Jean-François Mattei : Quand l’épidémie nous rappelle à notre humanité

Quand l’épidémie nous rappelle à notre humanité

Jean-François Mattei
Membre de l’Académie des sciences morales et politiques
Président de l’Académie de médecine

 

Avec la révolution scientifique des dernières décennies nous commencions à nous trouver à l’étroit dans un corps trop fragile animé d’une vie vouée à la mort, dans un monde étriqué dont nous avions fait tant de fois le tour. Génie génétique, algorithmes et intelligence artificielle se trouvaient convoqués. Cer-tains rêvaient d’un transhumanisme peuplé d’hommes augmentés, devenus immortels et décidés à con-quérir l’espace. Nous étions habités par un sentiment de puissance inégalée. Et voilà qu’un ennemi invi-sible, un virus inconnu autant qu’imprévisible, se répand parmi nous jusqu’à envahir la planète entière. De nombreux malades en danger, des morts par milliers, notre système de santé à la peine, nos vies bou-leversées nous laissent grandement démunis devant la pandémie. Ne disposant d’aucun traitement éprouvé, notre seule parade est de nous confiner comme le conseillait déjà le médecin Avicenne en l’an mille. Nous pensions presque tout savoir et nous réalisons notre ignorance. Il nous faut devenir plus modestes.

C’est dans l’épreuve que la vérité se révèle. Nous redécouvrons que nous pouvons être courageux. Il n’est que voir la mobilisation de nos équipes soignantes, de tous ceux qui les entourent pour les aider et participer. Ils sont là, jeunes et moins jeunes, mobilisés dans des conditions difficiles, oubliant leur fa-tigue, au mépris des risques qu’ils prennent pour leur vie, quand bien même trop d’entre eux finissent par tomber. Ils sont prêts à donner leur vie, et c’est le plus beau geste d’amour. Partout, le sens du devoir re-prend ses droits et malgré toutes les difficultés, les tâches essentielles sont assurées.

Nous voilà de nouveau solidaires. Chacun s’oublie pour penser à l’autre. Une attention de chaque instant s’installe pour aider tel ou telle dans la difficulté. La personne âgée, isolée, la personne démunie, la personne handicapée, l’enfant autiste et tant d’autres. De l’artisan-boulanger au traiteur, du fleuriste au chauffeur de taxi, les exemples sont tellement nombreux qu’en faire l’inventaire relève de l’impossible. En respectant les gestes barrières et le confinement, nous nous protégeons en même temps que nous pro-tégeons l’autre. Nos sorts sont liés. L’individualisme postmoderne s’efface, nous retrouvons cette notion de communauté et ce lien social qui fonde notre humanité.

Enfin, nous sommes résilients. Après avoir tout fait pour survivre et s’adapter aux exigences de l’épidémie, il faudra rebondir pour devenir plus forts à l’avenir. De façon inattendue la lutte contre l’épidémie rejoint la lutte pour sauver notre environnement. Les valeurs sont communes. Rester mo-destes devant l’ampleur de la tâche, affronter les difficultés avec courage, s’engager ensemble et dans la durée pour une vie plus conforme aux valeurs et à l’idéal que nous portons au fond de nous dans un monde à notre mesure quand nous l’avions défiguré.

Modeste, courageux, solidaire, résilient, voilà notre vrai visage. Nous l’avions oublié. L’épreuve nous le rend et nous aide à devenir plus grands.

Jeudi 2 avril 2020

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