Quelles sont les réformes indispensables et urgentes pour rapprocher rapidement et durablement nos performances de celles de l’Allemagne en matière d’emploi, de compétitivité, et de finances publiques ?

Conférence à l’Académie des Sciences Morales et Politiques
Paris, Institut de France, 9 janvier 2017

par M. Denis Kessler

 

 

La démocratie française semble marquée par une malédiction qui l’empêcherait de traiter les problèmes en temps et en heure. Voltaire aurait dit, « La France arrive, arrive toujours, arrive toujours en retard ».

Le changement se produit sous le signe de l’urgence et de la crise. Les problèmes à résoudre sont rarement anticipés, et traités à temps.

Le traitement des problèmes, quels qu’ils soient, semble suivre un processus immuable : on nie le plus longtemps possible les problèmes, on les occulte, puis successivement, au fur et à mesure qu’ils s’aggravent, on s’évertue à les sous-estimer, on invoque « l’exception française » quand on montre que nos partenaires ont trouvé des solutions que l’on ne veut pas appliquer, on multiplie commissions et rapports pour gagner du temps, on procède à des pseudos concertations, et, finalement, après avoir tergiversé pendant plusieurs années, on légifère dans la précipitation avant de publier une réglementation tatillonne.

Tous les arguments sont bons en France pour ne pas traiter les problèmes à temps et à froid : « Vous voulez mettre tout le monde dans la rue » nous dit-on, « La France n’est pas prête !», « Vous voulez vraiment faire sauter le gouvernement ? », « C’est un dossier pour après les élections »… La réforme en France est souvent anxiogène, car mal préparée, mal expliquée et mal assumée. Et on la met trop souvent sur le compte de boucs émissaires voués aux gémonies. Citons pêle-mêle, l’Europe et sa Commission, la monnaie unique, la globalisation, le patronat, la pensée unique, la Chine, les élites, les marchés, le libre-échange, le capitalisme, sans oublier bien entendu « le diktat allemand ».

Omniprésente dans tous les discours politiques, la réforme est un mot valise car on peut y mettre beaucoup de choses différentes, y compris des anti-réformes. Beaucoup de soi-disant réformes ont été prises en France au cours des années passées à contre temps de l’histoire : abaissement de l’âge de la retraite alors que le vieillissement s’accélérait, réduction du temps de travail alors que l’on passait à la monnaie unique, alourdissement des prélèvements obligatoires alors que la globalisation battait son plein, augmentation du coût du travail alors que les besoins de compétitivité se faisaient pressants.

Les réformes nécessaires sont, elles, rarement assumées, portées, justifiées. Bâclées, elles sont inachevées, ce qui veut dire que les problèmes ne tardent pas à refaire surface et que les plans d’urgence, les plans de crise se succèdent de manière convulsive. C’est ainsi que le gouvernement a adopté en 2016 pas moins de cinq plans d’urgence pour les « artistes », qu’en à peine un peu plus de vingt ans nous avons adopté six plans de « réforme » des retraites, un record en Europe et dans le monde, au point que rares sont les Français qui sont aujourd’hui capables de dire dans quelles conditions ils pourront partir à la retraite et d’anticiper correctement ce départ.

 

« Frankreich is nicht reformierbar »

 

La France n’est pas réformable, titrait il y a peu la Neue Zürcher Zeitung. Entendons-le dans son double sens. D’une part, la France serait arthritique et sclérosée, ne serait plus capable de faire de vraies réformes ; elle n’aurait plus la volonté, elle n’aurait plus l’ambition, le courage de se transformer. D’autre part, elle ne saurait pas faire de vraies réformes, elle n’aurait pas la technologie nécessaire, les blocages seraient trop puissants et l’on ne parviendrait pas à les lever. Disons-le : la réforme à la française, tardive, traumatique et inachevée, ne fonctionne pas. Voilà ce que pensent nos partenaires européens. Et chaque rapport du FMI, de l’OCDE ou de la Commission insiste – sans trop d’illusion – sur le besoin impérieux de procéder aux fameuses réformes structurelles et doute de notre capacité à les mener.

Et pendant ce temps-là l’histoire avance. Personne au monde ne nous attendra. Dans le monde actuel, les Etats-Nations sont en compétition les uns avec les autres pour attirer talents, inventeurs, capitaux, investissements, projets, chercheurs, artistes… Et la compétitivité globale signifie que toutes les dimensions d’un pays contribuent à déterminer sa position, son rang et son destin dans le monde : l’efficacité de son système judiciaire ou celle de son système éducatif, la qualité de ses infrastructures, la profondeur de son dialogue social, le bon fonctionnement de ses administrations… Et lorsque toutes ces dimensions de notre organisation collective ne sont pas aux niveaux d’efficience les plus élevés, ceci se traduit inéluctablement par un ralentissement de la création de richesse, une stagnation du bien-être économique et social, un déclassement progressif du pays par rapport à ses partenaires et un malaise social s’installe.

 

Ordo-libéralisme ou keynésianisme socialiste ?

 

Ce qui frappe, lorsque l’on compare les destins de l’Allemagne et de la France, c’est l’absence de projet collectif, de vision d’ensemble, d’ambition partagée de la France, particulièrement depuis le début des années 80. A la suite de sa perte de puissance politique, l’Allemagne a très vite décidé de devenir une puissance économique, ce qui signifie outre-Rhin une puissance industrielle. C’est par sa production de richesse, sa compétitivité et donc ses exportations qu’est passée la renaissance de l’Allemagne. On peut faire un parallèle évident avec la Japon, autre vaincu de la seconde Guerre mondiale qui a fait le même pari industriel pour reconquérir un statut de puissance économique, à défaut d’être une puissance politique. Ce projet de puissance économique passe par deux voies.

La première voie est la recherche de la compétitivité du « site de production allemand », par des choix industriels adéquats, la recherche obsessionnelle de la qualité, l’impératif absolu de productivité, la passion de la technologie, ce qui se traduit par une capacité à imposer ses produits sur les marchés étrangers. In fine, balance commerciale et balances des paiements sont juges de la puissance économique retrouvée. Il s’agit que le site de production allemand soit compétitif pour y localiser activités, investissements et emplois. C’est une approche économique dominée par l’offre productive.

La seconde voie de restauration de la puissance économique réside dans la force de la monnaie et la stabilité des prix. L’inflation et les désordres monétaires de l’entre-deux guerres ayant eu des conséquences politiques désastreuses. Force de la monnaie et stabilité des prix résultent de la conjugaison d’excédents extérieurs et de la maîtrise des finances publiques.

Ces deux indicateurs sont ceux de la prospérité retrouvée. Dès cette époque, l’économique prévaut in fine sur le social. L’intérêt des entreprises coïncide avec celui de la Nation, le secteur productif est le vecteur de développement du pays, les réussites industrielles sont célébrées. Et la prospérité permettra un jour d’utiliser les ressources accumulées pour financer l’unité retrouvée du pays au travers de la réunification des deux Allemagnes. Ce qui fut espéré advint.

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’ordo libéralisme (l’école de Fribourg) a été la doctrine sous-jacente de cette vision. Cette école « insiste avant tout sur la nécessité de l’organisation économique et sociale, substituée à la direction par nature plus ou moins arbitraire de l’Etat dirigiste et interventionniste. L’idée centrale est l’établissement d’une Constitution économique et sociale déterminant les libertés mais aussi les règles auxquelles doivent se soumettre les opérateurs privés et publics. Entre la dictature du socialisme et l’anarchie du libéralisme ancien, il s’agit de créer un état de droit économique et social, cohérent avec un régime politique constitutionnel. »

Quel contraste avec notre pays pour lequel il est difficile depuis les années 80 de déterminer les fondements, les principes, les ambitions de notre projet collectif ! Le « modèle économique et social français » renvoie encore aujourd’hui au programme du Conseil National de la Résistance (il y a 73 ans !) et ses seules sources d’inspiration économique sont avant toutes keynésiennes, néo-keynésiennes teintées d’un marxisme partout ailleurs abandonné. Les gains de productivité sont redistribués avant d’être créés. Les priorités de la redistribution dominent les impératifs de production. Le secteur public hypertrophié est prioritaire. L’économie et les marchés doivent être administrés et contrôlés. La compétitivité peut s’obtenir par la dévaluation. L’inflation est un moindre mal. Le dialogue social est national et centralisé. L’absence de vision moderne est particulièrement cruelle depuis le début des années 80, et explique notre décrochage par rapport à l’Allemagne. En effet, la vision économique et industrielle de la reconstruction, gaulliste, pompidolienne, barriste disparaît avec l’alternance de 1981. Le divorce entre la Nation et ses entreprises est consommé : les entreprises sont considérées comme responsables du chômage et des difficultés sociales. L’Etat quant à lui est présenté comme l’alpha et l’oméga du bien-être social. Les entreprises, surtout les grandes, doivent être nationalisées, les autres contrôlées, ponctionnées, encadrées. Au principe d’accumulation qui avait présidé aux Trente Glorieuses est substitué le principe de répartition : répartition du temps de travail par l’abaissement de l’âge de la retraite, répartition du revenu par la hausse du SMIC et la taxation toujours plus forte des moyens et des hauts revenus, taxation accrue du patrimoine et de l’épargne (ISF, impôt sur les plus-values et sur les successions), multiplication des transferts sociaux, passage du système commutatif, les droits sociaux sont issus du travail, au système distributif – les droits sont issus de la simple citoyenneté…). Toutes ces opérations de répartition ne reposant pas sur des gains de productivité se sont traduites à l’époque par une inflation record, un creusement des déficits publics et de la balance commerciale ainsi que de la balance des paiements courants, et des dévaluations successives de notre monnaie (au cours du 20ème siècle, le franc connaît 17 dévaluations) par rapport à notre partenaire allemand, baptisées frauduleusement dévaluations compétitives, comme si elles avaient été choisies alors qu’elles n’étaient que subies. Elles étaient la trace évidente de notre impéritie collective. Le mal était fait. Nous n’avons jamais remonté les marches historiques descendues à cette époque de grand amateurisme économique et financier, à rebours de la marche générale du monde.

La sous-performance de la France par rapport à l’Allemagne est indiscutable

Au cours de ces dernières décennies, toute étude comparée entre la France et l’Allemagne témoigne d’un décrochage de notre pays, visible tant en termes de production de richesses qu’en termes de finances publiques, de compétitivité internationale, de formation.

 

La création de richesse est moindre en France qu’en Allemagne

 

Remarquons tout d’abord qu’après avoir connu pendant longtemps des évolutions quasi- similaires, les produits intérieurs bruts (PIB) par tête de la France et de l’Allemagne, c’est-à-dire les créations de richesse par habitant, ont connu deux divergences profondes [Graphique 1]. La première divergence se situe entre 1982 et 1991, époque durant laquelle le PIB français par habitant perd 8 points par rapport au PIB allemand. La seconde divergence a lieu entre 2004 et 2014, où, pour une seconde fois, ce même indicateur de PIB par habitant perd 9 points [1]. Aujourd’hui, le PIB par tête en Allemagne atteint 37.910 euros alors qu’en France il n’est que de 34.516 euros. Il y a une trentaine d’années, les deux PIB par tête étaient identiques de part et d’autre du Rhin.

 

Le taux de participation à l’activité productive a baissé en France et augmenté en Allemagne

 

Depuis 2004, la population en âge de travailler augmente plus rapidement en France qu’en Allemagne mais malheureusement le taux d’emploi baisse en France alors qu’il augmente au contraire en Allemagne ! En effet, la participation à l’activité productive des deux pays a suivi deux évolutions radicalement différentes depuis octobre 1990, date de la réunification allemande : le nombre de Français en âge de travailler a crû de 15% au cours de ce dernier quart de siècle, soit 10 points de plus que chez notre voisin allemand [Graphique 2]. Mais la France, et c’est paradoxal, avec une population en âge de travailler qui croit plus rapidement qu’en Allemagne produit moins !

Ce paradoxe est facile à résoudre. Il suffit de regarder les taux de participation à l’activité productive. On constate que depuis 2004, l’Allemagne a considérablement augmenté le taux de participation à l’activité de sa population, alors que la France a vu ce même taux de participation stagner [Graphique 4]. Cette hausse du taux de participation à l’activité productive en Allemagne se constate aussi bien en haut de la pyramide des âges qu’en bas : à la fois les jeunes et les seniors travaillent davantage outre Rhin qu’en France ! Et ceci contribue à la création de richesse. Conclusion : on a dévalorisé et découragé le travail en France, on l’a valorisé et encouragé en Allemagne surtout depuis le début des années 2000.

Une comparaison avec le Royaume-Uni est tout aussi édifiante : depuis 1980, la France s’est chaque année – ou presque – appauvrie par rapport à son voisin. Alors que les Français étaient en moyenne 17% plus riches que les Britanniques en 1980, ils sont désormais 5% plus pauvres. Là encore, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Depuis 1980, le taux d’emploi a fortement diminué en France, nettement plus qu’au Royaume-Uni. Dans le même temps, les Français ont progressivement moins travaillé que les Britanniques. Conséquence de ces deux événements, le nombre d’heures travaillées par habitant a chuté de 20 points en France par rapport au Royaume-Uni.

 

Le taux de chômage en Allemagne a fortement baissé depuis 2004 alors qu’il a augmenté en France pour atteindre actuellement 9,7% de la population active

 

Les réformes Schroeder-Hartz (à partir de 2004) ont porté leurs fruits et le taux de chômage est revenu, en Allemagne, de 11,2% en 2005 à 4,1% au troisième trimestre de l’année passée quand, en France, il est passé de 8,9% à 9,7% [Graphique 6]. Cette évolution contrastée de la France et de l’Allemagne démontre, s’il en était besoin que les politiques de flexibilisation du marché du travail, loin de déstabiliser le marché de travail comme on aime à le répéter en France, équilibrent celui-ci et qu’elles sont en mesure de réduire rapidement et significativement le niveau du chômage.

 

La France n’est pas parvenue à maitriser ses finances publiques contrairement à l’Allemagne

 

Dans ce domaine, le contraste entre les deux pays est saisissant. Depuis 1974, les finances publiques françaises n’ont pas arrêté de se dégrader. Chaque année a été marquée par un déficit budgétaire, bien éloigné des critères de Maastricht. Conséquence : La dette des administrations publiques françaises s’élève aujourd’hui à 97,9% du PIB national, alors que les Allemands ont su contenir la leur à 68,0% – en dépit du coût très élevé lié à la réunification qui a pu représenter en moyenne 4% du PIB [Graphique 12]. Rappelons que parmi les critères de Maastricht figuraient une dette publique qui ne devait pas dépasser 60 % du PIB ! Les Allemands n’en sont pas loin. Nous en sommes particulièrement éloignés.

Le déficit public perdure en France à un niveau qui ne permet toujours pas de réduire la dette, ce qui fait que la Commission européenne nous maintient en procédure de déficit excessif. Et nous risquons d’être le dernier pays à sortir de cette procédure. Ainsi, en 2015, le déficit public de la France dépassait encore 3,5 % du PIB alors que l’Allemagne a dégagé un budget excédentaire pour la seconde année consécutive. Et rappelons que ce déficit public important perdure alors que la France a connu un choc fiscal violent en 2012 et 2013, qui a déstabilisé toute l’économie. L’Etat a augmenté la pression fiscale…sans faire lui-même aucune économie. Cette méthode de réduction du déficit est déstabilisatrice et a contribué à créer du chômage.

Quel gâchis ! La France a abordé les années 2000 dans une meilleure situation des finances publiques que l’Allemagne, dont les comptes étaient encore pénalisées par sa réunification – la dette publique française en montant absolu était alors inférieure à celle de l’Allemagne –, notre pays a entièrement détruit son avantage au cours des 15 dernières années. A cet endettement massif actuel, n’oublions pas d’ajouter l’endettement des générations futures. Car, à l’inverse de l’Allemagne, la France a constitué depuis la fin des années 1990 une importante dette sociale : en France, une partie du financement des cotisations sociales est ainsi escomptée de contributions publiques futures [2].

 

La compétitivité de la France s’est dégradée alors que celle de l’Allemagne s’est renforcée

 

En termes d’échanges commerciaux et de compétitivité internationale, la situation française s’est dégradée depuis le début des années 2000. Alors que la balance des paiements courants française était excédentaire en 1999 (+3,4% du PIB), elle s’est détériorée depuis cette date, la France présentant un solde négatif de ses paiements courants depuis bientôt 10 ans [graphique 13]. A l’inverse, la balance allemande des paiements courants a sans cesse été excédentaire depuis le début des années 2000 et le solde atteint désormais plus de 8% du PIB intérieur ! Cette dynamique positive n’est pas unique : l’ensemble des pays européens a suivi cette tendance positive de leurs échanges extérieurs : aujourd’hui, l’Union européenne et la zone euro ont globalement une balance des paiements courants excédentaire de 2½ et 3¼ % respectivement. Seuls la France, la Finlande et le Royaume Uni – dont la balance des opérations courantes est depuis longtemps négative – ainsi que la Grèce et certains pays de l’Europe centrale sont à la traîne.

La France a bel et bien vu sa compétitivité internationale se dégrader. En outre, la France attire de moins en moins d’investissements étrangers : en 2015, 598 projets internationaux se sont installés en France, contre 946 en Allemagne et 1 065 au Royaume-Uni, ces derniers y générant trois fois plus d’emplois qu’en France [3]. Il y a 10 ans, nous accueillions deux fois plus de projets étrangers que l’Allemagne et presque autant que le Royaume-Uni. Selon les investisseurs internationaux [4], les principaux écueils de la France sont son niveau de charges et les coûts salariaux [graphique 14], les charges fiscales des entreprises ainsi que l’absence de flexibilité du droit du travail. Il est clair que les investissements directs étrangers restent importants en France, les « encours » d’investissement direct de l’étranger en France sont comparables avec les encours au Royaume-Uni et en Allemagne. Cependant, à l’heure actuelle les flux d’investissements sortants de France sont supérieurs aux flux entrants.

Conclusion : une richesse par tête inférieure, un déficit public persistant, un chômage nettement plus important, des soldes extérieurs déficitaires, la France a bel et bien des performances nettement inférieures à celles de l’Allemagne.

 

Le second décrochage de la France par rapport à l’Allemagne se situe au tournant du siècle

 

Après 1981, 1999 marque sans doute le début du second grand décrochage de la France par rapport à l’Allemagne et le Royaume-Uni. C’est à cette date en effet que l’on observe une évolution radicale de la doctrine sociale-démocrate en Europe. Le SPD allemand – sous la conduite de Gerhardt Schröder – et le New Labour – sous la houlette de Tony Blair – publient ensemble un manifeste qui constitue une véritable rupture avec l’approche sociale-démocrate d’après-guerre, c’est en réalité un second Bad-Godesberg. Ce manifeste est fondamental car il élabore une nouvelle doctrine sociale-démocrate : citons quelques extraits de son préambule : « nous devons mettre en œuvre nos politiques dans un cadre économique nouveau, moderne et harmonisé avec le monde contemporain, dans lequel les gouvernements mettent tout en œuvre pour soutenir les entreprises sans jamais s’arroger le droit de se substituer à ces dernières. Les mesures politiques doivent être complémentaires par rapport au rôle essentiel que jouent les marchés et contribuer à l’améliorer, mais sans l’entraver. Nous soutenons une économie de marché, et non pas une société de marché ». Le parti socialiste français fut sollicité pour s’associer à ce manifeste : et Lionel Jospin et François Hollande refusèrent de le signer, considérant ce texte comme un véritable brulot.

Gerhardt Schröder a mis en œuvre cette nouvelle politique favorable aux entreprises avec détermination à partir de 2002. Et ce n’est pas un hasard que les mesures Schröder et Hartz aient eu l’effet escompté. L’Allemagne a alors entrepris une rénovation en profondeur de ses politiques sociales qui étaient déjà auparavant nettement moins néfastes ou perverses que celles menées en France ! La France a assisté – sans réellement le comprendre – à ce virage historique de l’Allemagne. Les transformations mettent toujours du temps avant qu’apparaissent leurs résultats. C’est Angela Merkel qui bénéficia, ironie de l’histoire, des réformes courageuses de Gerhardt Schröder qui lui coutèrent la chancellerie. Quant à la France, elle accumula les retards depuis cette date, en relâchant la discipline budgétaire, et en n’entreprenant pas résolument les réformes structurelles nécessaires alors même qu’elles avaient fait leurs preuves dans d’autres pays européens, notamment outre-Rhin. La France se contenta de réformes frileuses, tardives, et incomplètes, suscitant les rites processionnaires syndicaux classiques… L’élection de 2007 aurait dû conduire à amorcer la mise en œuvre de réformes structurelles, mais elle a coïncidé avec le début de la crise financière, les ardeurs réformistes ont été douchées. Et l’alternance de 2012 conduisit à une politique économique opposée à celle qui avait fait ses preuves à l’étranger, notamment outre-Rhin. Le choc fiscal massif – s’ajoutant à un niveau record de prélèvements obligatoires – s’est traduit par une quasi-stagnation économique assortie d’une progression massive du chômage : une croissance de 200 000 chômeurs depuis 2012 (chiffres INSEE : 15-64 ans dans le halo autour du chômage). Et l’utilisation par exemple du mot de réformes pour le CICE ou les Lois Travail est abusive. L’écart avec l’Allemagne – qui a mieux géré la crise financière que nous – a continué à se creuser, et la médiocrité de nos performances s’est traduite par une sévère perte de crédibilité. Le doute s’est installé sur notre réelle capacité à nous redresser, nos partenaires s’interrogent, nous inquiétons, nous irritons… Le risque est désormais réel de passer dans le deuxième cercle du concert des nations et de déstabiliser le couple franco-allemand et, partant, l’ensemble de l’Europe.

C’est le choix de l’Europe qui a sauvé la France à la fin des années 1980, et il est pénible de voir que le débat politique actuel, évoque de nouveau comme solution à nos problèmes la sortie de l’euro, voire de l’Europe, proposition formulée aussi bien à l’extrême droite qu’à l’extrême gauche.

C’est le projet européen qui a permis de retrouver un chemin économique moins hasardeux que celui que nous avions emprunté. Et grâce doit être rendue à ceux qui ont eu le courage d’imposer la stratégie de désinflation compétitive qui nous a permis à nouveau de suivre un chemin parallèle à celui de l’Allemagne. Les tenants de cette nouvelle stratégie de rapprochement de la France avec l’Allemagne, pour approfondir l’Europe ont été qualifiés de spécialistes de la pensée unique par ses détracteurs. Le referendum ratifiant le Traité de Maastricht scellait cette volonté de se rapprocher de l’Allemagne au nom de l’Europe. Pourtant, avant d’accepter la monnaie commune, l’Allemagne, doutant de la volonté de la France, avait imposé des critères rigoureux dans le traité, traité s’inscrivant d’ailleurs dans le moule de l’ordo libéralisme, comme en témoigne par exemple l’indépendance de la Banque Centrale Européenne.

La volonté de réussir le passage à la monnaie unique a servi en quelque sorte de garde-fous aux tentations françaises permanentes de s’abstenir durablement d’une discipline budgétaire et sociale nécessaire au succès de l’Europe et de la monnaie unique. La construction européenne supposait une convergence des politiques fiscales et budgétaires pour réussir le succès de la politique monétaire et la stabilité des prix. L’inflation fut contenue, le déficit public s’établit en dessous de 3 %, grâce notamment à une conjoncture économique favorable. Mais la croissance des dépenses publiques et sociales se poursuivit, financée par la dette, donc l’émission continue de chèques sans provision tirés sur les générations futures. Et le funeste projet socialiste des 35 heures imposées par la loi fut infligé aux entreprises françaises, projet parfaitement incompatible avec la convergence européenne. On invoquait à tort l’exemple de l’Allemagne, en oubliant de dire que seules quelques entreprises d’outre Rhin s’était engagées contractuellement dans cette voie, abandonnée d’ailleurs quelques années plus tard. L’Allemagne s’était bien gardée d’abaisser la durée du travail par recours à la loi, car, ô sagesse, elle a toujours privilégié les accords contractuels ou conventionnels au niveau de l’entreprise ou de la branche plutôt que l’imposition d’une norme législative. La France se qualifia de justesse pour le passage à l’euro, comme ces conducteurs qui donnent un coup de frein avant de passer devant un radar signalé. Et comme ces conducteurs, la France abandonna très rapidement sa bonne conduite dès 2002 en demandant un assouplissement de l’application des critères de Maastricht, que malheureusement l’Allemagne nous consentit.

 

Les performances économiques de la France ne rejoindront celles de l’Allemagne que si la France procède résolument et sans délai à une profonde transformation institutionnelle et culturelle

 

Cela fait longtemps que la France ne s’est pas posé la question de son projet véritable. Le débat politique continue de tourner autour des « moyens » plutôt qu’autour des « fins ». On voit la trace de politiques qui restent avant tout d’inspiration administrative. Pourtant il y a maintenant plus de 38 années que Michel Crozier a publié son ouvrage où il affirmait qu’On ne change pas la société par décret.

La formulation d’une vision pour notre pays est d’autant plus nécessaire que le monde a profondément changé.

L’Allemagne a une vision bien ancrée, qu’elle poursuit résolument : être une grande nation industrielle, fondée sur les activités productives marchandes, dont les performances assurent l’indépendance et le respect, adaptée aux marchés mondiaux, productive et exportatrice, dont la croissance et le plein emploi assurent la cohésion sociale et nationale.

 

Plusieurs choix de vision s’offrent à notre pays

 

  • La France pourrait choisir de devenir l’exemple de La Société de la Connaissance. Elle retrouverait une tradition historique malheureusement délaissée depuis plusieurs décennies. Elle incarnerait la priorité au savoir, à la connaissance, à la recherche, à l’éducation, à la formation ; à l’intelligence sous toutes ses formes, au design, à la culture, à la mode, à l’art et à l’art de vivre.

  • La France pourrait devenir l’exemple de La Nouvelle société post industrielle, où les services jouent un rôle essentiel. De tous les types de service, dans tous les domaines, dans tous les secteurs, allant de l’hôtellerie et de la restauration, aux services financiers, aux commerces et à la distribution, aux services à la personne, sans abandonner ses atouts industriels dans les domaines à forte valeur ajoutée.

  • La France pourrait devenir l’exemple de La Société d’un Etat réinventé. Notre pays a inventé l’Etat moderne il y a deux siècles, mais s’est révélé incapable de repenser son organisation collective depuis lors. Aujourd’hui, la France pourrait définir l’organisation, le fonctionnement, le financement d’un Etat moderne, démocratique, non bureaucratique facteur à la fois de compétitivité pour les entreprises et d’efficacité pour les citoyens, capable de mener des redistributions véritables…

Une fois la vision adoptée, l’ensemble du pays devra s’engager résolument dans les nombreuses transformations nécessaires et s’y tenir. La stratégie de transformation doit être structurée autour de deux grands axes d’action.

Premier grand axe : Redresser les performances globales de la France passe nécessairement par un grand rééquilibrage au profit de la société civile

Ce qui est patent quand on compare la France à l’Allemagne, c’est le poids hypertrophié du secteur public lato sensu en France et l’atrophie corrélative de la société civile. Ceci est vrai si l’on considère :

  • les prélèvements obligatoires en pourcentage du PIB : en 2015, ils s’élèvent actuellement à 45,5% en France contre 36,9% (soit 9 points) en Allemagne [5], soit neuf points d’écart avec l’Allemagne [6] [graphique 9] ;

  • les dépenses publiques et sociales dans le PIB : en 2015, l’écart est encore plus impressionnant puisqu’elles s’élèvent à 57% en France contre 44% en Allemagne, soit 13 points d’écart avec l’Allemagne et 14 points avec le Royaume-Uni ;

  • le nombre d’agents publics en pourcentage de la population active (chiffres OCDE) : en 2011, le secteur public (administrations publiques et entreprises publiques) représentait 24,4% de la population active en France contre 14,3% en Allemagne, soit un écart du simple au double entre l’Allemagne et la France ;

Se rapprocher des performances de l’Allemagne passe par un rééquilibrage historique du poids des administrations publiques par rapport à la société civile. Il faut se donner un programme volontariste de réduction des dépenses publiques et sociales en dix ans, de l’ordre de 13 points de PIB si l’on prend comme référence l’Allemagne actuelle, qui pourrait continuer à faire des efforts. Ceci suppose notamment de réduire substantiellement le nombre d’agents publics [7] – fonctionnaires et contractuels – pour revenir à un ratio de un fonctionnaire pour sept français actifs au lieu de un pour quatre actuellement.

Ce basculement de l’Etat vers la société civile passe par des dévolutions de pouvoirs.

Aux termes desquelles l’Etat renonce à certaines activités au profit des acteurs de la société civile, ce qui suppose de définir correctement ce qui relève de l’action publique et ce qui n’en relève pas. Il ne s’agit pas de décentraliser ou de déconcentrer, mais de procéder à des dévolutions de responsabilité. Quatre dévolutions sont à cet égard prioritaires :

  • la dévolution aux entreprises tout d’abord : il s’agit de donner aux entreprises les moyens de poursuivre leur propre transformation en inversant la hiérarchie des normes du droit social de façon à ce que les relations du travail tiennent mieux compte des réalités microéconomiques du marché du travail ; le contrat au niveau de l’entreprise est supérieur à la convention au niveau de la branche laquelle est elle-même supérieure à la réglementation nationale ; c’est ce que l’on appelle la « pyramide inversée », dont la base large est contractuelle ;

  • la dévolution aux partenaires sociaux ensuite : les partenaires sociaux doivent pouvoir négocier librement dans l’entreprise dans le cadre d’un ordre public social européen, comme en Allemagne. Pour asseoir la négociation sur une base crédible et durable, il faut repenser la représentativité syndicale qui ne correspond pas à l’heure actuelle à ce qu’il nous faut ;

  • la dévolution aux régions, à l’exemple des Länder allemands : les décisions doivent être prises au plus près des citoyens et au niveau territorial qui a un sens économique et social ; pour cela, on a besoin de régions fortes et responsables financièrement, comme le sont les Länder allemands; ceci conduit impérativement à remettre en cause la dotation globale de fonctionnement ;

  • la dévolution aux acteurs de la connaissance enfin : les universités, centres de recherche ont besoin d’autonomie et de concurrence, avec les responsabilités et les pouvoirs administratifs et financiers nécessaires, pour relever les défis complexes de la société de la connaissance ; ceci signifie qu’elles doivent pouvoir décider du recrutement et de la rémunération des enseignants, du contenu des programmes, des droits d’inscription et de l’attribution de bourses.

 

En ce début du 21ième siècle, la France se doit de réinventer l’Etat, à l’instar de ce qu’elle a fait au début du 19ième siècle.

 

Revivifier la société civile ne signifie pas pour autant affaiblir l’Etat, bien au contraire car c’est l’atrophie de la société civile qui entraîne le dépérissement de l’Etat. La France qui croît en l’Etat ne peut pas laisser dépérir l’Etat, elle doit réinventer un Etat moderne. Cette modernisation passe par six transformations importantes :

  • Le recentrage de l’Etat sur ses missions régaliennes, de sécurité notamment, missions qu’il a eues tendance à négliger au profit de la redistribution et des activités économiques pour lesquelles il n’a pas réellement de compétence. Le désengagement nécessaire de l’Etat du secteur concurrentiel, permettra de dégager les ressources à ce recentrage ;

  • La clarification de la protection sociale : la construction de la protection sociale française est particulièrement baroque. Le tripartisme et le mélange des financements par impôts (CSG, taxes sur les assurances,…), cotisations salariales et cotisations employeur brouillent les responsabilités Il faut mettre fin à cette confusion et transférer la responsabilité de la protection sociale à l’Etat qui en est aujourd’hui, de fait, le véritable maître d’œuvre. Un grand régime de retraite, unifiant régimes de base, régimes complémentaires et régimes spéciaux, qui resteraient en répartition mais avec une pension calculée en points, serait le point d’aboutissement de cette transformation qui favoriserait grandement la mobilité du travail. Avec la fiscalisation du financement de la santé, dont les prestations ferait l’objet d’un cahier des charges fixé par l’Etat, de l’assurance chômage et la famille, qui seraient intégralement placées sous la responsabilité de l’Etat, cette transformation permettrait de déconnecter les choix de société et les comptes de l’entreprise, et de laisser à l’entreprise la pleine responsabilité de la gestion des rapports salariaux.

  • La réalisation de gains de productivité importants dans le secteur public, elle suppose tout à la fois de mettre fin à la logique strictement additive qui prévaut depuis l’après-guerre, de revoir le statut de la fonction publique qui a plus de 70 ans, pour lui donner beaucoup plus de souplesse d‘efficacité, et de réduire le nombre des corps qui fonctionnent en silo et qui fragmentent l’Etat… il s’agit de conférer plus de plasticité, de fongibilité et de réactivité à l’Etat et de mettre à sa disposition un personnel plus motivé ;

  • La maitrise de l’activité législative et réglementaire, aujourd’hui débridée ; on légifère trop, à tous propos ; on légifère mal. Les données disponibles montrent une activité législative et règlementaire croissante en France et largement supérieure à celle de l’Allemagne. 420 lois ont été adoptées au cours de la mandature actuelle, soit 76 lois en moyenne par an contre seulement une trentaine en Allemagne (28 lois en moyenne sur la période 2007-2008 selon l’OCDE) ; le même rapport prévaut en matière réglementaire. Il faut privilégier le contrat, voire la convention par rapport à la loi et à la réglementation, et se fixer, comme en Allemagne, un objectif d’allègement des flux et stocks législatifs et réglementaires. Voilà un vaste programme.

  • L’éradication des déficits publics et sociaux qui minent les finances collectives et obèrent l’avenir : pour résorber la dette et la ramener à 60% du Produit Intérieur Brut, il est nécessaire de dégager dès à présent un excédent primaire et un excédent tout court, notamment au niveau des comptes sociaux de la sécurité sociale et de l’UNEDIC, à l’instar de l’Allemagne… Ceci est d’autant plus nécessaire, que les taux d’intérêt vont augmenter et que le service de la dette va faire peser une contrainte de plus en plus forte sur les finances publiques.

  • Le rétablissement de l’unicité de la responsabilité politique au lieu de la présente dyarchie – ou pire, polyarchie – qui affaiblit le pouvoir tout en l’incitant à un interventionnisme intempestif… En Allemagne, le Chancelier est responsable du gouvernement, du parti et de la majorité parlementaire ; cette situation n’est probablement pas étrangère au fait que ce grand pays européen réussisse mieux que la France.

 

Deuxième grand axe : retrouver des performances proches de celles de l’Allemagne nécessite de privilégier l’accumulation par rapport à la répartition, la production par rapport à la consommation et l’offre par rapport à la demande

 

A compter du second choc pétrolier, confrontée aux dysfonctionnements croissants de son économie, l’Allemagne est revenue, après quelques expériences keynésiennes, à l’ordo libéralisme. La France est le seul grands pays industrialisé à avoir fait le choix opposé, systématiquement et constamment, à l’exception notoire de la période 1986-1988, c’est-à-dire à avoir renforcé le caractère keynésien de ses politiques économiques et à avoir privilégié la redistribution aux dépens de l’accumulation, les ménages par rapport aux entreprises. Quand l’Allemagne baissait l’imposition du travail et du capital, encourageait l’épargne, l’investissement et l’acquisition de qualifications, la France a alourdi l’imposition du travail et du capital, encouragé la consommation, le loisir et le travail non qualifié. Quand l’Allemagne valorisait l’entrepreneuriat, protégeait ses PME et renforçait le bilan de ses entreprises en promouvant leur autofinancement, la France a tardé à valoriser l’entrepreneuriat, maintenu voire renforcé l’assistanat et fragilisé le bilan de nos entreprises par une taxation excessive et des charges sociales abusives. Pour rapprocher nos performances de celles de l’Allemagne, il faut donc inverser nos priorités :

  • il faut basculer d’une économie de consommation et de répartition d’une richesse stagnante vers une économie d’accumulation et de création de richesses ;

  • Il faut passer d‘une économie qui privilégie le loisir et l’inactivité à une économie qui valorise le travail et l’effort ;

  • Il faut inverser la décélération de la productivité qui est l’une des plus marquées au sein de l’OCDE ;

 

La première inversion des priorités consiste à donner la priorité à l’épargne et à l’investissement dont nous avons besoin pour reconstituer notre stock de capital vieillissant.

 

Ce vieillissement explique la détérioration de notre compétitivité et la faiblesse persistante de notre tissu de PME par rapport au Mittelstand allemand. La relance de l’investissement productif permettra de restaurer la compétitivité du pays. Trois actions principales sont pour cela nécessaires :

  • La reconstitution des marges et des profits des entreprises : ceux-ci sont obérés par une fiscalité du capital beaucoup plus lourde qu’en Allemagne. Le taux implicite de taxation du capital s’élevait à 47% en France, en 2012 [graphique 10], juste avant le choc fiscal décidé par la majorité actuelle, soit plus du double du taux allemand (22%). L’enjeu porte donc sur une réduction de moitié de la fiscalité du capital, qui passe par une baisse substantiel du taux de l’impôt sur les sociétés ainsi que de l’impôt sur les dividendes reçus et par la suppression de l’exception française meurtrière qu’est l’ISF. mais cette baisse ne sera pas suffisante à elle seule pour relancer l’investissement, encore faudra-il s’assurer de sa pérennité.

  • Le renforcement de l’attractivité de la France comme site de production : dans le classement de la banque mondiale sur la facilité à entreprendre, la France se classe 29e et l’Allemagne 17e. Cet écart donne une idée de l’importance de l’effort à réaliser pour rendre la France aussi attractive que l’Allemagne. Pour cela, il est souhaitable d’associer la réduction de la fiscalité sur le capital à trois mesures complémentaires :

  • La suppression, à terme, des cotisations sociales employeurs de façon à rendre le travail français plus attractif en les reversant sur la TVA ou sur la CSG

  • la meilleure fongibilité du capital et la plus grande flexibilité du marché

  • la réallocation de l’investissement public à des usages plus économiques que la construction de ronds-points, sachant que la France en possède déjà 30.000, autant que l’ensemble du reste du monde… à défaut d’être compétitifs nous sommes champions des ronds-points, mais cela ne s’exporte pas facilement…

  • L’incitation à l’épargne longue productive : par rapport à l’Allemagne, l’épargne française se caractérise par un niveau plus faible, par une liquidité supérieure et par la prédominance des remboursements des emprunts immobiliers. Cette situation résulte notamment de la double taxation des revenus de l’épargne et de l’absence réelle des fonds de pension. L’allégement significatif les prélèvements fiscaux et sociaux sur l’épargne et, à l’instar des réformes allemandes de 2001 et 2005, l’incitation à la retraite par capitalisation permettraient de se rapprocher de la situation allemande. J’ajoute que les fonds de pension ont un rôle stratégique et dans le maintien d’un actionnariat national au sein de ces entreprises. Leur absence s’est traduite en France par un transfert des droits de propriétés à l’étranger [8].

 

La seconde inversion des priorités consiste à remettre la France au travail

 

Par rapport à l’Allemagne, la France se caractérise par une sous-utilisation de son capital humain, qui résulte de la dévalorisation systématique du travail [graphique 3]. Le fait que la France soit le seul pays au monde à avoir inventé un secrétariat d’Etat du « temps libre » est révélateur de l’absence d’ambition pour le pays, qui nous sépare du reste du monde, dont l’Allemagne. Avec 14 ans de retard par rapport aux fameuses réformes Hartz de l’Allemagne, il maintenant grand temps d’inverser la situation et de revaloriser le travail. Pour cela, quatre actions principales sont nécessaires :

  • Inciter les français à travailler plus : ils cumulent aujourd’hui une durée annuelle du travail réduite (similaire à celle de l’Allemagne [graphique 7]) mais une durée de vie active plus courte (35 ans contre 38 ans en Allemagne [graphique 8]), un taux de chômage plus élevé (10% contre 4,2% [graphiques 5 et 6]), un taux d’activité plus bas pour la tranche 15-64 ans (63,8% contre 74% [graphique 4]). Il faut inverser cette situation en retardant l’âge de départ à la retraite en fonction de l’allongement de la durée de vie, en supprimant les 35 heures, en supprimant les formations « parking » et en pénalisant les préretraites. Il faut aussi réformer l’assurance chômage, la transférer à l’Etat, et, à l’instar des réformes Hartz qui ont accru le soutien de l’Agence pour l’Emploi à la recherche d’emploi, renforcer les droits et les devoirs des chômeurs dans leur recherche d’emploi, durcir les conditions d’indemnisation [9]. Peter Hartz, qui avait été directeur du personnel de Volkswagen, avait une solide expérience du marché du travail, ce qui ne semble pas être le cas de notre ministre actuel.

  • Dans la perspective du vieillissement, laisser la porte ouverte aux flux migratoires entrants, à condition d’avoir une véritable politique de formation des immigrés ;

  • Conformément aux principes du manifeste Blair-Schroeder, retrouver la fongibilité dont notre marché du travail a besoin pour fonctionner et se rééquilibrer (rappelons qu’au sein de la société française, il est plus facile de divorcer que de rompre un contrat de travail : le taux annuel de divorce des couples de 2,2% est plus élevé que le taux annuel de licenciement de 2,1%). Pour retrouver cette flexibilité, il est nécessaire de déréglementer et déconventionner le marché du travail de façon à revenir au contrat qui est l’instrument le mieux adapter pour rapprocher l’offre et la demande au niveau micro-économique des bassins d’emplois. Ceci revient à inverser la hiérarchie actuelle des normes du droit social. Il convient aussi de mettre fin aux deux variantes, CDD-CDI, du contrat de travail et d’aller vers le contrat unique flexible (en réalité multiple et dont les indemnités de rupture sont contractuelles), d’autoriser les petits boulots (les mini-jobs de la réforme Hartz) et d’encourager l’auto-entreprise, les « Ich-AG » de la réforme Hartz : tant pour la collectivité que pour l’individu, il vaut mieux travailler à un revenu faible, pas nécessairement salarial, que d’être un chômeur assisté.

  • Repenser le SMIC : le niveau de celui-ci doit être déterminé non point in abstracto mais en fonction du chômage des non-qualifiés et de leur niveau de productivité. Le soutien au revenu des ménages relève, par nature, de la politique sociale, qui permet ainsi de déconnecter le coût du travail pour l’entreprise, des choix sociaux de redistribution entre les ménages.

 

La troisième inversion des priorités vise à mettre l’acquisition des connaissances, la recherche et l’innovation au cœur de cette nouvelle vision

 

Les secteurs d’excellence dont la France dispose ne sont pas suffisants pour enrayer la décélération de la productivité observée depuis le début des années quatre-vingt, qui est la plus forte des pays de l’OCDE. Nos mauvais résultats aux tests PISA et TIMSS révèlent l’ampleur des transformations nécessaires pour inverser la tendance. C’est la condition sine qua non pour améliorer le rendement des facteurs de production, capital et travail, et pour que notre pays soit compétitif dans la nouvelle société de la connaissance qui est en train d’émerger. Cette inversion passe par les quatre refondations suivantes :

  • La refondation de l’école et de l’université : plutôt que de distribuer toujours plus de diplômes qui ne donnent pas accès à de meilleurs emplois et à une meilleure vie, il faut, comme en Allemagne ou en Suisse, donner la priorité à l’apprentissage de métiers et substituer la qualité à la quantité. Ceci passe par une responsabilisation des établissements vis-à-vis de l’insertion de leurs élèves et de leurs étudiants sur le marché du travail, ce qui suppose une plus grande autonomie des établissements et la sanction des échecs. En d’autres termes, il faut insuffler de la concurrence entre les établissements et surtout faire résolument le choix de la technologie pour renouveler les méthodes pédagogiques.

  • La refondation de la formation professionnelle : les performances de notre système sont médiocres alors que la formation professionnelle joue un rôle clé dans l’ajustement de l’offre à la demande de travail et donc dans l’équilibre du marché du travail et la réduction du chômage. L’exemple de l’Allemagne dans ce domaine est probant.

  • La promotion des liens entre la recherche et les entreprises : ils sont aujourd’hui enserrés dans carcan dissuasif qui ne permet notamment pas d’assurer le continuum, dont nous avons besoin, entre l’activité de recherche, de développement et de production. Ces liens sont tout aussi fondamentaux pour la recherche que pour l’industrie. La reconnaissance, par notre droit, des fondations indépendantes et dotées d’un capital inaliénable et pérenne, à l’instar de ce qui se fait chez nos voisins, faciliterait ces liens et encouragerait la localisation et le financement d’activités de recherche en France.

  • L’incitation à l’acquisition des connaissances par nos concitoyens et leurs enfants : ceci suppose un changement radical par rapport à la priorité actuellement accordée aux non-qualifiés. Ceci milite tout d’abord pour une taxation moins élevée des revenus du travail, sachant que notre taux implicite d’imposition fiscale et sociale des revenus du travail [graphique 11] est non seulement l’un des plus élevés de l’OCDE (41,5% en 2014), notamment si on le compare au taux allemand (37,5%) mais qu’il est aussi orienté à la hausse (+3,2 point en douze ans, concentrés sur 2012 et 2013) quand il est orienté à la baisses chez nos voisins, notamment chez nos voisins allemands (-1,0 point en douze ans). Ceci milite aussi et surtout pour une imposition des revenus moins progressive, sachant que la progressivité dissuade l’acquisition des connaissances puisqu’elle taxe à des taux marginaux croissants les revenus supplémentaires que ces connaissances permettent de générer et qu’elle est, en France, l’une des plus élevée de l’OCDE, dépassée presque exclusivement par des pays en échec économique (le taux marginal supérieur de notre imposition des revenus est 6,5 points au-dessus de celui de l’Allemagne -54,0% contre 47,5% en 2015 selon l’OCDE- et le taux marginal fiscal et social applicable à un revenu égal à 167% du revenu moyen est 15,5 points supérieur à celui de l’Allemagne -59,8% contre 44,3% en 2015 selon l’OCDE).

Les transformations nécessaires pour retrouver des performances en ligne avec celles de l’Allemagne, parvenir à un sentier de croissance équilibré, avec plein emploi sont profondes. Il ne faut pas procéder à ces transformations de façon séquentielle, mais les mener si possible de front, pour insuffler un rythme nouveau. Et que les bénéfices de ces transformations apparaissent le plus rapidement possible aux yeux de nos concitoyens qui y adhéreront d’autant plus volontiers.

 

Les graphiques sont consultables en suivant ce lien.

 


[1] Bilger Pierre, L’école de Fribourg, l’ordolibéralisme et l’économie sociale de marché, 8 avril 2005

[2] OCDE, données publiques sur le PIB par tête aux pris et PPA courantes, en USD

[3] COUR DES COMPTES, Les prélèvements fiscaux et sociaux en France et en Allemagne, 2011

[4] Direction Générale du Trésor, Légère baisse du nombre de projets d’investissement étranger en France en 2015 (-2%), selon le « baromètre de l’attractivité de la France » d’Ernst & Young, 2016

[5] EY, Baromètre de l’attractivité de la France, 2016

[6] 32,5% au Royaume-Uni

[7] 13 points avec le Royaume-Uni

[8] de 3 millions environ

[9] 45% du CAC40 est ainsi détenu par des non-résidents