] Auxquels s’ajoutent aujourd’hui l’hospitalisation privée et les généralistes urgentistes (SOS médecins).

[11] En n’ignorant pas que s’il existe des zones où l’on peut parler d’abondance et même de redondance des moyens, il y en a d’autres plus déshéritées alors que l’on ne trouve guère qu’un dispositif de Sapeurs-pompiers volontaires et parfois encore quelques médecins en général anciens et souvent eux-mêmes, médecins Sapeurs-pompiers.

[12] Par exemple au sein du Comité départemental d’aide médicale urgente et des transports sanitaires (CODAMUTS) et surtout grâce à des relations personnelles confiantes et loyales entre principaux responsables.

[13] Sur ce point, consulter les rapports déjà anciens des sénateurs Vidal et Moulin.

[14] En particulier au sein des centres d’enseignements de soins urgents (CESU).

[15] A cellules logiques (Célog) ou à turbines (Elisée).

[16] Gaz du sang, oxymétrie, dosage du glucose, de l’hémoglobine, de la troponine, de la myoglobine, des enzymes cardiaques, etc…

[17] Mise à disposition informatisée de protocoles et de renseignements pour les arbres décisionnels, télémédecine.

[18] Cet emploi généralisé des « paramedics » consacré d’ailleurs dans l’armée américaine au Viêt-Nam comme dans la pratique civile aux Etats-Unis vient de loin. Lors de la guerre de Sécession, il fut décidé après la bataille de Manassas (21/7/1861) de doter l’armée du Potomac de brancardiers, mais on les recruta d’abord parmi les soldats les moins efficaces, les conducteurs d’attelage et les membres des fanfares. Il y eut de nombreuses désertions et le résultat fut jugé catastrophique ; c’est pourquoi Jonathan Letterman créa en 1862 à cette même armée un corps d’ambulanciers doté d’un uniforme spécial et spécialement entraîné à atteindre les blessés au cours de la bataille et à les évacuer. L’Union adopta le systême reconnu par une loi.

[19] C’est d’ailleurs ce type de personnel qui apparaît dans les séries très prisées des téléspectateurs concernant les urgences (New York 911, film A tombeau ouvert de Martin Scorsese avec Nicolas Cage comme paramedic) et dont le « voyeurisme » ludique gagne la France. Il est à noter que dans l’organisation américaine il y a différents degrés d’aide sanitaire assurée par des secouristes et « paramedics » : « first aid » ou secourisme simple (policiers, Sapeurs-pompiers, citoyens), infirmiers ou « paramedics » proprement dits et non paramédicaux comme nous le disons en France (infirmiers, sages-femmes, kinésithérapeutes) et degrés supérieurs ou « practitioner » (cadres infirmiers) ; tous sont parfaitement entraînés aux techniques de base de préservation élémentaire de la vie (« basic life support ») et de soutien techniquement avancé en particulier en ce qui concerne les soins aux cardiaques (« advanced cardiac life support »). Ils pratiquent couramment l’intubation.

[20] A ce sujet, les campagnes lancées à Montbard, à Hyères doivent être encouragées, suivies et généralisées.

[21] Ce qui suppose bien connaître le répertoire opérationnel des ressources, le « maillage » ouvert et articulé, les zones de couverture, les courbes isochrones, les particularités géographiques et la « géométrie variable » de l’ensemble.

[22] Ce qui conduit au nom du principe de précaution à ne mettre dans les ambulances que des médecins thésés. Les « internes », les stagiaires pourtant souvent formés à la médecine d’urgence et qui pourraient être habilités par leurs chefs de service, ne peuvent être admis qu’en qualité de seconds (encombrant les ambulances…), cependant que la réduction du temps de travail et l’application de la directive européenne sur le nécessaire repos de 24 heures après une garde, conduit à augmenter les effectifs rémunérés sur le papier et à les réduire sur le terrain.

[23] et éventuellement de l’Armée de l’Air, de la marine.

[24] En ce qui concerne le 112, il fut accepté par la France sans réflexion ni concertation, là où d’autres pays comme l’Allemagne, adepte du 115 ne modifia rien ; le 112 est arrivé la plupart du temps chez les Sapeurs-Pompiers mais aussi parfois dans les SAMU alors qu’il aurait été plus sage de le confier aux télécommunications, surtout à partir du moment où ce service supprimait le 12. Cela pouvait concerner certains voyageurs étrangers surtout si les portables qui affichaient le 112 basculaient automatiquement à ce numéro si l’on faisait le 18 ou le 15. Cette dernière procédure heureusement a été modifiée, Les appels restent difficiles à localiser lorsqu’ils émanent d’une voiture signalant un accident sans s’arrêter et sans savoir même où elle se trouve.

[25] Au même titre que la possession des signaux sonores et des couloirs réservés.

[26] Structures pivot et antennes de proximité devant « répondre en permanence de manière adaptée aux demandes et aux symptômes inopinés et urgents des malades et blessés jusqu’à leur orientation ». Toutes ces structures font l’objet d’une habilitation dans le cadre des schémas régionaux d’organisation sanitaire et sociale. En 2003, on dénombrait en effet 616 sites d’urgence autorisés (374 unités de proximité, 208 services d’accueil et 34 pôles spécialisés).

[27] De façon exponentielle, 64 % en 11 ans, de 1990 à 2001 et de plus de 4 % par an encore actuellement.

[28] Rapports de la Cour des Comptes, du Conseil Economique et Social, du Parlement, etc…

[29] Qualifiées d’unités d’hospitalisation de très courte durée (UHTCD).

[30] Ou encore des unités de court séjour d’urgence (UHCS) comme il en existe au Mans ou des unités d’accueil d’orientation des personnes âgées (UAOPA) comme il en existe à Bicêtre et à Lens.

[31] Dont toutes les spécialités ne sont pas présentes au sein de l’hôpital d’accueil. De plus, surtout dans les CHU, les services sont hyper spécialisés et travaillent en activité programmée les jours ouvrables…

[32] Les sujets âgés de plus de 75 ans, qui représentent 7 % de la population sont aux urgences plus de 27 % des consultants médicaux. Le taux global d’hospitalisation de cette tranche d’âge, varie entre 70 à 89 % et les _ d’hospitalisations se font dans le cadre de d’hospitalisations non programmées. A l’accueil, cette population gériatrique constitue une source de perplexité et d’étonnement, car la symptomatologie est complexe, le diagnostic précis ne peut pas toujours être fait rapidement et on ne sait pas vers quel lieu hospitalier obligatoirement les orienter après un premier examen ; de plus l’on manque très souvent de lits de dégagement. On se trouve relativement impuissant devant une détresse physique et psychologique susceptible de se décompenser en raison du sentiment d’abandon, de solitude et de stress auquel ces personnes sont particulièrement sensibles en situation de crise, créée ou aggravée par l’urgence et l’hospitalisation. Cette accumulation de difficultés n’est ni fortuite ni conjoncturelle, car elle met en évidence un décalage entre les priorités du service des urgences, les contraintes auxquels ils doivent faire face et les caractéristiques médico-sociales, en particulier les dépendances des personnes âgées. D’où les attentes intolérables, bien sûr, les circuits inadaptés, les longs conciliabules au téléphone et la difficulté de trouver des solutions rapides et adaptées à tous les cas.

[33] Les circulaires préconisent pour la santé mentale des centres d’accueil et de crise intersectoriels, avec durée de séjour inférieure à 72 h.

[34] La concertation et la coopération des établissements doivent se faire au sein de fédérations de services, de groupements de coopération sanitaire, de conférences de secteur, de contrats relais, etc…

[35] Au grand regret du docteur Lucas qui était depuis de nombreuses années le spécialiste reconnu de cette question au Conseil national de l’Ordre. Sur ce point, lire les conclusions du groupe de travail Descours en 2003.

[36] Numérus clausus, proportions de généralistes et de spécialistes, attractivité plus ou moins grande selon les régions en particulier en fonction du climat…

[37] Crées dans le cadre du décret du 15-09-2003 (et circulaire du 23 03 2007) et dont une des premières a fonctionné à Marseille. Il s’agit d’un lieu fixe déterminé de prestations de médecine générale fonctionnant aux heures de la permanence de soins (en particulier de 20h à 24h, week-ends et jours fériés) et assurant une activité de consultations non programmées. Lorsqu’elles siègent à proximité d’un SAU, elles contribuent à éviter l’engorgement. D’autres sont prévues en milieu rural ou en zones défavorisées.

[38] Du type de la capacité de médecine d’urgence ou CMU.

[39] C’est ainsi que pour l’infarctus du myocarde, la collaboration SAMU-services de cardiologie, a permis de réaliser dans les meilleures conditions, une thrombolyse extra-hospitalière et d’obtenir des résultats jugés remarquables par la collectivité internationale.

[40] Cf. circulaire du 3 mai 2002 sur l’organisation hospitalière en cas d’afflux de victimes.