Le (dé)confinement, exercice intelligent de contrôle inhibiteur ?
Olivier Houdé
professeur de psychologie à l’Université de Paris
membre de l’Académie des sciences morales et politiques
Tribune publiée le 15 mai 2020 par le magazine Cerveau & Psycho
Le confinement a beaucoup sollicité une zone située à l’avant de notre cerveau, le cortex frontal ou, mieux, préfrontal. Les neurosciences et la psychologie expérimentale ont démontré que les neurones de cette zone sont dédiés à notre capacité d’inhibition, de résistance !
Une connotation négative est souvent associée au mot inhibition, mais en fait, c’est un processus physiologique, cognitif et même social qui peut être très positif, adaptatif. Durant le confinement, notre inhibition individuelle et collective a été protectrice contre la maladie Covid-19, elle a sauvé beaucoup de vies, des dizaines de milliers en France.
L’inhibition, c’est notre cerveau contre-intuitif, mais créatif
Rien n’est plus contre-intuitif que le confinement et même les modalités du déconfinement. Inhiber de sortir de chez soi, alors que d’habitude on le faisait tout le temps, inhiber de tousser en l’air (les plus polis d’entre nous l’inhibaient toutefois déjà), inhiber de se toucher le visage alors qu’on le fait cent fois par jour, inhiber de courir vers les autres pour les embrasser ou leur serrer la main (la distanciation physique), etc. Tous ces comportements contre-intuitifs, les neurones de notre cortex préfrontal ont dû programmer de les inhiber.
C’est très difficile, surtout pour les enfants. Il y a en fait trois processus du cortex préfrontal, appelés « fonctions exécutives », qui doivent travailler ensemble :
1/ l’inhibition elle-même, le principal processus,
2/ la flexibilité cognitive ou le switching qui permet au cerveau, après l’inhibition, de s’ajuster au changement par le déclenchement d’un comportement nouveau, tels les gestes barrières, la télépédagogie ou le télétravail,
3/ la mémoire de travail qui est la partie de notre mémoire générale dédiée à maintenir et à manipuler mentalement les instructions en cours d’inhibition, c’est-à-dire aujourd’hui les énoncés ou les pictogrammes des gestes barrières et autres recommandations complémentaires pour se protéger du virus.
Mais attention, l’inhibition ne se termine pas avec le confinement ! Par exemple, respecter les marquages au sol est un vrai test neuropsychologique pour le cortex préfrontal durant le déconfinement, qu’il s’agisse des écoles rouvertes ou simplement lorsqu’on va dans les magasins.
Des raisons d’espérer
Inhiber et être flexible en cette période nous obligent aussi à davantage envisager le point de vue des autres, en inhibant le nôtre pour imaginer leurs perceptions, leurs idées, leurs émotions. Se faire une « théorie de l’esprit » de l’autre ! Entraîner les capacités d’inhibition et de flexibilité du cortex préfrontal – inhiber son égocentrisme – est donc bon tant pour le développement cognitif que social et émotionnel.
Depuis mars dernier, nous avons connu, c’est inouï, un méga-apprentissage inédit et synchronisé du contrôle inhibiteur préfrontal dans les dizaines de millions de cerveaux de toute la population française, généralisé dans le pays et même dans le monde. Ce sera difficile à mesurer, mais on peut faire l’hypothèse neuroscientifique et formuler l’espérance que tant pour les apprentissages cognitifs, à l’école ou au travail, que pour notre fonctionnement social, ce confinement, via l’inhibition positive et créatrice qu’il a imposé, sera très bon pour l’avenir.
La moitié de notre cerveau humain est inhibitrice, mais nous la sollicitions peu, l’éduquions peu à l’école, au profit de la seule sur-activation neuronale toujours plus rapide…
Cette crise sanitaire et socio-économico-politique est une opportunité unique de contrôle de soi et de « contrôle de nous » dans le monde à comprendre et à saisir. Pour les questions climatiques par exemple : inhiber de prendre l’avion à tout-va, de se précipiter vers les magasins dès le coup d’envoi des soldes…
A lire :
Olivier Houdé, L’inhibition au service de l’intelligence. Penser contre soi-même, Puf, 2020.