Les grandes écoles d’ingénieurs et l’excellence scientifique

Séance du lundi 2 février 2009

par M. Bertrand Collomb

 

 

L’existence des grandes écoles, notamment d’ingénieurs, leur séparation de l’université proprement dite, et leur place dans l’économie sont un des éléments de l’exception française. Mal comprise à l’étranger, elle fait l’objet chez nous de débats incessants. Certains y voient un des points forts de notre système de formation des élites, d’autres au contraire dénoncent un système conservateur qui éloigne les meilleurs élèves de l’université, stérilise les capacités de recherche et d’innovation de notre pays, et explique la place trop réduite que nous occupons dans la compétition mondiale pour l’excellence scientifique.

En m’efforçant de dépasser ces débats souvent trop partisans, je voudrais retracer dans cette communication l’origine et les raisons de l’existence des grandes écoles d’ingénieurs, le rôle qu’elles ont joué et jouent toujours dans la formation des cadres de notre économie et dans la recherche, et surtout les évolutions actuellement en cours.

J’évoquerai en particulier l’action à laquelle je suis personnellement associé, pour créer, à partir de onze écoles existantes et sous le nom de ParisTech, une université technologique capable de concurrencer les grandes universités technologiques du monde anglo-saxon, telles que le M.I.T. ou Cambridge.

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La création de l’Ecole Polytechnique en 1794 par la Convention fait parfois croire que l’origine des grandes écoles d’ingénieurs est due à la Révolution, ce qui serait une explication facile de cette exception française. En fait, il n’en est rien.

C’est sous l’Ancien Régime que Charles Daniel Trudaine, intendant des finances, qui avait sous sa responsabilité les ponts et chaussées, et l’administration des mines, et qui fut membre de l’Académie des sciences, éprouve le besoin, en 1747, de créer une école pour former les géomètres et dessinateurs, puis les ingénieurs des ponts et chaussées, dont le corps avait été créé en 1716. C’est le début de l’école des Ponts et Chaussées, dont le premier directeur fut Jean-Rodolphe Péronnet, qui fut aussi un collaborateur de l’Encyclopédie. En cet heureux temps, l’école n’avait pas de professeurs et, sous la conduite du directeur, une cinquantaine d’élèves s’entrainaient mutuellement à la géométrie, l’algèbre, la mécanique et l’hydraulique.

En 1749, le ministre de la Guerre crée à Mézières une école pour la formation des officiers et des ingénieurs du génie. Un peu plus tard, Gaspard Monge, remarqué par l’état major de cette école, mais de trop modeste origine pour y être admis – quatre quartiers de noblesse sont requis pour se présenter au concours – y sera employé comme dessinateur. Il manifestera ses talents de géomètre en inventant une méthode graphique pour dessiner des fortifications « imprenables » et deviendra en 1766 professeur de mathématiques.

En 1783, l’Ecole des Mines est créée par arrêt du Conseil d’Etat pour « enseigner les sciences relatives aux Mines et à l’art de les exploiter » (Arrest du Conseil d’Etat du Roi, portant établissement d’une Ecole des Mines, du 19 mars 1783). Deux professeurs sont nommés, et la scolarité est de trois ans. En dehors des périodes de cours – qui sont de Novembre à Mai – les élèves sont envoyés dans les exploitations minières, et ceux qui les reçoivent sont en échange dispensés des redevances de concession – un système qui rappelle déjà notre taxe d’apprentissage ! Et le roi « afin d’encourager l’étude d’une science aussi intéressante » ordonne que douze bourses soient attribuées chaque année aux enfants de directeurs et principaux ouvriers des mines qui n’auraient pas assez de fortune pour les envoyer étudier à Paris. Le souci de promotion sociale n’est pas non plus nouveau !

Parallèlement, en 1780, François de la Rochefoucauld-Liancourt, un homme épris de progrès scientifique et technique, mais aussi de progrès social, crée, au retour d’un voyage en Angleterre, une école de formation professionnelle pour les enfants des militaires pauvres de son régiment de dragons. Cette « Ecole professionnelle des enfants de la patrie » deviendra la première Ecole des Arts et Métiers qui formera des contremaitres ou chefs d’ateliers, puis, à partir de 1907, des ingénieurs.

Le premier mouvement de la révolution sera de réaction contre les manifestations du pouvoir royal. Ainsi l’Ecole des Mines est supprimée en 1791, tandis que l’accroissement des prérogatives des ingénieurs des Ponts et Chaussées soulève de nombreuses critiques contre une politique trop autoritaire.

La nécessité de former davantage de cadres techniques et scientifiques pour les besoins civils et militaires s’impose pourtant, mais avec le souci de supprimer les privilèges et de s’assurer de la loyauté révolutionnaire de ces cadres. En 1793, la Convention crée une commission, où figurent notamment Monge, Lamblardie, Carnot, Prieur de la Côte-d’Or. Une première tentative est faite, à la demande de Robespierre, d’une « Ecole de Mars », recrutée essentiellement parmi les sans-culottes. Mais elle échoue devant l’ignorance et la préparation insuffisante des élèves. Après la chute de Robespierre la Convention adopte le projet d’une école, l’Ecole centrale des travaux publics, qui deviendra dès 1795 l’Ecole Polytechnique. Initialement destinée à remplacer les écoles spécialisées existantes, elle sera finalement chargée de donner à ses élèves une formation poly-scientifique les préparant à ces écoles. Le projet fut adopté malgré l’opposition de la gauche jacobine, inquiète – déjà – que l’on constituât une caste de privilégiés à qui l’accès des écoles d’application serait réservé. L’Ecole fut donc bien créée pour répondre aux besoins civils aussi bien que militaires ; c’est l’Empire qui en fera plus tard une école militaire, surtout pour contrôler l’activité politique des élèves.

L’Empire organisa aussi les autres écoles existantes, selon un schéma qui demeurera inchangé pendant de nombreuses années. Mais d’autres écoles apparurent ensuite, correspondant à l’évolution des besoins.

Ainsi l’Ecole centrale des arts et manufactures, créée en 1829 par une initiative privée, avant d’être reprise par l’Etat en 1857 ; l’Ecole des mines de Saint-Etienne, créée en 1816 pour former des maîtres-ouvriers, puis des ingénieurs à partir de 1890 ; l’Ecole supérieure de physique et de chimie industrielle de la ville de Paris, créée en 1882 ; l’Ecole supérieure d’électricité, fondée par la Société internationale des électriciens en 1894 ; l’Ecole supérieure de télégraphie, créée en 1878, ancêtre de l’Ecole nationale supérieure des télécommunications. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive puisque l’on compte actuellement, en France 226 écoles d’ingénieurs.

La démarche qui a conduit au paysage actuel est donc simple : chaque fois qu’est apparu un besoin lié au développement des sciences et techniques, une école spécialisée a été créée, soit à l’initiative de l’Etat, pour la formation de ses cadres propres, puis aussi de ceux du secteur privé, soit par une initiative privée.
On doit bien sûr se demander pourquoi ces besoins n’ont pas été pris en compte, comme dans d’autres pays, par l’université, ou les universités.

Sur ce point je ne peux mieux faire que citer François Furet, dans sa préface au livre de Terry Shinn sur l’histoire de l’Ecole polytechnique (Thierry Shinn, L’Ecole Polytechnique, 1794-1914, Préface de François Furet, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1980). Il évoque les universités, florissantes à la fin du Moyen Age, dont « le cœur s’arrête de battre à partir de la Renaissance ». Tout en notant que les raisons de cet arrêt n’ont pas été systématiquement élucidées, il ajoute que « les universités – si l’on met à part la médecine et le droit – n’offrent, jusqu’à la fin du 19° siècle que des conférences mondaines ».

Le jugement est probablement un peu sévère, et plusieurs d’entre vous sont beaucoup plus compétents que moi pour apprécier les raisons de cette désaffection des universités, même après leur refondation par Napoléon.

Pour un non-spécialiste, il est tentant d’attribuer cette difficulté à s’adapter aux évolutions des besoins économiques précisément au modèle centralisé napoléonien. Mais, lorsque j’évoque ce sujet avec mes collègues d’Europe du nord, il semble que le modèle de Humboldt, d’une université intégrée à forte autonomie, n’ait pas permis une meilleure adaptation aux réalités économiques. C’est sans doute l’existence même d’un modèle unique, qu’il soit consacré par la loi ou la tradition, qui a été l’obstacle aux évolutions nécessaires, par rapport à des approches anglo-saxonnes où les institutions ont mieux su s’adapter par des évolutions différenciées, et accueillir en leur sein des approches nouvelles.

Quoiqu’il en soit, les universités françaises ont connu leur renouveau à la fin du 19° siècle – c’est la loi de 1896 qui leur rend le nom d’université, réservé jusque là à l’Université avec un grand U. Mais le développement des écoles d’ingénieurs et leur séparation de l’université étaient alors des faits accomplis, sur lequel il était difficile de revenir. Les initiatives prises par l’université pour former des ingénieurs, soit par la création des INSA, soit par celle de l’Université technologique de Compiègne, n’ont pas sensiblement modifié la situation.

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Après ce rappel historique, je voudrais maintenant aborder ce qui fait la spécificité et la force de nos écoles d’ingénieurs, mais aussi leurs défauts, et surtout la façon dont elles ont évolué avec leur environnement.

Peut-être n’est-il pas inutile de parler d’abord de l’ingénieur, du rôle et des caractéristiques de l’ingénieur, et plus spécifiquement de l’ingénieur « à la française » tel que notre système l’a défini.

L’ingénieur était à l’origine celui qui construisait un engin de guerre. Actuellement, la Commission des titres d’ingénieur, qui veille jalousement à la qualité du diplôme français d’ingénieur, donne la définition suivante de l’ingénieur : celui qui peut « résoudre des problèmes de nature technologique, concrets et souvent complexes, liés à la conception, la réalisation et la mise en œuvre de produits, de systèmes et de services. Cette aptitude résulte d’un ensemble de connaissances techniques d’une part, économiques, sociales et humaines d’autre part, reposant sur une solide culture scientifique ».

La définition du Conseil américain des ingénieurs est légèrement différente, mais similaire, puisqu’elle parle d’« appliquer les principes scientifiques pour concevoir ou développer des structures, des équipements ou des processus de production, ou les usines qui les utilisent ; ou de les construire ou les faire fonctionner en en comprenant pleinement la conception, ou de prévoir leur comportement dans des conditions de fonctionnement données ; tout ceci pour remplir une fonction donnée, avec des objectifs économiques et dans des conditions de sécurité satisfaisantes ».

On voit bien que ces définitions s’efforcent de couvrir des rôles assez différents, depuis l’ingénieur de conception, de bureau d’études, de production ou d’entretien. Le niveau auquel cette fonction peut être assurée peut être aussi assez différent. Il suffit de rappeler qu’en américain, « engineer » désigne d’abord le conducteur de locomotive !

Les ingénieurs français se situent traditionnellement dans le haut de la gamme, et la différence est souvent sensible avec leurs collègues étrangers. Dans l’industrie cimentière, par exemple, nous attendions classiquement en France des ingénieurs, même débutants, une contribution immédiate au progrès de nos usines, alors que leurs collègues américains passaient traditionnellement par une phase d’apprentissage du métier beaucoup plus longue, et avaient pour mission de gérer au mieux leurs usines plutôt que de les améliorer.

Mais cette définition montre aussi la différence qu’il y a entre un ingénieur et un homme de science, et donc la nécessaire différence dans la formation qu’ils doivent recevoir.

Claude Maury, qui au sein du CEFI a consacré sa vie aux écoles d’ingénieurs m’a fait connaître le travail d’un ingénieur devenu philosophe, et directeur de recherche à l’Université technologique de Compiègne, Bruno Bachimont (Bruno Bachimont, Syntec Ingéniérie, 26 mai 2005 : débat «  Des connaissances aux compétences »). Il expliquait ainsi en 2005 que, pour l’ingénieur, les connaissances théoriques sont insuffisantes, et qu’il faut y ajouter l’expérience, c’est-à-dire « le souvenir de circonstances particulières dont on tire des enseignements transposables », puis la prise en compte de la complexité, et enfin la dimension de l’expertise, c’est-à-dire « le lien étroit entre une connaissance et la personne qui la détient ».

Evoquant Aristote, il assimile l’homme de science au « sage », celui qui « s’intéresse à un savoir en tant que tel dans la perfection de sa théorie », tandis que l’ingénieur est plutôt le « sagace », qui utilise son intelligence pour résoudre des problèmes réels. Alors que l’activité du savant est de l’ordre de la démonstration, celle de l’ingénieur est dans la « délibération », entre les différentes façons de poser un problème, ou les différentes solutions possibles à mettre en œuvre.

Même si cette opposition est un peu simplificatrice et s’il y a sans doute des zones de recouvrement entre les deux comportements ainsi décrits, on comprend pourquoi, dans les universités étrangères, les facultés d’ingénierie sont le plus souvent distinctes des facultés des sciences, alors que nos universités n’ont jamais vraiment accepté la distinction.

Et les caractéristiques de l’ingénieur ainsi décrites expliquent beaucoup des éléments forts de l’approche pédagogique caractéristique des grandes écoles : une formation scientifique de base plutôt généraliste, avant toute spécialisation ; un rôle important donné aux stages, de façon à accélérer la construction de l’expérience par confrontation au réel ; et une place significative pour les enseignements de sciences sociales, d’économie, voire de gestion, afin de préparer les élèves aux conditions de la décision dans l’entreprise.

Je ne prétendrai cependant pas que nos grandes écoles aient toujours été à la hauteur des exigences qui résultent de notre définition du rôle de l’ingénieur. Comme les autres institutions d’enseignement, elles ont du évoluer avec leur environnement, et ont parfois eu du mal !

Citons la défaite de 1870, que certains attribuèrent à la dominance de polytechniciens assis sur leurs certitudes, la période d’entre deux guerres où la physique française, dans les écoles comme à l’université, ne fut pas à la hauteur des développements internationaux, jusqu’à l’engourdissement pédagogique des années 50. Il a fallu l’impulsion de réformateurs, notamment Bertrand Schwartz à l’Ecole des mines de Nancy, pour développer les stages et des méthodes d’enseignement plus actives. Mais les écoles ont assez vite suivi cet exemple et ont pu, plus facilement que l’université, s’adapter au changement d’attitude des étudiants qui s’est manifesté – bruyamment – en 1968 !

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Beaucoup de critiques ont été faites au système développé par la création successive des écoles. D’abord celle du malthusianisme. Fondées sur le principe d’un concours sélectif – au point qu’à une certaine époque on pouvait dire qu’une fois le concours passé, peu importait le travail fourni pendant la scolarité – les écoles croyaient défendre la qualité de leurs élèves, et donc la position, en termes de prestige, de pouvoir et de rémunération, de leurs anciens élèves, en restreignant le nombre des heureux élus, plutôt qu’en le faisant évoluer selon les besoins de l’économie. Cette critique n’était pas injustifiée, mais, à l’inverse, l’une des forces des écoles a été de conserver une taille permettant un management efficace et une proximité entre direction, enseignants et élèves. Et, par la création de nouvelles écoles, le système a su évoluer, avec des effectifs qui sont passés maintenant à 30 000 étudiants.

Mais le symbole de l’Ecole Polytechnique, tête du réseau, et de sa forte sélection est tellement puissant que le rapport Attali faisait du quadruplement du nombre de ses élèves l’une de ses propositions de réforme. (Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, Documentation Française, janvier 2008.)

La deuxième critique, sans doute plus justifiée, est la fragmentation du système. L’élève d’une école française y est souvent entré plus par le hasard de son classement au concours que par une véritable vocation pour les technologies ou le domaine industriel correspondant à l’école ; et il se trouve enfermé dans une institution de taille et de ressources limitées, sans les possibilités de croisement interdisciplinaire ou de réorientation qu’une grande université pourrait lui donner.

De plus, quelle que soit la qualité d’une école, sa taille limitée (moins de 1500 étudiants par exemple pour l’Ecole des mines de Paris) lui confère une visibilité internationale faible.

Ce problème de communication n’est pas simplifié par le fait que les dénominations reflètent davantage l’origine historique que la réalité actuelle. J’ai moi-même expérimenté la difficulté d’expliquer aux Etats-Unis que je venais d’une Ecole Polytechnique où l’on ne faisait de la science, et pas de technique, et d’une Ecole des Mines où l’activité minière avait quasiment disparu ! Et, dans les années 60, lors d’une tournée avec des ingénieurs des Ponts et Chaussées intéressés par le développement des infrastructures urbaines, nos hôtes américains croyaient se rapprocher de mes compétences minières supposées en me faisant visiter des tunnels autoroutiers !

Une troisième critique concerne le mode de sélection des élèves des grandes écoles, et plus spécifiquement le système des classes préparatoires. Les concours sur épreuves, avec leur avantage d’anonymat et d’impartialité ont été inventés par la République pour éviter le favoritisme et la reproduction des castes privilégiées, et le Conseil d’Etat veille jalousement sur leur intégrité. Et ils ont certainement contribué à l’émergence d’une méritocratie républicaine au 19° et au 20° siècle. Les classes préparatoires, elles, n’ont pas fait l’objet d’une décision nationale d’organisation. Elles ont été, au départ, mises en place par des lycées qui voulaient aider leurs élèves à passer les concours, et le système s’est progressivement étendu, jusqu’à constituer actuellement un premier cycle d’études supérieures géré par des établissements du secondaire, et alternatif au premier cycle universitaire.

La subordination de cet enseignement aux nécessités du concours a donné à ce système ses caractéristiques actuelles : intensité de travail, voire bachotage, place donnée aux mathématiques, outil de sélection intellectuel commode et reconnu, faible place donnée à tout ce qui pourrait être travail de groupe, démarche inductive, ou développement de l’initiative et de la créativité. En même temps le contraste avec les premiers cycles de l’université, surchargés par la croissance du nombre des étudiants et traversés par les courants contestataires d’après 1968, s’est accentué.

Fait plus important, et plus grave, la capacité des écoles et des lycées à orienter, en amont, les élèves à bon potentiel, indépendamment de leur origine ou de leur situation sociale, vers les classes préparatoires, s’est beaucoup affaiblie. Et le système fonctionne de moins en moins comme un outil de promotion sociale. Le pourcentage des élèves ayant un père commerçant, artisan, employé, ouvrier, technicien, ou instituteur, qui était supérieur à 30 % dans les années 60, a baissé à 15 % maintenant, tandis qu’un élève sur trois a un père cadre supérieur et une mère enseignante ! (Pierre Veltz, Faut-il sauver les grandes écoles ?, Sciences Po 2007)

Bien qu’elle ne soit pas facile à mettre en œuvre, une évolution du système de sélection apparait souhaitable à beaucoup.

En effet, outre le problème de diversité sociale, la sélection par un concours sur épreuves privilégie un certain type de qualités, principalement la capacité de travail, de concentration et la résistance nerveuse, qui sont certainement utiles à une vie professionnelle, mais qui limitent la diversité des talents dans les écoles. Ensuite des élèves de qualité peuvent se révéler, qui n’ont pas été orientés initialement vers les classes préparatoires. Aussi plusieurs écoles ont-elles organisé un accès en 2° année, sur dossier, pour des diplômés de l’université et l’expérience a montré que ces élèves étaient tout à fait à la hauteur de ceux recrutés par le concours classique. Mais personne n’a osé, pour les élèves français, passer du concours sur épreuves à une admission sur dossier. Une telle évolution suppose sans doute que l’attitude de la société française vis-à-vis de la sélection évolue. Lorsque tous les établissements d’enseignement, y compris les universités, sélectionneront leurs élèves en fonction de leurs aptitudes, de leur expérience et de leur profil, il sera sans doute possible d’assouplir la contrainte du concours.

Et le contenu ou l’architecture des classes préparatoires pourra évoluer, alors qu’ils sont actuellement extrêmement contraints par le principe même de la préparation au concours.

L’une des idées souvent évoquées est le rattachement des classes préparatoires aux universités. Une décision globale de transfert aurait sans doute comme conséquence aujourd’hui de détruire le système, et par la même d’affaiblir les écoles elles mêmes. Mais pourquoi une université ne pourrait-elle pas organiser un cycle préparatoire, dans des conditions correspondant à son propre projet, et en concurrence avec le dispositif actuel. Si les résultats de telles expériences étaient positifs, ils montreraient qu’il y a, en fait, plus de possibilités d’évolution qu’on ne le croyait.

De toute façon, des actions sont nécessaires pour remédier à l’accroissement de la ségrégation sociale des dernières décennies. L’expérience de l’Institut des sciences politiques de Paris a montré qu’on peut trouver, dans des lycées de zones défavorisées, des esprits suffisamment brillants pour accéder rapidement à des notions nouvelles. C’est sans doute plus difficile dans le domaine scientifique, auquel on ne peut accéder facilement sans une formation de base suffisamment solide. Aussi les écoles d’ingénieurs n’ont-elles pas suivi l’exemple de Sciences-Po, mais se sont-elles plutôt orientées vers des systèmes de soutien aux élèves des lycées, pour leur donner à la fois l’ambition et les moyens d’accéder aux classes préparatoires. Sans doute ces programmes devraient-ils prendre davantage d’ampleur pour qu’ils soient vraiment à la dimension du problème. Et d’autres idées plus innovantes pourraient être recherchées.

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Mais la principal critique souvent faite aux écoles concerne leur relation avec la science. Le modèle de transmission des connaissances, fortement axé sur l’expérience, privilégiait historiquement le recours à des enseignants extérieurs, notamment praticiens, et donnait peu d’importance à la recherche. Ce modèle, satisfaisant tant qu’un praticien éclairé pouvait se tenir facilement à jour dans ses connaissances théoriques, a été mis en cause par l’accélération des découvertes et l’obsolescence plus rapide des théories scientifiques.

D’autre part l’écrémage des meilleurs élèves du secondaire par les classes préparatoires, puis par les grandes écoles, conduit les meilleurs élèves des disciplines scientifiques dans des parcours qui les éloignent des sciences et de la recherche, en les orientant vers des carrières d’ingénieur, mais plus souvent encore vers des postes de managers, voire plus récemment de banquiers et de consultants. Il n’est pas surprenant dans ces conditions que les plus grands scientifiques de notre pays se plaignent d’être privés de leurs meilleurs élèves potentiels. Pour reprendre l’expression citée ici même par Claude Allègre lors de sa communication, la France serait le seul pays où, dans les disciplines scientifiques, les meilleurs élèves ne rencontrent jamais les meilleurs professeurs ! (Claude Allègre, Communication à l’Académie des sciences morales et politiques, 12 janvier 2009)

Cette vision est, en réalité, assez caricaturale, car la réalité des grandes écoles d’aujourd’hui ne correspond plus, et n’a jamais correspondu tout à fait, à ce modèle que j’évoquais. Et je voudrais précisément aborder maintenant la relation des écoles avec l’excellence scientifique, et les évolutions en cours, qui peuvent répondre aux critiques précédentes.

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Commençons, en bons français épris de précision conceptuelle, par préciser ce que l’on peut entendre par excellence scientifique. Le rapport d’un groupe de travail dédié au « défi de l’excellence scientifique et technologique », mis en place sous la présidence de Pierre Tambourin, le président de Genopole, dans le cadre de l’opération Futuris en 2004, donne une définition de l’excellence scientifique (Futuris, Rapport du groupe défi n°1 : « Excellence scientifique et technologique », Août 2004). C’est « la capacité d’un système à produire des connaissances nouvelles en quantité et en qualité », de meilleure manière que d’autres systèmes existants.

L’excellence technologique, elle, est définie par le même rapport comme « la capacité d’un système de recherche à modifier en profondeur les savoir-faire, industriels ou autres » ou encore à « transformer une connaissance scientifique académique en innovation technologique à vocation industrielle ».

Par comparaison avec ces définitions françaises, j’ai, un peu par hasard, eu connaissance de ce que le centre américain de Los Alamos a écrit en 2006 sur les critères de l’excellence scientifique (FellowsÕReport on Metrics for Scientific Excellence at Los Alamos, May 7, 2006). Il les résume dans le mot « impact », la différence que l’on peut faire pour une nation, pour le monde et pour la science. Et cet impact dépend de trois facteurs : la qualité de la science et de la technologie développées, sa pertinence par rapport aux missions et aux objectifs de l’institution, et le « leadership » (avec votre permission j’ai renoncé à traduire ce mot ) manifesté, qui peut influencer les directions de recherche prises, bien au-delà de l’institution concernée.

Voilà une définition plus large, à laquelle j’adhérerais volontiers.

Malheureusement, lorsque le rapport de Los Alamos veut traduire ces critères en mesures objectives, il retombe très classiquement sur les critères de nombre de publications et de nombre de brevets, en ajoutant cependant, au titre du « leadership » la participation des chercheurs à des instances de conseil ou d’orientation extérieurs !

J’aurais personnellement tendance à élargir encore un peu les critères de l’excellence scientifique en ajoutant un autre élément, particulièrement pertinent à notre époque où la science est à la fois objet d’attraction et de répulsion. Un centre d’excellence scientifique me semble aussi devoir donner à la science un visage attractif, qui inspire aux jeunes le désir de contribuer au progrès scientifique, et à la société une compréhension et une acceptation de la démarche scientifique.

Comment se situe, historiquement et dans son évolution récente, notre système des grandes écoles, par rapport à ces critères ?

En décrivant la création même des premières écoles, j’ai déjà prononcé des noms qui par eux-mêmes évoquent l’excellence et le progrès de la science : Monge, Laplace. Mais on peut citer beaucoup d’autres noms du 19° siècle : Poisson, Cauchy, Arago, Fresnel, Becquerel, Chasles, Gay-Lussac, Carnot… qui ont donné leur nom à des théorèmes ou des principes que les scientifiques du monde entier connaissent encore aujourd’hui.

Et si l’on prend, au 20° siècle, la liste des prix Nobel français, on constate que, sur un total de 20 lauréats des prix Nobel scientifiques en dehors de la médecine et de l’économie, 9 sont des anciens élèves des écoles d’ingénieurs ou ont été professeur, ou directeur, dans une de ces écoles. Parmi les plus récents, en particulier, Pierre-Gilles de Gennes a été directeur de l’Ecole de Physique et Chimie de Paris, Georges Charpak est un ancien des Mines de Paris et enseignera également à Physique et Chimie, Yves Chauvin un ancien de l’Ecole supérieure de chimie de Lyon.

Ajoutons que le seul prix Nobel français d’économie, notre confrère Maurice Allais, a effectué toute sa carrière à l’Ecole des mines de Paris.

La vérité oblige à ajouter que plusieurs de ces prix Nobel ont aussi travaillé, à un moment ou un autre de leur carrière, dans le cadre de l’université. Mais cette liste dément en tout cas l’image de grandes écoles coupées de l’excellence scientifique.

De fait la situation des différentes écoles vis-à-vis de la recherche, assez différente selon les écoles, a beaucoup évolué au cours des trente dernières années. Certaines, comme l’Ecole Polytechnique, ont toujours eu des professeurs de grande renommée scientifique qui avaient la possibilité de développer, autour de leur chaire, un « laboratoire ». Adapté à l’évolution de la science du 19° siècle, ce fonctionnement artisanal a produit des résultats d’excellence. Mais il a du évoluer au 20° siècle, lorsque la recherche en physique ou en chimie demandait des moyens humains et techniques plus considérables. Les laboratoires de l’Ecole Polytechnique se sont ainsi développés en liaison avec le CNRS, qui a fourni une bonne partie des moyens nécessaires. Ils comprennent actuellement près de 1500 chercheurs, répartis en 22 laboratoires, dans toutes les disciplines, des mathématiques et de la physique aux sciences de la vie et à l’économie.

D’autres écoles ont compris que le développement des moyens de recherche, non seulement en liaison avec les organismes publics de recherche, mais aussi en liaison avec les entreprises, était une nécessité absolue pour conserver le niveau de leurs équipes et de leur enseignement. Je ne peux citer ici toutes les écoles, mais je voudrais évoquer le travail remarquable fait à l’Ecole des Mines de Paris par Pierre Laffitte, qui a été aussi le fondateur de Sophia-Antipolis, et longtemps sénateur des Alpes Maritimes. Secouant une école qui s’était un peu endormie, il mena de 1963 à 1984 une politique de développement de la recherche qui sera poursuivie par ses successeurs, créant des laboratoires à Fontainebleau, puis plus tard à Sophia-Antipolis. Adoptant une approche très différente de celle de Polytechnique, il appuya la plupart de ces centres de recherche sur la recherche de contrats industriels, plus que le soutien du CNRS ou des grands organismes nationaux de recherche. Il dut créer, pour contourner la rigidité des règles de gestion publique, une association de droit privée, Armines, dont l’existence suscita des interrogations récurrentes de la Cour des comptes, jusqu’à ce que la dernière loi sur la recherche reconnaisse enfin la validité de ce type de structure !

Ainsi, actuellement, l’Ecole des Mines de Paris a plus de 700 chercheurs, pour un budget de recherche de près de 65 M€, financé à 40 % par des contrats privés.

Ce développement de la recherche a entrainé également un développement des formations doctorales. Alors qu’au départ les universités avaient conservé un strict monopole de délivrance du doctorat, certaines des écoles d’ingénieurs, qui justifiaient de moyens de recherche et d’une capacité d’encadrement suffisantes, ont été autorisées à délivrer leurs propres doctorats. C’est le cas par exemple de l’Ecole Polytechnique, des Ponts, des Mines, de l’Ecole Centrale, des Arts et Métiers, de Physique et Chimie de Paris ou des Télécom.

Dans d’autres cas les formations doctorales sont organisées en commun par école et université, dans le cadre d’une convention de partenariat. Cet effort de recherche a donné des résultats significatifs. Le rapport Chabbal, sur l’avenir de l’ingénierie, estime à 8 500 le nombre de chercheurs des grandes écoles d’ingénieurs.

Et les écoles forment environ 2 000 docteurs par an, sur un effectif total (hors sciences humaines et sociales) de l’ordre de 6 000.

La place des écoles en matière de recherche n’est donc nullement négligeable, contrairement à une idée communément reçue.

Mais cette recherche est, comme les écoles elles-mêmes, fragmentée, avec des laboratoires souvent de taille insuffisante, et des niveaux de qualité et de reconnaissance internationale inégaux.
De ce fait nos écoles sont, comme nos universités d’ailleurs, mal placées dans les classements internationaux. Le plus connu, le classement de Shanghai, dont le critère le plus important est le niveau des publications de recherche, place l’Ecole Polytechnique au-delà du 200° rang, alors que les universités Paris 6 et Paris 9 sont, elles, classées respectivement 42° et 49°.

L’autre classement internationalement reconnu, celui du Times, nous est un peu plus favorable. L’Ecole polytechnique est classée au 34° rang, derrière l’Ecole Normale Supérieure 28°, mais devant la première université française qui est 149°…

Les deux classements ne comportent dans les dix premiers que des universités américaines, ainsi que Oxford et Cambridge. Mais des universités du Japon, du Canada, de Suisse ou de pays émergents réussissent à figurer dans les 100 premières.

Il est clair que la structure de ces classements favorise les universités anglo-saxonnes, puisqu’ils sont construits à partir de leurs critères d’excellence. On peut donc contester leurs résultats et estimer qu’ils ne rendent pas justice à la qualité réelle de notre système, et qu’il est en particulier étrange que l’enseignement ait aussi peu de place dans les critères retenus.

Il reste cependant que ces classements traduisent la réalité du manque de rayonnement et de reconnaissance internationale de notre système, et qu’ils sanctionnent à juste titre une fragmentation excessive, ainsi que la trop grande distance entre recherche et enseignement. Ils ont en tout cas joué un rôle utile de révélateur pour que tous les acteurs, conscients des limites de notre système mais peu préparés à accepter les évolutions nécessaires, reconnaissent enfin la nécessité de changements profonds.

Parmi les réflexions sur l’évolution nécessaire des grandes écoles d’ingénieurs et de leurs relations avec les universités, j’ai déjà cité le rapport demandé à la fois par la Conférence des grandes écoles et les Conseils généraux des Mines et des technologies de l’information, à un groupe de travail présidé par Robert Chabbal, ancien directeur général du CNRS, et composé essentiellement de dirigeants d’écoles et d’universités (Le devenir de l’ingéniérie, Rapport établi par le groupe de travail présidé par Mr Robert Chabbal, Juin 2008). Reconnaissant à la fois les caractéristiques des formations d’ingénieurs, la nécessité de regroupements pour atteindre taille et reconnaissance internationale et le souhaitable rapprochement avec les structures universitaires, il suggère que les écoles deviennent, dans des configurations adaptées avec les réalités locales, les collégia d’ingéniérie (le mot collegium est préféré à collège pour éviter toute confusion avec les collèges du secondaire) de grandes universités multidisciplinaires. Compte tenu des fortes différences de gouvernance entre écoles et universités, un tel rapprochement devrait laisser une très grande autonomie aux écoles, dans des structures souples permises par la loi sur les Pôles de recherche et d’enseignement supérieur.

C’est un peu ce que Claude Allègre, dans sa communication ici même, avait préconisé, estimant même que c’était facile à réaliser. Je suis personnellement plus réservé, car il me parait difficile d’effectuer un rapprochement institutionnel réel et efficace entre entités dont les principes d’organisation, les règles de gouvernance, les modes de financement, et, finalement la culture seraient trop différentes. Soit un tel rapprochement restera formel, soit les écoles, partenaires beaucoup plus petites en taille, risquent d’y perdre les caractéristiques même qui ont fait leur succès.

Je ne méconnais pourtant pas la possibilité qu’un rapprochement au sein d’un même PRES permette d’établir des liens, assez lâches au départ, qui puissent se resserrer à mesure que les universités autonomes évolueraient vers des modèles moins incompatibles avec ceux des écoles. Tout est une question de gestion du temps et du changement.

Un autre modèle est en cours de réalisation, qui me paraît permettre à un certain nombre d’écoles parisiennes la transition vers une véritable Université technologique parisienne, avec la création de ParisTech, l’Institut parisien des sciences et des technologies.

Issu d’une décision de coopération prise entre une dizaine d’écoles parisiennes il y a déjà une dizaine d’années, cet ensemble s’est constitué en une sorte de fédération d’écoles qui ont décidé de poursuivre en commun un certain nombre de stratégies. Réunissant dix écoles d’ingénieurs : Agro, Arts et Métiers, Chimie de Paris, Ponts, Polytechnique, l’ENSAE (Statistique), l’ENSTA (Armement), Physique et Chimie Industrielles, Mines et Telecom, ParisTech a récemment accueilli HEC, avec l’ambition qu’elle devienne la Sloan School de ce MIT parisien.

Plutôt que du MIT pourtant, la structure mise en place s’inspire davantage du modèle de Cambridge, où des « colleges » largement autonomes forment ensemble une université. Nos écoles ont en effet des origines, des traditions, des rattachements et des financements très différents ; elles sont en concurrence pour l’accueil des élèves des classes préparatoires, selon des hiérarchies de classement subtiles, devant autant à l’histoire qu’à la réalité actuelle. Toute fusion ou uniformisation de leur régime serait donc très difficile, comme l’a montré l’échec de la fusion entre l’Ecole des mines et l’Ecole des ponts et chaussées.

Mais il a été possible, en utilisant la loi de 2006 sur la recherche, de créer entre elles un PRES (Pôle de recherche et d’enseignement supérieur) géré par un Etablissement public de coopération scientifique, qui a été créé au printemps 2007 . Cet établissement public est administré par un conseil, et comporte un Conseil d’orientation stratégique, que j’ai l’honneur de présider.

Sa création suivait l’établissement d’un plan stratégique 2015, mis au point de façon très professionnelle avec l’appui « pro bono » de McKinsey, et approuvé par les conseils et les directions de toutes les écoles membres.

Ce plan formule la vision d’une université parisienne technologique d’excellence, ouverte à la coopération avec les autres institutions universitaires parisiennes, et capable de concurrencer les grandes universités technologiques internationales.

Il prévoit la mise en commun de ressources et le dégagement de synergies dans les différents domaines de l’activité des écoles :

  • la formation d’ingénieur d’abord, avec une harmonisation des cursus permettant aux étudiants de profiter de l’ensemble des possibilités ouvertes par les écoles, quelle que soit leur école de rattachement.

  • les formations de masters où doivent se multiplier les initiatives inter-écoles, souvent en coopération avec des universités ; un exemple de ce genre d’initiative est le programme de master international en ingénierie nucléaire en cours de mise en place, avec le soutien des grandes entreprises du secteur.

  • le doctorat, où l’ambition est de former des docteurs qui aient montré leur compétence en recherche, mais aient aussi, pour ceux qui le souhaitent, été préparés à entrer dans l’entreprise. Il est en effet essentiel au développement de la recherche française que la formation doctorale soit pleinement reconnue par les entreprises, comme aux Etats-Unis ou en Allemagne. (En France, 13 % des chercheurs des entreprises ont un doctorat, contre 50 % un diplôme d’ingénieur.) Un « Club d’entreprises » est en cours de constitution pour appuyer cette action.

  • la recherche, où les domaines d’excellence des écoles doivent être privilégiés, où des initiatives multidisciplinaires entre écoles doivent être plus fréquentes, où les coopérations avec les grands organismes et les universités développées, et où la poursuite d’une excellence internationalement reconnue doit s’appuyer sur une évaluation rigoureuse.

  • la coopération avec les entreprises, à la fois par la création et le financement de chaires d’enseignement et de recherche, la mise en place de systèmes de bourses, l’action sur le doctorat dont j’ai parlé, et la création d’une Fondation ParisTech qui canalisera le mécénat des entreprises.

  • le rayonnement international, par la mise en commun des procédures de recrutement d’étudiants étrangers, comme cela a été fait en Chine avec un grand succès depuis plusieurs années, et par des accords de coopération internationaux. Ainsi l’Idea League, réseau d’une dizaine de grandes universités européennes (dont Imperial College, le Polytechnicum de Zurich, l’université de Delft ou celle d’Aix la Chapelle) qui n’avait pas trouvé d’université ou d’école française éligible, a choisi ParisTech comme partenaire français ;

  • enfin une image de marque commune, toutes les écoles accolant le nom de ParisTech à leur nom propre (vous entendrez désormais parler de MinesParisTech, Arts et MétiersParisTech, etc…), demandant à leurs chercheurs et professeurs de publier toujours avec la mention ParisTech, et mettant en ligne l’ensemble des cours des écoles de ParisTech sur un site qui est devenu très vite le plus fréquenté après celui du MIT.

Cette fédération d’écoles a les atouts nécessaires pour se mesurer avec les plus grandes universités technologiques. Elle a 18 900 étudiants, deux fois plus que MIT et un peu plus que Cambridge, délivre 6 200 diplômes par an, mais surtout 500 diplômes de doctorat – et là nous sommes encore à la moitié de Cambridge et un peu en dessous du MIT. Le pourcentage d’étudiants étrangers en « graduate schol », à 24 %, est également significativement inférieur aux 36 % du MIT et aux 50 % de Cambridge. Et ses laboratoires réunissent plus de 6 000 chercheurs.

L’examen du budget consolidé des trois institutions est très instructif. Les financements publics de ParisTech, autour de 550 millions d’euros par an, se situent entre Cambridge (400M€) et MIT qui, bien qu’université privée reçoit en subsides ou contrats publics 750 M€. Mais ces financements publics représentent pour ParisTech 72 % du budget total, contre 49 % au MIT et 35 % à Cambridge. Droits d’inscription, contrats de recherche privés et mécénat des entreprises ou des anciens élèves permettent ainsi aux concurrents anglais et américains de disposer d’un budget global très supérieur – le double pour MIT.

Cette comparaison montre les directions dans lesquelles ParisTech doit progresser : recherche et formations doctorales, ouverture internationale, et rassemblement de concours privés. Ce sont les directions que j’ai déjà mentionnées en décrivant le plan stratégique 2015.

Pour ce qui concerne les relations avec les universités, ParisTech a signé des accords de partenariat privilégié avec le PRES ParisSud et avec l’université de Marne la Vallée, qui construit avec l’école des Ponts-ParisTech un pôle urbanisme-habitat très vivant. Nous travaillons aussi à un partenariat avec Paris V, la grande université médicale. En effet, dans la comparaison internationale, l’ingénierie médicale est un domaine de développement important qui manque à la panoplie de nos écoles d’ingénieurs.

Par rapport aux recommandations du rapport Chabbal, que j’évoquais tout à l’heure, ParisTech est une construction originale, notamment en raison de la place de l’école Polytechnique. Contrairement à ce que son nom suggère, l’X est évidemment plus une école scientifique qu’une école d’ingénieurs. Elle en a tellement conscience qu’elle oblige maintenant ses élèves à faire, dans un autre établissement, une année nécessaire à la délivrance du diplôme de l’école.

Ses laboratoires et ses enseignants, largement tournés vers la science fondamentale, souffrent de leur décalage avec la vocation de la grande majorité des élèves, désireux d’aller vers le monde économique plus que vers la science. L’Ecole, si elle reste seule, peut difficilement sortir de cette contradiction. Au contraire elle peut être, dans l’ensemble ParisTech, la tête scientifique de l’ensemble, où s’équilibre ainsi science et technologie.

Une opportunité supplémentaire s’ouvre à la structuration de ParisTech, par les projets de développement de Saclay. Lorsqu’en 1970 notre confrère Louis Armand avait conçu le déplacement de Polytechnique à Palaiseau, c’était, déjà, avec le projet de créer, en regroupant ses écoles dites « d’application » autour d’elles, ce MIT français dont il rêvait déjà. Mais le plateau de betteraves de Palaiseau n’était, à l’époque, guère attractif, et toutes les écoles concernées avaient immédiatement freiné des quatre fers, laissant l’X seule s’exiler à Palaiseau.

La situation a bien changé, et plusieurs écoles, à l’étroit à Paris, souhaitent se regrouper sur le site de Palaiseau. Ainsi le déplacement d’AgroParisTech, de l’ENSTA ParisTech, de l’ENSAE ParisTech est quasiment décidé, tandis que TelecomParisTech et MinesParisTech envisagent un déménagement partiel.

Avec les implantations de laboratoires de recherche et la présence de Sup’Optique, membre associé de ParisTech, et la proximité de l’université d’Orsay, que certains voudraient reconstruire sur le plateau, un campus de recherche et d’enseignement très puissant est en train de se constituer.

Pour ParisTech le campus de Palaiseau serait ainsi son campus principal de développement, avec deux autres campus : Marne la Vallée, avec l’école des Ponts ParisTech et un pôle urbanisme-habitat, et la montagne Ste Geneviève, où les Arts et Métiers et les deux écoles de la ville de Paris pourraient se développer, en même temps qu’un centre d’interface entre ParisTech et la société civile parisienne.

Toutes les conditions d’une grande ambition semblent ainsi être réunies. Dans un pays où il est toujours difficile de réformer et où la force des habitudes et des conservatismes est toujours présente, le chemin sera parfois rugueux. Mais l’engagement des acteurs, le soutien des pouvoirs publics et les progrès faits en trois ans dans la mise en œuvre du projet sont très encourageants.

Ainsi, par ce projet et par d’autres qui peuvent être construits entre écoles et universités dans d’autres régions de France, j’espère que nous pourrons construire, sur les forces de nos grandes écoles, des ensembles à la mesure de la compétition mondiale.

Texte des débats ayant suivi la communication