Jean-David Levitte : Demain, quel ordre mondial ?

Demain, quel ordre mondial ?

Jean-David Levitte
Diplomate, ambassadeur de France dignitaire
Membre de l’Académie des sciences morales et politiques

Aujourd’hui, l’ordre international tel que nous le connaissons depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, est menacé par l’existence de trois visions, trois ambitions, incompatibles  : l’européenne, l’américaine et la chinoise.

L’Union européenne reste fidèle aux valeurs inventées sur son sol et qui s’incarnent dans les chartes des organisations mondiales, de l’ONU à l’OMC. Elle veut défendre, tout en les modernisant, des règles du jeu internationales fondées sur le droit et l’égalité souveraine entre les États.

Les États-Unis, qui ont porté ces valeurs et ces règles pendant six décennies, en reviennent à un courant profond qu’a incarné le président Monroe au XIXe siècle : la «forteresse Amérique». Pour Trump, «America first» veut le plus souvent dire «America alone». Les organisations internationales sont, pour lui, une gêne. Mieux vaut la loi de la jungle où le lion américain peut imposer sa volonté.

La Chine, elle, n’a jamais vraiment admis le principe de l’égalité des États. Depuis des millénaires, elle considère qu’elle est LA civilisation, assimilant les peuples par cercles concentriques. Sa vision est proche de celle de l’empire romain : toutes les routes devaient mener à Rome ; aujourd’hui toutes les routes du «Belt and Road» doivent mener à Pékin. Xi Jinping se sent assez fort pour tenter d’imposer progressivement cette vision suzeraine, y compris dans les organisations internationales : une «Pax Sinica», un peu à l’image de la «Pax Romana».

Alors, que va-t-il se passer ? Beaucoup dépendra des élections américaines du 3 novembre. Si Trump est réélu, nous aurons une nouvelle guerre froide, cette fois-ci entre Washington et Pékin, accompagnée d’une progressive cassure des chaînes de valeurs de l’économie globalisée entre deux pôles antagonistes. L’Europe en sera le principal terrain d’affrontement. Si Biden est élu, on peut espérer un retour aux années Obama, dont il a été le vice-président  : une Amérique ré-engagée, désireuse de jouer collectif, notamment avec les Européens, en adaptant les règles du jeu et les organisations internationales aux réalités du monde d’aujourd’hui.

Quel que soit le résultat des votes aux États-Unis, l’Union européenne a un urgent besoin de renforcer son unité pour mettre en œuvre le programme de la nouvelle Commission, celui d’une Europe souveraine, capable de rivaliser avec les champions américains et chinois, dans l’intelligence artificielle, les données, la robotique, la santé…
C’est parfaitement possible : nous en avons les capacités intellectuelles, financières, technologiques. En aurons-nous la volonté, malgré toutes les contraintes que la crise de la Covid-19 fait peser sur nos dirigeants ? Chaque crise peut être une opportunité : espérons que celle-ci débouchera sur l’affirmation d’une «Europe puissance», leader mondial dans l’invention d’une nouvelle croissance, plus équilibrée, plus solidaire, plus verte.

L’année 2020 restera dans les annales comme l’année d’une crise sanitaire sans précédent par son immédiate globalité. Espérons qu’elle sera aussi considérée comme l’année marquant le début d’une adaptation de l’ordre mondial aux réalités du XXIe siècle, sous l’impulsion de l’Europe et des États Unis et dans le respect des valeurs que nous avons en partage.

le 16 mai 2020

 

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