Louis-Edmond Hamelin s’est éteint le 11 février 2020
Lors de la séance du 24 février, le président Pierre Delvolvé a prononcé une allocution en sa mémoire et fait observer une minute de recueillement.
Mes chers confrères,
J’ai la tristesse de vous faire part du décès du géographe québécois Louis-Edmond Hamelin, survenu le 11 février dernier. Cet universitaire, spécialiste de la géographie du Grand Nord, était âgé de 96 ans. Il était correspondant de notre Compagnie depuis le 13 février 1989, date à laquelle il fut élu, dans la section Histoire et Géographie, à la place laissée vacante par le décès du baron Carlo Bronne.
Louis-Edmond Hamelin est né le 21 mars 1923 au nord de Montréal, sur les rives de la rivière Maskinongé, dans une ferme de Saint-Didace, une ville-rue typique de la campagne québécoise. Élève brillant, il fait ses études classiques en tant que pensionnaire à Joliette, avant d’obtenir son baccalauréat (latin-grec) à l’Université de Montréal, puis une maîtrise d’économie à l’Université Laval à Québec.
1948 marque un tournant dans sa vie. Il effectue cette année-là son premier voyage dans le Nord du Québec, rejoignant en canot la baie James. Pour l’anecdote, il est missionné pour rendre un avis en tant qu’économiste par les deux forces politiques qui s’affrontent alors : le Parti libéral, qui souhaite développer l’exploitation forestière de cette région, et Maurice Duplessis qui entend constituer sur ces terres de nouvelles paroisses agricoles. À son courage, il encourage les premiers et dissuade le second. Bien qu’il n’a jamais été affilié politiquement, Louis-Edmond Hamelin sera toujours vu comme un intellectuel proche du Parti libéral et considéré comme une figure importante de la Révolution tranquille.
1948, c’est aussi l’année où il rencontre celui qui devient son maître, notre confrère Raoul Blanchard. Il le suit à Grenoble pour préparer une thèse de doctorat en géomorphologie alpine, qu’il achève en 1951. La même année, il se marie avec Colette Lafay, également géographe. De retour à Québec, il devient professeur à l’Université Laval où il fera toute sa carrière : il est le premier directeur de l’Institut de géographie en 1955 et fonde en 1961 le Centre d’études nordiques, qu’il dirige jusqu’en 1972. En 1975, à 52 ans, il soutient son doctorat d’État à la Sorbonne pour une thèse intitulée Perspectives géographiques de la nordicité : Nord canadien et Nouveau Québec. De 1978 à 1983, il est recteur de l’Université du Québec à Trois-Rivières.
D’abord très classique, la géographie de Louis-Edmond Hamelin se fait toujours plus personnelle au fil des décennies, car il intègre à l’étude de son objet — le Nord — des disciplines de plus en plus nombreuses, jusqu’à la linguistique : il obtiendra une maîtrise dans cette discipline en 1989 à l’Université Laval. Mais il reste toujours un géographe de terrain.
Il s’inscrit dans le sillon des grands explorateurs des mers arctiques. Par de très nombreux voyages d’études dans le Nord, il consacre la boutade de son maître : « La géographie s’apprend d’abord par les pieds. » En réalité, il parcourt en tout sens les zones arctiques et subarctiques, du Moyen Nord québécois à la Sibérie intérieure.
Au fil des ans, il élabore une approche et une méthode permettant d’aborder de nouveaux thèmes comme ceux des frontières, de l’identité du Nord de même que des relations entre le Nord et le Sud à l’intérieur des pays froids. « Louis-Edmond Hamelin a réussi à définir cette entité abstraite et inconnue qu’était le Nord. Il a amené les autorités, les chercheurs et nous, gens du Sud, à se familiariser avec la pertinence de se tourner vers cette région trop longtemps oubliée », reconnaît son disciple Henri Dorion.
Louis-Edmond Hamelin joue enfin un grand rôle dans la reconnaissance des peuples autochtones Cris et Inuits. Dès 1965, il souligne l’importance de leur consultation dans le développement économique de la région qu’ils habitent, alors en pleine effervescence. Peu entendu à l’époque, son appel s’impose dans les années suivantes. Puisant son savoir dans les récits les plus anciens de l’exploration du Nord canadien, il avait l’habitude de pointer aux Innus des vestiges laissés par leur propre peuple des siècles auparavant. Les Innus, croyant qu’il devait revenir du passé pour savoir de telles choses, le surnommaient « ka apitshipaitishut » : le ressuscité.
Il œuvre inlassablement à la reconnaissance de la spécificité de la région du Nunavik, ayant démontré que le Nord correspondait à 70 % des terres de la Belle Province. Il accompagne René Levesque en 1961 lors de son voyage de reconnaissance territoriale. Il occupe un poste à l’assemblée législative des Territoires-du-Nord-Ouest de1971 à 1975 et participe au comité du peuple Cri de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois en 1975. En mai 2011, il est aux côtés du Premier ministre Jean Charest pour le dévoilement du Plan Nord.
Auteur prolifique, inventeur de mots — parmi eux, « pergélisol » et « glaciel » sont entrés au dictionnaire —, Louis-Edmond Hamelin a acquis une stature scientifique internationale en promouvant un nouvel objet d’études — la nordicité. Il disparaît au moment où son objet d’étude est appelé à connaître de grands bouleversements sous l’effet du réchauffement climatique.
Je vous demande de bien vouloir respecter en sa mémoire une minute de silence.