Yves Juillet :
Les médicaments falsifiés

Séance ordinaire du lundi 22 novembre
« Santé et Société », sous la présidence d’André Vacheron
Président de l’Académie des sciences morales et politiques

Les médicaments falsifiés

Aspects politiques de la lutte contre les faux médicaments

Yves Juillet
Membre de l’Académie nationale de médecine
Président Honoraire de l’Académie nationale de pharmacie

 

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Les médicaments et, plus largement, les produits médicaux falsifiés sont un fléau pour la santé dans le monde. Leur trafic augmente constamment, surtout dans les pays en développement mais aussi les plus développés malgré les tentatives souvent infructueuses de les combattre.

Selon la définition de l’OMS en 2017, les médicaments falsifiés sont « des produits médicaux qui dénaturent délibérément et frauduleusement leur identité, leur composition ou leur source ».

Tous les médicaments sont concernés, aussi bien les produits princeps que les génériques, quels que soient leurs indications, leurs formes pharmaceutiques ou leurs prix. La vente des médicaments sur Internet a rendu le trafic encore plus important et difficile à maîtriser.

La lutte contre les faux médicaments est difficile et complexe, elle nécessite une coordination à tous les niveaux.  Celle-ci doit être fondée sur une volonté politique forte tant nationale qu’internationale. Or cette volonté politique est loin d’être souvent au rendez-vous. C’est cette situation, ses causes, ses conséquences et les tentatives d’actions pour la combattre que nous analyserons plus avant.

 

I – Les médicaments falsifiés, un enjeu pour la santé publique

 

1. Des produits dangereux

La mise sur le marché de faux médicaments peut entraîner un préjudice grave pour la santé de malades. En effet, dans une majorité de cas ils ne contiennent pas de principe actif, conduisant à ce que les patients ne reçoivent pas le traitement dont ils ont besoin. Cette situation peut être particulièrement dangereuse dans le cas, mais pas seulement, de maladie infectieuse. (Ex :Faux vaccins méningite au Niger)

Le principe actif lorsqu’il est présent peut ne pas être suffisamment dosé. Il est considéré que ces traitements insuffisants sont à l’origine de beaucoup des résistances aux antibiotiques que l’on peut observer.

Au-delà de la simple perte de chance ces produits peuvent être dangereux en eux-mêmes. Par exemple ils peuvent contenir d’autres principes actifs que ceux annoncés sur la boîte et même des produits toxiques de manière toute aussi délibérée (Ex : éthylène glycol dans des sirops pour la toux ayant entraîné la mort).

2.  Difficultés d’identification

En raison des techniques de fabrication faisant appel aux moyens les plus récents, tant pour le conditionnement (imprimé à l’identique) que leur contenu (blisters de qualité apparente), il est devenu rare que les faux médicaments soient uniquement détectés visuellement. C’est plutôt par leurs effets médicaux nocifs qu’ils sont repérés, soit que le traitement prescrit apparaisse inefficace ou que le patient présente des effets indésirables inhabituels ou surprenants. Or le dépistage de ces anomalies nécessite une vision médicale avertie dont sont souvent démunis les pays en développement où sont commercialisés la majorité des produits falsifiés. Même dans les pays les plus développés, la méconnaissance du risque peut amener le corps médical à ne pas évoquer cette hypothèse devant une situation clinique inhabituelle.

La découverte peut se faire dans des circonstances plus « policières », saisies par les autorités douanières dans des aéroports ou des ports, ou lors d’enquêtes par les autorités de santé ou judiciaires par suite d’une plainte spécifique. La découverte est facilitée par des équipes douanières entraînées à la recherche de ce type de trafic.

3 . Un problème majeur dans les pays en développement

La quantification de ces fraudes est difficile à estimer. Des chiffres les plus divers circulent. Des études prospectives réalisées en Afrique ou en Asie du sud-est ont montré des chiffres impressionnants pouvant atteindre ou dépasser 50% du marché y compris dans certains pays et ceci également dans les chaînes de dispensation (pharmacies d’officine).

Quoiqu’il en soit ces chiffres augmentent d’une année sur l’autre. Cette augmentation est directement liée au développement des réseaux criminels qui ont identifié ce trafic comme à la fois plus rentable et moins dangereux que celui de la drogue. Elle est également favorisée par et l’existence de prix trop élevés pour le niveau économique des patients, couplée à l’absence de protection sociale dans ces pays.

4. Une préoccupation dans tous les pays, y compris les plus développés

Pendant longtemps il a été considéré que le risque était limité aux pays en développement. Ce n’est plus le cas, aussi bien aux Etats-Unis où la FDA a été amenée à délivrer des messages de précautions à la population, l’incitant à la méfiance en particulier pour les achats sur Internet et l’avertissant au cas par cas de produits identifiés comme falsifiés.

C’est également le cas dans l’Union Européenne où la Commission après avoir nié la réalité du problème s’est résolue à réagir tant sur le plan réglementaire que technique.

5. Des facteurs favorisants

Un certain nombre de circonstances conduisent au développement du risque. Dans les pays en développement le facteur central est la pauvreté. Les malades cherchent en l’absence de protection sociale à se procurer des médicaments aux prix les plus bas possibles. C’est ainsi qu’ont proliféré les marchands ambulants, la vente de médicaments à l’unité sur les marchés, dans une confusion accentuée par la mise à disposition anarchique de génériques aux dénominations variées et perturbantes sans mention de la DCI, rendant toute identification illusoire.

Le deuxième facteur est la désorganisation de l’approvisionnement qui conduit les opérateurs au mieux imprudents, au pire complice, à se fournir dans des circuits non sécurisés auprès de sources venant de pays connus comme à l’origine du trafic (Inde, Nigéria). La dérégulation du circuit de distribution en gros est également à l’origine de l’irruption de médicaments falsifiés sur le territoire européen dans les pays ayant le plus libéralisé leur marché (Pays Bas, Royaume-Uni). Au plus fort de son activité le commerce parallèle en Europe a été également à l’origine de plusieurs cas rapportés. A contrario un pays comme la France qui a gardé une réglementation et un système de distribution classique (producteur-grossiste-pharmacien) a été largement protégé du trafic, aucun médicament falsifié n’ayant été trouvé dans le circuit pharmaceutique.

6. Un problème général, la vente sur Internet

L’archétype de la déréglementation est le marché en ligne des médicaments. Acceptés pour les médicaments sans ordonnance, la vente et l’achat de médicaments de prescription obligatoire sont interdits en France. Malheureusement ces restrictions ne sont pas respectées par les patients pour trouver des médicaments moins chers (en cas de déremboursement ou de protection sociale limitée). C’est également un moyen de se procurer des médicaments que l’acheteur ne peut ou ne veut pas se procurer dans le circuit classique pour protéger son anonymat ou sa consommation (troubles de l’érection, hormones en particulier anabolisants, anorexigènes, psychotropes..).

 

II – Des freins politiques

 

1.  Au niveau national

La mise en place de mesures de lutte contre les médicaments falsifiés ne peut être efficace et même envisageable que si une coordination des différents acteurs conduit à la définition d’une stratégie efficace réellement appliquée.

La première étape est l’acceptation et la prise en compte de la réalité des faits. En pratique dans beaucoup de pays les politiques n’appréhendent pas suffisamment le problème. Beaucoup de raisons l’expliquent. Des groupes d’influence locale ethniques, familiaux peuvent exister parfois au plus haut niveau de l’état. Il peut y avoir également une intrication entre les circuits de fabrication et de distribution (génériques le jour, médicaments falsifiés la nuit) avec des passerelles plus ou moins présentes entre conflits d’intérêt et corruption.

Au-delà de ces freins réels, la situation des pays concernés est souvent mauvaise sur le plan économique, conduisant à des choix budgétaires où la santé n’est pas privilégiée.

Souvent également l’arsenal juridique et réglementaire est ancien et non adapté à cette situation nouvelle avec des peines essentiellement fondées sur le droit de la propriété intellectuelle en non le caractère criminel du risque pour la santé.

Même lorsque les choix politiques sont faits dans le bon sens, les décisions sont souvent difficiles à appliquer en raison de structures administratives insuffisantes (douane, police), face à des besoins particulièrement importants.

Ces différents facteurs conduisent à une impunité fréquente malgré des opérations spectaculaires de saisies et de bûchers sur la voie publique de médicaments confisqués, souvent sans suivi réel et comme conséquence la poursuite inchangée du trafic.

2. Au niveau international

Jusqu’à ces dernières années la situation n’était pas meilleure tant sur le plan européen qu’international. Les raisons en sont diverses, la plus importante ayant été une confusion plus ou moins volontaire autour du terme « contrefaçons » utilisé de manière globale pour désigner le trafic. Or le mot contrefaçons peut désigner deux situations bien différentes :

  • La fabrication et la vente de médicaments falsifiés tels que définis antérieurement (définition de l’OMS)
  • La mise sur le marché de médicaments ne respectant pas la législation sur les brevets. Dans ce cas le médicament commercialisé n’est pas falsifié, il contient les ingrédients annoncés mais il s’agit d’une copie alors que le médicament princeps est toujours couvert par son brevet.

Cette ambiguïté plus ou moins instrumentalisée a conduit un certain nombre de pays, en particulier l’Inde et le Brésil, à s’opposer à toute action internationale sur les médicaments falsifiés, y compris au niveau de l’OMS. L’argument avancé était que la lutte contre les « contrefaçons » allait mettre en péril leur politique nationale des médicaments génériques et mettre ainsi en danger la santé des populations défavorisées dans le monde. Suivis par une majorité de pays émergents plus par solidarité que par conviction ils ont bloqué pendant une dizaine d’années toutes les propositions d’actions de l’OMS lors de plusieurs Assemblées Mondiales de la Santé annuelles successives. Cette période a été rendue encore plus difficile par les actions d’un certain nombre d’ONG parmi lesquelles MSF, développant l’argument que toutes les propositions de lutte contre les médicaments falsifiés étaient directement influencées par l’industrie et devaient être rejetées en bloc. De son côté l’industrie en particulier américaine n’a pas contribué au débat en s’arque boutant sur le terme contrefaçons avec toutes ses ambiguïtés.

Ces prises de position divergentes ont conduit à faire capoter l’initiative IMPACT (International Medical Product Anti-counterfeiting Taskforce) lancée en 2006 à Rome. Ce groupe de travail avait pour objectif de développer une coopération internationale entre toutes les parties prenantes intéressées par cette lutte. Mais au bout de quelques années ce groupe dont le secrétariat était assuré par l’OMS a été vidé de sa substance et s’est éteint progressivement n’ayant pas été politiquement soutenu par une majorité des pays membres de l’OMS.

La querelle des acronymes a été l’illustration de cette lutte d’influence. Ne s’accordant pas sur les termes mêmes à utiliser dans le cadre du « WHO global Programme on Surveillance and Monitoring » l’acronyme SSFFC a été créé en 2014. Il signifie : « Substandard/Spurious/Falsely labeled/Falsified/Counterfeit » pour essayer de rassembler toutes les parties. Heureusement après un certain nombre d’années de discussions l’OMS revenue à la raison a adopté le terme falsified, assorti de la définition déjà mentionnée.

Même sur le plan européen, la réalité même du problème en matière de santé publique a été mise en question, au point qu’une étude préalable d’impact a été commanditée par la Commission Européenne. Les résultats ayant été positifs la décision de lancer le travail sur une réglementation spécifique européenne a été prise.

 

III –  Le développement de la lutte contre les médicaments falsifiés

 

Compte tenu de l’environnement, tant national qu’international, de la nécessité d’une mobilisation d’acteurs multiples et de leur coopération, seul un engagement politique au plus haut niveau des états est de nature à permettre la mise en place effective d’actions susceptibles d’avoir une influence réelle sur ce fléau.

1.Des gestes politiques fondateurs

Dès 2006, sur le plan professionnel on peut noter la première initiative qu’a été l’appel de Beyrouth lancé par la Conférence internationale des Ordres des pharmaciens francophones aux différents acteurs.

Mais c’est l’Appel de Cotonou du Pt Jacques Chirac le 12 octobre 2009 qui, emblématique et fondateur, a été le point de départ d’une prise de conscience des chefs d’Etats. Ce premier appel a été relayé par la résolution du Sommet de la Francophonie à Dakar de novembre 2014, enjoignant les chefs d’états à « prendre la pleine mesure des enjeux de santé et de sécurité publiques liés au fléau des faux médicaments et à décider sur le plan national des mesures appropriées ».

De même nature on peut noter la Déclaration de quatre Premières Dames africaines s’engageant à relayer ce plaidoyer politique auprès des Chefs d’Etats et de gouvernements (Ouagadougou, novembre 2011).

2. Des cadres juridiques nécessaires à une action politique

a) La Convention MEDICRIME

Comme précédemment indiqué la législation et la réglementation de beaucoup de pays, y compris les plus développés, sont inadaptées à la situation actuelle. La Convention MEDICRIME du Conseil de l’Europe adoptée en décembre 2010 est le premier traité international apportant directement des cadres précis aux états signataires. Elle définit  non seulement un objectif de santé publique aux états mais impose la mise en place de mécanismes de coordination de la lutte entre les différents acteurs et de suivi de la mise en application des actions décidées.

Autre point central, elle est ouverte à la signature non seulement des états membres du Conseil de l’Europe mais également à tous les pays non-membres qui souhaiteraient l’adopter.

b) La réglementation européenne

La Directive européenne 2011/62/UE prévoit de manière précise des mesures destinées à sécuriser la chaîne de distribution du médicament. Elle rappelle dans ses considérants des principes de base clarificateurs :

-affirmant la réalité du problème en matière de santé publique ;
-réclamant une définition internationale des médicaments falsifiés ;
– indiquant le rôle central et la responsabilité du distributeur, en particulier des grossistes- répartiteurs ;
– incluant les principes actifs falsifiés dans le cadre de la Directive ;
– reconnaissant que le principe de la libre circulation ne soit pas contradictoire avec la mise en place de mesures de sécurité, en particulier en matière de reconditionnement ;
– incluant des dispositifs d’inspection de l’ensemble des mesures.

Ce texte central s’impose aux Etats de l’UE. Il a également l’intérêt de pouvoir servir de modèle à l’adaptation nécessaire de la réglementation dans beaucoup de pays hors-UE.

3. Le développement d’un plaidoyer politique

Au-delà des appels aux autorités politiques et de la mise en place de bases juridiques qui constituent un point de départ essentiel, la difficulté est la réelle mobilisation des états et des organisations internationales pour qu’elles mettent en application des politiques efficaces susceptibles de modifier les tendances.

Le développement d’un environnement politique et médiatique favorable est de nature à inciter les décideurs politiques à s’y engager. Ce plaidoyer politique pour être efficace doit être régulier, argumenté et s’inscrire dans le temps même s’il est utile qu’il soit ponctué d’actions d’envergure comme des opérations policières internationales à l’image de celles montées par Interpol.

a) Les actions de la Fondation Chirac

C’est dans ce plaidoyer politique que la Fondation Chirac s’est engagée depuis l’Appel de Cotonou, grâce à l’implication personnelle du Pr Gentilini. A titre d’exemple on peut citer :
–  des discours du Pt Chirac en 2010 en suivi de l’Appel ;
– des interventions nombreuses (plus d’une trentaine entre 2011 et 2019) du Pr Gentilini dans des réunions internationales en Afrique et en Europe y compris à l’occasion de l’Assemblée Mondiale de la Santé en 2014 et lors de la remise du Prix Chirac en 2018, en présence du Président Macron ;
– des rencontres directes avec des chefs d’états africains ou leurs représentants pendant la même période ;
– des conférences de presse et des interventions médiatiques ;
– des publications dans la presse scientifique et grand public ;
– l’initiation ou la participation à des enseignements universitaires et des formations spécialisées

b) PSI Pharmaceutical Security Institute

Le plaidoyer politique doit s’appuyer sur des données les plus précises possibles. Les chiffres sont difficiles à obtenir comme dans tout trafic. C’est à cette tâche que s’est attelé PSI, organisme créé à l’initiative des entreprises pharmaceutiques de recherche et composé de professionnels, souvent anciens policiers habitués aux investigations.

Les données publiées montrent une augmentation régulière du nombre « d’incidents » qui passent de 2003 en 2000 à 5081 en 2019. Ils sont caractérisés, les pays et les produits concernés détaillés.

4.  Les actions de l’Académie de médecine

A l’initiative du Pr Gentilini, l’Académie nationale de médecine s’est saisie du sujet sous forme d’un rapport approuvé et publié en décembre 2015. Ce rapport a formulé un certain nombre de recommandations destinées en premier lieu aux décideurs politiques au plus haut niveau dans les Etats :

– imposer la question des médicament falsifiés comme « un impératif sanitaire » dans leurs pays respectifs et cette lutte comme une « priorité » ;
– engager fermement leurs instances gouvernementales et administratives dans une lutte soutenue en mobilisant tous les acteurs ;
– multiplier à destination de leurs populations des campagnes de communication pour les sensibiliser aux dangers encourus ;

Ce premier rapport a été suivi d’un Manifeste commun aux trois Académies (Médecine,Pharmacie, Vétérinaire) et aux trois Ordres professionnels.

C’est également à l’initiative de l’Académie nationale de médecine qui l’avait saisi que l’IAP (Inter-Academy Partnership), regroupant plus de 140 Académies dans le monde (en France : Médecine, Sciences et Technologie), a publié en septembre 2020 une prise de position publique sur la lutte contre les faux médicaments. Cette déclaration ( « Statement ») traduite en plusieurs langues a été largement relayée par beaucoup de ces Académies.

5.   L’association à des actions de terrain

Ces prises de positions publiques n’auraient que peu d’effets si elles ne se trouvaient pas relayées par des actions sur le terrain. Ces opérations, outre leur efficacité directe, ont l’avantage d’attirer l’attention des médias, relais important pour inciter les décideurs à agir.

a) Les organismes internationaux

Interpol, à cet effet, a été particulièrement actif à travers ses opérations annuelles PANGEA, organisées depuis 2008 dans le monde entier (120 pays pour PANGEA XI). Chaque année cette opération qui dure 1 semaine, porte à la fois sur les zones de transit et les ventes en ligne sur Internet. Elle conduit à la saisie de millions d’unités, à l’arrestation de milliers de personnes, à la fermeture de centaines de sites Internet.

La dernière opération PANGEA XIII (mars 2020) a montré l’adaptabilité des trafiquants aux circonstances sanitaires, dans ce cas à l’épidémie Covid-19. Augmentation de 100% des saisies de chloroquine, saisie de masques chirurgicaux et de faux gels hydroalcooliques. Sur 326000 colis contrôlés, 48000 ont été saisis.

L’Organisation Mondiale des Douanes (OMD) est également active, à titre d’exemple l’opération qu’elle a coordonnée en 2016 dans les principaux ports des pays africains a conduit à des saisies estimées à 52ME, principalement Nigéria, Bénin, Togo et Kenya. Sur 243 conteneurs contrôlés 150 contenaient des produits illicites ou contrefaits.

b) Rôle des opérateurs privés, ex : l’IRACM de Sanofi

Certaines entreprises ont décidé de s’impliquer directement se sentant particulièrement concernées. C’est le cas de Sanofi qui a créé en 2010 l’IRACM (Institut de recherche anti-contrefaçons de médicaments) qui s’est impliqué à travers des actions de formation de douaniers sur le terrain. Sanofi contribue également aux enquêtes grâce au laboratoire de contrôle de Tours créé à cet effet permettant l’identification des produits saisis.

 

IV- Des premiers succès encore limités

 

1. L’évolution positive de l’OMS

Au cours de ces dernières années on a pu constater une évolution positive de l’OMS, tant sur le plan politique qu’opérationnel. A titre d’exemple après concertation de ses membres l’organisation a abandonné le sigle SSFFC, témoin de toutes ses ambiguïtés pour adopter le terme de médicaments falsifiés et en donner la définition (voir plus haut).

Elle a rapproché les problèmes posés par les médicaments falsifiés de ceux des médicaments de qualité inférieure, de nature différente mais aux conséquences très proches pour la santé.

Ce premier succès est le résultat de la création du « WHO member-state mechanism » dont l’objectif est de protéger la santé publique et de promouvoir l’accès à des produits de santé de qualité, sûrs, efficaces, à travers une collaboration effective entre les Etats-membres et le Secrétariat. Cette entité est gérée par un Président changeant tous les 2 ans, chaque région de l’OMS assurant successivement cette tâche, et 12 vice-Présidents (deux par région de l’OMS). Tous les deux ans une liste des actions prioritaires est établie (huit pout 2020-2021) avec pour chacune un pays responsable.

2. La Convention MEDICRIME

La signature de la Convention MEDICRIME a été une étape importante. Sa mise en application est maintenant de plein droit ayant été signée par 32 pays et ratifiée par 18 d’entre eux (au 17 décembre 2020). Quatre pays non membres du Conseil de l’Europe l’ont à la fois signée et ratifiée: le Bénin, la Biélorussie, le Burkina Faso et la Guinée.

Un Comité de suivi des pays signataires a été créé, destiné à faciliter la mise en place de ses dispositions sur le terrain. Celle-ci ne se fait pas sans difficultés, en particulier la désignation des personnes-contact dans les pays (points focaux). Il est à regretter l’absence de financement de cette activité et la difficulté de trouver des accords en raison de divergences politiques (comme avec la Turquie et la Russie). Autre difficulté, la Convention est perçue comme trop « européenne » par le reste du monde. Malgré sa signature par quelques pays non-européens. Il serait utile à cet effet d’envisager une convention réellement internationale, par exemple située dans le cadre de l’ONU.

Dans cet ordre d’idées a été rédigé en mai 2019 un modèle de transposition de l’engagement dans les législations nationales par l’ONUDC (Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime) mais cette initiative reste encore non réellement suivie d’effets.

3. Mise en application de la réglementation européenne

La Directive 2011/62/UE repose sur quelques points centraux :

–  des dispositifs de sécurité et de traçabilité sur les conditionnements ;
– une sécurisation des chaînes de distribution ;
– des exigences envers les entreprises pharmaceutiques et les fabricants de principes actifs ;
– une sécurisation des ventes sur Internet.

a) Les dispositifs de sécurité et de traçabilité sont d’application obligatoire depuis février 2019. Ils ne concernent que les médicaments de prescription, les médicaments non soumis à prescription médicale étant considérés comme moins à risques, ce qui est discutable car cette disposition peut conduire à une accentuation de leur falsification . Ce dispositif (languette de sécurité) doit être forcé pour ouvrir la boîte. S’il prévient l’intrusion et l’ouverture frauduleuse du conditionnement, il peut lui-même être copié, rendant son intérêt en partie limité.

b)  La vérification du caractère ou non falsifié peut se faire lors de la dispensation grâce à un marquage à la boîte (sérialisation). Chaque conditionnement présente un code-barre spécial dit Data Matrix 2D qui est un identifiant unique répertorié dans une banque générale de données.  En pratique ce dispositif fonctionne même s’il n’est pas encore généralisé et qu’il n’est pas exempt d’erreurs.

c) Les activités des grossistes-répartiteurs européens seront de mieux en mieux contrôlées, grâce à un système d’autorisation de distribution de ces entreprises, à l’autorisation d’importer qu’ils doivent obtenir des fabricants et des autorités locales et à leur responsabilité établie de la qualité du médicament distribué.

d) Pour l’entreprise pharmaceutique les exigences de qualité relatives au médicament qu’elles libèrent de leur chaîne de fabrication ont été également renforcées, y compris la sécurisation de l’approvisionnement en matières premières, en particulier lorsqu’elles proviennent de pays hors-UE.

Ces dispositions sont utiles et sérieuses mais ne sont pas exemptes de détournements, les trafiquants s’adaptant aux nouvelles dispositions. Un regard attentif doit être porté en particulier sur les appels d’offres européens portant sur des médicaments à destination hospitalière. Elles ont aussi l’avantage de sécuriser la qualité des médicaments qui sont exportés vers les pays en développement.

Ce label Europe a conduit certains trafiquants à tenter «d’européaniser » leurs produits d’importation en les faisant transiter par l’UE, ce passage pouvant leur conférer le label avant une réexportation vers des pays-tiers. Ces détournements ont été constatés lors de certaines saisies dans des aéroports ou ports européens.

4.  Le développement des technologies d’identification et de traçage

Des progrès importants ont été faits grâce à l’utilisation des nouvelles technologies. On peut citer l’utilisation d’un numéro unique sur chaque boîte permettant une vérification par un simple SMS de contrôle donnant une réponse immédiate.

Cette identification importante sur le plan individuel ne pourra contribuer à la lutte globale que si elle est suivie de vérifications par un laboratoire de contrôle fiable, première étape d’enquêtes policières nécessaires pour remonter les filières et poursuivre les trafiquants.

5. La lutte contre les ventes sur Internet

La vente en ligne des médicaments se développe dans tous les pays comme pour les autres biens de consommation. Aucune garantie n’est apportée sur le médicament ainsi acquis mais les motivations des acheteurs sont plus importantes que les risques et les interdits dont ils n’ont souvent pas conscience. La Directive européenne a abordé cette question en imposant à chaque site de faire apparaître un logo de l’UE permettant en principe de retrouver le site du vendeur. Mais le réseau n’a pas de frontières et cette protection est illusoire.

En France, en cohérence avec les dispositions européennes, le Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens tient à jour une liste des pharmacies autorisées à vendre des médicaments en ligne. Cette liste actualisée en permanence est directement consultable par le public sur le site de l’Ordre.

Les acheteurs sont à la fois victimes et complices de cette activité. Les produits ainsi acquis représentent une part importante des saisies sous forme de colis postaux.

6.  Le Comité de suivi des Académies et des Ordres

Ce Comité a été créé pour donner suite aux déclarations solennelles des trois Académies et des trois Ordres. Il est composé de représentants de ces trois organismes. Il assure une veille de la situation internationale, fait le point sur les actions menées, s’assure du suivi des actions de communication décidées, encourage les formations spécialisées destinées aux professionnels de santé, promeut des formations spécifiques dans les pays en développement surtout francophones.

Ces formations sont organisées essentiellement dans les Facultés de Pharmacie, aussi bien dans le cursus général des études de pharmacie que sous forme d’UE spécialisées. Certaines formations sont délocalisées comme le Master Qualité des Médicaments à Hanoï en partenariat avec la Fondation Pierre Fabre.

7. L’engagement de l’OPALS

Dans cet esprit et avec comme objectif de pérenniser les actions de la Fondation Chirac, l’association OPALS (Organisation Pan-Africaine de Lutte pour la Santé), pionnière depuis 1988 de la lutte contre le VIH-Sida, s’est érigée en Fondation abritée par la Fondation de l’Académie de Médecine. Dénonçant l’exploitation par les trafiquants des difficultés d’approvisionnement en produits de santé, en relation avec la pandémie Covid-19, elle s’inscrira dans la lutte contre les médicaments falsifiés en continuité du plaidoyer politique développé depuis l’Appel de Cotonou.

8. Une communication adaptée, vers un début de prise de conscience du public et des médias

Pour le public, l’important est qu’il soit réellement averti du risque, qu’il en connaisse les enjeux et qu’il le prenne en compte dans sa vie quotidienne en modifiant ses comportements. Cette prise en compte doit être aussi collective, ce qui se traduira par une multiplication des relais médiatiques puis une sensibilisation des politiques. Ce point est essentiel car dans tous les pays les décisions politiques sont influencées par les pressions du public et des médias.

Cette mobilisation passe par des moyens divers :

–  un relais médiatique fort des opérations menées par la police et les douanes (opérations PANGEA, actions de l’OMD, saisies dans les aéroports…) ;
– des opérations de communication comme la destruction par le feu de quantités importantes de produits saisis ;
– l’organisation de journées anti-falsification au niveau national ou local.

Une communication directe auprès du public est nécessaire pour tenter d’améliorer sa prise en compte du problème encore actuellement très largement insuffisante, même dans les pays les plus développés comme les Etats-Unis. Ces campagnes peuvent être menées par :

–  des autorités administratives, agences de santé ou de médicaments comme la FDA : « Counterfeit medicines : filled with empty promises, 14-07-2020 » ;
– des organismes en charge de la lutte comme Interpol : « Turn back Crime » en 2014 traitant directement des médicaments falsifiés ;
– des associations comme la Fondation Chirac : « Le médicament tue », lancée en 2015, à destination des pays de l’Afrique francophone sous forme de spots radios et télévisés (RFI, TV5, France24) ;
– des organismes privés comme l’IRACM : « Tout faux » destiné au grand public (2015)

*

Conclusion : une situation clarifiée mais des succès encore trop limités

 

Grâce aux efforts menés de toutes parts des succès réels ont été obtenus conduisant à une réduction momentanée du trafic. Mais il ne semble pas que dans les pays émergents en particulier, le trafic ait réellement diminué, au contraire. Le nombre de saisies ne cesse d’augmenter. Est-ce le résultat d’une lutte toujours plus active ou le simple témoin de la croissance du marché ? Il est à craindre que comme pour la drogue la réalité soit plutôt sombre.

Il n’empêche, des avancées ont été obtenues avec des bases législatives et réglementaires maintenant solides comme en Europe, pouvant servir de modèle aux législations encore insuffisamment adaptées. Toutefois certaines de ces mesures réglementaires comme la traçabilité à la boîte (sur le modèle de la directive européenne) semblent inapplicables dans les pays les plus pauvres car trop coûteuses et reposant sur un circuit pharmaceutique bien organisé et encadré, loin de la situation de nombreux pays du Sud.

Même s’ils ne sont pas toujours proactifs, les politiques sont maintenant sensibilisés. On peut espérer que leur environnement les incitera à agir. Cette évolution favorable risque d’être momentanément gênée par la crise du Corona virus ouvrant de nouvelles perspectives aux trafiquants et limitant les investissements dans la lutte. Elle peut être aussi à l’origine d’une sensibilisation complémentaire.

Volonté politique et coordination au niveau national et international sont les maîtres mots. A cet égard le rôle de l’OMS est central. On peut espérer que le « Mécanisme des Etats » continuera à fonctionner et que les axes politiques antérieurement définis seront maintenus. C’est à ce prix que la santé des malades sera préservée en leur permettant un accès direct à des médicaments sûrs et efficaces. Cette mise à disposition passe aussi par une politique des prix du médicament et à l’instauration de systèmes de protection sociale assurant un accès réel des traitements aux patients.

 

Eléments bibliographiques

  1. WHO, Definitions of substandard and falsified Medical products (2017) : http://www.who.int/medicines/regulation/ssffc/A70_23-en1.pdf?ua=1
  2. BASCAP (Business Action to Stop Counterfeit and Pharmacy). Fake vaccine leads to 3000 deaths in Niger (1996) : http://www.icc-ccs.co.uk/bascap/article.php?articleid=363
  3. Akuse RM, Eke FU, Ademola AD, Fajolu IB et al. Diagnosing renal failure due to diethylene glycol in children in resource-constrained setting. Pediatric Nephrology. 2012; 27:1021-1028
  4. Deats M. (2013). The effects of falsified and substandard drugs. In: Buckley GJ, Gostin LO. Countering the problem of falsified and substandard drugs. Washington (DC). National Academies Press (US). p.1-16 : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK202526/
  5. WHO Report by the Director General, Member State mechanism on substandard/spurious/falsely-labelled/falsified/counterfeit medical products, March 2017
  6. Chirac, J., Appel de Cotonou contre les faux médicaments : http://www.fondationchirac.eu/wp-content/uploads/2009/10/appel-de-cotonou-signe.pdf
  7. Convention du Conseil de l’Europe sur la contrefaçon des produits médicaux et les infractions similaires menaçant la santé publique, Entrée en vigueur, 2016 : https://www.coe.int/fr/web/medicrime/the-medicrime-convention
  8. Directive 2011/62/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 modifiant la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, en ce qui concerne la prévention de l’introduction dans la chaîne d’approvisionnement légale de médicaments falsifiés.  JOUE n° L 174/74 du 01/07/2011
  9. Gentilini,M., Juillet,Y. (2015). Les médicaments falsifiés. Plus qu’un scandale, un crime. Bulletin de l’Académie Nationale de Médecine, 199(8-9), pp. 1433-1448
  10. Poursuivre la lutte contre les produits médicaux falsifiés et de qualité inférieure. Un appel à l’action des Académies membres de l’IAP : http://www.interacademies.org/sites/default/files/2020-10/Francais%20IAP%20Statement.pdf
  11. Duteil, Q. Contrefaçons et falsificatio des médicaments dans le monde : état des lieux et moyens d’action. Thèse de doctorat. Rouen, 2016
  12. Trade in Counterfeit Pharmaceutical Products. OECD report. Paris 2020 : http://www.oecd.org/gov/illicit-trade/oecd-illicit-trade-in-pharmaceutical-products-brochure-pdf.

Rapport ANM Med Fals 3

10-Poursuivre la lutte contre les produits médicaux falsifiés et de qualité inférieure. Un appel à l’action des Académies membres de l’IAP : http://www.interacademies.org/sites/default/files/2020-10/Francais%20IAP%20Statement.pdf
11-Duteil, Q. Contrefaçons et falsificatio des médicaments dans le monde : état des lieux et moyens d’action. Thèse de doctorat. Rouen, 2016
12- Trade in Counterfeit Pharmaceutical Products. OECD report. Paris 2020 : http://www.oecd.org/gov/illicit-trade/oecd-illicit-trade-in-pharmaceutical-products-brochure-pdf.

 

 

 

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