Séance du lundi 20 février 2017
par M. Philippe Trainar,
Chief Economist, conseiller du Président de SCOR
En dépit des propos rassurants de tels responsables politiques ou de certains experts, la situation de notre système de retraites par répartition est préoccupante dès lors que l’on retient des hypothèses économiques et démographiques tendancielles. Même si l’on peut toujours critiquer ces hypothèses, n’est-il pas paradoxal que notre système, qui devrait être particulièrement prudent et résilient eu égard à la nature de ses engagements qui extrêmement longs, voire infinis, ne soit finalement pas capable d’affronter des situations économiques qui dévient tant soit peu d’hypothèses somme toute optimistes ? Afin de mieux comprendre les raisons de ce paradoxe, je vous propose de revenir tout d’abord sur les spécificités de notre système ainsi que sur ses déterminants structurels de long terme. Nous verrons alors que les problèmes récurrents d’équilibre et d’équité du système français sont imputables à une incitation intrinsèque à la gestion au jour le jour, que l’on a beaucoup de mal à rattacher à une quelconque philosophie cohérente de la répartition. La première priorité consiste donc à associer le retour à l’équilibre à une clarification cette philosophie pour en tirer une discipline rigoureuse qui permette d’assurer l’équilibre et l’équité du système dans la stabilité des taux de cotisations. Afin de garantir la pérennité de ce nouvel équilibre, il serait souhaitable de l’accompagner d’un certain nombre de réformes institutionnelles qui aideraient grandement à limiter les incitations à la procrastination.
Le système des retraites français est un système extrêmement bizarre et complexe qui défie toute tentative de rationalisation économique ou sociale
C’est un régime qui se veut général mais qui est éclaté
Notre système est l’héritier du régime de Vichy, qui l’a créé, ainsi que de la Libération et du programme de la résistance, qui en ont consolidé les bases et les principes. L’intention était de créer un « régime général » couvrant les besoins en assurance vieillesse de l’ensemble de la population en lieu et place de l’ancien système partiel, fragmenté et en capitalisation.
Mais, très vite, les systèmes professionnels ont repris leur autonomie. On compte aujourd’hui pas moins de 27 régimes de base : 1 régime qualifié de général, probablement par euphémisme, 2 régimes agricoles, 4 régimes de non-salariés non-agricoles et 20 régimes spéciaux (essentiellement du secteur public). Le régime de la fonction publique est à prestation définie quand le régime général est à cotisation définie. Ces régimes disposent de taux de cotisations propres et de niveau de prestations propres. Leurs disparités n’ont rien à voir avec les disparités de rémunération. Pis, la plupart de ces régimes n’ont pas les moyens de leur autonomie car ils présentent des déséquilibres démographiques importants et ne doivent leur survie qu’à des ressources externes, telles que transferts de taxes, subventions d’Etat et compensation démographique. La part de ces ressources externes est souvent très importante, pouvant aller jusqu’à 60-80% du total des ressources dans les régimes des Mines, de la SNCF et de la RATP, au point de ne plus ressortir de la logique de l’assurance mais de celle de la solidarité, une situation pour le moins paradoxale sachant que ces régimes versent les pensions les plus élevées de notre système de retraites.
Parallèlement, les régimes complémentaires se sont mis en place, sur des bases assez différentes de celles du régime général puisqu’ils reposent sur un système par points quand le régime général repose sur le salaire de référence. Sous la pression des pouvoirs publics, ces régimes ont intégré d’autres régimes complémentaires de salariés dans des conditions financières le plus souvent désastreuses pour eux sur le long terme.
C’est un système qui se veut par répartition mais qui se finance par la dette
Vichy et tous les gouvernements suivants ont réaffirmé avec force le rejet de la capitalisation au profit de la répartition. Il n’existe qu’une exception à ce principe : celui du régime de retraite complémentaire des indépendants, qui est en capitalisation depuis la loi Madelin de 1994. A cette exception près, notre système de retraites se veut donc un système exclusivement par répartition, au point de s’interdire jusqu’à la constitution de réserves dans les régimes. La logique d’un système d’assurance vieillesse par répartition est de financer ses pensions à partir des cotisations versées par les assurés. Le montant des pensions est a priori fonction du montant des cotisations. Si les rentrées de cotisations baissent, les pensions doivent aussi baisser. Mais, le système français ne fonctionne pas comme cela. Quand les cotisations sont insuffisantes, il se met en déficit et s’endette.
Grâce aux travaux du Conseil d’Orientation des Retraites, nous disposons maintenant d’un compte pour l’ensemble des régimes de retraites français depuis 2002. Sur la période 2002-2016, soit quinze ans, le solde de notre système de retraite a été 7 fois en équilibre ou légèrement excédentaire, de 2002 à 2008, et 8 fois fortement déficitaire. En 2016, selon le Conseil d’Orientation des Retraites, il serait ainsi déficitaire pour un montant équivalent à 0,4% du PIB. Sachant que les dépenses du système de retraites représentent un montant équivalent à 14,2% du PIB, cela veut dire que le déficit s’élève à 3% des dépenses. Si on retient l’hypothèse d’une rémunération implicite de la dette de l’assurance vieillesse à un taux égal à celui de la croissance du PIB, la dette accumulée par l’assurance vieillesse s’est accrue en 15 ans d’un montant équivalent à 2,4% du PIB, soit 17% de ses dépenses.
Mais, sommes-nous toujours dans un système par répartition si la dette finance une part aussi importante des dépenses courantes ? La « décapitalisation » qu’impliquent le déficit et l’endettement viole en effet le pacte entre les générations sur lequel repose la répartition. Ce pacte impose en effet de financer les dépenses du système sur les ressources des générations courantes d’actifs et non sur celles des générations futures d’actifs. La persistance du déficit du système de retraites nous fait donc a priori sortir de la répartition pour entrer dans un système hybride inconnu et sans logique économique ou sociale claire.
C’est un système qui est obsédé par l’égalité mais qui porte atteinte aux principes de base de l’équité
L’un des grands arguments contre la capitalisation est que, outre qu’elle serait risquée, elle serait aussi inégalitaire et inéquitable. A partir de contributions identiques, les retraités recevraient des rentes différentes en fonction des fluctuations des marchés financiers, avec un risque non négligeable de pauvreté à l’âge de la retraite. Si l’on ne considère que le taux de pauvreté des retraités, on pourrait penser que le pari a été gagné. En revanche, si l’on considère le niveau des pensions, le tableau change assez radicalement : on découvre des inégalités flagrantes. Le montant de la pension brute moyenne de droit direct pour une carrière complète est ainsi 40 à 50% plus élevé dans la fonction publique civile (2550 euros selon le Conseil d’Orientation des Retraites) ou dans les régimes spéciaux (2500 euros selon le COR) que dans le régime général ou dans le régime des salariés agricoles. Cette inégalité est d’autant plus choquante que ces régimes ne peuvent verser ce niveau de pension que parce que, en violation du principe de répartition, ils sont généreusement subventionnés par l’Etat.
Toutefois, plus que cette inégalité, c’est le bilan des cotisations versées par rapport aux pensions reçues qui pose problème en termes d’équité. Le graphique 1 présente, par génération, l’évolution du taux de cotisation moyen pour la vieillesse acquitté par un non-cadre tout au long de sa carrière et du taux de remplacement net moyen dont il bénéficiera tout au long de la durée de sa retraite. Il en ressort que le taux de cotisation moyen augmente systématiquement d’une génération à l’autre tandis que le taux de remplacement net moyen diminue tout aussi systématiquement. Le taux de rendement global des cotisations recule donc significativement d’une génération à l’autre, ce que confirment les simulations qui ont été réalisées par l’INSEE à l’aide du modèle Destinie et qui font ressortir une baisse continue du rendement interne des cotisations sociales. Ce constat ne vise pas à suggérer que la hausse des cotisations ou la baisse du taux de remplacement serait illégitime, elles sont parfaitement justifiées du point de vue de l’équilibre du système, elle suggère en revanche que la gestion actuelle du système aboutit à un traitement très inégal des différentes générations et qu’elle impose des transferts de charge importants et inéquitables entre les générations.
Encore, l’analyse ci-dessus ne tient-elle pas compte des déficits et de la dette accumulée par le système qui ajoute une couche importante de transferts de charge des générations présentes vers les générations futures. En fait, derrière le discours compatissant pour les retraités d’aujourd’hui se cache un véritable hold-up visant à soutenir le pouvoir d’achat des retraités actuels, les baby-boomers, aux dépens du pouvoir d’achat des retraités de demain.
C’est un système qui se veut hors-marché, voire contre le marché, mais qui a besoin du marché pour corriger ses atteintes à l’équité
Dans la philosophie de ses créateurs, qui avaient à l’esprit la crise de 29 et les faillites financières des années 30, il était important que tous ces régimes fonctionnent en dehors des mécanismes du marché. Cette philosophie a toutefois une contrepartie coûteuse en termes d’efficacité. N’étant pas soumis à la concurrence, ces régimes ne sont pas incités à s’adapter rapidement aux circonstances et aux défis auxquels ils sont confrontés. Ils sont ainsi d’autant plus enclins à tergiverser que la proximité de la puissance publique leur donne une incitation à procrastiner et à préférer, à court terme, la dette dans l’espoir de porter leur problème au niveau politique et de bénéficier finalement d’un soutien public plus confortable qu’une gestion rigoureuse.
Ceci explique leurs problèmes de financement récurrents puisque personne n’est empressé de rétablir les comptes. Le retour à l’équilibre, parce qu’il a été retardé, en devient plus coûteux en termes de hausse de cotisations et de baisse de prestations. La tentation est alors grande de jouer du violon social et de redistribuer en réduisant plus les pensions de ceux qui ont contribué plus car ils sont plus riches. Et de fait, comme le montre le graphique 2, si le taux de remplacement en pourcentage du dernier salaire net devrait rester élevé pour les smicards, les chômeurs ou les enseignants et devrait leur maintenir un niveau de vie à la retraite supérieur à leur niveau de vie en tant qu’actif, celui des cadres a d’ores et déjà fortement chuté et va continuer à chuter dans les années à venir. Ils vont donc devoir épargner pour la retraite. Ceci serait en soi une bonne chose mais l’Etat, par principe hostile à la retraite par capitalisation, maintient un traitement fiscal et social extrêmement pénalisant et dissuasif de l’épargne-retraite.
En conclusion, le système de retraites français tranche totalement par rapport aux systèmes étrangers qui sont en pratique beaucoup plus cohérents dans leurs choix mais qui sont aussi beaucoup plus flexibles au niveau des principes. Le système français est dans l’ensemble moins cohérent, moins équitable et plus déséquilibré. En fait, le système français souffre de sa gestion très politisée.
Et, pourtant, un système par répartition est, par nature, un système relativement simple à gérer et à équilibrer dans le respect d’un minimum d’équité
L’équilibre d’un système de retraites par répartition dépend d’un petit nombre de variables démographiques et économiques, qui sont soit prévisibles soit maîtrisables
En fait, l’équilibre du système dépend de trois variables démographiques – le comportement de fécondité, l’espérance de vie et les flux migratoires – et de quatre variables économiques – l’âge d’entrée dans la vie active, l’âge de départ à la retraite, la durée du travail et le taux d’activité ou d’emploi –. Je vous propose d’examiner plus en détail ces variables ainsi que leur évolution passée et future.
Parmi les variables démographiques, permettez-moi d’insister sur la natalité et l’espérance de vie, en laissant de côté les flux migratoires dont l’impact sur les régimes de retraite est difficile à analyser correctement en l’absence de statistiques suffisantes. L’indicateur démographique pertinent pour l’équilibre d’un système de retraite est le ratio démographique qui rapporte le nombre de personnes qui sont en âge d’être actifs dans une économie au nombre de personnes qui ne sont plus en âge d’être actifs. Selon l’âge normal que l’on retient pour l’entrée dans la vie active, en moyenne 21 ans en France, et l’âge normal que l’on retient pour le départ à la retraite, en moyenne 60 ans en France, on obtient différentes valeurs du ratio démographique. Mais, quels que soient les âges retenus, tous ces ratios baissent à des rythmes similaires en France comme le montre le graphique 3. D’un peu plus de trois personnes de 20 à 60 ans pour une personne de 60 ans et plus en 1950 et 1980, on est passé à deux personnes en 2015 et on ne devrait plus en avoir que moins d’une et demie en 2050. Cette baisse reflète le vieillissement de nos sociétés. Comme le montre le graphique 4, la population en âge d’être activé a augmenté jusqu’en 2005 puis elle s’est stabilisée. Les naissances et la population jeune en âge d’étudier ont décliné à partir de la fin des années 60 puis se sont grosso modo stabilisés à compter du début des années 80. En revanche, la population de plus de 60 ans a cru plus rapidement que la population active et continue de croître rapidement. Ces évolutions démographiques induisent des tensions croissantes sur notre système de retraites, tensions qui étaient prévisibles en 1980 pour la période 1980-2015 et que l’on peut anticiper aujourd’hui pour la période 2015-2050. Le baby-boom, suivi par la baisse de la natalité, et surtout l’allongement de la durée de vie expliquent cette chute qui est d’autant plus forte que les gains de longévité se concentrent de plus en plus sur les âges élevés et donc sur les retraités comme le montre le graphique 5.
Du côté des variables économiques structurelles, les variables clés sont l’âge effectif d’entrée sur le marché du travail, l’âge effectif de départ à la retraite, la durée du travail et le taux d’emploi. L’indicateur économique pertinent pour apprécier les tensions qui s’exerce sur le système de retraites serait plutôt celui de nombre d’heures de travail par personnes retraitée. Entre 1980 et 2015, cet indicateur a chuté aussi vite que le ratio démographique, ce qui veut dire que, dans l’ensemble, l’activité économique n’a pas contribué à absorber le choc démographique. De fait, la période 1980-2015 a été marquée par deux décisions désastreuses pour l’équilibre du système de retraites : la réduction de l’âge de départ à la retraite à 60 ans et la baisse de la durée du travail à 39 heures puis 35 heures. Ces deux mesures ont doublé sur la période les effets du choc démographique lié au vieillissement et l’allongement de la durée de cotisation mis en œuvre à partir de 1993 n’a fait que compenser les effets de ces mesures désastreuses. D’ici 2050, si la durée du travail et le taux d’activité sont stabilisés à leur niveau actuel, le choc démographique ne pourra pas être absorbé sans un nouvel allongement significatif de la durée de cotisation, sachant que l’allongement d’ores et déjà planifiée ne sera pas suffisante.
Les paramètres qui permettent d’équilibrer un système de retraites par répartition sont a priori bien connus, peu nombreux et simples à manipuler
Les pouvoirs publics ne disposent que de quatre paramètres pour équilibrer le système : la durée du travail, le taux de cotisation, le niveau relatif des pensions par rapport aux salaires et l’âge effectif de départ à la retraite, lequel dépend de l’âge légal de départ à la retraite ainsi que des conditions de durée de cotisation. L’équation du système de retraite est donc d’une très grande simplicité. La tendance des gouvernements à procrastiner par rapport au retour à l’équilibre des comptes ne vient donc pas de la complexité technique du sujet mais de choix politiques. Les problèmes surgissent quand les pouvoirs publics cherchent à préempter ces différents paramètres pour d’autres usages politiques. Quelle que soit la légitimité de ces usages, il est intolérable que l’on ne soit pas capable d’assurer l’équilibre et la pérennité d’un système, dont on a choisi les principes et que l’on a imposé erga omnes, sans passer par des crises sociales et des drames politiques qui se terminent immanquablement par des décisions sommaires et donc mauvaises. C’est ainsi que les gouvernements qui procrastinent se rabattent finalement sur la hausse des recettes puis, ultimement, sur la redistribution, aux dépens de l’équité.
Pour assurer l’équilibre du système dans l’équité, il faut respecter quatre règles
Première règle : le déficit doit être prohibé. L’idée selon laquelle, le système de retraite pourrait être en déficit pour des périodes plus ou moins longues, notamment en bas cycles, est frelatée pour quatre raisons principales. Connaissant les spécificités de la demande des retraités et leur propension élevée à épargner, il n’est pas sûr que cet usage du système des retraites ait les vertus keynésiennes attendues. En outre, en termes d’équité, il n’y a aucune raison d’immuniser les retraités par rapport aux fluctuations de l’environnement économique et il serait normal et légitime qu’ils partagent la fortune des actifs qui les financent. De plus, l’endettement à la fois contredit le principe de la répartition qui suppose que l’on répartisse les seules recettes courantes et porte atteint à l’équité dans la mesure où il transfert la charge des retraites actuelles sur les générations futures. Enfin, l’expérience montre que le déficit est source d’addiction chez les politiques, c’est-à-dire qu’il tend à se reproduire et se perpétuer comme les mauvais virus.
Deuxième règle : la hausse des cotisations sociales doit être évitée dans toute la mesure du possible. Cette contrainte est cependant contestée par de nombreux experts qui estiment que, face au choc démographique que nous connaissons, il faut augmenter les cotisations sociales pour préserver le niveau de vie des retraités. En fait, l’efficacité et l’équité recommandent d’éviter les hausses de cotisations employeurs en raison de leurs effets pervers en termes d’emploi. Une hausse de cotisations employeurs accroît en effet les charges des entreprises qui les répercutent mécaniquement sur le marché du travail par le biais d’une baisse de la demande d’emplois. Ce qui est gagné d’un côté avec la hausse du taux de cotisation est donc perdu de l’autre côté avec la baisse de l’emploi, au prix d’un coût humain élevé en termes de chômage. La hausse des cotisations employeurs revient à un transfert de charges doublement négatif et parfaitement inéquitable aux dépens des actifs.
Troisième règle : l’accroissement de l’espérance de vie doit être partagé proportionnellement entre l’allongement de la durée de vie active et l’allongement de la durée de vie à la retraite.
Quatrième règle : les variations de la durée du travail doivent être compensées par des variations équivalentes de la durée de vie active.
Moyennant une arithmétique assez simple, on montre que, en régime de croisière, le respect de ces deux dernières règles, que l’on peut considérer comme des règles d’or, assurent tout à la fois l’équilibre et l’équité du système de retraites par répartition. Elles procurent en effet un équilibre où :
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d’une part, les retraités reçoivent en moyenne autant qu’ils ont cotisé, moyennant un rendement égal à l’indexation du salaire de référence, ce qui correspond à l’équité entre les retraités
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d’autre part, les retraités bénéficient d’un niveau de vie proportionné au niveau de vie des actifs, ce qui correspond à l’équité entre les générations.
Les chocs démographiques peuvent alors être absorbés par une déviation par rapport à la troisième et à la quatrième règle, en allongeant ou en raccourcissant la durée de cotisation par rapport à la durée de retraite ou à la durée du travail selon que le choc est négatif (baisse de la natalité par exemple) ou positif. De fait, cela revient à répondre au défi démographique auquel nous sommes confrontés par un accroissement de la richesse générale plutôt que par une attrition de celle-ci. L’allongement de la durée de vie est une source d’enrichissement et bien-être accru et non une source d’appauvrissement et de problèmes.
Notre système ayant violé ces deux dernières règles d’or, il n’a pu, entre 1980 et 2015, absorber le choc démographique qu’au prix de problèmes financiers récurrents qu’il a finalement résolus en augmentant les cotisations, notamment les cotisations employeurs, au prix d’un chômage accru, et en sous-indexant les pensions, en violation de l’équité intra- et intergénérationnelle.
Il est aujourd’hui impératif de mettre immédiatement fin au déficit de notre système de retraites et de mettre en œuvre les réformes qui permettront de pérenniser l’équité et l’équilibre retrouvés
Depuis 2009, le système de retraites français est donc en déficit important, égal ou supérieur à 0,4% du PIB. D’ici 2050, la sous-indexation des pensions et l’allongement planifié des durées de cotisation contribueront certes à l’absorption de ce choc mais ils ne suffiront pas. A législation inchangée, et sous des hypothèses macro-économiques tendancielles, notamment un taux de chômage de 9-10% et une croissance de la productivité de 1,00-1,25%, qui correspondent à la moyenne de ces variables économiques sur les 10 et 20 dernières années, notre système de retraite devrait rester déficitaire tout au long de la période comme le montre le graphique 6. Une très légère amélioration en début de période, qui bénéficiera encore des effets des réformes antérieures, sera suivie d’ici quelques années d’une détérioration rapide et substantielle. Certes, avec des hypothèses plus optimistes pour son scénario central, notamment un taux de chômage revenant à terme à 7 % et une croissance de la productivité de 1,5%, le Conseil d’Orientation des Retraites conclut à un retour à l’équilibre en 2025. Mais, sachant que les discussions économiques actuelles portent plus sur le risque d’une stagnation séculaire que sur la perspective d’un fort rebond de l’activité, il nous semble impératif que notre système de retraites puisse a minima être résilient à une situation qui verrait les tendances actuelles de l’économie se poursuivre dans les années futures. C’est la prudence minimale que l’on est en droit d’exiger d’un tel système et il nous faut donc agir en ce sens sans attendre. Pour cela, il est souhaitable de mettre en œuvre un ensemble de sept réformes complémentaires.
Il faut impérativement et immédiatement restaurer l’équilibre du système et des régimes qui le constituent sans augmenter les cotisations et en prohibant pour l’avenir tout nouveau déficit
Il n’est pas possible d’attendre un hypothétique retour à bonne fortune de notre économie pour ramener notre système de retraites à l’équilibre, d’autant que de nombreuses mesures mettent plusieurs années à produire leur plein effet. Repousser le retour à l’équilibre n’aurait que des coûts financiers, économiques et sociaux, et aucun gain. Comme il faut, à tout prix, éviter une hausse des cotisations dont les effets pervers sont d’autant plus dommageables que notre économie est en mauvaise santé, c’est donc sur le partage entre temps de travail et temps de retraite qu’il faut agir et ce qui n’aura pas pu être couvert à court terme par ce biais devra donc l’être par une désindexation des pensions. On pourrait naturellement envisager de ne solliciter que les cotisations salariées, mais l’expérience nous montre que tant que l’on conserve le principe de cotisations employeurs, une telle option n’est pas politiquement réaliste. J’ajoute que, pour l’avenir, toute possibilité de déficit doit être strictement prohibée.
Il faut contenir les charges de retraite à l’intérieur d’une enveloppe impérative
Ce devrait être au parlement de définir cette enveloppe pour une législature. Une enveloppe égale à 13,7% du PIB est a priori un maximum. Elle ramènerait les charges de retraite au niveau des ressources du système en 2016 et les stabiliserait à ce niveau qui reste, il faut le souligner, un niveau élevé du point de vue des standards internationaux. Il appartiendrait alors au gouvernement de déterminer sur quels paramètres jouer –la durée du travail, le partage entre temps de travail et temps de retraite ou l’indexation des pensions – pour assurer en permanence l’adéquation entre cette enveloppe et les dépenses, à taux de cotisation constant.
Il faut constituer des réserves au sein des régimes par répartition de façon à leur permettre d’absorber les chocs conjoncturels et de lisser le choc du vieillissement
La prohibition du déficit et la stabilisation des taux de cotisation ne sont crédibles que si le système de retraites et les régimes qui le constituent accumulent rapidement suffisamment de réserves pour absorber avec une probabilité suffisante les déviations par rapport aux tendances économiques et démographiques prévues, à l’instar de ce que font les assureurs qui proposent des produits de retraite. Pour des engagements longs comme la vieillesse, l’absence d’exigence en capital dans les régimes de retraite par répartition est pour le moins surprenant. Certes, on fera valoir que le système bénéficie de la garantie de l’Etat. Mais, d’une part cette garantie n’est qu’implicite, d’autre part elle n’a jamais fonctionné que de façon sélective. De fait, en dehors des régimes spéciaux bénéficiaires des largesses de l’Etat, c’est la dette et finalement les cotisations qui ont absorbé les chocs passés. Pour éviter cela à l’avenir, il faut donc imposer aux régimes de retraite par répartition une exigence en capital inspirée des règles de Solvabilité 2. Enfin, pour s’assurer de l’effectivité de la mesure, il faudra définir précisément les obligations concernant la dotation annuelle aux réserves ainsi que les conditions de tirage, sinon ces réserves seront insuffisamment dotées puis siphonnées par l’Etat comme le Fonds de Réserve des Retraites en a fait l’expérience.
Certains s’inquiéteront peut-être de ce changement de culture. Pourtant, de nombreux régimes étrangers par répartition, comme en Suède, voient dans le recours à la capitalisation collective un complément utile à la répartition.
Il faut porter l’âge légal de départ à la retraite à 67 ans, accélérer la remontée de la durée de cotisation et porter celle-ci à 180 trimestres afin de mieux proportionner durée de vie active et durée de vie à la retraite
Le graphique 4 montre que, pour stabiliser notre ratio de démographique jusqu’en 2050, il suffirait de repousser l’âge de départ effectif à la retraite à 65-67 ans. Ceci suppose a minima de relever très vite l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans et, dans l’idéal, de l’aligner sur l’Allemagne, c’est-à-dire 67 ans. Cet âge doit être impératif pour le bénéfice de la retraite à taux plein et exclusif de toute disposition au titre de la pénibilité et des carrières longues qui n’ont plus de justification dans nos économies avancées. Pour être pleinement efficace, la mesure doit être accompagnée d’une accélération de la remontée prévue de la durée de cotisation et d’un allongement de celle-ci de 172 à 180 voire188 trimestres. Moyennant quoi, l’équilibre du système de retraite par répartition pourrait être respecté sans hausse de cotisation ni baisse supplémentaire du taux de remplacement [1].
Ces mesures sont réalistes car l’état de santé des français le permet. Comme le montre le graphique 7, l’espérance de vie aux âges élevés devrait continuer à s’améliorer dans les années à venir. Ce sont même pour ces âges que les possibilités de progrès sont aujourd’hui les plus importantes. En outre, comme le montre le graphique 8, la durée de vie en bonne santé s’est fortement allongée au-delà de 65 ans. Les travaux récents de l’INSEE confirment ce constat. Ils montrent que l’état de santé autoriserait les hommes et les femmes de 60 à 64 ans à avoir un taux d’activité supérieur de 45 à 60 points à ce qu’il est aujourd’hui [2]. Les français ne devraient pas avoir d’objections à cet allongement dans la mesure où leur propre perception de l’espérance de vie en bonne santé est plus optimiste que les données sur l’espérance de vie.
Il faut flexibiliser le marché du travail pour les seniors et déréglementer le passage à la retraite de façon à donner les bonnes incitations à l’activité
Le relèvement de l’âge effectif de départ à la retraite suppose de flexibiliser le marché du travail des seniors, qui a non seulement été largement asphyxié par les préretraites et l’abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans mais qui est aussi l’un des segments les plus réglementés du marché du travail. Pour cela, il faut remettre en cause les règles d’ancienneté ainsi que les obstacles au licenciement des seniors à partir de 50 ans, qui rendent extrêmement difficile car coûteux le recrutement des seniors en France, une situation qui n’a pas d’équivalent en Allemagne, au Royaume-Uni et en Suisse.
Parallèlement, il faut faciliter toutes les formes de transition souple et progressive entre emploi et retraite, en libéralisant sur ce point le droit du travail et le droit social. Il est notamment souhaitable de mettre en place un système de décote / surcote actuariellement neutre qui donne les bonnes incitations pour le choix de l’âge de départ à la retraite et de son caractère plus ou moins progressif.
Il faut aligner intégralement et immédiatement sur les règles du régime général, les régimes de retraites qui ne le sont pas encore de façon à assurer l’équité du système dans son ensemble
Cet alignement correspond à une exigence d’équité. La mesure vise tout particulièrement les régimes spéciaux ainsi que le régime des pensions de l’Etat qui servent des pensions en prestations définies indexées sur le dernier salaire et sensiblement supérieures à la moyenne. L’alignement est d’autant plus nécessaire que ces régimes ne seraient pas en mesure de financer ce niveau de pension sans la subvention qu’ils reçoivent de l’Etat. Dans l’idéal, il serait souhaitable d’aller au-delà et d’unifier les régimes de base et les régimes complémentaires en un seul régime véritablement général servant des prestations identiques à tous sur la base de taux de cotisation similaires.
Il faut faire converger dès à présent l’ensemble du système des retraites par répartition vers un régime en points qui est plus efficace en termes tant de gestion que d’équité
Un régime par point similaire à celui des régimes complémentaires présente l’intérêt d’assurer une équité objective entre les retraités et entre les générations. Dans ce système, la valeur de service du point permet de relier le montant des droits à pension accumulés par les retraités au montant des cotisations disponibles, en divisant tout simplement ces cotisations par le nombre de points accumulés par l’ensemble des retraités. Le nombre de points accumulés par chaque retraité individuel permet ensuite de répartir équitablement cette masse entre les différents retraités. Le nombre de points acquis chaque année par les actifs est, quant à lui, obtenu en divisant les cotisations de l’année par le prix d’acquisition du point, qui évolue comme la moyenne des salaires. Ce système est optimal dans la mesure où il permet de relier de façon simple, transparente, univoque et équitable le niveau des pensions au niveau des cotisations levées la même année. Il est conforme à l’esprit de la répartition puisqu’il ne répartit que le seul produit des cotisations levées. Cette tâche de convergence devrait être lancée immédiatement sachant que la transition prendra une génération entière.
Le vieillissement est un fait social fondamental qui devrait nous conduire à repenser toutes les dimensions de nos sociétés. Il résulte principalement de l’allongement de la durée de vie, tout particulièrement de son allongement aux âges élevés, qui est un progrès extraordinaire et qui bouscule tous les équilibres sociaux. La société entière est en train de s’adapter à cette situation inédite et complexe qui aboutit à la cohabitation de 4 générations appartenant à des environnements familiaux beaucoup plus éclatés que par le passé. Le partage de notre vie entre vie personnelle et vie professionnelle, entre temps de travail et temps de retraite ne peut plus être pensé dans les cadres du passé. Contrairement aux années d’après-guerre, ceux qui partent aujourd’hui à la retraite sont encore en pleine force de l’âge et désireux de contribuer à la création de richesses économiques, comme en témoigne l’intensité de leurs activités bénévoles à la retraite. Dans ce nouvel environnement, la protection sociale ne peut plus rester le dernier bastion des vieux mythes mobilisateurs de la revendication sociale du début du siècle dernier, quand vieillesse était synonyme de pauvreté. S’il veut perdurer, notre système de retraite doit revenir à l’équilibre et retrouver un minimum d’équité, et il ne peut le faire qu’en s’appuyant sur de nouveaux partages de notre vie entre temps de travail et temps de retraite. L’Allemagne y est arrivé, pourquoi pas nous. Pour cela sept réformes sont prioritaires. Mais, d’autres mesures, qui n’ont pas été abordées car elles dépassent le cadre de notre sujet, pourraient aussi y contribuer. Ainsi, pour assurer le maximum de degré de liberté à nos concitoyens dans leurs choix, faudrait-il encourager l’épargne retraite et la capitalisation. De même faudrait-il se décider à traiter le problème de la dépendance en encourageant fiscalement et socialement la constitution d’une couverture dépendance si possible par capitalisation plutôt qu’en créant une nouvelle branche de la sécurité sociale destinée à transférer une nouvelle charge sur les générations futures. Les défis du vieillissement sont importants et nombreux. Ce sont des opportunités plus que des contraintes. Vivre plus longtemps en bonne santé est un formidable progrès. Mais, il ne faut pas laisser la mauvaise gestion de notre système de retraites transformer cette bonne nouvelle en une mauvaise nouvelle.
[1] Les simulations des soldes financiers du système de retraites à horizon de 2050 ont été réalisées à l’aide du simulateur du Conseil d’Orientation des Retraites. L’auteur est naturellement seul responsable des résultats de ces simulations.
[2] Cf. Didier Blanchet, Eve Caroli, Corinne Prost et Muriel Roger (2016) : « Health capacity to Work at Older Ages in France », NBER, document de travail n°22024.