Séance du lundi 20 mars 2017
par Mme. Agnès Verdier-Molinié,
Directrice de la fondation iFRAP
Depuis combien d’années parle-t-on, en France, de réduire le mille-feuille territorial ? Or, pendant que nous en parlons, nos partenaires européens, eux, ont agi et allégé leurs structures administratives et réduit leurs dépenses publiques. Nos collectivités locales représentent presque 40 % de celles de l’Union européenne. Loin de le simplifier, nous avons en réalité rajouté des couches à ce mille-feuille, avec les intercommunalités dans les années 1990, puis les métropoles en 2010. Un autre chiffre à méditer est celui du nombre des élus : ceux de l’Ile-de-France, tous échelons confondus, sont au nombre de 30 000, autant que pour l’ensemble du Royaume-Uni. Nous sommes arrivés au point où le nombre de ces collectivités, et de leurs élus, ainsi que l’enchevêtrement de leurs compétences, nuisent à la réforme de la France. Ce n’est certes pas le seul handicap de notre pays, mais il contribue pour une bonne part à ses difficultés.
Commençons par un état des lieux. On compte encore en France plus de 35 700 communes, dont 31 000 ont moins de 2000 habitants. Il était initialement prévu, dans la loi NOTRe de 2015, de supprimer l’échelon départemental, mais l’opposition des parlementaires, entre autres, a renvoyé ce projet dans les limbes. Seul l’échelon régional a finalement été réformé, à travers une réduction du nombre des régions. Mais cette mesure, telle qu’elle a été mise en œuvre, n’a pas permis de dégager les économies qui avaient été annoncées, faute d’avoir défini des objectifs de réduction des coûts en face de la carte des nouvelles régions. De la consultation approfondie des budgets régionaux pour 2016, à laquelle je me suis livrée, il ressort que seules les régions demeurées telles qu’elles étaient avant la réforme, comme l’Île-de-France ou les Pays de la Loire, ont réalisé quelques économies. Dans les nouvelles régions nées d’une fusion, les dépenses ont au contraire augmenté.
Derrière la question du nombre des collectivités locales se pose celle de leurs compétences. Le vrai sujet, dès lors qu’il est question d’une révision générale des politiques publiques, est de redéfinir les missions publiques et de répartir les responsabilités de manière adéquate. Or, sur ce plan également, les essais de réforme ont échoué. Les transferts de compétences qu’avait prévus la loi NOTRe, comme la gestion des personnels techniques des collèges qui devait passer des départements vers les régions, ont été abandonnés après la discussion au Sénat. Les élus sont manifestement réfractaires à tout changement dans les compétences. Cela revient, en pratique, à laisser tous les échelons s’occuper de quasiment toutes les missions publiques. Prenons le cas de l’éducation : les communes s’occupent des structures des écoles maternelles et primaires, les départements des collèges, les régions des lycées, mais interviennent aussi à chacun de ces niveaux les académies (autrement dit l’État déconcentré) et l’État lui-même pour la gestion du personnel enseignant et des programmes. Il en résulte des coûts administratifs, notamment en termes de fonctions support. La comparaison avec les autres pays fait ainsi apparaître que le personnel administratif scolaire est beaucoup plus important chez nous que chez nos voisins. On peine à donner un chiffrage précis, parce que les données sur ces questions ne sont pas communiquées, mais l’écart est au moins du double. C’est autant d’argent qui n’est pas employé, au bout du compte, pour l’éducation. Tout ce qui devrait être externalisé aujourd’hui sur ces missions-là est géré par les collectivités, alors que dans les autres pays les missions de cantine ou de nettoyage sont externalisées et que l’échelon local (voire les établissements eux-mêmes) prend en charge l’embauche des personnels enseignants, à l’exemple de ce qui se passe en Allemagne et en Suède.
Non seulement les compétences ne sont pas réparties de manière rationnelle mais elles ne sont pas clairement exercées. Cela apparaît au niveau des intercommunalités, qui s’affranchissent, comme on l’a souvent écrit, des conditions d’une démocratie véritablement directe, avec à la clé une gestion très opaque. Nous avons l’habitude, à la Fondation iFRAP, de travailler sur les bilans sociaux des collectivités locales : des communes aux régions en passant par les départements. Nous faisons l’expérience qu’il est beaucoup plus difficile de travailler sur les comptes et les bilans sociaux des intercommunalités. Or, les intercommunalités ont tendance à intervenir d’elles-mêmes dans des missions que ne leur ont pas déléguées les communes qui les composent. Des travaux de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes montrent qu’il n’est pas rare que jusqu’à 25 % de leurs dépenses soient consacrées à des compétences qu’elles se sont arrogées. La proposition que nous faisons à la Fondation iFRAP pour mettre un terme à cette situation est de fondre dans les prochaines années communes et intercommunalités dans un seul et même niveau. Il en résulterait un plus petit nombre de maires, mais des maires avec plus de responsabilités et de compétences, ce dont les Français sont très demandeurs parce qu’ils ont souvent de mal à voir comment se gère leur intercommunalité. Qui connaît aujourd’hui le nom de son président d’intercommunalité ?
On voit que cette question des missions publiques est le pivot de toute réforme des collectivités locales. L’idée en effet n’est pas de dépouiller les collectivités locales de leurs missions, mais au contraire de leur faire confiance et de les responsabiliser afin de leur en donner beaucoup plus. C’est précisément ce que l’État français n’arrive pas à faire, parce que notre État ne veut jamais se départir d’une mission. Il faut donc rédiger un panorama nouveau des missions publiques. Mais cela demande que nous arrivions à nous mettre d’accord sur le nombre de communes que nous gardons et sur l’avenir de l’intercommunalité.
Un autre problème que pose notre actuelle organisation territoriale est celle de la gestion des ressources humaines, ainsi que le révèle l’analyse que nous avons menée des bilans sociaux dans les collectivités locales. Un premier constat, c’est que les dépenses de fonctionnement et les dépenses de masse salariale des collectivités locales ont beaucoup augmenté ces dernières années. Elles ont été multipliées par deux ou par trois pour les intercommunalités et les départements, par six pour les régions, sur le montant de la masse salariale dépensée depuis le début des années 2000. Au niveau du bloc communal – communes et intercommunalités – on observe un dérapage d’environ 1 milliard d’euros par an sur les dépenses de personnel. Cela tient, pour partie, à l’éclatement des compétences : comme on n’a pas vraiment décidé qui fait quoi, tout le monde continue d’embaucher sur toutes les missions. Les agents, par conséquent, sont un peu perdus quant aux missions qu’ils ont à exercer. Ils ne sont pas, non plus, correctement encadrés. Les niveaux d’absentéisme révélés par les bilans sociaux empirent chaque année. L’analyse a été menée pour beaucoup de collectivités. Dernièrement, nous avons travaillé sur les plus grandes villes de France. On arrive à des chiffres très élevés. À Amiens, on dénombre en moyenne 40 jours d’absence par agent et par an, 36,8 à Marseille, 35 à Avignon, 34 à Grenoble. On note, par ailleurs, un écart énorme entre les agents titulaires et les contractuels. Pour reprendre l’exemple d’Amiens – qui est bien documenté sur la question de l’absentéisme – 49,3 jours ne sont pas travaillés en moyenne dans l’année par les agents titulaires, contre 13 pour les contractuels. L’écart est identique pour toutes les communes : 45,7 contre 17 à Montreuil, 39,5 contre 22 à Argenteuil. Autrement dit, la différence se joue entre ceux qui ont le bénéfice du statut et ceux qui sont embauchés sous contrat de droit public. À Montpellier, qui était en tête de l’absentéisme les années précédentes, certains agents ne sont pas vus par leur hiérarchie pendant plusieurs années, de l’aveu même du maire. Un second point à souligner à propos des agents des collectivités locales est celui du temps de travail, tel qu’il est négocié avec les syndicats. Mme Lebranchu, ministre de la Fonction publique, avait commandé en 2015 un rapport sur le temps de travail des agents dans l’ensemble des administrations, et plus particulièrement les collectivités locales, à Philippe Laurent, maire de Sceaux. Ce qu’a pu montrer la Fondation iFRAP, lorsqu’elle a été auditionnée, c’est que le temps de travail dans les collectivités locales est très souvent inférieur aux 35 heures annualisées, soit 1 607 heures. Il est très difficile de se procurer ces données, car dans le bilan social rendu obligatoire par la Direction générale des collectivités locales (DGCL) ne figure à aucun moment le temps de travail annualisé négocié avec les syndicats. Cette information ne se retrouve qu’au gré des rapports des chambres régionales des comptes et le rapport Laurent n’est malheureusement pas allé jusqu’à mettre en annexe une liste exhaustive sur ces questions. On peut donner tout de même quelques chiffres. À La Rochelle, par exemple, le temps de travail annuel est de 1 529 heures, de 1 572 à Montpellier, de 1 567 à Marseille, de 1 526 à Toulouse, de 1 560 dans la région de Nord-Pas-de-Calais (avant sa fusion avec la Picardie en 2016) ou de 1 519 pour le département de Seine-Saint-Denis. La moyenne des collectivités pour lesquelles nous disposons de chiffres est de l’ordre de 1 554 heures. Cela équivaut à une perte de 40 000 à 80 000 temps pleins payés mais non travaillés tous les ans, ce qui est non négligeable en termes de coût pour la collectivité. Et on ne parle là, que des collectivités locales.
Si la gestion des ressources humaines dans les collectivités locales est défectueuse, c’est parce que nous avons un principe qui est celui de l’embauche sous statut de la fonction publique territoriale, avec toutes les barrières que cela suppose. Nombre d’élus locaux avec lesquels je travaille cherchent à valoriser les agents qui sont très motivés, présents et dévoués à leur mission de service public, mais le statut les encadre et entrave la mise en place de primes de présentéisme ou d’incitations financières à la performance. Le Conseil d’État a condamné à plusieurs reprises ce genre de gratifications au motif qu’elles ne seraient pas conformes au statut de la fonction publique. Au mieux, la ville de Suresnes a réussi à instaurer une prime de présentéisme de l’ordre d’une centaine d’euros par an, ce qui est très faible. Aussi faudra-t-il imaginer, dans les prochaines années, soit de réformer le statut de la fonction publique territoriale, et permettre ainsi de récompenser les agents très présents sur leurs missions, soit d’embaucher de manière contractuelle, dans une proportion bien plus grande qu’à présent, ces mêmes agents. Beaucoup de directeurs généraux des services ne demandent que cela, de même que beaucoup d’élus. Un sondage récent que nous avons commandé à Opinion Way sur la question la suppression du statut de la fonction publique à vie a recueilli 30 % d’approbation de la part des fonctionnaires. Les mentalités évoluent. Certes, cela ne représente qu’un peu moins d’un tiers des effectifs, mais c’est beaucoup rapporté à l’hostilité qu’affichent les syndicats de la fonction publique vis-à-vis de toute réforme de ce type. Au niveau national, plus de 60 % des Français sont favorables à la remise en question de ce statut, notamment dans la fonction publique territoriale. Ce débat, en tous les cas, ne peut être esquivé.
Une dernière caractéristique du système actuel d’administration des territoires est qu’il maîtrise mal ses dépenses. Les politiques mises en œuvre dans ces dernières années pour essayer de baisser les dépenses ont porté pour l’essentiel sur les dépenses d’investissement ; on commence tout juste à voir un fléchissement des dépenses de fonctionnement. Reste une difficulté majeure sur ce point, qui est que le bon gestionnaire ne se sent pas valorisé dans son travail, ni poussé à encore mieux gérer, parce que les critères qui président à l’attribution de la dotation globale de fonctionnement sont étrangers aux principes d’une bonne gestion : on se demande toujours si la collectivité est au maximum de son potentiel fiscal ou si elle ne pourrait pas augmenter les impôts. C’est ce que s’entendra répondre celui qui aura baissé ses dépenses de fonctionnement. De la sorte, notre système donne une prime aujourd’hui davantage à celui qui gère mal qu’à celui qui gère bien. Et le principe de péréquation fait en sorte que la collectivité qui est en déficit chronique et génère de la dette (laquelle, dans nos collectivités locales, porte nécessairement sur l’investissement) n’aura pas à rendre compte de sa gestion. Un département comme la Seine-Saint-Denis, qui est un de ceux où le temps de travail des agents est parmi les plus faibles qu’on ait vu, n’est pas sanctionné sur sa dotation globale de fonctionnement. Ce dispositif aussi devra être revu dans les prochaines années, au profit d’un système de bonus-malus qui encouragera les bons gestionnaires. Derrière cela, il y a aussi une question de mentalité. Notre vision des collectivités locales n’intègre pas l’idée d’une mise en concurrence entre les territoires, qui distingue les plus impactés fiscalement et ceux attirent des entreprises et des ménages parce que leur gestion des deniers publics est meilleure et qu’ils imposent moins les ménages et les entreprises… Il nous faudra arriver, à un moment, à cette idée, qui n’est pas celle d’une concurrence acharnée, mais d’une saine émulation qui favorise la diffusion des bonnes pratiques. De plus, cela irait dans le sens de la logique selon laquelle l’attractivité économique doit être du ressort des régions. Or, cette attractivité est fondamentalement liée au poids de l’impôt dans les collectivités. Lorsqu’on regarde une carte du poids de l’impôt par salarié dans les entreprises, on constate qu’il est beaucoup plus important en PACA qu’en Bretagne ou dans les Pays de la Loire. On se rend compte aussi que le chômage est moins développé dans ces territoires où les salariés sont moins imposés.
Cette question va de pair avec celle des dépenses, que nous devons aborder à l’avenir de manière beaucoup plus dynamique, car nous n’en sommes qu’aux balbutiements. La réforme des régions devait nous rapporter 5 milliards d’euros d’économie (chiffres surévalués : 1,5 milliard était plus raisonnable) ; elle nous a coûté à ce jour environ 2,5 milliards. De même, nous avons créé les communes nouvelles (300 l’année dernière, 180 depuis le début de l’année), mais sans définir en face des objectifs d’économie. Et comme nous avons conservé de nombreux maires délégués, la tentation est grande de continuer à dépenser, plutôt que de réduire les coûts de fonctionnement et de favoriser ainsi l’investissement. Rappelons que 70 % de l’investissement en France se fait au niveau des collectivités locales. Pour le seul bloc communal, cela représente la somme considérable 40 milliards par an, dont notre pays a besoin.
Si on jette en parallèle de ce bilan un coup d’œil sur les propositions des candidats à la présidence de la République, on remarque qu’elles restaient un peu sur l’écume des choses. François Fillon entendait passer de quatre à deux échelons, réforme soumise à un référendum constitutionnel. Il projetait la fusion progressive des départements et des régions et la suppression de la métropole de Paris qui aurait fusionné avec la région Île-de-France (cette dernière décision est logique et attendue, quand on songe que le nombre des élus siégeant dans les deux assemblées était rigoureusement le même : 209), ainsi qu’une politique de décentralisation et le partage des compétences entre l’État et les collectivités. Mais il ne précisait jamais quelles auraient été les compétences transférées. Marine Le Pen, elle, affirmait de son côté qu’elle ne garderait que trois niveaux d’administration : l’État, les départements et les communes. Pour supprimer les régions donc, un choix assez surprenant. À propos des intercommunalités, elle supprimait les EPCI et imposait des délais de paiement. Mais elle non plus ne détaillait pas vraiment son plan de réorganisation. Les autres candidats, à part Nicolas Dupont-Aignan, n’envisageaient pas clairement de réformes structurelles des collectivités locales. Emmanuel Macron, lui, proposera d’aller vers plus d’autonomie et de déconcentration ; il veut simplifier les structures et réduire le mille-feuille administratif en supprimant par exemple les départements dans les zones les plus urbanisées mais en les conservant dans les zones rurales. Toutefois, s’il se fixe pour objectif la suppression d’un quart des départements, il ne dit rien pour les communes, ni ce qu’il compte faire de l’échelon intercommunal. Il souhaite aussi supprimer 50 à 70 000 postes dans la territoriale.
Des propositions pas très abouties pour une raison. Un nombre important de collectivités locales, c’est aussi un nombre important d’élus. Annoncer clairement la réduction du nombre de communes, la fusion de ces dernières avec les intercommunalités, ou envisager la suppression des départements, c’est prendre parti pour une réduction du nombre d’élus, dans une proportion non négligeable. Nous avons en France 645 000 élus. Si on veut réorganiser le mille-feuille français, il faudra inévitablement diminuer le nombre d’élus. Les agents publics, du reste, ne comprendraient pas qu’on diminue leurs effectifs sans toucher au nombre d’élus, d’autant plus qu’ils sont les premières victimes de l’empilement des strates publiques, qui brouille la cohérence de leurs missions. Or, sur la question du nombre d’élus, les candidats à la présidentielles ne s’autorisaient à parler que du nombre de parlementaires. Aucun d’entre eux ne proposait de supprimer des élus dans les intercommunalités, de réduire le nombre des conseillers régionaux (on en a 1 671 : le nombre n’a pas diminué alors qu’on a réduit celui des régions, d’où les problèmes de place lorsque se sont réunis les nouveaux conseils régionaux). Même quand on a divisé le nombre de cantons, on a réussi à augmenter un peu le nombre d’élus dans les conseils départementaux.
À la Fondation iFRAP, nous proposons de passer de 645 000 à 114 000 élus. Pourquoi une baisse dans de telles proportions ? Parce que nous avons besoin d’élus bien indemnisés, à la hauteur de leur travail pour la collectivité. Quand on voit les indemnités de nos élus, comme celles des présidents de région qui, à la tête de territoires peuplés de plusieurs millions d’habitants pour la plupart, ne touchent que 4 200 euros brut par mois, on comprend que la somme n’est pas à la hauteur de l’enjeu. De même, quand on dit que l’indemnité de base d’un parlementaire en France est de 5 000 euros, on conçoit que cela pose problème et pousse au cumul des mandats (jusqu’à maintenant, environ 70 à 80 % des parlementaires cumulent, alors que dans les autres pays c’est au maximum de l’ordre de 15 à 20 %). Si on a empilé les strates, c’est aussi parce que les élus avaient besoin d’indemnités supplémentaires et que cela leur a permis d’avoir un niveau d’indemnisation plus élevé. Ce constat nous induit à penser qu’il faut rehausser en conséquence l’indemnisation de nos élus dans les prochaines années en diminuant leur nombre. Nos propositions sont détaillées dans une publication de l’iFRAP, « Mandats politiques : passer de 645 000 à 114 000 élus » (Société civile. Mensuel de l’iFRAP, novembre 2016). On y explique ainsi qu’un maire d’une commune de 5 000 à 10 000 habitants devrait être indemnisé à hauteur de 4 000 euros par mois, ce qui est un niveau correct. Une telle opération n’augmenterait pas le coût de l’indemnisation des élus locaux pour la collectivité publique. Nous y consacrons aujourd’hui 2 milliards d’euros. Cette somme serait laissée à l’identique, mais mieux répartie et sur moins d’élus. Pour un parlementaire, nous indiquons une indemnité de 10 à 12 000 euros minimum. En contrepartie, serait revu le fonctionnement de l’indemnité représentative de frais de mandats, qui n’est aujourd’hui pas imposable et que les parlementaires utilisent sans avoir à fournir de justificatifs. Elle serait désormais rendue imposable, ou bien les députés devraient en justifier l’emploi. Une meilleure rémunération des élus locaux évitera aussi la création de beaucoup de sociétés publiques locales ou de sociétés d’économie mixte : autant de satellites difficiles à évaluer et dont on ne voit pas toujours le lien avec nos politiques publiques. Là encore, cela va demander de la transparence et de réviser notre manière de concevoir le mandat local, qui n’est pas un emploi, ni un poste, ni la propriété de l’élu mais une mission pour un temps déterminé. Lorsque des élus locaux nous disent que l’on veut supprimer des postes d’élus et « couper le lien avec les Français », il faut leur répondre que ce ne sont pas des postes mais des mandats. Notre difficulté à réformer la France tient aussi à cette conception patrimoniale du mandat électoral, qui freine le renouvellement du personnel politique, que ce soit au niveau national ou local.
Comment redessiner globalement l’administration de nos territoires ? Dans le livre, Ce que doit faire le (prochain) président, (Paris, Albin Michel, 2016) nous établissons un calendrier des réformes, mois après mois. La première idée pour réformer la France relève de la méthode : c’est celle de procéder par ordonnances. La toute première, symbolique, établirait un gel des embauches, pendant les deux premières années du quinquennat au niveau de l’État, et les deux dernières au niveau des collectivités, car pour ces dernières il faut procéder auparavant à une réforme constitutionnelle, mais aussi déterminer des ratios de bonne gestion. Vous ne pouvez pas décider, au niveau central, de geler uniformément le recrutement de toutes les collectivités, parce que certaines sont bien gérées et ont besoin d’embaucher, tandis que celles qui sont mal gérées devront réduire de manière importante leur personnel. Il faudra travailler sur ces ratios dès l’arrivée au pouvoir du prochain gouvernement. C’est ce qu’ont fait d’autres pays, tout en respectant le principe de l’autonomie des collectivités locales. La DGCL a tous les éléments en mains pour fixer des objectifs de bonne gestion qui varieront en fonction des strates : ils ne peuvent être les mêmes dans une commune de 10 000 habitants et dans une région. Cette réforme devra être couplée avec le système de bonus-malus dont il a déjà été question plus haut à propos de la dotation globale de fonctionnement : cette idée est d’ailleurs mentionnée par de nombreux rapports de l’Inspection générale des finances.
Une autre réforme est de fixer le temps de travail dans les administrations non plus à 1 607 heures mais à 1 750 heures annuelles. C’est un changement important qui suppose, en face, qu’on puisse récompenser les agents par des primes qui soient beaucoup plus individualisées que ce n’est le cas aujourd’hui où elles sont presque exclusivement déterminées, comme on le sait, par le grade, le poste ou l’ancienneté, et non en fonction des mérites personnels, sinon à la marge. Les régimes indemnitaires actuels sont d’ailleurs très peu transparents. Pour en avoir communication, il faut avoir ses entrées. Nous avons réussi, à la Fondation iFRAP, à consulter le Livre blanc de l’Office national de payes (4000 pages), qui renferme le régime indemnitaire de l’État et ses 1 581 primes. Mais il est impossible d’avoir connaissance du régime indemnitaire d’une région ou d’un département. Nous avons cherché à obtenir ce renseignement quand il était question de transférer des agents des départements vers les régions, pour savoir ce qui se passerait si on alignait tout le monde par le haut : nous nous sommes heurtés à un mur.
L’augmentation du temps de travail sera aussi un moyen de faire face au non renouvellement d’un certain nombre de postes dans la fonction publique territoriale. Nous le chiffrons à 184 000, sachant qu’il y aura 58 000 départs en retraite par an dans les collectivités locales dans les prochaines années. On devra faire comprendre aux Français, à cette occasion, que ce ne sont pas des licenciements. Au niveau constitutionnel, nous proposons la suppression des départements et la fixation d’un minimum d’habitants par commune, à l’exception des zones de montagne (soit plus de 6 000 communes), où cette dernière mesure serait trop compliquée à mettre en œuvre. Ces communes plus peuplées, qui seront de la taille des actuelles intercommunalités, recevront plus de responsabilités qu’aujourd’hui, par exemple en ce qui concerne l’éducation ou la culture. Les services qu’elles fourniront aux citoyens seront plus étendus qu’ils ne le sont dans nos actuelles petites communes.
Se pose ensuite la question de la réduction du nombre d’élus, déjà détaillée, tout comme celle de la décentralisation et des transferts de compétence. Outre l’éducation et la culture, dont il a été fait état plus haut, un autre transfert que je crois pertinent est la régionalisation de Pôle emploi : que le placement, le suivi et l’indemnisation des chômeurs se fasse au niveau régional, parce qu’aujourd’hui on voit les lacunes de la centralisation de ce système. Beaucoup d’élus qui connaissent ces dossiers, à gauche comme à droite, sont d’accord avec la régionalisation de Pôle emploi. Le problème vient de la logique paritaire de nos syndicats, qui refusent cette régionalisation, tant du côté du patronat que des organisations de salariés. Les uns et les autres ont d’ailleurs signé des communiqués de presse communs pour que ne soit pas remise en cause la gestion décentralisée de Pôle emploi. Les mêmes résistances se rencontreront dans le domaine de la décentralisation de l’enseignement, où les seules fonctions véritablement transférées à ce jour sont des fonctions support et non les fonctions d’enseignement.
Ces réformes devront être accompagnées par la définition d’un nouveau rapport entre les citoyens et leurs collectivités locales, qui passe par un suivi de la qualité des services publics. La réduction du nombre d’agents, du nombre d’élus et des dépenses n’est en effet pas une finalité en soi. Ce qui est en jeu, c’est que les Français aient en face des impôts qu’ils paient un service public de meilleure qualité que ce qu’ils ont aujourd’hui, alors même qu’ils payent plus cher pour cela que les pays environnants. Pour rappel, le taux des prélèvements obligatoires représente 44,5 % contre 36 % ou 38 % en Allemagne et au Royaume-Uni, et la Cour des comptes estime que l’écart en termes de dépenses publiques se monte désormais à 10,5 points, contre 7,5 en 2010. Cela ne signifie pas que nos collectivités locales soient celles qui dépensent le plus. Dans les Länder allemands ou les régions espagnoles, on observe ainsi des budgets beaucoup plus élevés, parce que la responsabilisation des collectivités, et par conséquent leurs missions, sont plus importantes. En France, nous avons préféré émietter les responsabilités entre beaucoup d’acteurs, plutôt que de donner à moins de collectivités plus de pouvoir et plus de responsabilités vis-à-vis des citoyens. De la sorte, les Français n’ont aucune idée de qui est en charge de quelle politique publique. On observe une dilution totale, par les financements croisés et par l’enchevêtrement des compétences, des responsabilités sur la qualité du service public. Or, beaucoup que les citoyens ont envie, au niveau local, de savoir comment sont gérées leurs collectivités. Nombre d’associations le demandent. À l’heure de l’open data, la transparence de l’action publique est essentielle. Pourquoi les bilans sociaux, qui sont obligatoires pour les collectivités, ne sont-ils pas automatiquement mis en ligne ? Pourquoi faut-il saisir la Commission d’accès aux documents administratifs pour avoir les informations de gestion sur nos collectivités, sachant que cette Commission n’a aucun pouvoir de sanction ? La loi de 1978, sur ce point, demeure insuffisante.
Sur l’ensemble des dépenses territoriales, nous évaluons à 8,5 milliards l’économie potentielle que pourraient générer une meilleure gestion des ressources humaines (la majeure partie de ces économies portant sur les dépenses de masse salariale, autour de 5 milliards) et une clarification des missions des services publics. Un dernier exemple : il existe actuellement une action extérieure des collectivités locales, dont l’évaluation est très difficile, puisqu’on n’a pas de centralisation des informations. La dernière estimation la chiffrait à 250 millions d’euros par an. Il est normal de s’interroger sur la légitimité de ces dépenses, alors que l’État dépense plus de 9 milliards d’euros en actions extérieures. La réorganisation des missions publiques nous permettra de revenir sur le mille-feuille territorial, de faire des économies et de mieux évaluer au niveau local la qualité des services publics.
Tous ces sujets deviendront, nous l’espérons, centraux dans les prochaines années. Il faut, que pour le prochain quinquennat, nous mettions en marche cette réforme de nos collectivités locales, même si ni les syndicats, ni les élus n’y sont très portés. Si blocage il y a (et il y en aura), il faut que nos dirigeants renouent avec une pratique du referendum régulière pour redonner la parole aux Français et que les citoyens et la société civile se réapproprient les débats et les enjeux.