par des lycéens du Lycée international François 1er de Fontainebleau
Lundi 15 mars 2021, dans le cadre du programme Graine d’Académie, un groupe d’élèves du Lycée international François 1er de Fontainebleau a assisté à distance à la communication de Jean-François Mattei, Quand l’opposition aux faits médicaux et scientifiques devient déraisonnable, prononcée en séance dans le programme annuel “Santé et Société” sous la présidence d’André Vacheron.
A l’issue de la communication, afin d’approfondir leur réflexion sur le projet « Tous experts, tous procureurs ? Grippette, virus de Wuhan, masques, antivax … : Santé et Société, des liaisons … dangereuses ? La crise sanitaire et ses controverses, entre raison et passions » , les lycéens ont adressé dix questions à Jean-François Mattei qui leur a répondu par écrit.
En juin 2021, accompagnés par leur professeur d’histoire-géographie, François Rubellin, ils restitueront le fruit de leur réflexion sous la forme d’un débat filmé opposant sur un plateau vrais et faux experts, consultants, influenceurs et décideurs incarnés par les élèves.
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1 – Comment redonner confiance à la population en ses médecins (sachant que la confiance des Français envers eux a baissé de 20% ces derniers temps) ?
JFM : Il me semble que l’opinion des Français est assez volatile et dépend pour une bonne part de l’actualité sanitaire. La confiance diminue lors de crises sanitaires, qu’elles soient liées à une faute biomédicale (sang contaminé, Mediator, et d’autres…) ou à la survenue d’une épidémie inédite telle que la Covid-19 avec toutes ses inconnues. Mais dans le fond, les Français gardent confiance dans leur médecin, notamment parce qu’ils le connaissent et ont établi avec lui des rapports personnels. Dans les faits, ceux qui n’ont pas confiance dans les médecins sont surtout ceux qui n’en ont pas besoin.
Néanmoins, il est indispensable que les médecins, et le monde de la santé en général, apprennent à mieux communiquer, à mieux informer, à mieux faire valoir les progrès de la médecine qui ont été considérables en deux siècles (longévité accrue, mortinatalité diminuée, meilleurs traitements de nombreuses maladies comme, à titre d’exemple, les affections cardio-vasculaires ou les cancers). La consultation médicale est d’abord un dialogue et pas une prescription d’autorité. C’est la rencontre d’une confiance (celle du patient) et d’une conscience (celle du médecin).
2 – De quelle manière les médias peuvent-ils aider les médecins à retrouver la confiance des citoyens ?
JFM : Tous les médias, écrits ou audiovisuels, cherchent à capter l’attention des Français par de gros titres à la UNE, question d’audimat. Pour ce faire, il faut choquer ou surprendre. Pour choquer, il est plus efficace de raconter des catastrophes, des accidents, des homicides, des erreurs… Pour surprendre, il faut rapporter des faits extraordinaires donc exceptionnels, des exploits ou des découvertes inattendues… En clair, seuls les trains qui sont en retard intéressent, ceux qui arrivent à l’heure n’ont aucun intérêt. Mieux, quand une personnalité connue est placée en garde à vue, les medias en feront de grands titres, mais quand, après jugement, elle est relaxée parce qu’innocente, il y a tout juste quelques lignes en bas de page et encore même pas toujours ! Je donne un autre exemple vécu : une chaîne de télévision voulait faire un reportage sur les urgences à l’hôpital, rendez-vous pris je les accueille dans un service d’urgence en début de soirée. Après deux heures, la journaliste vient me voir en me disant : « il ne se passe rien ! » et je m’étonne : « Depuis deux heures, plus de vingt personnes ont été admises, examinées et prises en charge… cela n’est pas rien… ». Elle me rétorque « Mais cela ne fait pas un sujet !! ». Autrement dit, elle attendait qu’une personne soit oubliée sur un brancard, qu’il y ait un affolement généralisé ou que les patients s’impatientent et récriminent… L’équipe de journalistes est partie car « tout allait bien et qu’il n’y avait rien à dire ! ».
Il faudrait donc que les médias modifient leurs façons d’agir. D’abord cesser de recopier ce que d’autres journalistes ont écrit avant eux sans vérifier la réalité de l’information, ensuite tenter d’être équilibrés dans les débats sans privilégier les contestataires aux dépens des lanceurs d’alerte. Enfin, les médias ont un rôle majeur dans l’opinion des Français et il ne leur est pas interdit de dire qu’il y a aussi de nombreuses raisons d’être fiers et heureux.
3 – Selon vous, le monde scientifique est confronté à une nouvelle ère, celle de la post-vérité, durant laquelle on considère qu’il n’y a aucun fait de démontré, mais que tout est affaire d’interprétation. Y aura-t-il pour vous une fin à cette ère ? Si oui, quand, et pour que quelle phase lui succède ?
JFM : Je ne crois pas que notre période ait l’exclusive de la « Post-vérité ». Celle-ci est aussi ancienne que le monde (à chacun sa vérité !). En son temps l’Eglise interprétait les écritures en proclamant que l’homme était au centre de la Terre et la Terre le centre de l’Univers. Galilée avait beau démontrer que la Terre tournait sur elle-même autour du Soleil, c’était la post-vérité ecclésiale qui s’imposait. Mais ce qui fait la différence, c’est qu’aujourd’hui le phénomène est reconnu, décrit, étudié et argumenté. Nietzsche est passé par là… je le cite dans mon propos : « Il n’y a pas de faits, mais seulement des interprétations ». Je ne suis pas certain qu’il y ait une fin à la post-vérité, mais certaines finiront pas être contredites et deviendront peu crédibles. Pour autant, d’autres apparaîtront et ainsi de suite. La difficulté réside dans le fait que la science s’impose de façon impérative au travers de ses découvertes alors que les humains ne sont pas tous prêts à accepter d’être contraints dans leurs pensées…
4 – Estimez-vous aujourd’hui que les « soignants » constituent un groupe uni et cohérent, au vu notamment du refus de certains de se faire vacciner contre la Covid-19 ?
JFM : Les « soignants » en tant que groupe constituent un ensemble cohérent autour de leur engagement à lutter contre la souffrance humaine. Ils sont organisés par des Ordres qui établissent des règles de fonctionnement qu’il leur faut respecter dans leur exercice professionnel (Ordre national des Médecins, Ordre des Infirmiers, etc…). En revanche, chacun, en tant que personne singulière, est libre dans ses choix particuliers de suivre ses convictions personnelles pour vivre sa vie. Dans le cas de la vaccination la situation est ambiguë car les soignants ont le droit de choisir de ne pas être vaccinés et d’accepter de prendre un risque pour eux (moins les médecins, davantage les infirmières et plus encore les aides-soignantes, probablement en fonction de leurs connaissances), mais le risque qu’ils prennent alors de contaminer des malades non–covid autour d’eux n’obéit pas aux règles d’éthique qui devraient les conduire à tout faire pour protéger les autres. C’est ce qu’ont rappelé les Conseils des différents Ordres, le Comité consultatif national d’éthique et l’Académie de médecine, parmi d’autres.
5 – D’où vient cette compétition entre médecins ? Est-ce spécifiquement français ?
JFM : Il faut distinguer l’exercice libéral et l’exercice dans les hôpitaux publics. Dans l’exercice libéral, chaque médecin est souvent en « concurrence » avec ses confrères au regard de la patientèle afin d’apparaître le meilleur ; il en va de même pour les cliniques privées qui sont en compétition pour leur niveau d’activité. Mais il y a néanmoins de très nombreuses situations de confiance et de réelle confraternité sans aucune compétition. Dans l’exercice hospitalier, il y a souvent une dimension universitaire qui conduit à publier des travaux médicaux et scientifiques et chacun espère être le premier à apporter des données inédites. Il s’agit d’une exigence universitaire dans le déroulé des carrières. Il arrive donc que certaines équipes s’opposent sur tel ou tel point. Cela n’atteint jamais les sommets d’un affrontement véritable. Enfin, il n’est pas interdit de tenter d’innover et, dès lors, de vouloir démontrer l’avantage de sa technique sur celle des autres. Il s’agit davantage d’une émulation. Cela peut devenir une compétition dès lors que les médias s’en mêlent et organisent l’affrontement dans des débats contradictoires. Cette situation n’est pas spécifiquement française. Je l’ai rencontrée dans tous les pays où je suis allé.
6 – Quel protocole sanitaire auriez-vous adopté si vous aviez à nouveau été ministre de la santé (confinements, fermeture des écoles, tests, vaccination…) ?
JFM : Cette question est éminemment difficile car il n’y a pas de bonne réponse. Le ministre de la Santé a pour responsabilité de faire valoir tous les arguments médicaux et de développer les stratégies protégeant au mieux les personnes. Dans cette hypothèse, les solutions sont connues depuis que le médecin arabe Avicenne a décrit autour de l’an 1000 le phénomène de la contagion et a proposé d’isoler en quarantaine les malades pour éviter la transmission de la maladie. D’ailleurs, après la première épidémie de coronavirus en 2003, l’Organisation mondiale de la santé a indiqué : « Nous avons dominé cette épidémie, non avec des moyens pharmaceutiques, mais avec des méthodes médiévales ! ». Donc, en l’absence de traitement et avant l’arrivée du vaccin, pour le ministre de la Santé, il s’agit de confiner, isoler, éviter les contacts humains, laver et désinfecter les mains et garder une distance physique d’au moins un mètre entre les personnes. Mais, à côté du ministre de la Santé il y aussi le ministre de l’Economie, les citoyens et leur acceptabilité sociale, les éventuels recours devant la justice… C’est au président de la République de décider le moins mauvais équilibre entre toutes ces variables et au Premier ministre de les appliquer. Autrement dit, le SAVOIR médical n’est qu’un des éléments permettant au POUVOIR politique de décider de la stratégie. Il est le seul légitime pour ce faire puisqu’il a été élu pour cela.
7 – De vos trois « casquettes » (médicale en tant que médecin de renom, politique en tant qu’ancien ministre de la Santé, culturelle en tant qu’académicien), laquelle vous « va » le mieux ? Laquelle/lesquelles vous a/ont valu des regrets, des désillusions, des insatisfactions ?
JFM : Sans orgueil aucun, j’ajouterai volontiers une quatrième casquette, celle d’humanitaire puisque j’ai présidé la Croix-Rouge française et conseillé la Fédération internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge à Genève pendant neuf ans. Cette accumulation pourrait paraitre très dispersée et décousue. Dans les faits, c’est tout le contraire puisque j’ai pu aborder la souffrance et la médecine par tous ses aspects : l’aspect classique d’une médecine moderne au lit du malade, l’aspect organisationnel des soins dans toutes ses dimensions, l’aspect humanitaire d’une médecine de catastrophe ou de très grande précarité dans des pays démunis de tout, enfin l’aspect académique (Académie des sciences morales et politiques et aussi Académie de médecine) qui me permet d’aborder les aspects plus philosophiques et éthiques et de mieux penser la médecine en quête de sens. Chacune de ces étapes porte son lot d’insatisfaction et de regrets. Pour le médecin, cela commence par le malade qu’on n’a pas pu, ou su, guérir. Pour le ministre, de ne pas avoir obtenu le budget nécessaire pour améliorer tel ou tel hôpital, ou service, ou financer une action de prévention. Pour l’humanitaire, de ne pas pouvoir répondre à toutes les demandes, à toutes les urgences, et de se heurter parfois à l’incompréhension des dirigeants des pays concernés. Pour l’académie, mon regret est d’être très éloigné et de ne pouvoir participer suffisamment, mais c’est le lot des provinciaux lointains.
8 – Comment expliquez-vous l’échec de Sanofi / Pasteur pour créer un vaccin français ?
JFM : Les deux situations sont différentes. Sanofi est une industrie qui possède les moyens financiers et techniques et je ne suis pas dans le secret de leurs décisions. Il s’agit probablement de mauvais choix. Elle ne s’est sans doute pas assez intéressée aux start-up qui sont aujourd’hui les lieux privilégiés de l’innovation et elle n’avait peut-être pas prévu un investissement inattendu. Quant à Pasteur, c’est probablement une question de finances mais aussi d’un long savoir-faire en termes de vaccinations qui les a empêchés d’innover en repartant de zéro. Mais je ne peux rien affirmer. Il faut ajouter aussi que les Français sont peu enclins à financer l’industrie pharmaceutique ou ce qui lui ressemble. La question mériterait de plus longs développements.
9 – Pasteur justement, dont la France « fêtera » le bicentenaire l’an prochain, ne doit-il pas se retourner dans sa tombe au vu de l’état de la recherche médicale française ?
JFM : SI ! Mais j’ajouterai qu’il ne faut pas confondre la recherche et les chercheurs. Si la recherche en « biologie-santé » a du mal à se financer correctement car elle est surtout une recherche publique relevant du budget de l’Etat, les chercheurs sont souvent de grande qualité et quand ils ne trouvent pas de quoi s’exprimer en France, ils connaissent généralement un grand succès à l’étranger. Les exemples sont nombreux (Emmanuelle Charpentier, Prix Nobel de Biochimie 2020, est une généticienne Française travaillant en Allemagne et aux Etats-Unis ; le PDG à l’origine du vaccin anti-Covid Moderna est français et travaille aussi aux Etats-Unis).
10 – Plusieurs d’entre nous envisagent des études de médecine, et de se consacrer à la santé de leurs concitoyens. Quels conseils nous donneriez-vous ?
JFM : D’abord, aimer les autres et être moralement solide. Ensuite allier des compétences en maths-physique et en humanités (éthique notamment). Surtout, ne pas avoir peur de devoir travailler beaucoup et de ne pas toujours s’appartenir. Enfin, savoir ouvrir des fenêtres vers d’autres espaces que la médecine pour ne pas se laisser enfermer dans un système très accaparant.
Merci beaucoup, Monsieur, pour le temps et l’attention que vous nous consacrez.
JFM : Avec plaisir ! Merci à vous pour ces questions bien choisies !