Les libertés universitaires

Séance du lundi 9 novembre 2009

par Olivier Beaud
professeur de droit public à l’université de Panthéon-Assas,
directeur de l’Institut Michel Villey

 

En 1960, Georges Vedel, alors Doyen de la faculté de droit de Paris, écrit un très bel article sur « les libertés universitaires » dans la Revue de l’enseignement supérieur[1]. Avec son sens bien connu de la rhétorique, il introduit son sujet en imaginant le cas où un « maître déjà ancien » serait consulté par un collègue plus jeune, sollicité pour travailler dans une entreprise[2]. Le maître en question se garde bien de faire la morale au jeune qui est tenté par une autre activité plus lucrative, mais il lui pose deux questions décisives : « Ne regretterez-vous pas vos étudiants ? Ne regretterez-vous pas votre liberté ? ». Et c’est sur la liberté que le Doyen Vedel insiste, n’hésitant pas à définir la mission de l’universitaire de la façon suivante : « celle d’un homme libre à qui sont confiés d’autres hommes libres »[3].

 

Si l’on a souhaité introduire cette conférence sur les libertés universitaires par cette citation c’est pour rappeler le fait que, en 1960 un universitaire français, connaissant aussi bien le droit que la pratique, pouvait caractériser son métier par la grande liberté conférée à ceux qui l’exerçaient. Ce constat est-il encore valable de nos jours ? On peut en douter au regard des évolutions qui ont affecté l’Université et le métier d’universitaire depuis plus d’une trentaine d’années, et en tout cas depuis la loi Savary du 26 janvier 1984 et la modification statutaire doublant pour les professeurs la charge d’enseignement. De ce point de vue, la loi « Libertés et responsabilités des Universités » (dite loi LRU) du 10 août 2007 et le décret statutaire du 23 avril 2009 sur les enseignants-chercheurs qui a donné lieu à la contestation de l’an dernier marquent une étape supplémentaire dans la dégradation des libertés universitaires, même si cette étape reflète une aggravation considérable d’une situation qui n’était déjà pas fameuse[4] ! Plusieurs témoignages expriment clairement ce sentiment d’une perte considérable de liberté dans l’exercice du métier d’universitaire[5]. Toutefois, avoir le sentiment qu’une liberté régresse est une chose, mais expliquer pourquoi en est une autre. Or, on ne peut le faire que si l’on sait en quoi consiste cette liberté. Cette conférence donne donc l’occasion de clarifier ce point décisif qui est celui du sens et de la portée du concept des libertés universitaires.

 

Leur étude est digne d’intérêt car ces libertés révèlent le sens même de l’Université. Les libertés universitaires (ou la liberté académique, comme on l’appellera plus loin) sont « le principe-clé (core principle ) de l’Université moderne »[6]. Elles sont donc une excellente clé d’entrée pour déchiffrer ce que sont à la fois l’Université et le métier d’universitaire. L’absence de littérature sur le sujet en langue française, à l’exception de quelques études juridiques, est révèle d’ailleurs l’absence de véritable réflexion menée en France sur l’Université[7]. Qu’on comprenne bien la portée de cette observation : si les universitaires ne réfléchissent pas à leur statut et en particulier à ce que sont leurs libertés, ils ne peuvent pas défendre ce qu’ils ignorent face à des gouvernants qui, toutes tendances politiques confondues, méprisent depuis trois décennies la condition des universitaires…

 

Toutefois, comme on s’en doute, il y a plusieurs conceptions possibles des libertés universitaires et presque autant de définitions que d’auteurs. Mais il faut d’abord s’orienter à partir de questions préalables et fondamentales. La première est la suivante : doit-on avoir, à propos des libertés universitaires, une conception exclusivement juridique ? On pourrait le penser, du moins en France, puisque la plupart des auteurs ayant traité de ce sujet sont des juristes. On a déjà cité le Doyen Vedel, mais il convient de faire une place spéciale à Bernard Toulemonde dont la thèse sur les libertés et franchises universitaires qui, datant de 1971, fait encore autorité[8]. On pourrait concentrer notre exposé sur le droit des libertés universitaires, même si le contenu se bornerait pour l’essentiel à discuter le « principe d’indépendance des professeurs d’Université », inventé par le Conseil Constitutionnel (par Georges Vedel, en fait) et élargi au maître de conférences. Ce principe est la traduction juridique des libertés universitaires autant dans leur dimension individuelle (indépendance intellectuelle) que dans leur dimension collective (indépendance du corps)[9].

 

Toutefois, comme l’observe Bernard Toulemonde, l’étude des libertés universitaires en France ne relève pas seulement du droit, mais aussi de la science administrative et de la sociologie. Les principales garanties protégeant ces libertés provenaient moins des règles écrites que des usages et de la structuration corporative et centralisée de l’Université. De sa thèse, on peut extraire cette phrase au caractère assez prémonitoire : « Les pouvoirs publics doivent en tirer une leçon : ils ne peuvent agir qu’avec prudence à l’égard de l’Université ; ils doivent tenir compte d’attitudes qui, enracinées dans l’opinion publique et la communauté universitaire, tendent à préserver les libertés et franchises traditionnelles»[10]. Une telle citation permet de mettre le doigt sur une première particularité du cas français : la non-autonomie formelle des universités est compatible avec l’existence de véritables libertés universitaires. Celles-ci sont, en partie garanties par le statut de fonctionnaires accordés aux professeurs mais surtout, en partie, issues soit d’un droit largement coutumier, soit produites par des « traditions universitaires » respectées par une administration jadis libérale à sa manière. C’était en tout cas ce qu’on pouvait écrire et penser en 1971.

 

En raison non seulement des limites propres à l’analyse juridique, mais aussi, et surtout, de l’objet particulier que constituent les libertés universitaires qui — on l’a compris — relèvent aussi bien du droit que de l’éthique et des mœurs, il convient d’adopter une autre conception philosophique (au sens non technique du terme) qui vise à dégager l’idée caractérisant cette liberté. De ce déplacement, il résulte que les libertés universitaires seront perçues comme une valeur en soi, indépendamment du droit. En orientant le sujet de cette façon, on espère mieux faire ressortir le lien étroit unissant le concept de libertés universitaires à l’idée d’Université et donc on espère être en mesure de traiter de la justification de ces libertés, de leur fondement. Ainsi, de façon paradoxale, car je suis moi-même juriste, je laisserai de côté dans cette conférence la conception juridique des libertés universitaires, suivant d’ailleurs en cela l’exemple de Robert Post, doyen de la Yale Law School qui vient de consacrer un important essai à « la liberté académique »[11].

 

La première clarification conceptuelle à effectuer consiste à signaler la différence qui existe entre les libertés universitaires et l’autonomie des Universités. Si ces « deux notions (..) se chevauchent »[12], elles restent néanmoins distinctes. Tout comme les collectivités locales ont des libertés, libertés dites «  locales », qui impliquent l’autonomie, les Universités ont besoin d’autonomie, de self-government. Dans ce cas, l’autonomie signifie « l’indépendance administrative des Universités », mais elle peut aussi être conçue largement et inclure « l’indépendance intellectuelle des universitaires »[13]. On sait, malheureusement, que l’actuel gouvernement a surtout privilégié le premier sens de l’autonomie.

 

D’ailleurs, en France, une telle équivalence entre les deux concepts d’autonomie et de libertés universitaires. n’a jamais existé et n’existe pas encore. Deux raisons l’expliquent. La première est que l’histoire des Universités se caractérise par la curieuse coexistence de véritables libertés universitaires avec une centralisation étatique qui signifie historiquement la lourde tutelle de l’État sur les Universités. En d’autres termes, ces libertés sont nées presque en contrebande, à l’insu ou avec l’approbation tacite des autorités de tutelle, et donc nées en marge du droit écrit[14]. Mais cette clandestinité les rend fragiles car elles sont à la merci de n’importe quelle nouvelle législation ou réglementation. Mais, à cette première raison de la dissociation à faire entre les deux concepts s’en ajoute, de nos jours, une seconde plus importante encore : l’autonomie des Universités n’implique pas nécessairement les libertés universitaires. Plus exactement, une plus grande autonomie des établissements ne signifie pas mécaniquement une plus grande garantie des libertés universitaires. En effet, comme on est en train de l’expérimenter avec l’application de la loi LRU, l’autonomie peut rimer avec l’autocratie[15]. Pour reprendre une formule frappante du philosophe Marcel Gauchet à propos des récentes réformes françaises, « l’autonomie veut dire la mise au pas des universitaires »[16]. En effet, l’organisation de la « gouvernance » dans cette loi LRU est déséquilibrée, comme l’indique l’absence d’un pouvoir académique capable de borner le pouvoir des instances gestionnaires. En d’autres termes, de même qu’un maire et son conseil municipal peuvent porter atteinte aux libertés de leurs concitoyens, de même un président d’Université et son Conseil d’administration peuvent attenter aux libertés universitaires[17].

 

Si l’idée des libertés universitaires n’équivaut pas à l’autonomie, il reste à rechercher ce qu’elle est vraiment. Une première difficulté, qui est classique, porte sur le point de savoir si le concept des libertés universitaires est universel ou s’il varie suivant les pays et les cultures. Un élément qui peut faire douter de son universalité est celui de la langue. Alors que l’expression de « libertés universitaires » est employée en français au pluriel, souvent associée d’ailleurs à celle de « franchises », l’expression équivalente en anglais et en allemand est employée au singulier : « academic freedom », d’une part, et « akademische Freiheit », d’autre part. La conception « humboldtienne » de l’akademische Freiheit a essaimé dans le monde entier et a été reçue, au moins partiellement, dans le monde américain quand celui-ci est passé de l’âge des collèges à l’âge des universités[18]. Ces différences de langage immédiatement perceptibles ne remettent pas en cause, selon nous, l’existence d’une idée universelle de libertés universitaires. Tout comme il y a une « idée d’Université »[19] qui fait comprendre qu’on parle du même objet, quel que soit le pays où cette institution existe, il y a une seule idée possible des libertés universitaires. Celles-ci existent partout où il y a de vraies Universités. Afin de souligner cet universalisme, on préfèrera utiliser désormais l’expression de liberté académique à celle de libertés universitaires.

 

Une preuve de l’universalité de la liberté académique tient à ce qu’elle résiste à la structuration juridico-économique de l’Université. En effet, elle est indifférente au statut juridique des Universités, que celle-ci soit une université publique – comme le plus souvent en France ou en Allemagne, ou en Europe – ou une université privée comme dans d’autres pays du monde, et aux États-Unis en particulier. En France, où l’on raisonne d’habitude dans le seul cadre des universités publiques, on pose le problème de la liberté académique à partir de la notion de service public (de l’enseignement supérieur)[20]. Le fait de décentrer l’analyse en analysant pourquoi et comment, aux États-Unis, on défend le concept de liberté académique démontre qu’il est compatible avec l’existence d’une Université privée. Tout au plus, peut-on dire que, dans ce dernier cas, le type de menaces qui pèse sur les universitaires n’est pas le même. Dans une Université privée, la liberté académique est principalement menacée par le statut d’employé d’une corporation privée qui peut user de son pouvoir de licenciement[21] ou comme, dans le cas récemment examiné par la Cour européenne des droits de l’homme de l’Université Catholique du Sacré-Cœur de Milan, de son pouvoir de ne pas renouveler le contrat d’un enseignant[22]. Inversement, le caractère public d’une Université ne la rend pas forcément à l’abri des atteintes à l’égard de la liberté académique. Faut-il rappeler que les régimes autoritaires violent constamment les libertés universitaires et que les régimes totalitaires — nazi et soviétique — les ont foulé au pied en interdisant le droit de chercher et de publier librement et en chassant de l’Université certains professeurs pour des raisons tenant à des considérations non universitaires (raciales ou politiques)[23] ? Aussi la notion de liberté académique transcende-t-elle l’opposition entre public et privé.

 

On lit souvent que les libertés universitaires trouvent leur origine dans les Universités du Moyen Age. Copiées des libertés ecclésiastiques, elles désignaient des exemptions du droit local et, donc, des privilèges conférés à une corporation qui était davantage protégée par la Papauté que par le pouvoir temporel[24]. Mais une telle conception de la liberté académique témoigne, du moins en France, d’une époque révolue où l’État n’avait pas encore mis sous tutelle toutes les Universités,. Depuis lors, les libertés universitaires n’ont plus le même contenu aujourd’hui qu’hier car l’université a changé de nature à partir de la fin du XIXème siècle : elle a cessé d’être un lieu exclusif d’enseignement pour devenir une instance d’enseignement et de recherche. On verra que cette modification de l’Université, qui devient aussi une Université de recherche, a conduit à redéfinir le contenu de la liberté académique (v. infra, I, B).

 

Une fois relevée l’universalité et l’historicité du concept de liberté académique, on peut risquer l’aventure de sa définition. Des libertés universitaires, l’on dit parfois qu’elles ont pour caractéristique principale d’être des libertés qui s’appliquent aussi bien aux individus – les universitaires — qu’à l’institution à laquelle ils appartiennent – à savoir, l’université[25]. En d’autres termes, elle serait aussi bien une liberté individuelle qu’une liberté institutionnelle, une « liberté des individus » et une « liberté du corps universitaire »[26]. Mais il convient, selon nous, de surmonter cette opposition entre individu et institution en empruntant à Robert Post l’idée qu’il s’agit d’une « liberté professionnelle » (professional freedom), c’est-à-dire d’une liberté accordée à des individus parce qu’ils appartiennent à un groupe, à la communauté universitaire. Ainsi entendue, la liberté académique peut être entendue comme « la liberté de poursuivre sa recherche professionnelle à l’intérieur d’une matrice de normes de la discipline définies et appliquées par ceux qui sont compétents pour comprendre et appliquer de telles normes »[27]. Une telle définition qui émane d’universitaires américains est néanmoins universalisable. Elle vaut pour la France dans la mesure où elle repose sur l’idée que la liberté académique est un droit accordé à un universitaire parce qu’il est membre d’une profession (la profession universitaire), et parce qu’il a acquis les titres nécessaires à l’exercice de sa profession[28]. Elle peut donc être interprétée comme un privilège réservé à ceux qui ont pu accéder à cette profession. Par voie de conséquence, elle ne doit pas être conceptualisée comme un droit de l’homme, acquis dès la naissance. Cependant, ce privilège ne signifie aucunement que les universitaires sont au-dessus de la loi ; il veut simplement dire « qu’ils ont un domaine qui leur est réservé et dans lequel ils peuvent dire : “Nous sommes ici les experts ; nous pouvons vous (à la loi, à l’État) dire ce qui est en vigueur, ce qui marche, dans ce secteur de l’activité sociale“ »[29].

 

Il ressort d’une telle définition que la liberté académique ne doit pas être isolée du lieu institutionnel dans lequel elle s’exerce, l’Université, et du type de personne à qui elle est directement conférée, l’universitaire. En effectuant ce double déplacement, on arrive à une définition beaucoup plus satisfaisante de type « institutionnel » proposée par Robert Post selon laquelle la liberté académique consiste « dans son essence, (..) à la liberté de poursuivre la profession de savant (scholarly profession) selon les standards de cette profession »[30]. Munie de cette définition, on peut désormais tenter de progresser dans l’analyse du concept de liberté académique qui requiert une explicitation de son contenu (I) et de sa justification (II).

 

 

I – La dualité de la liberté académique : une protection et « une liberté faite de libertés »

 

Comme toute liberté, la liberté académique peut s’analyser de deux points de vue. Elle est d’abord une protection, une défense contre une menace exercée par des « pouvoirs » susceptibles d’empiéter sur une nécessaire sphère d’autonomie. Mais elle est aussi une « liberté faite de libertés », pour reprendre une heureuse formule du Doyen Vedel[31], et se compose des libertés nécesaires aux universitaires pour se livrer à des activités typiques de leur métier : penser, publier, enseigner et s’exprimer.

 

A/ La liberté académique comme protection vis-à-vis de certaines menaces

 

Dans tous les pays qui ont de véritables Universités, la liberté académique est perçue comme une arme de défense contre des interventions de puissances extérieures pouvant remettre en cause la nécessaire liberté dont jouir l’universitaire pour exercer correctement son métier. Mais si la menace existe partout, les types de menaces varient suivant les pays et l’on verra que, en France, l’histoire singulière de notre pays a conduit à privilégier, si l’on peut dire, certaines menaces particulières.

 

1/ La liberté académique comme protection contre des pouvoirs extérieurs

 

Commençons par un truisme : la liberté académique est une liberté par rapport à quelque chose et à quelqu’un car elle s’est construite en opposition à des autorités politiques, sociales et économiques qui entendent exercer une contrainte ou une pression, d’intensité variable, dont l’effet est de limiter ou d’anéantir la liberté intellectuelle, propre à l’exercice du métier d’universitaire. Une telle définition négative figure dans une remarque faite par Georges Vedel pour décrire la situation dont jouissait, jadis, l’universitaire français : « à quelque moment de sa carrière qu’il songe, le professeur de faculté se retrouve délié de la pesée, de la pression, de l’influence. »[32] Si l’on voulait absolument résumer l’esprit de cette « négation » contenue dans la liberté académique, il vaudrait mieux retenir l’esprit qui fonde et justifie son octroi : il s’agit ce faisant d’ « étendre l’espace du savoir désintéressé et [de] l’isoler de l’espace du pouvoir »[33].

 

En réalité, cette idée d’une protection contre l’intervention, l’immixtion d’un tiers, c’est-à-dire d’un pouvoir (quel que ce soit ce pouvoir), constitue le cœur de la notion de liberté académique. Elle implique une certaine clôture du monde universitaire, clôture rendue nécessaire pour pouvoir penser le monde (v. infra II, A). La conquête de cette liberté signifie partout et toujours un affranchissement, c’est-à-dire l’émergence de franchises par rapport à une situation antérieure d’assujettissement résultant d’un pouvoir exercé par des instances de domination. Telle est ce la dimension relationnelle de la liberté académique qui se caractérise donc par une « opposition (..) à une force de contrainte lui est essentielle : elle ne peut se définir qu’en relation à l’autorité, qu’elle soit scientifique, religieuse, politique ou économique..»[34].

 

Si au cours de l’histoire moderne, les deux pouvoirs qui ont menacé la liberté des universitaires sont le pouvoir politique et les autorités religieuses[35], il faut comprendre cependant que, de nos jours, la principale menace provient, dans les démocraties libérales, de la lourde contrainte posée par la société civile et par l’économie globalisée[36]. D’une certaine manière, toutes les Universités subissent désormais « une compétitivité supranationale qui est entièrement dominée et structure par la logique opérationnelle du système économique et de ses finalités autoréferentielles »[37]. C’est contre cette menace globale et plus subtile de « l’instrumentalisation de l’Université »[38] opérée par le biais du changement des fins de l’Université que la liberté académique devrait protéger les universitaires. Le risque est en effet patent de voir l’expert détrôner le savant, la bureaucratie universitaire privilégier la recherche collective sur la recherche individuelle ; le résultat en est que l’universitaire contemporain éprouve ce douloureux sentiment d’évoluer de plus en plus dans une « cage d’acier » de la bureaucratie au sein de laquelle des instances extérieures lui imposent non seulement une évaluation permanente – qui n’est pas un véritable danger si elle est bien conçue – mais aussi et surtout le contenu du programme de recherches.

 

Comme on le verra plus loin, l’assujettissement à des programmes de recherche imposées par des forces extérieures à l’Université est l’un des périls les plus graves auxquels est confrontée l’Université d’aujourd’hui. Mais on nous pardonnera, espérons-le, de faire une digression sur le cas français qui est atypique à maints égards en raison des menaces particulières qui pèsent sur la liberté des universitaires.

 

2/ La spécificité française : entre la surpuissance de l’Administration et la politisation des Universités

 

Ce tableau d’ensemble dressé pour la liberté académique en général vaut aussi pour la France. Mais il convient de le nuancer en faisant la part nécessaire à la singularité de l’histoire de notre pays qui tient, d’une part, à l’importance de la domination de l’administration de l’Université sur les universitaires, et d’autre part, à la politisation récurrente de la question universitaire.

 

a/ Le risque de domination par l’Administration prend, en France, deux formes différentes, une ancienne et centralisée, et l’autre, plus récente et décentralisée.

Historiquement, la France se caractérise comme chacun sait par la domination de l’État sur les Universités[39]. Par conséquent, la liberté académique a donc dû s’y affirmer face et contre l’État. Au XIXème siècle, les universitaires ont été victimes de la politisation de l’Université en raison d’un interventionnisme constant des gouvernants qui ont essayé de contrôler les personnels[40] ; même au XXème siècle, on a vu des ministères tenter d’imposer contre des coutumes l’élection de certains universitaires. Le réquisitoire le plus féroce contre cette prééminence de l’État a été mené par Georges Gusdorf dans son ouvrage sur l’Université, publié en 1964. Le professeur strasbourgeois y soutenait deux thèses tout aussi radicales l’une que l’autre. Selon la première, l’institution du Recteur, avant 1968, est la preuve qu’il n’y a jamais eu de libertés universitaires en France puisque, à l’instar du préfet pour les collectivités locales, c’est lui qui incarnant l’État, décide à la place des universitaires. La seconde thèse est encore plus radicale puisqu’elle conteste la compétence de l’État à s’occuper de la « haute culture » dont devrait s’occuper l’Université[41]. Toutefois, le constat de Georges Gusdorf, s’il est logiquement irréfutable, doit être relativisé car le philosophe strasbourgeois décrivait le droit écrit alors que le doyen Vedel soulignait justement, et à la même époque, le gouffre séparant le droit de la réalité administrative. Dès 1960, il montre comment cette prétendue centralisation française s’accompagnait d’une très large autonomie et qu’il existait une subversion du principe hiérarchique. Il va même jusqu’à écrire, en 1960, que « l’Enseignement supérieur est un service public démocratiquement géré par ses propres agents. Et cette démocratie fondée, comme on l’a montré, sur une civilisation juridique nationale, sur un statut légal et réglementaire libéral, s’est épanouie dans une tradition administrative qui va bien au-delà des libertés écrites. »[42].. Jacques Ellul corrobore cette vision plus réaliste lorsqu’il constate que « sur le plan local, (..) la relation avec les volontés de l’État n’était que lointaine et souple.. »[43].

 

C’est justement sur ce dernier point, c’est-à-dire la relation entre l’État et les universités, que les choses ont été fondamentalement modifiées : l’État est devenu interventionniste et il est   « redevenu » vraiment napoléonien. Depuis les années 1960, le ministère et plus précisément l’administration centrale de l’enseignement supérieur, a étendu ses tentacules sur la vie universitaire, multipliant les contraintes professionnelles et abusant de réglementations portant atteinte à la liberté académique. On est loin de la compréhension et de la sagesse des grands commis de l’État, notamment du directeur général de l’enseignement supérieur, qui laissait les universitaires gérer librement leurs facultés[44]. Désormais, ce sont certains directeurs « directifs » ou certains membres de cabinets ministériels qui gouvernent et ils le font, comme on le sait, sans consulter le milieu universitaire qui n’a lui-même plus d’instance de représentation adéquate[45]. Ainsi est-on passé d’une pseudo-Université napoléonienne fondée, de facto, sur une large autogestion à une Université vraiment napoléonienne où la rue Descartes, siège de l’actuel ministère de l’enseignement supérieur, impose ses diktats à des universités prisonnières de l’État pour des raisons financières. La politique de la carotte et du bâton tient lieu de méthode de gouvernement et les idées de « l’expertitocratie »[46] tiennent lieu de politique universitaire. C’est pour cette raison que, bien avant la loi LRU, des réformes, telles que la réforme du LMD, ou encore l’aberrant arrêté sur la formation doctorale de 2006, qui impose l’appartenance à une école doctorale pour diriger des thèses, ont pu être adoptées sans coup férir.

 

Le résultat de l’emprise administrative est très concret : conjugué avec la massification de l’Université et son scandaleux sous-encadrement administratif, le réformisme institutionnel a eu pour effet, au cours des trente dernières années, de réduire drastiquement le temps libre de l’universitaire pour le transformer en un homme-Protée censé savoir tout faire : du secrétariat administratif au management d’équipe, en passant par l’enseignement sans oublier, éventuellement, la recherche réduite de plus en plus à la portion congrue et à partir de laquelle pourtant il est évalué !…[47]. Il est temps de penser cette réduction du temps « libre » – de l’otium caractéristique des métiers intellectuels — comme une grave atteinte à la liberté de la recherche et de la pensée ; celle-ci ne peut se déployer que dans un cadre adapté et suppose une disponibilité que l’institution devrait offrir à l’universitaire. En France, cela est de moins en moins le cas[48]. C’est donc bien la condition même de l’existence de ces libertés universitaires qui est remise en cause si l’universitaire n’a plus de temps disponible pour lire et écrire. Sans cela, la liberté devient purement et simplement « formelle » pour reprendre une expression qui a eu son heure de gloire dans les années soixante.

 

Mais à ce dirigisme étatiste s’est ajoutée une seconde menace tout aussi actualisée : la domination sur les universitaires non plus de l’administration centrale, mais de « l’administration de sa propre Université ». Cette seconde forme d’interventionnisme administratif, est désormais institutionnalisée avec la loi LRU et on propose de l’appeler la domination de « l’Administration rapprochée ». Cette loi, telle qu’elle a été conçue, contraint de penser désormais l’université comme une instance de domination sur les universitaires eux-mêmes en raison même du mode de gouvernance « présidentielle » qu’elle instaure : elle organise non pas un self-governement des universitaires, mais au contraire la domination d’un appareil administratif sur les universitaires eux-mêmes. En préférant parler de « l’administration de l’Université » et d’une « Administration rapprochée » , on entend éviter ce mot valise de « gouvernance » et surtout souligner l’extranéité du pouvoir de l’administration (le président et le conseil d’administration de chaque Université) par rapport aux universitaires , quand bien même cette administration est élue par la communauté universitaire dans son ensemble. On verra en conclusion de notre propos les conséquences concrètes de cette réforme institutionnelle sur les libertés universitaires. Toutefois, la surpuissance de l’administration n’est pas le seul trait singulier du paysage universitaire français.

 

b/ Le second trait réside dans la politisation des Universités qui se manifeste doublement,: d’une part, par la place naguère disproportionnée occupée par les syndicats d’enseignants et encore maintenant par les syndicats d’étudiants et, d’autre part, par l’ingérence du pouvoir politique dans le fonctionnement de l’Université.

 

1°/ Le risque de politisation syndicale – Des esprits aussi éclairés que Georges Vedel et Raymond Aron avaient perçu que le principal effet pervers de Mai 68 résidait dans la menace de politisation qu’il faisait planer sur le fonctionnement de l’Université[49]. En des termes très énergiques, le premier dénonçait les risques encourus de ce fait par la liberté académique:

 

« La politisation et la syndicalisation universitaires, ignorées de la vielle Université, sont le péril mortel qui menace l’Université nouvelle. Il ne s’agit pas certes d’interdire aux enseignants d’avoir des opinions politiques aussi tranchées que l’on voudra et de les proclamer (de préférence en dehors du service). Nous savons tous que tel ou tel maître et chercheur illustre militait ardemment. Il s’agit encore moins de méconnaître l’utilité des syndicats pour ce qui est de leur rôle normal. Mais que l’on puisse parler d’Universités, en tant que telles, de droite ou de gauche ; que telle élection universitaire dépende d’une consigne politique ou syndicale, que dans les propositions concernant la carrière des maîtres, l’on prenne en compte d’autres éléments que les mérites scientifiques et le bien du service public est proprement scandaleux. L’indépendance des enseignants doit tenir en échec non seulement le pouvoir politique et administratif, mais tout pouvoir “temporel“, quels qu’en soient la nature, l’origine ou le masque. »[50]

 

Dans la France d’après Mai 68, les inquiétudes du doyen Vedel n’étaient pas infondées car la politisation a d’abord touché la gouvernance, comme le signale la progressive institutionnalisation des syndicats dans les élections aux divers Conseils des universités. Elle a aussi affecté le recrutement des universitaires ; celui-ci a été parfois effectué selon des critères politiques ou syndicaux qui sont normalement étrangers aux critères académiques ; par ailleurs et surtout, le mode de scrutin retenu pour l’élection du Conseil national des Universités (scrutin de liste sans panachage possible) a donné une prime à la représentation de type syndical alors que le déroulement de la carrière universitaire (accès avec la qualification ou promotion) devrait être totalement étranger à une logique syndicale[51]. Mais, depuis les années 1980, les choses ont grandement changé. La politisation des universités ne peut plus être considérée comme une menace. De même, la place des syndicats a considérablement reculé, et à un point tel qu’on se surprend presque à regretter leur ancien rôle car cette évolution témoigne de la très faible structuration collective des  universitaires. Ces derniers, concernant les décisions relatives à l’Université, sont de nos jours totalement impuissants à faire valoir leur point de vue face à des gouvernants qui ne prennent pas de gants pour imposer des solutions contraires à toute éthique universitaire. Si l’on voulait à tout prix parler encore de politisation à propos de la communauté universitaire, ce serait plutôt du côté des syndicats d’étudiants qu’il faudrait se tourner. A cet égard, loin d’avoir contribué à la dépolitisation de la gouvernance des Universités, la loi LRU l’a aggravée en prévoyant un mode d’élection du Conseil d’administration, particulièrement inadéquat car il a pour effet de laisser « les étudiants et les personnels administratifs plus politisés que les enseignants (décider) de la gouvernance de l’établissement »[52].

 

2°/ Cependant, il semble que la menace de politisation de l’Université provient actuellement moins des syndicats d’universitaires que du pouvoir politique. Celui-ci reprend une ancienne tradition en s’ingérant dans la liberté corporative. Le XIXème siècle fut marqué en France, comme dans toute l’Europe d’ailleurs, par une série d’épurations politiques du corps universitaire. On n’en est évidemment pas là de nos jours. Toutefois, cette tradition d’intervention politique qui paraissait s’être étiolée est en train de renaître sous nos yeux. Trois affaires qui se sont produites en 2008/2009 en témoignent de façon assez inquiétante. La première affaire, dont la portée est inversement proportionnelle à sa très faible médiatisation, concerne la nomination des promus à l’Institut Universitaire de France en 2008. En effet, on a appris par une petite partie de la presse que le ministre de l’enseignement supérieur avait ajouté de son propre chef vingt-deux candidats (13 seniors et 9 juniors) qui ne figuraient pas sur la liste des membres proposés par le jury. En d’autres termes, le ministre a modifié discrétionnairement la liste des reçus établie par le jury de concours, ce qui n’a pas manqué de choquer certains membres des deux jurys (junior et senior) qui l’ont accusé d’avoir porté « atteinte à la déontologie d’évaluation par les pairs »[53]. Ainsi, l’autorité politique a réintroduit la « faveur » du Prince comme critère d’élection académique. Tout aussi préoccupante, du point de vue des principes, est la nomination en mars 2009, au Conservatoire National des Arts et Métiers, d’un professeur à la chaire de « criminologie appliquée »[54] créée pour la circonstance. Comme le CNAM est un établissement particulier de l’enseignement supérieur, au statut très dérogatoire, cette affaire ne concerne pas directement, mais seulement indirectement l’Université dans la mesure où une telle nomination résulte de la création, dans le monde académique d’une nouvelle discipline (criminologie appliquée) voulue par le pouvoir en place. En l’espèce, la nomination est, formellement au moins, légale car le ministère de l’enseignement supérieur a un pouvoir discrétionnaire dans la création d’une chaire au CNAM. Toutefois le choix de la chaire et de son titulaire, dont les travaux seraient très controversés d’un point de vue scientifique, a provoqué une forte réaction des universitaires et chercheurs spécialisés dans le domaine concerné. Ceux-ci parlent à propos de l’heureux bénéficiaire d’une « chaire taillée à sa mesure » et d’un « fort déficit de légitimité »[55] et contestent la façon dont il aurait été « imposé par le fait du prince »[56] tout comme la création de cette discipline aurait été imposée au sein de l’établissement en question. La dernière affaire concerne le CNRS et elle est tout aussi préoccupante que les deux autres. Cette affaire dite « Geisser » porte le nom de ce chargé de recherches du CNRS dont les recherches portent sur la sociologie et l’islam en France. Il a fait l’objet d’une procédure disciplinaire au terme de laquelle il a été sanctionné par un avertissement pour avoir tenu, dans un courriel privé, ensuite diffusé sur internet, des propos à l’encontre du fonctionnaire de sécurité du CNRS qui ont été jugés par la Direction comme étant « injurieux et calomnieux » et constituant de ce fait un « manquement au devoir de réserve »[57]. On ne sait si la juridiction administrative a été saisie pour examiner la légalité de la sanction, mais ce qui est intéressant pour notre propos réside dans le fait qu’il existe au CNRS un « fonctionnaire de sécurité défense » — un ingénieur général » — dont les activités le conduisent à exercer de facto une sorte de surveillance des activités de recherche exercée par certains chercheurs dans des domaines et des pays dits « sensibles ». La question se pose de savoir si cette sorte de police interne au CNRS est compatible avec l’idée même des libertés universitaires. En l’espèce, la réponse paraît négative si l’on en juge par le caractère très intrusif des interventions de l’ingénieur chargé de cette surveillance[58]. On peut n’avoir guère d’empathie avec les thèses scientifiques défendues par M. Geisser, mais il est certain que le traitement de ce cas pose un problème de principe qui est celui des limites de l’intervention de la puissance publique dans les recherches d’un sociologue travaillant sur un secteur exposé (l’islam). Certes, cette affaire concerne non pas l’Université, mais le CNRS. Toutefois la question de la liberté intellectuelle et de la liberté de la recherche ne se divise pas. Si la liberté de la recherche est menacée au CNRS, il n’y a aucune raison qu’elle ne le soit pas aussi à l’Université.

 

Ainsi, ces trois affaires suscitent une légitime inquiétude. Ne prend-on pas le chemin d’un retour à un mode de gestion régalien de l’Université et de l’enseignement supérieur ? On conviendra pourtant avec Georges Vedel que « la fécondité du travail universitaire, son efficacité dans l’ordre de la recherche et de l’enseignement, commandent (..) d’en écarter tout système de censure, d’intimidation ou de favoritisme »[59] ? La menace de la politisation revient cette fois sur le devant de la scène, mais elle provient cette fois du pouvoir en place, et ce n’est pas un bon signe pour les libertés universitaires.

 

Ainsi, la singularité française en matière de liberté académique réside dans la double menace jumelle que constituent la surpuissance de l’administration de l’Université et sa « politisation » potentielle qui menace toujours d’être actualisée. Si, malgré cette double menace récurrente, la liberté académique avait réussi à s’institutionnaliser en France, c’était en raison de l’existence d’un « esprit universitaire »[60] dont le mot d’ordre pourrait être résumé par une formule utilisée récemment par un économiste : « fondamentalement, est universitaire celui qui refuse d’être mis au pas. »[61]. Un tel esprit pouvait encore exister dans le cadre d’une université conçue comme une société étroite, et au sein d’une corporation homogène, mais aujourd’hui, dans une Université de masse, donc très anomique, et dans une corporation de plus en plus divisée, qui apprendra à un jeune maître de conférences ou à un jeune professeur agrégé qu’il ne faut pas se mettre au garde-à-vous devant les oukases de l’administration de l’université ou du ministère ? Qui lui enseignera qu’il n’est pas soumis en sa qualité d’universitaire à un quelconque pouvoir hiérarchique, qu’il n’a donc pas d’instructions à recevoir de la part de cette administration et qu’il est certes un fonctionnaire, mais surtout un fonctionnaire qui n’est pas comme les autres (différent, non supérieur) ? Qui lui rappellera que «  le cumul de la tradition historique et du démocratisme libéral a conduit à faire prévaloir sur le serviteur le penseur »[62]? C’est donc sur ces interrogations inquiètes que l’on achèvera ces développements sur la situation actuelle française.

 

En revenant au thème de notre propos, la liberté académique en général, on retiendra de ce qui précède qu’elle consiste essentiellement dans le refus d’un assujettissement, c’est-à-dire le refus de la subordination des universitaires à tout pouvoir, quel que ce soit ce pouvoir. Comme pour toute liberté, il peut arriver que certains n’en aient pas le sens, ni le goût, mais la « servitude volontaire » n’a jamais empêché, heureusement, que les autres l’invoquent et en jouissent.

 

B/ Le contenu pratique de cette liberté académique 

 

La conception dite négative de la liberté académique, qui la définit comme une protection contre des menaces portant sur l’indépendance (surtout intellectuelle) de l’universitaire, n’épuise pas le sujet car il reste à connaître, plus positivement, son contenu concret. Ce dernier est divers comme l’indique la formule citée plus haut, d’une « liberté faite de libertés ». Quelles sont donc les libertés constitutives de la liberté académique ?

 

Selon la conception classique issue de la formulation donnée par Guillaume de Humboldt, il s’agit d’une double liberté : la liberté d’enseigner (Lehrfreiheit) et la liberté d’étudier (Lernfreiheit). Mais si l’on veut avoir une acception plus compréhensive et plus moderne de la liberté académique, il faut actualiser la pensée « humboldtienne ». On le fera d’abord en examinant seulement la liberté du point de vue des enseignants car la liberté des étudiants (liberté d’apprendre) est en voie de disparition, même en Allemagne, sa patrie d’origine. On le fera ensuite en prenant pour guide de la liberté académique la Déclaration de 1915 de l’Association américaine des professeurs d’Université (AAUP), rédigée par des grands esprits, qui contient la définition énumérative suivante : « la liberté académique consiste dans la liberté absolue de pensée (thought), de recherche (inquiry), et d’expression exigées pour accomplir les obligations professionnelles des universitaires »[63]. Une telle définition montre que ces libertés sont accordées aux universitaires afin qu’ils puissent exercer en toute indépendance d’esprit leur métier ou, pour reprendre les termes de l’article 57 de la loi du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur français, avec cette « pleine indépendance (…) dans leurs fonctions d’enseignement et dans leurs activités de recherche ». Plus concrètement, la liberté académique se décline selon trois principales modalités : liberté de recherche et de publication, liberté d’enseignement, liberté d’expression (au sein des murs de l’Université ou en dehors de l’Université). C’est ce qu’indique aussi une Recommandation du Conseil de l’Europe datant de 2006[64].

 

Désormais, la liberté de recherche et la liberté de publication est mise au premier plan. Sa promotion témoigne d’une singulière évolution, depuis l’époque de Humboldt, qui a consisté à mettre la recherche au centre de la nouvelle conception de l’Université de sorte que la liberté de recherche, dont le corollaire est la liberté de publication, apparaît comme le premier élément de la liberté académique[65]. Pour comprendre la portée de cette reconnaissance de la liberté de recherche[66], il faut signaler qu’elle rompt avec l’ancienne représentation du métier où l’universitaire avait pour mission d’enseigner la vérité dans le cadre de l’ancienne Université de type dogmatique où l’on refusait d’admettre des erreurs. De ce point de vue, la liberté académique des modernes implique « le droit de se tromper » (the right to be wrong) »[67]. L’universitaire doit s’efforcer de rechercher la vérité, il doit y aspirer, mais il ne peut jamais être certain de la trouver. Par voie de conséquence, une telle conception aboutit à redéfinir autrement la liberté académique qui est « non plus le droit d’enseigner la vérité, mais celui de rechercher la vérité ». Dans ce cas-là, « les enseignants doivent jouir de la liberté par rapport à tous les dogmes ecclésiastiques, religieux, économiques ou politiques qui leur barreraient la route à une recherche plus poussée (further inquiry) »[68].

 

Ils doivent jouir aussi de cette liberté vis-à-vis de l’opinion publique qui peut représenter une menace très sérieuse pour la liberté académique[69]. Ainsi voit-on apparaître le danger de la menace « extérieure » qui provient de ce que l’auto-régulation professionnelle est battue en brèche par diverses forces sociales. Celles-ci veulent réintroduire le jugement non seulement du public, mais aussi des « décideurs » publics ou privés, dans la pertinence scientifique des choix de recherche. Il n’est pas certain que les industriels soient les mieux placés pour traiter des questions de recherche fondamentales ni que l’opinion publique soit la mieux à même de savoir quelles sont les recherches sociologiquement pertinentes !…. Comme l’a noté Derrida, la grande question qui se pose aujourd’hui dans le monde entier et pas seulement aux États-Unis et qui revêt un « enjeu politique majeur » est la suivante : « dans quelle mesure l’organisation de la recherche et de l’enseignement doit-elle être soutenue, c’est-à-dire directement ou indirectement contrôlée, disons par euphémisme, “sponsorisée“ en vue d’intérêts commerciaux et industriels ? »[70]. La liberté de la recherche ne présuppose-t-elle pas justement cette « indépendance inconditionnelle », cette revendication de la part des Universités « d’une sorte de souveraineté » ?[71]

 

Or, les hommes politiques, en général, et en France en particulier, n’arrivent pas à comprendre que la réduction de la recherche à la recherche appliquée et son financement à partir de programmes planificateurs conduisent à nier la liberté principielle que nécessite la recherche fondamentale. En effet, les possibilités de découvertes ne peuvent être connues que par des chercheurs et ces découvertes ont des effets sur la recherche appliquée qui sont par nature imprévisibles[72]. Le pilotage bureaucratique de la science, au point où il est parfois poussé, est une atteinte non seulement à la liberté de recherche, mais aussi au bon sens.

 

Quant à la liberté d’enseignement, elle est une composante fondamentale de la liberté académique, mais comme on l’a vu, désormais, sans être abolie, elle est reléguée au second plan derrière la liberté de recherche et de publication. La prévalence de la liberté de recherche a aussi des effets sur la perception même de l’enseignement : à la différence de ce qui se passe dans l’enseignement secondaire, où l’on apprend un savoir constitué, l’enseignement supérieur consiste à enseigner un savoir en train de se faire. En tout cas, c’est normalement ce qui devrait se passer dans ce qu’on appelle les universités de recherche. Une telle liberté d’enseigner découle, elle aussi, de la nature même de l’Université, nous explique Karl Jaspers. « Cela veut dire qu’elle doit enseigner la vérité, indépendamment des désirs et des ordres visant à la limiter, que ce soit de l’extérieur ou de l’intérieur[73]. » Il faut bien noter ici la différence avec l’enseignement secondaire. Une telle liberté d’enseigner « ne peut être un enfermement solipsiste, elle n’a un sens qu’en tant que libre dialogue, propositions d’hypothèses qui rencontrent celles d’autres chercheurs et prennent constamment le risque d’être démenties. Un enseignement de type universitaire, qu’il soit d’économie, d’histoire, de physique nucléaire, peu importe, il se situe nécessairement dans un débat en cours, dont il faut connaître l’histoire et les frontières actuelles. Voilà pourquoi un professeur d’université n’enseigne pas un programme imposé, ne transmet pas la pensée de l’Université ou de l’État mais sa propre pensée, s’inscrivant dans un dialogue avec celle de ses collègues. »[74] La liberté est donc consubstantielle à son enseignement.

 

Enfin, la liberté académique ne serait rien si elle ne contenait pas également la liberté d’expression. En France, elle est garantie par le statut de fonctionnaire, même si l’on sait que l’universitaire a une sorte de liberté renforcée d’expression. Ailleurs, dans tous les pays du monde, elle lui autorise, dans un droit de critique, et notamment un droit de critique des instances dirigeantes de l’État ou de l’Université. Mais ce droit ne lui permet pas de dire n’importe quoi dans un article ou dans son amphithéâtre ou dans sa salle de cours. Le droit commun s’applique à lui s’il viole des règles de droit pénal ou la déontologie universitaire ((v. infra II, B). On s’accorde néanmoins à reconnaître une grande portée à une telle liberté quand l’universitaire s’exprime dans son élément naturel qui est la discipline dont il est un spécialiste. La véritable difficulté porte sur la portée que l’on doit accorder à un universitaire quand il s’exprime en dehors des lieux de l’Université ou dans un domaine totalement différent de son domaine de spécialité.

 

Il résulte de qui précède l’idée selon laquelle la liberté académique est duale : elle est à la fois une protection défensive et une somme de libertés positives. Elle est surtout la condition d’exercice du « métier de savant » (pour parler comme Max Weber). Mais on pourrait nous reprocher d’avoir oublié d’évoquer les principes organisationnels qui rendent possible une telle liberté. En effet, il reste de l’héritage de l’idée européenne de l’Université le fait qu’elle peut être définie comme une « réunion de professeurs » caractérisée institutionnellement par la « collégialité définissant un corps enseignant »[75]. Il en découle l’existence de droits corporatifs que sont par exemple, les droits électoraux, l’éligibilité, le droit d’être associé aux décisions de l’Université et surtout la cooptation pour le recrutement, aussi bien que l’évaluation par les « pairs », étant entendu que les « pairs » sont les collègues de la même discipline scientifique et non pas tous les universitaires.

 

La question est donc de savoir si cette dimension « corporative » de l’Université doit être intégrée dans le domaine de la liberté académique. Pour y répondre, on propose d’introduire une distinction entre une conception large et une conception étroite de la liberté académique. Il y a une conception lato sensu lorsque la liberté académique contient non seulement la protection et les libertés positives, mais aussi les garanties institutionnelles propres à chaque pays (statut de fonctionnaire en France, tenure aux États-Unis) et les droits corporatifs issus de l’idée de participation (collégialité, cooptation, etc..). Ainsi conçue largement, la liberté académique a pour « le cœur et l’âme « non pas (..) la liberté d’expression (free speech), mais (..) l’autonomie professionnelle et (…) le self-governement collégial »[76]. Mais il y a au contraire, une conception stricto sensu de la liberté académique lorsque celle-ci se limite à la protection et aux libertés positives de sorte que les garanties institutionnelles (l’auto-gouvernement) ne sont plus incluses dans son concept. C’est cette conception restrictive que nous avons ici adoptée au motif qu’il ne faut pas confondre la liberté —la liberté académique — avec les garanties de la liberté — ici les garanties institutionnelles du self-government académique. Il est toutefois évident que la liberté académique sans ses garanties institutionnelles est réduite à néant.

 

Il reste maintenant à démontrer que l’on ne peut pas faire l’impasse sur la conception de l’Université qui sous-tend nécessairement la définition « institutionnelle » ou « professionnelle » de la liberté académique qui a été ici adoptée. Si la liberté académique a besoin d’être protégée, ce n’est pas pour le seul bénéfice des universitaires, mais aussi pour sauvegarder l’Université.

 

II – La justification de la liberté académique par la nature de l’Université et les limites d’une telle liberté

 

 

La liberté académique n’est pas un privilège inventé par les universitaires pour jouir d’une situation exorbitante du droit commun. Elle est un moyen qui permet à l’Université de réaliser ses propres fins en ayant un corps professoral jouissant de la liberté nécessaire pour accomplir correctement son travail. Elle doit servir donc l’ensemble de la communauté universitaire et par là même l’ensemble de la société. Cela suppose aussi, en contrepartie, que les universitaires soient conscients de leurs devoirs et les accomplissent.

 

A/ La justification de la liberté académique ou l’inévitable question des fins de l’Université

 

Comme l’a excellemment noté un auteur américain, « le point de départ pour comprendre la justification (rationale) de la liberté académique est la nature spéciale d’une Université, une institution singulière »[77]. En effet, la liberté académique n’est pas une fin en soi, mais elle se justifie par le fait qu’elle est ni plus ni moins que « la structure fondamentale de l’université »[78]. En effet, si une telle liberté permet aux universitaires d’exercer correctement leur métier, cela signifie qu’elle n’est pas faite pour leur bien-être— en tout cas, pas immédiatement—, mais pour le bien commun, ce Common Good dont parlent Robert Post et Matthew Finkin[79]. S’il n’y avait pas cette dimension altruiste dans la liberté académique, rien ne pourrait justifier, dans le monde démocratique dans lequel nous vivons, l’existence d’un tel privilège. La difficulté réside dans l’identification de ce « bien commun » et les réponses varient selon la conception que l’on a de l’Université et de ses fins.

 

Ainsi ne peut-on comprendre la justification de la liberté académique sans connaître les finalités de l’Université. C’est sur cette question qu’une opposition relative à ces finalités surdétermine le débat relatif à la liberté académique. Il existe en effet, une nette opposition entre ceux, d’un côté, qui voient dans l’Université une institution destinée à protéger « contre toutes les influences extérieures et à préserver le caractère désintéressé de la culture et de la recherche »[80] et ceux, d’un autre côté, qui considèrent qu’elle doit au contraire être est une adaptée à la société et de plus en plus professionnalisée de sorte que « les préoccupations utilitaires prennent le pas sur le désintéressement. »[81].

 

Puisque la conception de la liberté académique dépend de la conception que l’on se fait des fins de l’Université, on comprend mieux pourquoi, dès 1971, Bernard Toulemonde se demande si les libertés universitaires « ne prennent pas progressivement une signification nouvelle »[82] du fait de l’extension des missions de l’Université. Selon les tenants de la conception « fonctionnelle » de l’Université, qui domine la représentation des décideurs, l’Université obéit à des finalités que lui dicte la société. La loi d’orientation de l’enseignement supérieur du 12 novembre 1968 (dire Loi Edgar Faure) a résisté en partie à cette conception en disposant solennellement que « les universités (..) ont pour mission fondamentale l’élaboration et la transmission de la connaissance, le développement de la recherche et la formation des hommes. » Elle donnait par là un coup de chapeau à la conception classique de l’Université, mais dans d’autres dispositions, la loi invoquait d’autres finalités que celles-ci, la formation des étudiants par la délivrance de diplômes[83]. Depuis lors, la loi Savary a ajouté l’aménagement du territoire parmi les finalités de l’Université et l’on sait que la loi LRU contient une sorte d’inventaire à la Prévert pour définir les missions du service public de l’enseignement supérieur, incluant notamment « l’orientation et l’insertion professionnelle »[84].

 

Comme on le voit, cette conception de l’Université comme étant au service de la société (que nous avons appelé « fonctionnelle ») suppose d’accepter, par un glissement significatif, des finalités encore plus éloignées de la finalité principielle de toute Université. Au début, on parle d’adapter l’Université à la société, et puis on en arrive à l’idée que l’Université sert à aménager le cadre du territoire !…. Ainsi, une telle conception fonctionnelle de l’Université réussit le prodige d’oublier ce qui fait l’essentiel d’une Université. En effet, est-il besoin de rappeler, avec Karl Jaspers, que « la tâche de l’Université est de permettre la recherche de la vérité à la communauté des chercheurs et des étudiants »[85] ?  Ainsi, comme le rappelait récemment un judicieux commentateur de Jaspers, « la recherche gratuite de la vérité, en tant que finalité, s’appuie sur le moyen d’une institution »[86], qui est justement l’Université. La raison d’être de celle-ci est « l’accroissement de la somme du savoir humain » ( sum of human knowedge)[87] ou encore « la création d’un nouveau savoir »[88]. Ce lien entre le savoir et l’Université est précisément le propre de l’Université moderne.</p

 

On fera remarquer en passant, pour finir sur ce point, que les tenants de la conception fonctionnelle semblent ignorer que l’idée même d’Université appartient au patrimoine de la civilisation européenne. C’est une spécificité de l’Occident qui était admirée au Moyen Age par un moine nestorien, Rabban Sâwamâ, qui visitant Paris en 1287 comme ambassadeur des Mongols fut frappé par deux choses lui paraissant dignes d’attention : l’Université et les sépultures royales de Saint Denis. Commentant cette lettre, Rémi Brague observe que ce moine est favorablement impressionné par une société « capable de libérer une partie de la richesse sociale pour financer l’acquisition d’un savoir qui n’a pas pour fonction exclusive d’en assurer ou d’en légitimer la structure »[89]. Cette notation n’est pas aussi inactuelle qu’on pourrait croire. Le débat provoqué par la loi LRU et son application est bien d’une immense portée : il est de savoir si l’on doit céder à la « marchandisation du savoir » qui sous-tend l’idéologie des Princes qui nous gouvernent, ou si nos gouvernants vont continuer à assumer « la capacité de nos sociétés à financer un savoir qui n’aurait pas pour unique finalité d’assurer la reproduction de l’économie »[90].

 

Ainsi, il nous semble que la tâche qui consiste à organiser l’Université est celle de savoir comment la construire pour qu’elle continue à produire du savoir et un savoir qui se renouvelle constamment. Or, pour cela, il faut, d’une part, que les producteurs de ce savoir jouissent d’une grande liberté pour se consacrer exclusivement à ce travail difficile de création d’un nouveau savoir, et d’autre part, qu’ils enseignent librement à des individus libres, les étudiants. Dès lors, l’enseignement universitaire n’a pas seulement pour but de délivrer des diplômes ayant une valeur marchande sur le marché du travail, mais aussi celui de former des esprits capables d’avoir une « indépendance d’esprit »[91], des hommes qui ne reçoivent pas passivement un savoir, mais qui vont contribuer ensuite à améliorer ce savoir en le remettant en cause. De ce point de vue, une telle conception de l’Université ne signifie pas nécessairement qu’on la pense comme « une forteresse académique (..) maintenant contre vents ou marées l’idéal de la libre activité scientifique désintéressée »[92], qui serait déconnectée des réalités de la société civile. L’image de la « tour d’ivoire » a beaucoup servi pour discréditer cette conception de l’Université comme « institution », et non comme « organisation ». Mais ceux qui prétendent « ouvrir » l’Université vers l’extérieur, en faire une simple « organisation », sont en réalité incapables de réfuter la thèse sous-tendant la conception élevée de l’Université (comme institution) selon laquelle l’étude du savoir pour le savoir est le moteur de la science et de la recherche et la raison scientifique ne peut se déployer que dans l’autonomie de la recherche[93].

 

Quels sont les effets de ce débat relatif aux finalités de l’Université pour la compréhension de la liberté académique ? Prenant acte de l’extension de ces finalités, Bernard Toulemonde  considère qu’il y aurait une « nouvelle signification des libertés et franchises universitaires » et celle-ci «  pourrait se modeler sur la distinction entre la liberté-autonomie et la  liberté-participation. En effet, dans la conception libérale, les libertés et franchises universitaires sont entendues comme protectrices de l’Université contre le monde extérieur : elles correspondent alors à une liberté-autonomie car elles constituent une garantie négative, une borne à toute intervention extérieure. En revanche, dans la conception fonctionnelle, les libertés et franchises universitaires pourraient être comprises comme une liberté-participation : elles permettraient à l’Université de participer à la vie de la société, c’est-à-dire d’assumer en collaboration avec l’État et les groupes économiques et sociaux, le développement de la société»[94]. Mais, on avouera être sceptique à l’égard de cette proposition de redéfinir les libertés universitaires et d’accepter le couple de l’Université ouverte/liberté autonomie comme celui représentant l’avenir radieux des Universités. Ceux qui accepteraient de troquer leur « liberté-autonomie » pour une « liberté-participation » seraient à coup sûr les victimes d’un jeu de dupes car la prétendue liberté de participer des universitaires est la principale victime des réformes de ces dernières années dans l’Université française où l’universitaire de base devient le spectateur impuissant de son propre dessaisissement[95].

 

De ce point de vue, la loi LRU accentue encore cette tendance à la réduction de la liberté collective. En effet, elle a dépossédé les universitaires des droits les plus élémentaires en ce qui concerne la liberté corporative, dont on a vu plus haut qu’elle était la garantie institutionnelle de la liberté académique. Elle l’a fait, d’abord et surtout en matière de recrutement, point-clé dans l’architecte de toute université. En remplaçant les commissions de spécialistes par des comités de sélection, choisis par le président, en faisant d’un conseil d’administration restreint le jury de concours et en accordant un droit de veto au président , la loi LRU et le décret n° 2008-333 du 10 avril 2008 ont gravement porté atteinte au principe de cooptation par les pairs qui constituent l’une des garanties essentielles de la liberté académique (principe de l’auto-régulation)[96]. Elle l’a fait aussi, ce qui est aussi grave, à propos du système de gouvernance de la loi LRU qui revient à instaurer « la dictature quadriennale d’un groupe »[97]. Or, cette concentration des pouvoirs, gestionnaire et académique, est totalement contraire à ce que doit être l’organisation d’une véritable Université. L’exemple américain, toujours pris à contre-sens par les décideurs français, prouve tout le contraire : une université et les universitaires se gouvernent par la « persuasion » et non pas par la contrainte »[98].

 

Comme on le voit, il est hors de question de redéfinir la liberté académique sous l’angle de la liberté-participation qui opère comme un leurre. En réalité, l’Université comme institution, et non comme simple organisation, justifie en dernière analyse l’octroi aux universitaires de la liberté académique qui est et doit rester une liberté-autonomie. Celle-ci est le moyen adéquat à l’Université qui est au service non pas seulement de la société, mais de la vérité, ou plus exactement de la recherche de la vérité. Ou pour le dire autrement : c’est parce qu’elle sert à rechercher la vérité, et à enseigner cette recherche que l’Université sert la société. Il est donc justifié d’accorder aux universitaires ce privilège de la liberté académique, mais encore faut-il que ceux-ci soient à la hauteur de ce privilège.

 

B/ Les limites de cette liberté : liberté académique et la déontologie professionnelle

 

On commencera, si on nous y autorise, par raconter une anecdote qui est à l’origine de ces dernières réflexion sur la liberté académique. Lors de la contestation, inusuelle, aussi longue que massive, du décret statutaire, il m’a été rapporté — et c’était un reproche indirect à l’égard de mon engagement contre ce décret — que certains universitaires revendiquaient le droit de s’opposer à la modulation de service et à la gestion locale des carrières (prévus par ce décret) au nom précisément des libertés universitaires. Le problème tient à ce qu’il s’agissait parfois des mêmes universitaires dont l’activité de recherche était très faible ou dont l’implication dans la vie universitaire était très légère. Autrement dit, pour cette minorité d’enseignants protestataires, les libertés universitaires servaient à justifier le maintien du statu quo.

 

Or, la thèse que nous voudrions ici défendre est que les libertés universitaires ne sont pas — et ne doivent jamais — être le paravent derrière lequel pourraient se cacher ceux qui ne respectent pas du tout la déontologie universitaire. De même, les étudiants ne peuvent pas davantage se retrancher derrière ces libertés ou les « franchises » pour justifier la séquestration de présidents d’Université, et même le fait de les molester et pire encore de les humilier publiquement par des actes de violence[99]. Déjà à la fin des années 1960, un universitaire progressiste américain, Sydney Hook, avait fermement condamné les agissements violents des étudiants à Berkeley en proposant de distinguer entre liberté académique et anarchie académique[100]. On ne peut que reprendre à notre compte cette dernière distinction et l’appliquer au cas français. C’est ce que le Doyen Vedel a rappelé en écrivant après mai 68: « Les franchises universitaires ne sont que des moyens au service de ces fins. Dès qu’elles sont détournées de celles-ci, elles perdent leur dignité et leur raison d’être »[101]. La logique des droits et des devoirs devrait inspirer le comportement de tout membre de la communauté universitaire, enseignant et étudiant. Ainsi, comme toute liberté, la liberté académique connaît des limites qui sont à la fois internes et externes.

 

Par limites externes, on songe aux limites fixées par le droit et qui s’imposent à tout universitaire parce qu’il est un citoyen comme les autres. Il en découle qu’un universitaire ne peut pas invoquer la liberté académique pour se soustraire à l’application du droit commun, du droit étatique. Elle n’est plus un privilège d’extra-territorialité et les bâtiments universitaires ne sont pas un lieu d’asile. C’était déjà cette règle élémentaire que le Doyen Vedel rappelait aux étudiants post-soixante-huitards en se fondant sur le principe d’égalité des citoyens : « Elles [les franchises universitaires] n’ont pas été instituées pour la commodité des seigneurs – professeurs et étudiants – distingués de la foule des manants. Leur but est de permettre un fonctionnement libre et satisfaisant de ce grand service public national qu’est, malgré tout l’Université »[102]. Le rappel de la règle visait à l’époque les étudiants politisés, révolutionnaires et contre-révolutionnaires. Mais elle vaut aussi au premier chef pour les enseignants, les universitaires. Elle aurait dû être rappelée en 1994 à l’ancien Doyen de la faculté de droit d’Aix en Provence, qui s’était réfugié, avec ses avocats, dans son bureau pour résister aux gendarmes venus l’arrêter avec un mandat d’amener[103]. Un tel comportement ne peut pas s’abriter derrière la notion de liberté académique qui ne signifie pas une exemption des règles de droit commun et des règles de droit pénal. De même, bien qu’il jouisse de la liberté d’expression, un universitaire français ne peut pas violer les règles sur l’injure, la diffamation, l’incitation à la haine raciale, ou le négationnisme. L’affaire Notin, du nom de ce maître de conférences en économie qui avait glissé, « en douce », des propos négationnistes dans un article publié dans une revue d’économie renommée en est la preuve la plus manifeste[104]. Le Conseil d’État a jugé légale la sanction disciplinaire prononcée contre cet enseignant au motif que celui-ci n’avait pas respecté les « principes de tolérance et d’objectivité » qui sont les limites fixées par la loi Savary (art. 57) à la liberté d’expression des enseignants du supérieur[105].

 

Mais le plus intéressant pour comprendre la liberté académique concerne les limites internes, celles qu’impose la déontologie universitaire, fixant les devoirs que tout universitaire doit respecter sa carrière durant. Certains de ces devoirs sont parfois codifiés par la loi. C’est le cas en partie en France avec la loi du 26 janvier 1984 (loi dite Savary) qui contient deux dispositions relatives aux libertés universitaires et à leurs limites (art. 3 et art.57). Mais l’on s’intéressera ici aux normes déontologiques non étatiques, à celles qui font l’objet d’une régulation interne à la corporation[106]. Ici encore, la réflexion de Georges Vedel reste un précieux secours quand il observe: « Aucun privilège ne s’est gardé sans être l’autre nom de grands devoirs. »[107]. Elle peut être complétée par le savoureux codicille de Jacques Mourgeon : « les privilèges dont bénéficie l’universitaire à raison de sa qualité de penseur savant l’enjoignent de faire de sa pensée un savant usage »[108]. En d’autres termes, les libertés universitaires ne sont concevables que si les universitaires eux-mêmes accomplissent leurs obligations professionnelles.

 

Certains auteurs ont même proposé de repenser la catégorie de la liberté académique en cessant d’y voir un droit, mais en y voyant une « liberté responsable »[109] et plus exactement « l’assignation d’un devoir : celui de cultiver la liberté de l’esprit et le développement des sciences et de la culture, tout en assurant à travers l’enseignement sa plus large diffusion possible »[110]. Toutefois, même si l’accent mis sur les devoirs, ou les obligations est tout à fait important, il convient d’éviter de penser la question de la liberté académique en termes exclusifs de droit ou de devoir. Tout comme elle n’est pas un droit de l’homme au sens juridique, elle n’est pas un « devoir ». Elle est plutôt une liberté, mais une « liberté professionnelle » qui est régulée par l’éthique universitaire et donc par l’action de la communauté universitaire sur elle-même. En France, il est notoire que cette autorégulation n’est pas dans nos usages, probablement à cause du statut de fonctionnaire d’État des universitaires. Dans notre pays, la tradition était, naguère, plutôt de faire confiance à une sorte d’autolimitation des universitaires et à faire appel à leur conscience morale[111]. Telle était la façon dont raisonnait Georges Vedel en 1960 ; il faisait l’éloge des libertés universitaires, mais en appelait aussi les universitaires à la conscience de leur devoir. Universalisant probablement son point de vue et sa pratique de juriste universitaire, il écrivait : « Nous n’avons la liberté juridique de ne rien faire – hors le cours rituel – qu’autant que nous travaillons plus que si l’on mesurait notre rendement : nous n’avons celle de coopter qu’autant que nous repoussons le népotisme et l’esprit de caste ; nous n’avons le droit de régler nous-même la marche de nos établissements ou de nos études qu’autant que nous recherchons l’intérêt des étudiants et de la science ou de la culture : nous n’avons la faculté de pratiquer des professions annexes qu’autant que la quête de l’argent ne nous stérilise pas et que nous savons tout lâcher – le dossier, le client, l’article de journal – pour cet étudiant de première année qui frappe à notre porte. Mais de cela personne n’est inquiet »[112].

 

Il n’est pas certain que, de nos jours, l’on puisse être aussi serein sur le degré de sérieux de tous les universitaires ; il est patent que certains d’entre eux méconnaissent leurs obligations professionnelles et font passer bien d’autres choses avant l’intérêt de leurs propres étudiants. Certains universitaires, un peu plus courageux que la moyenne, ont osé se demander publiquement, à propos de tel ou tel collègue universitaire, devenu parallèlement un praticien professionnel si « « sa voyagite et son affairisme ne l’amenaient pas à négliger sa fonction primordiale, l’enseignement »[113]. Sans entrer ici dans les raisons qui expliquent ces attitudes, notamment la paupérisation du statut, la grande anomie dont souffrent beaucoup d’Universités françaises contribue à cette dégradation de l’éthique universitaire qui consiste à faire passer, chez certains, l’Université au second rang de leurs préoccupations professionnelles. D’un autre côté, les dérives de certaines sections du Conseil national des Universités laissent penser que le corps se régule mal. Il suffit de penser à la désolante affaire des auto-promotions au sein de la section de sociologie du CNU (19) qui a conduit, au mois de septembre 2009 à la démission de onze membres en signe de protestation contre les abus commis par la majorité de la section.

 

Comme il n’y a pas de régulation « professionnelle », la seule sanction de comportements indélicats est d’ordre disciplinaire. Toutefois, le recours au droit disciplinaire n’est pas une solution satisfaisante car il « juridicise » à l’excès des comportements qui relèvent des mœurs et de l’éthique, sans compter le risque de protection corporatiste qu’il contient. A cet égard, l’alternative entre l’autolimitation et le droit disciplinaire étatique est insatisfaisante, car le sens de l’autolimitation varie suivant chaque individu de sorte que les moins vertueux, les « free-riders », sont les grands gagnants de la partie. Sous cet angle, l’expérience américaine est intéressante à observer parce qu’on y découvre un lien intrinsèque entre la liberté académique et la déontologie universitaire, comme l’indique le contenu. des déclarations de 1915 et de 1940 sur cette liberté[114] . Ce n’est pas l’État, mais l’Association américaine des professeurs d’Université (AAUP) qui a veillé à faire appliquer la déontologie en élaborant une casuistique très fine de la liberté académique[115].

 

La proposition qui découle des propos précédents est d’une grande simplicité : si la liberté académique est justifiée par la haute idée qu’on doit se faire de l’Université, elle n’équivaut pas à un privilège absolu conféré à des universitaires irresponsables. Le maintien d’un tel privilège est indispensable mais il ne peut être revendiqué par les universitaires qui travestissent la liberté académique en anarchie académique. « Noblesse oblige ! » La liberté académique comme liberté professionnelle, doit être encadrée par des obligations professionnelles qui sont constitutives de l’exercice du métier.

 

***

 

Pour conclure cette conférence, je reviendrai à la situation actuelle en France issue de la loi LRU et je partirai d’une interview accordée au Figaro par le président de l’Université de Clermont I, partisan zélé de la loi LRU. Conformément à l’idéologie à la mode, il a déclaré qu’il fallait gérer l’Université « en partie comme une entreprise » ajoutant ce commentaire hautement significatif : « Nous élaborons un système de prime pour les responsables de formation et d’équipes de recherche, car ce sont eux qui mouillent leur chemise »[116]. La question est de savoir quels sont les critères pertinents pour décider de l’investissement dans le métier d’universitaire. Qui va donner ses critères  et les interpréter ? Est-ce qu’un universitaire qui écrit un ouvrage ou plusieurs articles, sans rien faire de ce que veut lui faire faire son président, « mouille sa chemise » ou non ? En lisant de tels propos qui émanent d’un président en exercice, on a donc raison de s’inquiéter du risque de « caporalisme » contenu dans la loi LRU. Ce n’est probablement pas un effet du hasard si, au même moment, d’autres présidents commencent à vouloir imposer une interprétation stricte de l’obligation de résidence, y compris pour des universitaires qui sont mariés et dont le conjoint, lui-même fonctionnaire, est astreint à résider dans une autre ville.

 

Loin d’être celui d’un garde-chiourme ou celui d’un super directeur des ressources humaines, le rôle d’un président d’Université devrait être celui d’un gardien de la liberté académique. C’est ainsi que le président de l’Université de Stanford conçoit son rôle lorsqu’il fait observer à l’un des professeurs, de son université : « We are here to protect your time »[117]. On suggérera bien modestement au président de Clermont I de s’inspirer également des autres propos d’un ancien responsable de l’Université Columbia de New York selon lesquels « personne ne parle pour l’université, pas même ses chefs officiels. Le président, le provost, et le conseil d’administration (board of trustees) ont la responsabilité de conduire la politique de l’université sous leur autorité, mais l’essence de l’université est dans ses voix multiples : celles de ses facultés, de ses étudiants, de ses chercheurs, de ses professeurs. »[118]

 

La principale leçon qu’on peut tirer de cette étude sur les libertés universitaires, requalifiées de liberté académique, c’est le caractère indissociable du métier d’universitaire et de la liberté qui s’y attache. La loi LRU a méconnu une telle leçon règles et c’est pour cette raison qu’elle restera comme une tache indélébile dans l’histoire de l’Université française.

Texte des débats ayant suivi la communication

 

[1] « Les libertés universitaires », Revue de l’enseignement supérieur, 1960, n°4, pp. 134-139.

[2] En fait, Vedel était probablement ce jeune professeur tandis que le maître plus ancien était Gaston Jèze qui lui proposa d’aller travailler après-guerre chez Renault où il aurait gagné cinq fois plus. Cette anecdote est racontée par Georges Vedel dans ses souvenirs confiés à France Culture : « Itinéraire (I), Conversations avec Marc Riglet », Commentaire, N°85 (Printemps 1999) p.8.

[3] « Les libertés universitaires », Revue de l’enseignement supérieur , 1960, n°4, p. 134.

[4] Une universitaire, militante du SGEN, m’a reproché dans un texte ayant circulé sur internet, d’avoir cité, dans la Note pour QSF du 5 décembre 2008 « sur le projet de décret modifiant le décret du 6 juin 1984 portant statut particulier des enseignants-chercheurs (site : http://www.qsf.fr.pdf.QSF_Note_Beaud_statut.pdf) l’article de Jean Rivéro (« Droits et obligations de l’universitaire », Revue de l’enseignement supérieur, 1960, n° 4, p. 128 et s.) et d’avoir ainsi succombé à une sorte de nostalgie réactionnaire. Comme si l’on était « réactionnaire » parce qu’on regrettait une liberté perdue ! …

[5] Voir en premier lieu l’aveu de Georges Vedel qui estime en 1999 que l’Université est « moins libre aujourd’hui peut-être qu’elle ne l’était à l’époque » « Itinéraire (I) » p. 8 et, en second lieu, les notations d’un éminent spécialiste des libertés publiques, Jean Morange, « La liberté du professeur des facultés de droit », in Le droit administratif. Permanences et convergences. Mélanges en l’honneur de Jean-François Lachaume, Dalloz, 2007, pp. 755-775.

[6] Jonathan Cole, « Academic Freedom at Fire », in Dædalus, Spring, 2005, p. 6.

[7] Une anecdote suffira, je l’espère, à établir cette ignorance des universitaires français sur leurs propres libertés. En naviguant sur internet, j’ai découvert un article, écrit par deux universitaires belges, Julie Allard, Maria Puig de la Bellacasa, « Pourquoi la liberté académique » (in J. Allard, G. Haarscher M. Puig de la Bellacasa (dir.) L’université en question. Marché ses savoirs, nouvelle agora, tour d’ivoire ? Bruxelles, Labor 2001, pp. 233-238). N’ayant pu accéder qu’à une partie de ce texte, j’ai voulu le lire en entier et donc consulter le livre collectif dans lequel il avait été publié. Celui-ci a pour titre « l’université en questions » et il est publié en français à Bruxelles aux éditions Labor. La lecture du catalogue SUDOC, qui recense tous les catalogues des bibliothèques universitaires français, apprend qu’il ne figure dans aucune d’elles ! Autrement dit, ce seul livre un peu récent qui contient une partie entièrement consacrée à la liberté académique (près de 200 pages), n’est pas accessible en France. Je dois à Julie Allard la chance d’avoir pu le consulter et je la remercie vivement pour l’envoi du livre.

[8] Les libertés et franchises universitaires en France, thèse de doctorat en droit, Lille II, 1971, 2 tomes, , 763 p., dactyl.  Travail qui reste l’œuvre de référence dans la littérature juridique, même si elle n’a malheureusement jamais été publiée.

[9] Il suffit pour s’en convaincre de lire certains écrits de Georges Vedel qui a été à l’origine directe de la fameuse décision du Conseil constitutionnel du 20 janvier 1984. Dans un article, postérieur à cette décision, il écrit que « — le Conseil constitutionnel en a récemment tiré les conséquences — l’indépendance (des professeurs de l’enseignement supérieur) est l’essence même de leur statut ». « Défense et illustration de l’Université napoléonienne », in Mélanges offerts à Pierre Raynaud, Dalloz, 1985, p. 797. Dans son article de 1960, déjà cité, il précisait les sources multiples de ce principe : « l’indépendance du corps universitaire, l’auto-gestion de l’Enseignement supérieur reposent bien autant sur une tradition et sur des moeurs que sur des textes. ». « Les libertés universitaires », p. 138.

[10] Thèse précitée, 1979, p. 51-52.

[11] Matthew W. Finkin and Robert C. Post, For the Common Good, Principles of American Academic Freedom, Yale Univ. Press, 2009. Ce livre est collectif, mais la partie la plus théorique du livre est tirée de l’article antérieur de Robert Post, « The Structure of Academic Freedom », in Beshara Doumani (ed), Academic Freedom after September 11», New York, Zone Books, 2006, pp. 71-105.

[12] B. Toulemonde, thèse précitée pp. 7 et s.

[13] Toulemonde, thèse précitée, t. I, p. 8.

[14] On renvoie ici à la démonstration effectuée par le Doyen Vedel dans les articles déjà cités plus haut.

[15] On répète à l’envi que les universitaires n’auraient pas protesté contre la loi LRU. C’est faux. Il serait plus juste de dire qu’on ne les a ni entendus ni même voulu les écouter. En témoignent pour le premier cas, l’article rédigé par Antoine Compagnon, président de Qualité de la Science française ( QSF), et publié dans Le Figaro du 3 juillet 2007, « Université : l’autonomie n’est utile que si elle favorise la concurrence » et, pour le second cas, l’autre, article signé par plusieurs membres de Qualité de la Science française: M. Baratin et alii, « Réforme de l’Université : autonomie ou autocratie ». Mensuel de l’Université, décembre 2007. L’article n’a pas trouvé preneur dans les journaux de la presse quotidienne, et c’est cette revue électronique qui l’a, heureusement, accepté.

[16] C’est le titre de l’article précédemment cité de M. Gauchet, op. cit. , p. 39.

[17] On ne s’attardera pas ici sur le fait que l’autonomie, proclamée par la loi du 10 août 2007, est limitée à l’autonomie de gestion. Il s’agit en réalité d’une autonomie largement fictive à cause de la lourde tutelle financière de l’Etat. Comme le note aussi M. Gauchet «  Notre autonomie à la française ne sera donc qu’une autonomie de gestion à l’intérieur de la dépendance financière et du contrôle politique final qui va avec. » (Ibid.) . Il en résulte que les Universités « négocient » certes avec le ministère, mais avec un pistolet sur la tempe !… C’est la tendance lourde de l’histoire des universités en France, comme le note judicieusement Jean-Louis Halpérin note judicieusement sur les limites de la liberté corporative : « Il ne suffit pas d’avoir des enseignants cooptés qui élisent leurs chefs pour que les institutions universitaires jouissent d’un véritable « self-governement » comme Jules Ferry l’évoquait dans une circulaire de 1883 (..). Il faut encore que les établissements, dotés d’une personnalité morale autonome, soient maîtres de leurs biens, de leur budget et du choix de leur politique scientifique. C’est ici que l’autonomie a eu le plus de mal à progresser, notamment en France, avec un financement des institutions universitaires dépendant très majoritairement de l’État. » « Les universités au sein de l’enseignement supérieur : perspectives historiques et comparées », in Charles Fortier (dir.), Université et universités, à paraître, 2010. Je remercie son auteur de m’avoir envoyé sa communication au colloque de Besançon précité  avant sa publication.

[18] V. notamment voir livre de R. Hofstadter, W. Metzger, The Development of Academic Freedom in the United States, Columbia Univ Press, New York, 1955.

[19] Karl Jaspers, De l’Université [Die Idee der Universität, 1946], traduit de l’allemand par Ingeburg Lachaussée, préface de Jan Spurk, Lyon, Parangon/Vs, 2008.

[20] Voir par exemple la définition même des libertés universitaires donnée par Bernard Toulemonde : « Les libertés et franchises universitaires constituent des garanties et des prérogatives accordées au service public de l’enseignement universitaire pour lui permettre d’accomplir, dans les meilleures conditions, les missions qui lui sont confiées. » Thèse précitée, tome I, p. 32.

[21] L’origine de la première Déclaration américaine en faveur de la liberté académique (1915) remonte au licenciement d’un professeur d’économie par Jane Stanford qui avait co-fondé avec son défunt mari, Lelan Stanford, l’Université qui porte le nom de leur fils prématurément décédé.

[22] CEDH , Req. n° 39128/05, Lombardi Vallauri c/ Italie, 20 oct. 2009 (site internet : www.echr.coe.int). Je remercie vivement Patrick Wachsmann de m’avoir signalé cet arrêt très récent de la Cour de Strasbourg.

[23] Pour le régime de Vichy et l’expulsion des universitaires juifs, voir le livre de Claude Singer, Vichy, l’Université et les juifs. Les silences et la mémoire, Paris, Les Belles Lettres, 1992, pp. 139 et s.

[24] « Ces libertés universitaires recouvraient dans une certaine mesure ce que nous appellerions aujourd’hui la liberté d’enseignement, celle-ci restant cependant toujours soumise à un strict contrôle d’orthodoxie de la part de l’Eglise. Mais elles désignaient surtout le droit de vivre et de travailler en paix, en échappant aux impôts urbains, aux réquisitions militaires et, plus encore, aux tribunaux locaux, à leurs sergents et à leurs prisons. 
Les libertés universitaires empruntèrent beaucoup aux libertés ecclésiastiques: étudiants et maîtres, qu’ils fussent, ou non, hommes d’Eglise, furent assimilés à des clercs relevant de la seule justice ecclésiastique, réputée plus équitable. Mais ils échappèrent aussi largement à la justice ecclésiastique locale, n’étant justiciables que devant leur propre institution — les professeurs et le recteur, chef élu de l’université — ou devant le pape ou ses délégués. 
Les libertés académiques marquèrent donc l’émergence d’un droit propre, qui ménageait aux maîtres et aux étudiants une place à part dans la société. Ce droit était le même, à travers l’Occident, pour tous ceux qui appartenaient à ces institutions supranationales que furent, par essence, les premières universités. » Jacques Verger, « Comment sont nées les libertés académiques. » in Le Courrier de l’UNESCO (nov.2001), disponible sur le site de l’UNESCO.

[25] V. par exemple le constat suivant : « Ainsi, les libertés universitaires s’attachent tout à la fois à l’institution et à ses membres auxquels il appartient de les défendre contre les pouvoirs les plus menaçants, les pressions les plus diverses, les tentations les plus alléchantes. » S. Caporal, « Les libertés universitaires », p. 548.

[26] G. Vedel, « Les libertés universitaires, p. 136.

[27] R. Post, « The Structure of Academic Freedom », p. 72. Dans le même esprit, un autre universitaire américain, Sydney Hook a donné une définition assez similaire en désignant la liberté académique comme étant « la liberté de personnes professionnellement compétentes (qualified) de chercher, découvrir, publier et d’atteindre la vérité comme ils la voient, dans le domaine de leur compétence. » Il ajoutait : « Une telle liberté n’est sujette à aucune surveillance ou à aucune autorité, à l’exception de celles des méthodes rationnelles par lesquelles les vérités et conclusions sont recherchés et établies dans ces disciplines ». [« What is academic freedom ? Briefly, it is the freedom of professionnally qualified persons to inquire, discover, publish, and reach the truth as they see in the field of their competence. It is subject to no control or authority except the control or authority of the rational methods by which truths or conclusions are sought and established in these disciplines] » S. Hook, Academic Freedom and Freedom Anarchy. New York, p. 14.

[28] C’est – note Syndey Hook – « the right of professionnaly qualified persons. That makes is a special, not general or universal right ; it is a right that must be earned. » Op. cit p. 15. Voir, dans le même sens, la formule de Edward Shils, «Academic Freedom is a qualified right; it is a privilege enjoyed in consequence of incumbency in a special role and academic role, and it is enjoyed conditionally on conformity with certain obligations to the academic institutions and its rules and standards ». « Do We Still Need Academic Freedom ? », The American Scholar, 62 (Spring 1993), p. 189.

[29] Formule du philosophe John Anderson, « The place of academic in modern society » (1957) In D.Z. Philipps (ed). Education and Inquiry, Oxford, Basic Blackwell, 1980, p. 220. Cité par Dennis Hayes, « Editorial », British Journal of Educational Studies, VoL 57 (June 2009), p. 107.

[30] M. Finkin, R. Post, op. cit. p. 7.

[31] « Les libertés universitaires » (1960) p. 134.

[32] Ibid. p. 136.

[33] La formule est de Thomas L. Haskell dans un article où il retrace les origines de la conquête de la liberté académique aux Etats-Unis, « La justification de la liberté académique à l’heure du pouvoir/savoir » in L’université en questions, p. 251.

[34] La suite de la citation est : « Si aux pouvoirs abusifs de l’Etat, auxquelles les universitaires cherchaient à se soustraire par le biais d’un privilège académique, s’ajoutent aujourd’hui des pouvoirs d’ordre économique, l’université doit pouvoir bénéficier, à leur égard, d’une certaine liberté ou, en termes strictement libéraux, d’une marge de manœuvre. Car une logique économique de rentabilité, qui tend à dominer la société ou qui lui sert d’étalon de mesure, n’est pas toujours celle de l’université. » J. Allard et M. Puig de la Bellacasa, « Pourquoi la liberté académique ? », in L’université en questions, p. 234.

[35] On renvoie au premier chapitre du livre de Finkin et Post pour illustrer cette idée en Europe et aux Etats-Unis, op. cit. pp. 11-27.

[36] Il me semble que Michel Freitag effectue le meilleur diagnostic quand il écrit : « qu’advient-il de la liberté académique lorsque le “pouvoir social“ ultime n’est plus localisé dans les pouvoirs politiques et religieux traditionnels et autoritaires, mais directement dans la puissance ou la toute-puissance immédiate de l’économie, et plus largement, des « organisations“ et des “systèmes“ autorégulés qui émanent directement de la société civile ». M. Freitag, « Liberté académique : défense d’un droit acquis ou obligation d’un engagement responsable pour l’avenir de la civilisation ? » in J. Allard, G. Haarscher, Puig de Bellasca , L’université en questions, p. 330.

[37] M. Freitag, « « Liberté académique .. », p. 331.

[38] Titre d’un article co-rédigé avec A. Guyaux et Ph. Portier, « Contre l’instrumentalisation de l’Université ». In Commentaire, N°96, Hiver 2001-2002, pp. 815-827 dans lequel nous reprenions en partie le schéma de compréhension proposé par Michel Freitag dans son ouvrage fondamental, Le naufrage de l’Université et autres essais d’épistémologie, Paris, La Découverte/Mauss, 1995.

[39] V. pour une synthèse éclairante, v. Jean-Claude Casanova, « L’Université française du XIXe au XXe siècle. Sept thèses pour expliquer son histoire », Commentaire, n° 117, (Printemps 2007), pp. 193-204.

[40] C’est ce que note Pierre Gerbod, « Die Hochschulträger », in Walter Rüegg (hrsg), Geschichte der Universität in Europa, Band III, Münich, C. H. Beck, 2004, pp. 93-94. Il existe une version anglaise de ce livre de référence (en 3 forts volumes) qui n’a pu être traduit en français, comme me l’a confié Christophe Charle, alors qu’il est issu d’une initiative européenne (l’association européenne des présidents d’Université), ce qui en dit long aussi sur l’intérêt porté en France à la question universitaire.

[41] « L’Etat n’a pas compétence pour prendre en régie directe la haute culture. Le domaine administratif forme un ensemble planifié où il appartient à la puissance publique de faire prévaloir ses exigences. Elle peut, elle doit gérer les finances nationales, l’instruction publique, la défense militaire et civile. Mais la haute culture échappe à la contrainte. Les aventures de l’esprit, la haute recherche, la formation supérieure constituent le domaine réservé de cette enquête fondamentale de l’homme sur le monde et sur lui-même, qui se poursuit d’âge en âge, sans considération de frontières, à travers la diversité des civilisations. L’autonomie de la vie intellectuelle est un fait. On doit constater qu’en France, elle n’est pas de droit ; L’Etat n’a pas tenu à son honneur d’accorder une pleine liberté à l’enseignement supérieur. « L’Université en question, Paris , Payot, 1964, p. 158.

[42] « Les libertés universitaires », 1960, p. 138. Vedel reprendra cette thèse dans son article précité sur l’Université dite napoléonienne. Dans sa conférence précitée au colloque de Besançon, Jean-Louis Halpérin a contesté, sur la foi de la consultation des archives, cette thèse « vedélienne ». Eternel conflit entre le témoignage, subjectif, d’un acteur et les sources écrites. La question mériterait d’être creusée : les traditions universitaires ont-elles imposé dans la première moitié du XXème siècle l’existence de véritables libertés universitaires ?

[43] La citation entière est la suivante : « On estimait que l’enseignement devait être exempt des influences politiques, que la recherche scientifique devait être objective, que l’on ne devait pas endoctriner, mais former une intelligence critique : c’était cela, la laïcité. Et pour garantir cette vocation spécifique de la science, l’Université avait été dotée d’institutions qui lui assuraient indépendance et autonomie, non pas entières, mais sur le plan local, et la relation avec les volontés de l’Etat n’était que lointaine et souple. » J. Ellul, « L’Université à Canossa », Le Monde, 14 octobre 1953.

[44] Le témoignage de Georges Vedel est ici aussi instructif sur le droit d’avant Mai 68 : « C’est ici le lieu de rendre hommage à ceux qui ont permis que cette tradition se formât. Car enfin tel ministre eût pu revendiquer les prérogatives que la loi lui reconnaît; plus encore, tel Directeur général de l’Enseignement supérieur, tel chef de service responsables eussent pu, appuyés par les textes, défendre farouchement des frontières. Ils ne l’ont pas fait. Non point certes par paresse, car il est peut-être plus fatigant d’être à l’écoute d’une corporation aussi glorieusement individualiste, de s’efforcer de coordonner et de rationaliser tant d’initiatives et de projets surgis des facultés, des conseils et des commissions, de plaider auprès des Finances ou de la Fonction publique le dossier toujours ouvert des doléances, de trouver les crédits et les personnels que de trancher et de décréter. Mais de la part des hommes, ce fut sagesse et amitié ». Il est bien placé, ajoute-t–il pour « savoir qu’un directeur général est d’abord un maître aussi sensible que n’importe lequel d’entre nous à nos libertés, plus compréhensif que quiconque de nos problèmes, tourné ver les universités, les facultés, leurs professeurs et inlassablement chargés de leurs dossiers. Ses collaborateurs ne sont pas en majorité des universitaires, mais ils aiment ces services et ces corps qui leur compliquent peut-être davantage l’existence administrative que ceux qu’ils rencontreraient dans d’autres maisons et ils finissent par trouver plus de saveurs à leurs défauts qu’à des qualités plus plates et moins pittoresques. » « Les libertés universitaires », pp. 138-139.

[45] Cette absence de concertation est dénoncée, à juste titre, par Antoine Compagnon, « Examen de rattrapage », Le Débat, n° 156 (sept.-octobre 2009), p. 169. Comment pourrait-on expliquer sinon la réforme du décret statutaire qui a été ressentie comme une incroyable provocation par les acteurs du système ?

[46] Je reprends une formule utilisée par Philippe Raynaud, dans son article « Université », in Commentaire, N° spécial des 30 ans, 2008.

[47] La Revue du MAUSS, n° 33 (1er semestre 2009) L’Université en crise, mort ou résurrection ? Paris, La Découverte, contient toute une série d’articles (notamment pp. 105 à 224) qui décrivent la logique folle dans laquelle l’Université « fonctionnelle » est engagée et qui constitue une véritable négation d’un véritable lieu de savoir. Voir surtout l’excellente « Présentation » de ce numéro spécial par A. Caillé et Ph. Chanial, pp. 5-30 .

[48] Pour une présentation humoristique, ou tragiquement drôle, de la vie quotidienne d’un homo academicus français, voir le témoignage romancé d’Olivier Jouanjan, « le Carnet de Notes de Sigismond Pnine », in Pierre Jourde (dir.), L’Université : la grande illusion, Paris, Esprit des péninsules, 2007, pp. 217-263.

[49] V. R. Aron, « « De la neutralité académique », discours de réception du prix Montaigne, conféré par la Fondation F.V.S zu Hamburg, Tübingen, 1968, pp. 49-51 (fonds Raymond Aron, Paris EHESS).

[50] « Défense et illustration de l’Université napoléonienne », p. 802.

[51] V. les critiques judicieuses de Charles Fortier dans son article, « La liberté du chercheur public », in Qu’en est-il du droit de la recherche ? Colloque de Toulouse du 7-8 juillet 2008, , à paraître, p. 00.

[52] A. Compagnon, « Examen de rattrapage » op. cit.. p. 173. On a noté, à propos de l’élection à la présidence de Paris-Sorbonne, que les élections avaient été « l’occasion d’une « politisation malsaine à l’Université ». Alain Renaut, Le Monde du 31 mars 2008.

[53] Voici un extrait de cette lettre : « Les membres de l’Institut Universitaire de France manifestent leur profond attachement à l’excellence de l’IUF. Le processus de classement et de nomination en est la garantie. Ils s’indignent du manque de transparence des nominations de 2008. C’est une atteinte à la déontologie d’évaluation par les pairs qui risque de porter préjudice à la réputation nationale et internationale de l’Institut. » Déclaration des Membres des jurys IUF senior et junior 2008 (du 24 septembre 2008) qui est disponible sur internet, sur notamment sur le site Sciences de Sylvestre Huet, Libération, ou sur Wikipédia. Voir aussi la déclaration du président du jury, Elie Cohen qui, scandalisé par le procédé, contredit publiquement les déclarations du ministre relativement à la procédure de recrutement (Libération du 27 octobre 2008).

[54] Décret du 25 mars 2009, JORF n°0075 du 29 mars 2009, texte n° 26.

[55] V. l’article de M. Lallement , C. Lazerges, Ph. Milburn,  « Nous contestons la nomination de M. Bauer », Le Monde du 12.2.2009 et la pétition intitulée : « $« Pourquoi nous ne voulons pas de la “ nouvelle criminologie“ et des projets de contrôle de la recherche sur la « sécurité intérieure » dans lesquels elle s’inscrit. » M. Bauer a, répondu en soutenant qu’il était l’homme de la situation et que les attaques lancées contre lui étaient issues d’une «  campagne basée sur des motifs plus militants et politiques que scientifiques ». Le Monde du 12 février 2009.

[56] « Nous contestons la nomination de M. Bauer », Le Monde du 12.2.2009.

[57] Lettre du Directeur général du CNRS, du 21 juillet 2009. Disponible sur le site : http://www.liberteintellectuelle.net.

[58] Tous les documents sont sur le site http://www.liberteintellectuelle.net. Le lecteur peut se faire une opinion personnelle en confrontant les points de vue. Dans ses différentes prises de position publiques, Olivier Roy a toujours contesté les méthodes d’intervention de l’ingénieur général du CNRS.

[59] G. Vedel, « Les franchises universitaires » Le Monde, 17 juillet 1970.

[60] J. Lautmann. « Humaniste européen et mandarin moderniste » [à propos de [Raymond Aron], Commentaire, n°28-29, 1985 p. 98-99.

[61] Jacques Mistral, « Pour une vraie réforme de l’Université » Le Débat, n° 156, sept.-oct. 2009, p. 140.

[62] J. Mourgeon, , « La déontologie de l’universitaire » in . M. Hecquard-Theron (dir.), Déontologie et droit, dir, Presses de l’IEP Toulouse, p.176.

[63]. Déclaration de 1905, citée par Finkin, Post, op. cit. p. 38. V. aussi R. Post, « The Structure of Academic Freedom », p. 69. On ajoutera pour faire bonne mesure que l’UNESCO a rédigé le 11 novembre 1997 une « Recommandation concernant la condition du personnel enseignant de l’enseignement supérieur » à laquelle se réfère notamment l’Association canadienne des professeurs d’Université dans son texte sur la liberté académique.

[64] « La liberté académique, dans la de recherche comme dans l’enseignement, devrait garantir la liberté d’expression et d’action, la liberté de communiquer des informations de même que celle de rechercher et de diffuser le savoir et la vérité » Recommandation n° 1762 (2006) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Cité par la CEDH dans Lombardi Vallauri c/ Italie, 20 oct. 2009, p. 7.

[65] V. pour la diffusion à partir de l’Allemgne, de cette « nouvelle idée de la science » (neue Wissenschaftsidee), les remarques de Walter Rüegg, « Themen, Probleme, Erkenntnisse », in W. Rüegg (hrsg), Geschichte der Universität in Europa, Band III, pp. 25-28.

[66] Nous n’étudierons pas cette liberté du point de vue juridique. Pour cet aspect, nous renvoyons d’une part, à l’ouvrage collectif dirigé par MarieAngèle Hermitte, La liberté de la recherche et ses limites. Aspects juridiques, Paris, Romillat, 2001, et la thèse de Charles Fortier, L’organisation de la liberté de la recherche. Etude de droit public, Dijon, 2004, dactyl.

[67] Sydney Hook, Academic Freedom and Academic Anarchy. New York, Delta Book, 1971, p. 15.

[68] Ibid.

[69] De ce point de vue, on peut redéfinir la liberté de la recherche comme signifiant concrètement que « le caractère scientifique d’une recherche doit être jugée selon des standards scientifiques et non pas selon les croyances (pieties) de l’opinion publique. »  M. Finkin, R. Post, op. cit. p. 68.

[70] J. Derrida L’Université sans condition, Paris, Galilée, 2001, p 19.

[71] Ibid.

[72] Laissons la parole à une autorité scientifique incontestable : « Il est bien évident que la recherche appliquée se nourrit des découvertes de la recherche fondamentale, et que la recherche fondamentale ne pourrait pas progresser s’il n’y avait pas les progrès de la recherche appliquée. Donc, ces deux activités sont indissociables, mais sur le plan de la méthode de travail, ce sont deux activités radicalement différentes. Et ceci est très difficile à expliquer, tout particulièrement aux politiques. C’est une notion qui est totalement refusée par les politiques, qui veulent savoir pourquoi ils donnent de l’argent à un certain domaine de recherche. Et néanmoins, si l’on regarde l’histoire des civilisations, on s’aperçoit que les découvertes qui ont eu le plus de conséquences sur le plan des applications sont les découvertes de recherche fondamentale dont les auteurs n’avaient pas la moindre idée des conséquences que pouvaient avoir leurs découvertes (…) ». Pierre Joliot, L’avenir de la recherche, la recherche pour l’avenir, CD du Collège de France, Paris, Gallimard/Collège de France. Cité par Pierre Assouline dans son blog du Monde du 15 février 2009, « Recherche : ce que les hommes politiques ne comprennent pas ».

[73] L’idée d’Université, p. 17.

[74] P. Tortonese, « Éloge de l’universitaire », in RDP, 2009 n°4 (juillet-août), p. 1003.

[75] V. Descombes, « L’identité collective d’un corps enseignant », in Revue du MAUSS, N°33, 1999, p. 275.

[76] Thomas Haskell, , « La justification de la liberté académique à l’heure du pouvoir/savoir », pp. 206-207.

[77] « The starting point for understanding the rationale for academic freedom is the special nature of a university, a singular institution. » Robert O’Neil, Academic Freedom in the wired World, political extremism, corporate power, and the universities, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 2008, p. 3.

[78] Titre de l’article précité de Robert Post paru dans l’ouvrage intitulé Academic Freedom after September 11.

[79] For the Common Good. Ouvrage précité de Finkin et Post.

[80] B Toulemonde, thèse précitée , tome I, pp. 4-5.

[81] B. Toulemonde, thèse précitée , tome I, p. 5.

[82] Ibid., p. 61.

[83] La loi de 1968 est donc un compromis entre les deux conceptions, et la situation des libertés et franchises universitaires reflète cette ambiguité. B. Toulemonde, thèse précitée , tome I, p. 61.

[84] Art. 1er de la loi qui figure désormais à l’art .Art. L. 123-3 du Code de l’Education nationale : Les missions du service public de l’enseignement supérieur sont : « 1° La formation initiale et continue ;  « 2° La recherche scientifique et technologique, la diffusion et la valorisation de ses résultats ; « 3° L’orientation et l’insertion professionnelle ; « 4° La diffusion de la culture et l’information scientifique et technique ; « 5° La participation à la construction de l’Espace européen de l’enseignement supérieur et de la recherche ; 6°) la coopération internationale ».

[85] K. Jaspers, L’idée d’Université, p. 17.

[86] P. Tortonese, op .cit., p 1000.

[87] M. Finkin, R. Post, op. cit., p. 35.

[88] Ibid. p. 54.

[89] R. Brague, Au moyen du Moyen Age. Philosophies médiévales en chrétienté, judaïsme et islam, Éditions de la Transparence, pp. 49-50. Je dois à Jean-Marie Denquin la référence à cette très belle citation.

[90] Jean-Marie Denquin, correspondance privée du 10 octobre 2009.

[91] M. Finkin, R. Post, op. cit p. 80. Ils écrivent ailleurs : les institutions de l’enseignement supérieur sont « des institutions professionnelles autonomes destinées (dedicated) à créer un nouveau savoir et à éduquer de jeunes adultes en vue de les faire penser librement. » Ibid., p. 7

[92] Attitude attribuée par Guy Haarscher à Georges Gusdorf et qui le lui reproche, l’estimant « suicidaire » pour l’Université, « L’université, une aristocratie démocratique ? » in L’université en questions, Bruxelles, éditions Labor, 2001, p. 14.

[93] V. pour une utile mise au point, à partir de certains écrits de Pierre Bourdieu, le § intitulé « la fonctionnalité de l’autonomie », dans l’article de Christian de Montlibert, « Oui, chef, bien chef », in C.-A. Brisset, L’université et la recherche en colère, pp. 66 et s.

[94] Ibid , p. 62.

[95] Ce que constate avec acuité Jean Morange : « La liberté collective des professeurs est autant atteinte que leur liberté individuelle. Ils ne peuvent tout à fait ne faire partie ni d’un conseil central de l’université, ni d’un de ceux de la faculté, ni de la commission de spécialistes, c’est-à-dire être écartés de toutes les instances de décision. Leur liberté d’expression reste très large, mais leur travail quotidien est soumis à des contraintes bureaucratiques de plus en plus pesantes. La recherche individuelle qui reste dominante dans les disciplines juridiques échappe largement à toute prise en charge institutionnelle sauf si elle est déguisée en recherche collective. (..) » , « La liberté du professeur des facultés de droit », in Le droit administratif. Permanences et convergences. Mélanges en l’honneur de Jean-François Lachaume, Dalloz, 2007 p. 773.

[96] V. pour une critique percutante, André Legrand, « Pour la crédibilité du recrutement des enseignants-chercheurs», Actualité juridique du droit administratif (AJDA)., 7 septembre 2009, p. 1525-6. Pour une étude fouillée de la loi LRU, voir P.-F. Fressoz, « Les enseignants-chercheurs dans la loi liberté et responsabilité des Universités », in Terres du droit. Mélanges en l’honneur d’Yves Jegouzo, Paris, Dalloz, 2009, p. 299-330.

[97] A. Legrand op. cit.., p. 1526.

[98] V. sur ce point l’article particulièrement éclairant d’Antoine Compagnon, « Leçons américaines », in Le Débat, n° 156 (sept.-octobre 2009), pp. 99 et s., et notamment le § intitulé, « gouvernance et persuasion » pp. 109-113. Article qu’on peut lire comme une critique oblique de toutes les malfaçons de la loi LRU.

[99] Certains étudiants auraient en septembre de cette année (2009) jeté du lisier à la tête du Président de l’Université de Rennes II, (Journal radio de France Culture du 15 septembre 2009).

[100] Une partie de son livre est dirigée contre les excès du mouvement étudiant alors que l’auteur était un progressiste.

[101] G. Vedel ; « Les franchises universitaires » Le Monde, 17 juillet 1970.

[102] Ibid.

[103] Le Monde du 27 novembre 1994. Titre de l’article : « Afin d’échapper à une interpellation pour commission rogatoire, le Doyen Charles Debbasch s’est retranché dans faculté de droit d’Aix-en-Provence ».

[104] V. pour une mise au point salutaire, Cusin, « Révisonnisme et “libertés académiques », Le Monde 17 mai 1990.

[105] V. ici P. Wachsmann, Libertés publiques, Paris, Dalloz, 6ème édition, 2009, p. 656.

[106] V. M. Finkin, R. Post, op. cit., pp. 58-59.

[107] G. Vedel, , « Les libertés universitaires », p .139.

[108] « La déontologie de l’universitaire », p.179.

[109] L’expression est de Julie Allard et Maria Puig, op. cit. p. 233.

[110] M. Freitag, loc. cit., p. 329.

[111] Ainsi lit-on que « l’universitaire doit (..), par exigence déontologique, s’autolimiter, ne serait-ce que pour épargner à sa communauté la tâche rebutante de le sanctionner disciplinairement « J. Mourgeon, « La déontologie de l’universitaire »,. p. 179. La phrase est en réalité interrogative,(l’expression coupée est « ou non »), mais dans la phrase qui suit l’auteur répond par l’affirmative à cette question.

[112] G. Vedel, « Les libertés universitaires », p. 135.

[113] J. Mourgeon, op. cit. p. 180.

[114] Mis en annexe du livre de Finkin et Post, op. cit. pp. 183 et s.

[115] Faute de place, nous renvoyons pour des exemples à notre recension du livre de Finkin et de Post.

[116] «Je gère mon université comme une entreprise» , Entretien avec Philippe Delbucco, président de Clermont I, Le Figaro du 11.9.2009. Philippe de Lara a fait le sort qu’il convenait de faire à cet entretien dans son blog sur le site de l’Etudiant : « Plein la bouche », http://blog.educpros.fr/philippedelara/2009/09/18.

[117] Propos rapporté par Hans Ulrich Gumbrecht, « Im warmen Regen der Subventionen », Cicero, Mars 2009, p. 116.

[118] Jonathan R. Cole, « Academic Freedom at fire », Daedalus, n° 134/2 (Spring 2005), p. 12.

 

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