Installation de S. A. R. le prince El Hassan bin Talal de Jordanie, comme associé étranger

Séance du lundi 16 juin 2008

 


Allocution de M. François Terré,
Président de l’Académie des sciences morales et politiques

 

Discours de M. Thierry de Montbrial,
Membre de l’Académie des sciences morales et politiques

 

Discours de S. A. R. le prince El Hassan bin Talal,
Membre associé étranger

 

Message du Pape,
Lu par S. E. le cardinal Roger Etchagaray


 

 

Allocution de M. François Terré,
Président de l’Académie des sciences morales et politiques

 

Votre Altesse Royale le Grand-Duc du Luxembourg,
Votre Altesse le prince Aga Khan,
Votre Altesse Royale la princesse Sarwath de Jordanie,
Mesdames et Messieurs les membres du Parlement,
Monsieur le Recteur de Paris, Chancelier des Universités,
Vos Excellences Mesdames et Messieurs les membres du corps diplomatique,
Vos Altesses Royales Guillaume et Sibilia de Luxembourg,
Votre Éminence l’évêque d’Évry,
Monsieur le Recteur de la Grande Mosquée de Paris, Président du Conseil français du Culte musulman,
Votre Éminence le métropolite de l’Église orthodoxe en France,
Messieurs les représentants des religions du Livre,
Madame et Messieurs les Secrétaires perpétuels,
Monsieur le Chancelier de l’Institut de France,
Monsieur le Cardinal et cher confrère,
Votre Altesse Impériale et Royale l’archiduc Otto de Habsbourg-Lorraine et cher confrère,
Mes chers confrères,
Mesdames et Messieurs,

Votre Altesse Royale, enfin, et désormais cher confrère,

Votre Altesse s’apprête à rejoindre, en accomplissant les rites de notre Compagnie, une confraternité vouée aux œuvres de l’Esprit. Elle me permettra, avec l’amitié qui est la caractéristique des relations académiques, de n’utiliser dans la suite de mon court propos que le simple voussoiement, qui sied au commerce des Égaux.

Dès l’origine de notre Académie, à l’époque révolutionnaire, ses fondateurs ont estimé que notre Aréopage ne pouvait être confiné à l’intérieur de frontières physiques. Notre Compagnie tentait d’épouser l’Universel et sentait confusément que ce dernier ne pouvait être l’apanage d’une seule nation, si grande soit-elle.

Toutefois, l’expression de cet Universel se limitait alors, pour nos prédécesseurs, à l’Amérique du Nord, à l’Angleterre et à la Prusse. Au fil du temps, nos horizons s’élargirent : à l’ensemble de l’Europe d’abord, puis à l’Amérique latine et, au XXe siècle, à l’Afrique noire. Avec vous, ils atteignent le Proche-Orient et, par-delà, l’ensemble du monde arabe et, plus loin encore, l’ensemble du monde musulman. N’êtes-vous pas, en effet, descendant du Prophète à la 42e génération ?

Sans doute, nos perspectives doivent-elles encore se faire plus vastes dans un monde en voie de globalisation. Mais nos choix ne doivent pas être contraints par une quelconque volonté de représentation des aires géographiques ou par un culturalisme qui nous ferait oublier notre visée universaliste.

Nos choix se portent — et continueront de se porter — vers ceux qui, dans le monde entier, font progresser les idéaux communs de la connaissance, de la liberté et de la paix.

En vous, Prince, nous avons trouvé un tel homme. Votre engagement pour le mutltilatéralisme dans la vie internationale et vos efforts constants pour la promotion du dialogue entre les religions en font foi et vous ont signalé aux yeux de mes confrères.

Je ne développerai pas plus avant vos mérites éminents. Monsieur Thierry de Montbrial — qui est en quelque sorte votre parrain — le fera dans quelques instants de manière éloquente.

Je donnerai ensuite la parole au cardinal Roger Etchegaray, qui lira le message adressé, pour cette occasion, à notre Compagnie par Sa Sainteté le Pape Benoît XVI, que vous connaissez de longue date et avec lequel vous partagerez dorénavant le titre de membre associé étranger de notre Académie.

Enfin, vous ferez, comme il est d’usage, l’éloge de votre prédécesseur, le Président Ronald Reagan.

Je donne tout de suite la parole à Monsieur de Montbrial.

 

 

Discours de M. Thierry de Montbrial,
Membre de l’Académie des sciences morales et politiques

 

En accueillant Votre Altesse Royale en son sein, notre compagnie a voulu rendre hommage à un homme d’Etat ; à un penseur de la politique, chercheur inlassable de solutions constructives et respectueuses des droits fondamentaux de l’homme ; à un humaniste, convaincu de la complémentarité des civilisations ; à une figure majeure d’un Islam modéré et moderne.

Vous êtes encore jeune mais lorsque vous vous penchez sur votre passé, vous devez avoir l’impression de porter l’Histoire sur vos épaules. Vous avez été témoin et acteur des immenses bouleversements au Moyen-Orient, dont l’origine remonte à la Première Guerre mondiale.

Pour comprendre votre vie et votre œuvre, il faut d’abord s’arrêter sur deux grandes figures : le Chérif Hussein, chef des Beni Hachem et descendant du Prophète, émir de la Mecque et gardien des Lieux Saints — et son fils Abdallah, le fondateur de la dynastie jordanienne. Vous êtes l’arrière petit-fils du premier et le petit-fils du second. Comme tous les bâtisseurs potentiels, Chérif Hussein avait un rêve : la constitution, sur les décombres de l’empire ottoman, d’un royaume sinon d’un caliphat incluant le Hedjaz, l’Irak, la Grande Syrie, la Jordanie et la Palestine. La réalité — ou le mythe — de la « Grande révolte arabe » contre les Turcs en fut la traduction opérationnelle. Sur un mode romanesque et inévitablement biaisé, cet épisode reste ancré dans l’imaginaire occidental, à travers le filtre du colonel T.E. Lawrence, l’auteur des Sept piliers de la sagesse. Le célèbre film de David Lean, Lawrence d’Arabie, a marqué l’histoire du cinéma et n’a jamais cessé de fasciner les générations successives de spectateurs.

Le rêve de Chérif Hussein s’est vite fracassé. Les Britanniques et les Français avaient un autre projet et les accords Sykes-Picot de 1916, qui décidèrent du partage des zones d’influence pour l’après-guerre, ne tinrent aucun compte des aspirations nationalistes arabes. Selon ces accords, la France allait recevoir mandat sur la Syrie et le Liban, et les Britanniques sur l’Irak, la Palestine et la Transjordanie. En dédommagement Abdallah, alors âgé de 40 ans, reçut la Transjordanie en 1921. La même année, son frère Fayçal s’était vu octroyer l’Irak après que la France, en juillet 1920, l’eut chassé de Syrie où il s’était fait proclamer roi. La part d’Abdallah était modeste : une terre pauvre, aux contours mal définis, et peuplée de 220 000 habitants dont la moitié de bédouins. Il fallut 24 ans avant que l’émirat n’accédât à l’indépendance sous la première appellation de Royaume hachémite de Transjordanie. Le mérite de votre grand-père fut de jeter les bases et les fondations institutionnelles d’un Etat, à partir d’une entité largement artificielle et aux délimitations imprécises, avec patience, intelligence et pragmatisme.

Les Européens, particulièrement les Britanniques, ne furent pas les seuls responsables de l’évanouissement du rêve hachémite au lendemain de la Grande Guerre. En Arabie, en effet, une autre partie se déroula en parallèle, dont le héros fut l’émir du Nadjd, Abdel Aziz Ibn Séoud (1887-1953), un grand homme politique autant que militaire mû par la volonté d’unifier la péninsule sous sa bannière. Il emporta une victoire décisive contre Chérif Hussein en 1924. La conquête du Hedjaz conduisit à la création du Royaume d’Arabie Saoudite, tel que nous le connaissons actuellement. Votre arrière grand-père dût quitter Djeddah sur un bateau mis à sa disposition par les Anglais, à destination de Chypre. Il est mort en 1931 à Amman, à l’âge de 75 ans.

Lorsque Votre Altesse Royale vient au monde, le 20 mars 1947 à Amman, le Royaume est bien constitué. Mais les nuages s’amoncellent du côté du Jourdain. Les affrontements violents se multiplient entre les Britanniques et les Sionistes auxquels la déclaration Balfour (2 novembre 1917) avait offert un « foyer national ». La Grande-Bretagne, impuissante, saisit l’ONU qui propose un plan de partition de la Palestine (29 novembre 1947). Ce plan est rejeté par la quasi totalité des Arabes. Le 14 mai 1948, Israël déclare son indépendance. La guerre éclate. Le roi Abdallah est le seul à disposer d’une véritable armée, la Légion arabe. Il prend le contrôle de la Vieille Ville de Jérusalem et de la Cisjordanie. Le 24 avril 1950, son parlement approuve la réunification des deux rives du Jourdain au sein du Royaume hachémite de Jordanie (Le traité anglo-jordanien de 1948 prévoyait que le futur Etat arabe issu de la partition de la Palestine serait rattaché à Amman). On peut dire qu’Israël et la Jordanie sont les deux vainqueurs de la guerre de 1948, ce qui peut sembler paradoxal si l’on se rappelle qu’Abdallah était le seul leader arabe à avoir accepté le plan de partage de l’ONU. Mais il est vrai qu’en entrant en Cisjordanie et dans la Vieille Ville de Jérusalem, il n’a fait que prendre pied sur des territoires qui, selon le plan, devaient constituer un Etat arabe. Dans les circonstances du moment, ces territoires se trouvaient face à une sorte de vide juridique.

Ces événements permettent de comprendre l’environnement politique au sein duquel devaient se dérouler votre pensée et votre action. La Jordanie est en quelque sorte la résultante d’apparentes contradictions, mais une résultante tellement positive en fin de compte qu’on trouve en germe dans ce petit royaume l’espérance d’une renaissance pour le Moyen-Orient tout entier. Et c’est cette espérance que Votre Altesse Royale incarne.

La première contradiction apparente est l’idée même d’unité arabe. Votre arrière grand-père et ses fils rêvaient d’un immense Royaume hachémite. Plus prudemment, Abdel Aziz Ibn Saoud s’est contenté d’unifier la péninsule arabique, et encore, pas tout à fait. Votre grand-père Abdallah n’a jamais totalement abandonné la référence à l’unification hachémite, quitte à se restreindre dans un premier temps en pensée au sous-ensemble formé par les Jordaniens et les Palestiniens, après la guerre de 1948. Même cette vision limitée devait se heurter durement au mur de la réalité, en raison des aspirations identitaires des Palestiniens eux-mêmes et des oscillations de la géopolitique israélienne, souvent tentée par le dépeçage de la Jordanie ou l’installation sur son territoire d’un Etat purement palestinien, et donc par le renversement de la monarchie. Au départ, les Britanniques n’avaient d’ailleurs aucune vision géopolitique claire de l’avenir de la Transjordanie. Sir Alec Kirkbride, le premier ambassadeur de Londres à Amman, n’allait-il pas jusqu’à dire que la Transjordanie constituerait « une réserve de terres pour servir au recasement des Arabes lorsque le Foyer national juif de Palestine serait réalisé » ?(Sir Alec Kirkbride, The Crack of Thorns, Murray, Londres, 1956, p. 19, cité par Louis-Jean Duclos, La Jordanie, coll. Que Sais-je ?, Puf, Paris, 1999)

En définitive, on comprend que le principal objectif de la diplomatie de votre famille, comme l’écrit l’historien d’origine israélienne Avi Shlaim dans une remarquable biographie du roi Hussein (Lion of Jordan, the Life of King Hussein in war and peace, Allen Lane, Londres, 2007.), a toujours été de consolider l’identité nationale, étroitement liée à la monarchie hachémite. En tout domaine, l’universel ne s’exprime qu’à travers le particulier. Je veux dire par là, qu’aussi longtemps que la monarchie hachémite jouera un rôle modérateur dans la région, son maintien sera de l’intérêt général. Tel a été essentiellement le cas depuis la création du Royaume, malgré la tragédie de « Septembre noir » en 1970 où, précisément, la survie de la monarchie fut en cause, obligeant le roi Hussein à exercer la Raison d’Etat, dans les conditions les plus dramatiques.

L’un des mérites de Votre Altesse Royale, sur le plan intellectuel, est d’avoir compris qu’aucune famille, aucune unité politique, ne peut prétendre réaliser durablement à elle seule l’unité arabe. Gamal Abdel Nasser n’a pas mieux réussi que les monarques, et Oussama Ben Laden ou ses émules échoueront sans aucun doute possible. En Europe, toutes les tentatives impériales ont manqué leurs buts. Nous sommes aujourd’hui à la recherche d’une autre forme d’unification, fondée sur le principe d’un partage de souverainetés librement consenti. Vous avez parfaitement compris cela, et l’une des lignes de force de votre œuvre écrite est la recherche de méthodes inspirées de l’expérience européenne et transposables au Moyen-Orient. Si l’on vous suit bien, la mission historique de la monarchie hachémite a changé de nature. Elle n’est plus d’étendre sa souveraineté, mais de montrer la voie pour de nouvelles formes d’organisation.

La deuxième contradiction apparente concerne les rapports avec les pays occidentaux. Il est vrai que l’émir Abdallah fut installé par les Anglais. Et sans les Anglais, il est certain qu’il n’aurait pas tenu longtemps face à la poussée d’Abdel Aziz Ibn Saoud. Mais par la suite, ce sont bien votre grand-père puis votre frère qui ont permis à l’identité de la Jordanie de s’affirmer, face à l’instabilité stratégique ou à la duplicité des uns ou des autres. Pour survivre, la Jordanie doit rester constamment sur ses gardes. Les relations entre nos deux pays sont d’ailleurs largement fondées sur cette évidence, la France s’efforçant, aujourd’hui encore, de conserver sa liberté de jugement. D’un point de vue plus philosophique, y a t-il contradiction entre la recherche d’une unité arabe repensée et d’une politique étrangère soucieuse d’une bonne entente avec les pays occidentaux ? La réponse est assurément négative, pour qui ne se laisse pas envahir par l’idéologie et le fanatisme. La problématique rappelle celle des rapports euro-atlantiques, ce que Votre Altesse Royale sait mieux que quiconque.

Troisième contradiction apparente, et non la moindre : les rapports avec l’Etat hébreu. Il est remarquable que le roi Abdallah Ier ait toujours maintenu une attitude pragmatique vis-à-vis du Foyer national Juif. J’ai rappelé qu’il avait accepté le plan de partage de 1947. Par la suite, le roi Hussein a toujours gardé le contact avec les Israéliens, secrètement ou publiquement. Il a superbement illustré le principe du Cardinal de Richelieu, exposé dans son testament politique : « Les Estats reçoivent tant d’avantages des négociations continuelles, lorsqu’elles sont conduites avec prudence, qu’il n’est pas possible de le croire si on ne le sçait par expérience. J’avoue que je n’ay connu cette vérité que cinq ou six ans après que j’ay esté employé dans le maniement des affaires, mais j’en ay maintenant tant de certitude que j’ose dire hardiment que négocier sans cesse, ouvertement ou secrètement, en tous lieux, encore même qu’on n’en reçoive pas un fruit présent et que celuy qu’on en peut attendre à l’avenir ne soit pas apparent, est chose tout à fait nécessaire pour le bien des Estats ».

Votre Altesse Royale, qui a elle-même été fort tôt « employée dans le maniement des affaires » pour parler comme Richelieu, s’est trouvée au centre de la « négociation continuelle ». De même, je suis convaincu que la survie à long terme de l’Etat d’Israël dépendra en grande partie de sa capacité à développer des vertus analogues avec l’ensemble de ses voisins. A contrario, Avi Shlaim, déjà cité, estime que bien des occasions de paix ont été manquées. Mais ceci est une autre histoire. Je voudrais ajouter, en ce qui concerne votre propre expérience, que votre vaste culture, en particulier votre connaissance de l’hébreu – vous avez appris cette langue pendant vos études en Grande-Bretagne – a contribué au respect dont vous êtes entouré en Israêl même. Sur le fond, comme les autres membres éminents de votre famille, vous avez toujours eu la sagesse de poser au départ de vos raisonnements que l’Etat hébreu était là pour durer. Inspiré par l’exemple de la construction européenne, vous rêvez activement d’un Moyen-Orient où Israéliens et Arabes coopéreraient au bénéfice de tous. En cela votre projet est proche de celui d’un Shimon Péres, même si vos deux personnalités sont très différentes.

La grandeur de votre famille, à laquelle vous contribuez tant, est d’avoir montré la possibilité d’un chemin de Réconciliation. Ce mot de « réconciliation », qui fait aussi partie du vocabulaire de base de la construction européenne, est l’un de ceux que vous aimez.

Parvenir à autant d’équilibre et de modération n’est pas à la portée de tout le monde, surtout dans un contexte politique tellement mouvementé. Depuis la création du Royaume Hachémite de Jordanie, que de traumatismes et d’épreuves surmontées !

Votre Altesse Royale a quatre ans lorsque, le 20 juillet 1951, le roi Abdallah est assassiné par un Palestinien (Ce Palestinien était proche de Amin Husseini, le très turbulent grand Mufti de Jérusalem), sur les marches de la mosquée Al Aqsa, sous les yeux de votre frère, le prince Hussein, lui-même âgé de 16 ans. On dit que la balle qui a atteint le Roi a ricoché sur la médaille qu’Hussein portait sur son uniforme, à la demande de son grand-père. Votre père, le roi Talal Bin Abdallah, de santé fragile, ne régnera qu’un an. Hussein lui succède le 12 août 1952. Il a 17 ans. Un Conseil de régence est formé jusqu’à sa majorité, l’année suivante.

Une ère nouvelle s’ouvre. L’avènement de Gamal Abdel Nasser (1954), qui prétend imposer son leadership au Moyen-Orient, entraîne de nouvelles divisions. Le Royaume jordanien se trouve au cœur d’une lutte entre régimes arabes « révolutionnaires » (Egypte, Syrie) et « conservateurs » (Irak, Arabie Saoudite). Il devient un enjeu de la guerre froide. La tentation de rejoindre le Pacte de Bagdad, dirigé contre l’Union soviétique, suscite des émeutes. En Jordanie comme dans tout le monde arabe, le messianisme du jeune président égyptien fait des émules.

En 1956 éclate la crise du Canal de Suez. La Jordanie ne participe pas à la guerre mais la situation intérieure est tendue. A cette époque, rapporte Moshe Dayan dans ses mémoires, le Premier Ministre israélien Ben Gourion envisage un partage de la Jordanie entre l’Irak — à charge pour ce pays d’accueillir les réfugiés — et Israël. Le Roi doit faire des concessions à son opinion publique, comme le limogeage de Sir John Bagot Glubb, dit Glubb Pacha, Commandant de la Légion arabe. Après Suez, les Etats-Unis prendront la relève dans la région en application de la doctrine Eisenhower, visant à s’opposer à toute extension de l’influence soviétique.(La doctrine Eisenhower (janvier 1957) autorise en substance les Etats-Unis à accorder leur aide économique et militaire à tout pays du Moyen-Orient menacé de déstabilisation par le communisme international.)

Un autre traumatisme survient le 14 juillet 1958 : à Bagdad, votre cousin germain Fayçal II est écarté du trône par le coup d’Etat du général Kassem. Le Roi et sa famille sont sauvagement assassinés. Vous avez 11 ans. Ce drame bouleverse profondément le roi Hussein, qui en a 23. Sa violence ne peut vous avoir épargné. La révolution irakienne laisse la Jordanie isolée et vulnérable. Elle met en effet un terme à la brève union arabe scellée avec l’autre monarchie hachémite, en réaction à la République Arabe Unie formée entre l’Egypte de Nasser et la Syrie, le 1er février 1958. Le rêve grandiose d’unification dont le petit-fils d’Abdallah était le dépositaire est bel et bien fracassé. Cinq ans après, à un mois d’intervalle (le 8 février et le 8 mars 1963), deux coups d’Etat baasistes ont lieu en Irak puis en Syrie.

Vous atteignez l’âge de 18 ans en 1965. Le roi Hussein vous nomme Prince héritier. Vous le resterez jusqu’en 1999, quelques jours avant sa mort. Pendant 34 ans, vous serez associé étroitement aux affaires. J’ai déjà fait allusion aux pourparlers, souvent secrets, avec les Israéliens. Mais, à la demande du Roi, vous vous investissez aussi de plus en plus dans les affaires intérieures. Ainsi, la réforme du système éducatif ou encore les politiques de développement économique, vous doivent-elles beaucoup. Vous êtes un grand travailleur, exigeant pour les autres et bien entendu d’abord pour vous-même. Sans doute suscitez-vous beaucoup d’invidia. Votre peu de dispositions pour les jeux de la séduction ou pour la navigation en eau trouble ne vous facilitent pas la tâche. La gestion des intrigues n’a jamais été votre fort. Mais votre lien avec le Roi reste indéfectible. On peut dire que vous adoriez et admiriez votre grand frère. De son côté Hussein se sentait très proche de vous. Il vous a toujours fait confiance, et l’étendue des responsabilités qu’il vous a confiées, surtout à partir de 1985, n’a fait que s’accroître. Pendant les quelques mois précédant sa mort vous avez exercé la fonction de Régent. Votre loyauté a été exemplaire, conforme à votre nature. Dans ses tout derniers jours, le Roi a décidé de reprendre la charge de Prince héritier et de la transmettre à son fils Abdallah. Ceux qui ont compris que votre carapace cache un cœur en or imaginent votre douleur, une peine d’amour. Dans cette épreuve personnelle, vous avez réagi tel qu’en vous-même. Pas un instant vous n’avez songé à contester la décision du Roi ni à quitter votre pays. Vous continuez de le servir avec le rayonnement dû à votre expérience mais aussi à votre activité intellectuelle incessante. Vous êtes en quelque sorte l’ambassadeur at large de la Jordanie, et l’une des figures les plus respectées de tout le monde arabe. Et soucieux comme vous l’avez toujours été du bien de votre pays, vous ne pouvez que vous féliciter de voir le Royaume entre de bonnes mains. Cela aussi fait partie de votre noblesse et de votre grandeur.

Avant de revenir avec un peu plus de détails sur votre œuvre personnelle, intellectuelle et institutionnelle, il me paraît opportun de parcourir au galop ces trente-quatre années, tellement riches en événements tragiques, dont vous avez, aux côtés du roi Hussein, supporté le poids.

Vous avez 20 ans. Le 5 juin 1967 éclate la guerre israëlo-égyptienne appelée ultérieurement « guerre des six jours », après l’annonce par l’Egypte de la fermeture du détroit de Tiran. La Jordanie est entraînée dans le conflit, par solidarité. Elle perd ce qu’avait acquis Abdallah : Jérusalem, la Cisjordanie. Les réfugiés passent de 500 000 à 750 000. Le roi Hussein multiplie les efforts diplomatiques. Il reprend ses consultations avec Israël, qui, semble t-il, nourrit alors l’idée d’un traité de paix séparé avec Amman. Il impressionne ses interlocuteurs comme Abba Eban. Mais sa marge de manœuvre est faible. Cependant, avec l’élection en 1969 de Yasser Arafat à sa tête, l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) prend de plus en plus d’assurance. Arafat peine à contrôler les mouvements extrêmistes. Les objectifs des militants palestiniens, les fedayin, et du pouvoir jordanien, sont incompatibles. Certains mouvements demandent le renversement de la monarchie. Le Roi échappe à deux tentatives d’attentat. Le Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP) et d’autres font assaut de rhétorique révolutionnaire. La confrontation paraît inévitable. L’acceptation par la Jordanie d’un plan de règlement américain (deuxième Plan Rogers), puis le ralliement de l’Egypte, exacerbent les tensions. Les militants palestiniens dénoncent une trahison de leur cause. Aux Etats-Unis, le Département d’Etat prévoit la fin imminente de la monarchie et la prise du pouvoir par les fedayin. Il prépare l’évacuation de la famille royale.

A la mi-septembre 1970, la guerre civile éclate. Vous avez 23 ans. Vous joignez votre voix à celle de l’armée – où l‘accroissement des éléments radicaux fait craindre une mutinerie – pour demander au Roi d’affirmer son autorité, ce qu’il fait en ordonnant la répression, avec la neutralité bienveillante d’Israël. Cette action sauve le Royaume. Mais elle va déplacer le problème palestinien vers le Liban. A l’intérieur, la guerre civile aura altéré le lien entre le Roi et ses sujets palestiniens. Elle aura altéré aussi la détermination du Roi à rétablir sa souveraineté sur la Cisjordanie. Amman se retrouve au ban du monde arabe et isolée. La Syrie, l’Algérie, la Libye rompent les relations diplomatiques. Alors que Hussein avait finalement réussi à forger des relations étroites avec Nasser, son successeur, Anouar El Sadate, se montre d’emblée hostile. Non sans raisons, chacun soupçonnait l’autre de chercher à négocier une paix séparée avec l’Etat hébreu, ce qui paraît naturel quand on connaît la suite.

Au lendemain de « Septembre Noir », Israël est en position de force et se satisfait du statu quo. Dans le plus grand secret, la Syrie et l’Egypte se préparent à l’attaquer avec l’espoir de créer une situation plus favorable. Ce sera la guerre d’Octobre 1973, que les uns appellent du Ramadan et les autres du Kippour. Au cours de cette nouvelle guerre imposée, la Jordanie prend soin de ne pas devoir affronter l’armée israélienne sur la frontière israélo-jordanienne. De son côté, l’armée israélienne veille à épargner physiquement le Roi lorsqu’il s’expose sur un théâtre d’opérations.

L’issue de la guerre d’octobre laisse présager un accord israélo-égyptien, avec la bénédiction des Etats-Unis. La résolution adoptée à l’issue du conflit par le Conseil de sécurité en appelle à des négociations directes. L’objectif des Etats-Unis est l’accord de désengagement entre Israël et l’Egypte qui sera effectivement signé le 18 janvier 1974. La Jordanie est marginalisée. Lors du sommet arabe de Rabat, le 26 octobre 1974, elle est dépossédée de sa responsabilité historique à l’égard des Palestiniens. L’OLP est alors désignée à l’unanimité comme seul représentant du peuple palestinien.

Dans un contexte extrêmement difficile, vous vous investissez corps et âme dans le développement de votre pays. Vous poursuivez également la coopération fonctionnelle engagée avec l’Etat hébreu, notamment dans le domaine hydro-électrique. Ygal Allon, votre interlocuteur, se dit impressionné par votre degré d’expertise technique.

Le 19 novembre 1977, Anouar el Sadate se rend à Jérusalem, un moment bouleversant comme s’en souviennent tous ceux qui l’ont vécu. Le 5 septembre de l’année suivante, les accords de Camp David se déroulent sans la Jordanie. Le Roi n’en apprendra le contenu qu’après coup. Il ne peut que rejoindre les « pays du rejet » et noue des liens étroits avec le dictateur irakien, Saddam Hussein.

Bien des événements vont encore secouer la région avant que les circonstances ne deviennent enfin favorables à la signature d’un traité de paix entre Israël et le Royaume hachémite. Je les résume à grands traits. La chute du Shah d’Iran, le 1er février 1979, fait planer une menace sur toutes les monarchies du Golfe et favorise de ce fait une solidarité entre Riyad et Amman. Pendant la longue guerre qui oppose ensuite l’Irak à l’Iran, la Jordanie apporte son soutien à Saddam Hussein. En 1978, puis à nouveau en 1982, Israël envahit le Liban. Sharon envisage alors sérieusement de donner la Transjordanie aux Palestiniens. Face à tant de dangers, le Roi reste toujours fidèle au principe de Richelieu, et n’interrompt jamais, avec les uns et les autres, sa quête de règlement, saisissant toutes les occasions, comme le plan Reagan de septembre 1982.

Un peu plus tard, un développement dramatique – l’éruption de la première intifada le 9 décembre 1987 dans les territoires occupés – va avoir des conséquences décisives sur la politique jordanienne. L’intifada manifeste un soutien sans faille à l’OLP et prend une tournure anti-jordanienne. Le 31 juillet 1988, le Roi annonçe la rupture des liens avec la Cisjordanie. On peut imaginer combien cette décision — certes en germe depuis « Septembre Noir » — qui rompt avec la mission reçue en héritage, est déchirante. La deuxième conséquence de l’intifada est l’émergence du Hamas. Au lendemain de la guerre entre l’Irak et l’Iran, pendant laquelle la Jordanie a bénéficié de l’aide saoudienne, la situation économique du Royaume est désastreuse. En 1989, la suppression des subventions alimentaires entraîne des « émeutes du pain » à Maan. Peu après lorsque, le 2 août 1990, l’Irak envahit le Koweït, le Roi, qui a déployé tant d’efforts pour trouver une solution évitant la guerre, n’a d’autre choix que de soutenir Saddam.

La Jordanie émerge de la première guerre du Golfe plus unie que jamais sur le plan interne mais, une fois encore exsangue sur le plan économique. A nouveau, vous employez votre compétence et votre énergie à redresser la situation.

En 1991, la guerre contre Saddam Hussein et l’effondrement de l’URSS bouleversent la donne au Moyen-Orient. Le « nouvel ordre » de George H.W. Bush a besoin d’avancées concrètes. Le Secrétaire d’Etat James Baker propose une conférence internationale sous les auspices de l’ONU sur la base de la résolution 242. Les Américains ont besoin de la Jordanie. Le roi Hussein sort enfin de son isolement. Il offre à l‘OLP une couverture légale pour aller à Madrid, car Washington s’oppose à la présence ouverte de l’organisation palestinienne. Votre Altesse Royale joue un rôle central du côté jordanien, dans la préparation et les suites de la conférence de Madrid, qui s’ouvre le 30 octobre 1991. Deux canaux de négociations parallèles sont établis, l’un bilatéral entre l’Etat hébreu et chacun des pays arabes concernés, l’autre multilatéral sur les questions d’intérêt commun à toute la région. Le Roi et vous-même avez recours aux négociations secrètes dont vous êtes familier. Pendant cette période, une sorte d’amitié, fondée sur le respect mutuel, se forge entre le roi Hussein et le Premier Ministre Itzhak Rabin, qui permettra entre autres de surmonter le malaise provoqué par les accords d’Oslo, en 1993, conclus à l’écart de la Jordanie suite à une initiative norvégienne destinée à faire progresser la diplomatie sur le plan israélo-palestinien. Les efforts d’Israël et de la Jordanie aboutissent enfin avec le traité de paix du 26 octobre 1994, point culminant de trois décennies de dialogue secret et, pour le roi Hussein, selon son propre dire, l’apogée de son règne. Israël s’y engage à respecter le rôle spécial du Royaume hachémite à l’égard des Lieux Saints et à en faire une priorité dans les négociations sur le statut final de la ville de Jérusalem.

Le traité de 1994 rétablit la Jordanie dans son statut d’acteur régional majeur. L’aide américaine, qui avait déserté le Royaume, afflue à nouveau. En ce temps là, on peut vraiment croire possible un règlement d’ensemble au Moyen-Orient. Mais l’Histoire dément les prévisions et elle est tragique, particulièrement dans cette partie du monde. L’assassinat d’Itzhak Rabin, le 4 novembre 1995, fait dérailler le train de la paix. Décidément condamné à se trouver toujours au centre de la tourmente, la Jordanie n’hésite guère à choisir son camp après le 11 septembre 2001 et à participer activement à ce que le président George W. Bush appelle la « guerre contre le terrorisme ». Mais un peu plus tard, elle réprouve l’intervention contre l’Irak de 2003, qui achève de déséquilibrer le rapport de force en faveur de l’Iran et favorise l’émergence d’un « croissant chiite » s’étendant de Téhéran à Beyrouth, selon les termes du roi Abdallah II. Dans le sillage du roi Hussein, ce dernier n’en poursuit pas moins sa quête inlassable d’un règlement négocié du problème palestinien. Depuis maintenant des décennies, l’exemple de votre pays nous aide à ne jamais désespérer.

Ceci nous ramène à l’œuvre de Votre Altesse Royale, tout entière sous le signe de l’intelligence au service de l’espérance. Vous êtes l’auteur de plusieurs ouvrages. Vous avez consacré une grande partie de votre réflexion à la question palestinienne et à celle de Jérusalem. Vos travaux expriment la place que ces questions occupent dans votre cœur et dans votre esprit, mais vous vous gardez de céder à l’émotion. Vous voulez faire œuvre utile en les abordant de façon dépassionnée et remarquablement rigoureuse, avec un solide ancrage dans le droit international.

En 1979, vous publiez A Study on Jerusalem. L’intérêt et le mérite de ce petit ouvrage est que, tout en rendant justice aux aspects historiques et religieux de la question, vous vous attardez longuement sur ses aspects légaux. Vous vous efforcez, en recourant à toute la gamme des outils juridiques – jusqu’à présent fort peu utilisés – de faire émerger une solution juste dans les deux sens du terme (justesse, justice). Cette étude est toujours d’actualité. Revenant sur le sujet, à la veille du sommet d’Annapolis (novembre 2007), vous insistez sur la nécessité de préserver le gouvernement municipal comme un tout, celui-ci devant toutefois assurer un traitement égal à toutes les religions et une représentation égale à toutes les communautés religieuses. Un statut spécial pour la ville est sans doute nécessaire. Vous rappelez que le traité israélo-palestinien confère explicitement une responsabilité à la Jordanie dans le règlement de la question de la Ville Sainte.

En 1981, vous rédigez une étude sur la question palestinienne, Palestinian Self-Determination – A Study on the West Bank and Gaza Strip. Vous faites pareil investissement dites-vous alors, parce que ce conflit unique dans son genre a déjà provoqué quatre guerres et qu‘il menace la paix dans le monde. Ainsi en est-il aujourd’hui comme hier. Comme la précédente, cette étude rappelle les causes historiques de la question, et en dissèque avec précision les bases juridiques.

En 1984, vous écrivez encore un livre, en arabe, sur la recherche de la paix. Puis vous consacrez deux ouvrages aux religions. En 1994, vous publiez Christianity in the Arab World, où vous retracez avec érudition les origines de la chrétienté, ses évolutions historiques, organisationnelles et doctrinales. On comprend mieux pourquoi vous avez abordé ce thème si l’on sait l’importance particulière du fait religieux en Jordanie, où la plupart des confessions chrétiennes d’Orient (chaldéenne, syrienne, copte et arménienne) sont implantées depuis fort longtemps.

Les événements du 11 septembre ont suscité de nombreux amalgames portant préjudice à l’Islam. En 2003 parait To be a Muslim – Islam, Peace and Democracy. Vous souhaitez battre en brèche les conceptions erronées véhiculées sur votre religion. Vous en rappelez donc, avec une grande clarté, les principes et le sens. Comme pour tout ce que vous entreprenez, vous voulez faire tomber les barrières, susciter des débats constructifs, et repousser les limites de l’ignorance dont se nourrit l’intolérance.

En 2003 également, vous publiez en arabe un ouvrage sur Fayçal I – le grand-père du Roi qui fut assassiné en 1958 – et la question irakienne.

Votre Altesse Royale ne se contente pas d’écrire. Vous croyez au rôle des institutions comme des lieux d’exigence, des phares, comme des lieux d’échanges et de débat, ancrés dans la durée et où parfois peuvent naître des initiatives concertées. Vous êtes donc un inlassable fondateur d’institutions. En Jordanie, vous créez la Royal Scientific Society en 1970, puis l’Arab Thought Forum en 1981. C’est dans ce cadre qu’à la tête d’une délégation comprenant des personnalités françaises, allemandes, britanniques et italiennes, j’eus la joie et l’honneur de faire votre connaissance à Amman en 1982 et d’être présenté au roi Hussein dont j’ai pu ainsi, comme tous ceux qui l’ont approché fut-ce brièvement, ressentir le charisme. En 1987, vous fondez le Higher Council for Science and Technology et en 1994, le Royal Institute for Inter-Faith Studies. Cette dernière institution a pour objectif de promouvoir le dialogue entre musulmans et Arabes chrétiens, comme leurs relations mutuelles, en tant qu’Arabes, avec le monde occidental. Votre livre sur la chrétienté dans le monde arabe en est la première publication.

Auteur, créateur d‘institutions, vous êtres aussi un remarquable débateur. Vous intervenez fréquemment et abondamment dans des conférences et colloques, où à travers certains articles et interviews. Vos préoccupations portent d’abord sur votre région et son avenir. Le Moyen-Orient souffre d’un déficit de structures institutionnelles. Vous soulignez la nécessité d’un environnement légal qui permette aux plus démunis d’avoir voix au chapitre. Vous plaidez pour une sorte d’« accord de Dayton » local, où la communauté internationale jouerait un rôle de catalyseur pour développer la coopération régionale. Dans cet esprit, vous êtes également engagé dans un projet inspiré de la Charte d’Helsinki pour la région « Asie de l’Ouest – Afrique du Nord ». S’inspirer des expériences d’ailleurs pour les adapter au contexte local est à juste titre l’une de vos approches favorites.

Vous vous interrogez sur le rôle de l’Europe au Moyen-Orient au XXIe siècle. Votre réponse est claire : l’Europe doit réconcilier l’« Occident » et le monde islamique. Elle doit exprimer une vision « qui dépasse les frontières ethniques et politiques ». Cette vision doit englober aussi bien des questions pratiques, comme l’énergie, que les valeurs, comme les droits de l’homme.

Toujours dans le même esprit, la conférence d’Annapolis, en novembre dernier, vous a inspiré un message qui dépasse de beaucoup la question israélo-palestinienne. Vous esquissez la trame d’un nouvel ordre régional doté de fondations solides, autour de deux Etats, Israël et la Palestine. Vous soulignez l’importance de la notion, là encore très européenne, de réconciliation ; vous demandez à Israël de reconnaître ses responsabilités et de compenser les victimes. Les traités israélo-égyptien et israélo-jordanien ont échoué dans la normalisation des relations entre les peuples. Pour y parvenir, il faut respecter les accords sur le terrain, établir des mesures de confiance, en arriver progressivement à un esprit de véritable coopération positive.

Vous mettez en garde contre une « paix au rabais ». La citoyenneté dont ont vocation à bénéficier les Palestiniens ne doit rien laisser à désirer. La colonisation ne doit plus être tolérée. Les questions transfrontalières (eau, transport, électricité) doivent être réglées. Là encore vous proposez des formules inspirées de l’histoire de l’Union européenne en commençant avec le modèle de la CECA.

Votre démarche est pragmatique. Elle tend, par une multiplicité d’initiatives convergentes, à construire une approche régionale de l’interdépendance. La paix, dites-vous, ne tient pas en un accord, mais en une série d’accords et de mécanismes institutionnels. Vos réflexions entrent dans les détails. C’est souvent faute d’une attention suffisante aux détails que les combats se perdent. L’un des traits les plus remarquables de votre personnalité est la capacité de combiner l’intelligence des choses de l’esprit les plus élevées et l’attention active aux plus petits détails de vos constructions.

Votre Altesse Royale continue son combat pour la juste solution du problème palestinien et pour l’avènement d’un ordre démocratique au Moyen-Orient. Elle le fait dans un esprit d’ouverture et de tolérance exemplaire. Avec la même ferveur, elle se dépense sans compter dans des combats encore plus vastes, là où se joue l’avenir de notre planète comme l’environnement.

J’ai parlé de tolérance. Cette vertu, Votre Altesse Royale la possède au plus haut point. Il ne s’agit pas d’une tolérance naïve mais éminemment constructive, éclairée par une longue réflexion enracinée dans une science et une expérience peu communes. Si l’on peut et l’on doit encore espérer le salut dans un Moyen-Orient éternellement dramatique, c’est grâce à des personnalités telles que vous. Il faut que votre exemple soit suivi. Puisse votre entrée dans notre compagnie contribuer à renforcer les rangs de vos disciples et amis, car le destin ne reste pas éternellement sourd à l’appel des hommes de bonne volonté.

 

 

Discours de S. A. R. El Hassan bin Talal de Jordanie,
Membre associé étranger

 

À la mémoire du Président Ronald Reagan

 

Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire Perpétuel,
Chers Confrères,
Mesdames,
Messieurs,

J’ai l’immense honneur d’être reçu aujourd’hui dans cette auguste assemblée consacrée à « l’immortalité », pour y faire devant vous l’éloge de mon prédécesseur, Ronald Reagan, conformément à une tradition sanctifiée par le temps.

Des milliers d’hommes viennent depuis toujours dans cette ville de culture et des Lumières, mais bien peu — et je suis honoré d’en être — ont eu le privilège de pénétrer dans ces vénérables salles pour tenter de prendre rang, fût-ce modestement, dans la cohorte de talents et d’exceptions qui les ont illustrés.

À l’instar de mon prédécesseur, j’ai été habitué, par mon éducation, à prendre très au sérieux les autres. Moi-même, beaucoup moins. Je suis toutefois conduit à vous entretenir d’un sujet fort grave qui a été une des lignes de foi de Ronald Reagan pendant sa présidence : la quête de la paix mondiale, au service de l’humanité.

Ronald Reagan a vécu dans un monde profondément troublé et divisé, mais il a apporté, dans sa fonction, une sérénité tranquillement assumée dans sa continuité culturelle. Il a été élu à la présidence des États-Unis en novembre mille-neuf-cent-quatre-vingt (1980), face au président sortant, Jimmy Carter.

L’Amérique était alors en pleine guerre froide. Elle traversait une période de tension avec l’Iran, tandis que planait le spectre de la prolifération nucléaire. Le peuple américain avait besoin d’un président in tempore belli et d’une présence qui fût à même de le rassurer. Ronald Reagan était californien. Il venait de cette côte Ouest apparemment “décontractée“, terre d’élection de l’industrie cinématographique ; les films dans lesquels il jouait véhiculaient alors les valeurs fondamentales du patriotisme, de la famille et de l’individualisme — mais aussi de la loi et de l’ordre.

En mille-neuf-cent-quatre-vingt-neuf (1989), année de l’élection du Président Reagan à l’Académie des Sciences morales et politiques, le monde avait changé. Une ère de paix et d’harmonie allait s’ouvrir en Europe et, sans que nous le sachions, le Mur de Berlin — cette sombre balafre due à l’idéologie qui divisait le monde — était sur le point de disparaître.

***

L’ancien Président fut honoré par votre noble assemblée en hommage à la force historique de l’amitié franco-américaine, au nom des valeurs communes défendues depuis l’époque de Thomas Jefferson et de la lutte des « Insurgents », pour leur liberté et leur indépendance. Ce lien historique avait été rappelé en juillet mille-neuf-cent-dix-sept (1917) lorsque, déposant une gerbe sur la tombe du marquis, le colonel Stanton prononça ces mots devenus célèbres : « La Fayette, nous voilà ! ». L’Amérique, puissance nouvelle, intervenait alors dans la vieille Europe, au secours de la France et des Alliés. Reagan rejoignait ainsi l’aréopage des grands Américains reçus à l’Académie, dont le Président Eisenhower, en raison de son « caractère exceptionnel ».

Au cours de la séance solennelle du 15 juin mille-neuf-cent-quatre-vingt-neuf (1989), consacrée à l’installation de Ronald Reagan comme « associé étranger », Bernard Chenot – le Secrétaire Perpétuel de cette époque — parla en ces termes (Installation de Ronald Reagan comme associé étranger, Académie Française, séance du jeudi 15 juin 1989.) du pari de paix osé par le Président américain : « Vous avez eu le courage — et il en fallait au moins autant que pour la lutte — de vous déclarer ouvert à toutes les initiatives de paix, et même de désarmement, dès lors que celles-ci pouvaient être regardées comme sérieuses et loyales. Vous avez montré d’une main ferme le chemin que pouvaient suivre tous les peuples du monde, s’ils voulaient vraiment mettre un terme à des affrontements stériles, à des luttes mortelles pour les peuples libres, et consacrer à l’amélioration des conditions de la vie sur notre pauvre planète, au moins une part des sommes investies dans des programmes de destruction. »

Albert Brunois, alors président de l’Académie, citant la « Déclaration d’Indépendance de mille-sept-cent-soixante-seize (1776) », évoqua ensuite la naissance de la nation américaine, précurseur et inspiratrice du combat pour la liberté et les Droits de l’homme, ajoutant que « cette déclaration solennelle reçut un écho en Europe treize ans plus tard, lorsque les Français à leur tour adoptèrent la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen du 26 août mille-sept-cent-quatre-vingt-neuf (1789), qui fut placée ensuite en tête de la Constitution de mille-sept-cent-quatre-vingt-onze (1791). » Sans s’attarder sur les différences entre les textes, Albert Brunois souligna au contraire « leur communauté essentielle d’inspiration et leur commune actualité. »

J’aimerais reprendre à mon compte l’actualité de ces propos.

***

La vision reaganienne du monde reposait sur une certitude inflexible : les États-Unis avaient la responsabilité d’être les premiers à créer un monde libre et de contenir — voire de repousser — toute menace contre cette liberté. Sur le plan personnel, cette vision s’enracinait dans une foi religieuse profonde et dans la conviction qu’une vie devait être conduite selon les règles d’une morale rigoureuse.

Les paroles de Reagan, en hommage à son propre prédécesseur parmi les Immortels, le théologien suisse Hans Urs von Balthasar, résonnent d’une émotion puissante : « À l’apogée de ma vie, j’avais autour de moi le bruit des foules et des hélicoptères, la précipitation des cadreurs de télévision et la cacophonie des réalités politiques modernes. L’univers de Balthasar, celui de l’esprit et de l’âme, était éternel. Le mien, actuel et profane. Il voyait le monde en termes de cosmos alors que j’étais absorbé par les problèmes de chaque jour. Et pourtant nous avions tous deux une certaine vision de l’avenir de l’homme et de ses possibilités. L’un et l’autre nous priions Dieu, afin de mieux saisir ce que devrait être la vie des humains dans le monde d’aujourd’hui. » (Ibidem)

Je suis profondément touché par ces paroles venues de l’âme d’un homme qui nous a quittés et que j’avais eu le privilège de rencontrer. Je m’associe de tout cœur à l’idée de vérité qu’elles expriment : une vision pour l’humanité se doit d’associer les réalités aussi bien spirituelles que politiques. Nous devons rester ouverts aux vertus du recours à un principe supérieur et plus sage — qu’on l’appelle « Dieu » ou « Allah » ou de tout autre nom que l’humanité donne à son Créateur.

S’il croyait profondément en Dieu, Reagan croyait tout autant dans les capacités de l’individu. Les hommes et leurs motivations exerçaient une fascination naturelle sur le Président. Il en recherchait une convivialité telle qu’elle le poussa à rencontrer jusqu’à ses pires adversaires politiques. Ses liens personnels avec les autres dirigeants mondiaux étaient remarquables et il excellait à les entretenir.

La simplicité et la conviction sont les degrés suprêmes de la maturité. Selon l’expression de l’éditeur du journal de Reagan (The Reagan Diaries, éd. Douglas Brinkley, Harper & Collins, 2007), le Président « s’irritait des complications dans la communication qui brouillaient selon lui les relations internationales. » Malgré son attitude de défiance envers l’Union Soviétique, il s’employa à renforcer le dialogue avec ses dirigeants successifs, estimant que des progrès seraient faits s’il pouvait communiquer directement avec eux — par lettre, par téléphone ou par des rencontres personnelles. Et des progrès furent ainsi réalisés, par le biais de discussions ouvertes avec Léonid Brejnev, Youri Andropov et Constantin Tchernenko, transcendant les antagonismes idéologiques et la peur de l’autre, sentiments pourtant profondément ancrés de part et d’autre.

Mais cette « victoire à l’usure » aurait été vaine si Reagan ou Thatcher avaient prôné « le triomphalisme occidental devant les difficultés de l’U.R.S.S. ou s’ils avaient refusé de négocier la fin du communisme. Ils auraient alors retardé le processus par lequel l’Europe de l’Est, puis la Russie, se débarrassèrent du communisme à la fin des années quatre-vingt (80) et au début des années quatre-vingt-dix (90). » (Ibidem) Cet écueil fut évité. On le doit aux deux sans doute, mais essentiellement, je crois, aux qualités humaines de Ronald Reagan, à sa volonté passionnée de communication et d’écoute, qui lui permit de mettre à profit l’occasion historique qui lui était alors offerte pour accomplir un pas décisif vers la paix mondiale.

Dès le début de sa présidence, Reagan comprit que l’on pouvait obtenir beaucoup en discutant avec ses adversaires.

« Si méchant que soit l’ennemi, on peut toujours trouver un terrain d’entente. Si détestable que soit l’adversaire, un changement peut se produire. Pour tyranniques que soient les systèmes politiques, ils ne sont pas éternels. Il faut avoir confiance dans ses propres valeurs. Il faut avoir de la patience et de la persévérance. » (Ibidem)

Il faut aussi choisir quand montrer sa puissance militaire et quand recourir à la subtilité — et Reagan possédait au plus haut degré cette science. Il avait ces qualités de chef dont notre époque troublée et ma région du monde ont cruellement besoin.

Les réalisations de l’administration Reagan ont profondément transformé la planète. La menace d’une guerre nucléaire que le monde entier redoutait — et surtout les Russes — à son entrée en fonction, fut réduite à l’état de mauvais souvenir. Ronald Reagan joignit ses efforts à ceux de Mikhaïl Gorbatchev pour entamer une série de négociations qui inquiétèrent son administration tout entière. Les partisans de la manière forte reculaient d’horreur devant la seule idée d’engager ce genre de conversations avec les Soviétiques, multipliant les avertissements contre ce qu’ils nommaient « la grande illusion » de la paix. Au sommet de Reykjavik, pourtant, les deux chefs d’État s’entendirent presque sur « l’option zéro » : l’élimination réciproque de toutes les armes thermonucléaires. Comme le président américain ne voulait pas renoncer à son cher programme de défense anti-missiles, l’accord final ne se fit pas, mais les discussions débouchèrent quand même en mille-neuf-cent-quatre-vingt-sept (1987) sur l’accord décisif de sa présidence, avec l’Intermediate-Range Nuclear Forces Treaty (INF). « Mon rêve, écrira plus tard le président dans ses mémoires, était un monde libéré de tout armement nucléaire. » (Joshua Green, Reagan’s Liberal Legacy)

À cet égard, Reagan illustre brillamment un fait politique de notre temps : tous les grands dirigeants mondiaux, quelle que soit leur famille politique, ont un jour ou l’autre conscience que dans ce monde interdépendant qui est le nôtre, ils ont non seulement le devoir de veiller sur leur pays, mais aussi la responsabilité de la paix et de l’amélioration des conditions de vie de l’humanité tout entière.

L’historien libéral Sean Wilentz écrit : « Le “reaganisme“ offrait un mélange très personnel et caractéristique de dogme, de pragmatisme et surtout de mythologie. Malgré ses millions de partisans, cette théorie n’avait sa source ni dans un parti, ni dans une faction, ni dans un mouvement, mais dans l’esprit et le personnage d’un seul homme : Ronald Wilson Reagan. » (Louis Bayard, recension de The Age of Reagan, in Salon, 13 mai)

Si haute qu’ait été sa fonction, le Président Reagan est resté jusqu’à la fin un homme modeste. Dans ses écrits et ses autres propos, il apparaît toujours avec l’authentique sérieux d’un homme qui aimait la liberté mais détestait le communisme, l’inflation… et les impôts.

***

On célèbre cette année le soixantième anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Il reste beaucoup à bâtir en ce domaine. Il est manifeste que la situation de ces droits, à l’instar de la qualité de la vie des hommes, s’est considérablement dégradée depuis l’époque de Reagan. Nous sommes revenus au point de départ, depuis les jours grisants de la création des Nations Unies et le lancement du plan Marshall en Europe. L’idéalisme né des horreurs de la Seconde Guerre Mondiale et l’espoir engendré par l’effondrement du communisme semblent à nouveau s’éloigner.

Nous sommes retombés dans la hantise de la guerre et il nous faut retrouver le chemin d’un idéalisme constructif, dans le concert des nations. Nous est-il donc impossible de nous inspirer des succès passés et de comprendre nos erreurs ? Sommes-nous voués à rester à jamais englués dans de « bonnes intentions » naufragées, pris au piège des engagements internationaux si tragiquement éloignés des réalités du terrain ?

L’autorité morale de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme vient du fond des millénaires, depuis le code promulgué par Hammourabi, septième souverain de la première dynastie de Babylone, jusqu’à celui de Napoléon, en passant par la Magna Carta et les principes de Jefferson : Hans Küng parlait à juste titre d’une éthique mondiale. L’article 2 de la Déclaration de mille-neuf-cent-quarante-huit (1948) énonce ainsi :

« Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.

« De plus, il ne sera fait aucune distinction fondée sur le statut politique, juridique ou international du pays ou du territoire dont une personne est ressortissante, que ce pays ou territoire soit indépendant, sous tutelle, non autonome ou soumis à une limitation quelconque de souveraineté. » (Déclaration universelle des Droits de l’Homme (10 décembre 1948), Article 2.)

J’aimerais à ce propos rendre hommage à ma défunte belle-mère, la Begum Shaista Suhrawardy Ikramullah, une Grande Dame musulmane qui a travaillé aux côtés d’Eleanor Roosevelt aux Nations Unies, en mille-neuf-cent-quarante-huit (1948), pour élaborer la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, mais aussi la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.

L’idée de faire pression sur les gouvernements despotiques pour qu’ils cessent de maltraiter leurs citoyens recueille depuis longtemps les faveurs de la gauche et l’hostilité de la droite. Comme tant d’autres conservateurs, Reagan avait critiqué les accords d’Helsinki signés par Gerald Ford en mille-neuf-cent-soixante-seize (1976), et dénigré la campagne de Jimmy Carter en mille-neuf-cent-quatre-vingt (1980) pour ce qu’il considérait comme un refus de voir les dures réalités du communisme.

Mais avec la dissidence d’Andreï Sakharov ou de Václav Havel, venue attester le pouvoir du discours reaganien à l’appui de leurs mouvements de protestation, il est devenu impossible aux conservateurs de nier l’utilité et la force morale de ce type d’engagement comme composante de la politique extérieure américaine. Actuellement, au sein du Congrès américain, les défenseurs des Droits de l’Homme sont presque aussi nombreux chez les Républicains que chez les Démocrates…

En avril mille-neuf-cent-quatre-vingt-un (1981), à l’apogée de la « guerre froide », Ronald Reagan écrivit à Léonid Brejnev : « Les peuples du monde, en dépit de leurs différences d’origine raciale ou ethnique, ont beaucoup de choses en commun… Ne devrions-nous pas nous attacher à éliminer les obstacles qui empêchent nos peuples de réaliser leurs plus chers désirs ? » (Melvyn P. Leffler, Ç Keep your enemies closer È, in Los Angeles Times, 6 avril 2008)

On a dit bien des choses sur l’habileté de Reagan à communiquer, chez lui comme à l’étranger. Il est remarquable qu’il répondait personnellement à la plupart des lettres qu’il recevait, et dans les termes les plus humains. À en croire son fils, il écrivit un jour en ces termes à l’un de ses concitoyens : « Vous avez spécifié que vous souhaitiez avoir quelque chose de moi personnellement : me voici donc… » (Michael Reagan, « The Real Ronald Reagan », in Human Events, 25 mai 2005). Son talent d’orateur a suscité moins de commentaires, mais son discours à la porte de Brandebourg, à Berlin, en mille-neuf-cent-quatre-vingt-sept (1987) (Ronald Reagan, Address, Brandenburg Gate, West Berlin, Germany, 12 juin 1987 ), fut un hymne à la liberté démocratique, confortant et encourageant simultanément tous ceux qui vivaient des deux côtés du Mur par le même message d’espoir : « Abattez ce mur ! » Et de fait, le Mur de Berlin finit par tomber, dans les mois qui suivirent la fin du mandat présidentiel de Ronald Reagan.

Le monde actuel recourt à de nouveaux murs, comme jamais encore auparavant, dans la vaine tentative de contenir les problèmes qui opposent les peuples. Mais ériger des murailles entre les cultures et les hommes ne fait qu’aggraver le sectarisme, en accélérant la fragmentation et la décomposition sociale de part et d’autre. Les peuples en viennent à perdre espoir : Reagan avait compris que l’espérance était indispensable.

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi une faiblesse très humaine : je pense que l’obligation de charité doit commencer chez soi. Voici plus de vingt ans, Ronald Reagan déclarait, à propos du Proche Orient :

« J’appelle Israël à prendre conscience que la sécurité à laquelle il aspire ne peut être obtenue que par une paix authentique — une paix qui requiert de la magnanimité, de la vision et du courage.

« J’appelle le peuple palestinien à reconnaître que ses propres aspirations politiques sont indissolublement liées au droit d’Israël à vivre désormais en sécurité. » (Ç President Ronald ReaganÕs Speech and Talking Points*, 1er septembre 1982 È, in The Arab-Israeli Peace Process Briefing Book, The Washington Institute for Near East Policy, p. 711.)

La clarté de ce double appel est remarquable. La tragédie que vit ma région est telle qu’il faut rappeler cet avertissement, inlassablement.

Reagan refusait l’idée que la paix fût une « grande illusion » . Mais il restait parfaitement conscient qu’une paix durable ne peut se construire sans la reconnaissance de nos valeurs commune d’humanité et, surtout, sans oser franchir les fossés qui séparent les hommes.

Mesdames et Messieurs, je vous remercie.

 

 

Message du Pape,
Lu par S. E. le cardinal Roger Etchegaray

 

« A l’occasion de la réception sous la Coupole de S.A.R. le Prince El-Hassan bin Talal de Jordanie, en qualité de membre associé étranger de l’Académie des Sciences morales et politiques, il m’est agréable de m’unir par la pensée à cette noble assemblée, et particulièrement au nouvel Académicien à qui j’adresse mes vœux les plus cordiaux.

« Je souhaite vivement que cette marque de considération à l’égard d’une personnalité engagée depuis de nombreuses années dans le dialogue interreligieux contribue au rapprochement entre les membres des diverses religions et entre les personnes de cultures différentes. La reconnaissance de la place des valeurs religieuses dans la société et la recherche d’une authentique compréhension mutuelle entre les personnes d’origines spirituelles et culturelles variées ne peuvent que favoriser le développement de collaborations toujours plus fécondes en vue du bien commun et de la paix Par l’accueil de S.A.R. le Prince El-Hassan bin Talal parmi ses membres, l’Académie des Sciences morales et politiques confirme son attachement à poursuivre dans cette voie. Je prie Dieu de donner à tous le courage de s’y engager résolument.

« Sur Vous-même, Monsieur le Secrétaire perpétuel, sur S.A.R. le Prince El-Hassan bin Talal, sur tous les membres de l’Académie des Sciences morales et politiques, ainsi que sur les personnes présentes à la séance de Réception, j’invoque de grand cœur l’abondance des Bénédictions divines.

« Du Vatican, le 11 juin 2008. »

signé « Benedictus PP XVI »