Séance ordinaire du lundi 30 mai
“Sauver ?”, sous la présidence de Rémi Brague
Président de l’Académie des sciences morales et politiques
Sauver la planète ?
Isabelle Ledoux-Rak
professeur des Universités à l’Ecole normale supérieure Paris Saclay
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Sur la pertinence de cette expression dont on use et abuse pour enjoindre nos contemporains à prendre conscience de la crise écologique, je partage entièrement les réserves exprimées par Marianne Durano (Faut-il « se sauver » ou « sauver la planète » ?) lors de la conférence qu’elle a donnée ici même en février dernier. Non seulement parce qu’elle témoigne d’une « ignorance prétentieuse », selon les termes utilisés à cette occasion, mais aussi et surtout parce qu’elle réduit notre Terre à un corps céleste errant (selon l’étymologie du mot « planète ») qui n’évoque guère autre chose qu’un objet tournant autour du Soleil suivant les lois de la mécanique céleste, comme Mars ou Jupiter pour n’évoquer que les plus connues de ses congénères. Ce terme nous place artificiellement en-dehors de l’astre où pourtant nous sommes assignés à résidence, et semble nous faire oublier que cette « planète » représente pour nous bien davantage que ce que l’astronomie peut nous en dire. Car si nous désirons la sauver, c’est avant tout parce que nous l’habitons, parce qu’elle est notre domicile, notre demeure. Ce n’est pas par hasard si le mot « écologie » qui désigne l’étude de l’environnement qui conditionne notre bien-être, voire notre survie, est issu du terme οἶκος, la maison. C’est pourquoi, même si elle s’applique à une réalité bien plus vaste que notre petit astre terrestre, je préférerai par la suite évoquer la « nature », dont l’usage renvoie à une communauté de vie dont nous ressentons la nécessité de manière d’autant plus pressante qu’elle apparaît aujourd’hui bien fragilisée.
Quelle nature sauver ?
Encore faut-il s’accorder sur ce que nous entendons par « nature ». Définir ce qui est « naturel » est une tâche délicate : un animal domestique ou une plante cultivée résultent d’un long processus de sélection où l’homme joue un rôle majeur – sans parler des organismes génétiquement modifiés. Je renvoie sur cette question aux travaux de Bernadette Bensaude-Vincent[1] lorsqu’elle souligne la difficulté de dessiner une frontière claire entre le naturel et l’artificiel. Je propose ici de considérer comme « naturel » tout ce qui existe sans nécessiter d’intervention extérieure, et notamment humaine[2], comme Rémi Brague l’a fait dans un de ses articles récents. Nous parlerons ainsi de la nature en son sens « cosmologique », comme l’ensemble – ordonné selon des lois qui lui sont propres – des objets et des êtres vivants qui nous environnent. Il s’agit là d’une conception plus scientifique que métaphysique.
Remarquons d’autre part que la notion de nature telle que nous l’entendons aujourd’hui a été introduite par les Grecs, notamment dans le domaine médical, en vue d’affranchir la question de l’origine des maladies de causes relevant des croyances ou des superstitions qui faisaient la fortune des devins et charlatans en tous genres[3]. En ce sens, la nature serait donc ce qui n’est ni divin, ni humain. Nous verrons plus loin les limites de ce modèle.
Une nature puissante et hostile
L’idée que nous devrions « sauver la nature » – au moins sur notre planète – aurait paru totalement incongrue au moins jusqu’à l’époque moderne. Dans les sociétés anciennes, la nature était au contraire perçue comme dominante, voire dangereuse, en tous cas bien plus puissante que l’homme. Il s’agissait bien moins de la maîtriser que de se conformer à ses lois, afin qu’elle nous épargne. Dans un monde où l’activité agricole est restée dominante jusqu’à récemment, la nature demeurait omniprésente, et souvent hostile. Il s’agissait avant tout de « se sauver » de la nature, de s’en protéger, voire de chercher à l’apaiser par certains rites. Du fait de cette évidente domination, les ressources naturelles apparaissaient inépuisables, et depuis la nuit des temps, l’homme n’a pas cessé de les exploiter sans retenue. Nos sociétés urbanisées n’ont plus guère cette perception directe de la puissance des forces naturelles, sauf par procuration, lorsque nos écrans nous montrent un tsunami ou des ouragans qui viennent dévaster des contrées plus ou moins lointaines. Dans cette perspective, il peut donc apparaître prétentieux de prétendre sauver une planète qui, selon les termes de Marianne Durano, n’a pas besoin de nous, car c’est nous qui avons besoin d’elle.
Une nature devenue fragile et aux ressources limitées
Cependant, on voit poindre, au moins depuis le XIIIème siècle, une certaine inquiétude, notamment devant la disparition rapide des forêts. Les rois de France promulguent d’abord quelques ordonnances, puis mettent en place une première administration des Eaux et Forêts au XIVème siècle, mais la déforestation ne fait que s’accélérer, ce que déplore Ronsard dans son poème Contre les bûcherons de la forêt de Gastine. La part du territoire français encore boisé descend à 16 % au tout début du XIXème siècle. La politique volontariste de reboisement menée depuis lors par l’Etat français, puis l’exode rural, a fait revenir cette proportion à sa valeur du début du XIIIème siècle, soit 27% de la surface en métropole. Mais seul le développement industriel de la deuxième moitié du XXème siècle a conduit à une prise de conscience massive des dangers que font courir à l’échelle mondiale la surexploitation des forêts tropicales, la pollution, la bétonisation des terres, avec pour conséquences la destruction de la biodiversité, voire le trou de la couche d’ozone et, dernier-né de cette liste de nuisances, le réchauffement climatique. Sans oublier le risque de guerre nucléaire qui vient de se rappeler à notre bon souvenir. En moins d’un siècle, l’humanité a changé radicalement de point de vue sur la nature : autrefois puissante et indestructible, elle apparaît désormais dans toute sa fragilité. L’irréversibilité de l’action de l’homme sur la nature apparaît dans toute sa dramatique : on ne fera pas renaître les espèces disparues, l’élimination de certains polluants et des déchets nucléaires nécessitera des siècles, voire des millénaires, et l’augmentation apparemment inexorable des températures à la surface de la Terre pourrait la rendre, dans une vision catastrophiste mais pas entièrement invraisemblable, semblable à la planète Vénus victime d’un effet de serre massif, avec une température de 460°C ! Nous avons enfin pris conscience de la vulnérabilité de la nature, de ses ressources limitées, au point de provoquer, notamment chez les jeunes générations urbanisées, un sentiment d’angoisse, une « éco-anxiété » qui est devenu un phénomène de société[4].
Une fragilité intrinsèque ? Ce que dit la science
Mais avant d’examiner par quels mécanismes l’espèce humaine en est venue à infliger à son environnement des dommages dont certains semblent d’ores et déjà irréversibles, ne faut-il pas se demander si cette fragilité n’est pas intrinsèque à la nature elle-même ? En d’autres termes, le développement de la pensée scientifique n’a-t-elle pas déjà mis en évidence que non seulement notre planète, mais le monde physique et l’Univers entier ne sont pas éternels ?
Un bref panorama de l’histoire des sciences peut donc nous éclairer. L’idée que la nature, et plus généralement l’Univers entier, puissent être affectés par le temps de manière irréversible ne s’est imposée que difficilement. Longtemps l’humanité a considéré le temps comme cyclique, en référence à l’alternance du jour et de la nuit, au retour des saisons, cette représentation reposant d’ailleurs sur des phénomènes astronomiques tout à fait réels, la rotation de la Terre sur elle-même, ou sa rotation autour du Soleil. Même pour les Grecs, qui avaient poussé assez loin la recherche d’une compréhension rationnelle, voire mathématique du monde, l’image du cercle, spatiale (orbites des planètes) ou temporelle, était indépassable, car elle témoignait de la perfection du divin dont les objets célestes étaient en quelque sorte revêtus. Il fallait d’abord désacraliser les éléments naturels, astres, fleuves, bosquets sacrés, pour leur permettre d’échapper à ces représentations circulaires. A l’opposé,quand le Soleil et la Lune sont rétrogradés de leur attributs divins au rang de simples « luminaires » – sans même, dans le texte de la Genèse, que leurs noms soient prononcés – ils deviennent alors, non plus les maîtres des horloges, mais des instruments de mesure d’un temps dont ils ne gouvernent plus le cours. Le caractère nécessaire, indépassable, du temps cyclique, n’a donc plus de raison d’être. Le passage à un temps linéaire et orienté introduit l’imprévisibilité, la nouveauté, et surtout la possibilité pour l’homme d’échapper à un destin dicté par les astres. Notons que le succès persistant des horoscopes montre en quoi ce fatum peut conserver certains attraits en plein XXIième siècle. Or, cette libération de l’éternel retour permet à l’homme de pouvoir envisager d’intervenir directement dans le cours des événements, de devenir un acteur de son propre destin – et de celui de la nature qui l’entoure[5]. Si les bosquets ne sont plus sacrés, rien ne l’empêche de les exploiter pour son propre usage, de les transformer en prairies, en champs cultivés, en centre commercial… De manière analogue, les célébrations des cycles agraires sont remplacées, dès les temps bibliques, par les remémorations d’événements historiques (qui se tiennent souvent aux même dates que celles des cultes antérieurs) où l’homme, et non plus la nature, joue le premier rôle[6]. Les rythmes cosmiques répétitifs, reproductibles, font place à l’histoire, cette collection d’événements singuliers et souvent imprédictibles, car provoqués par une humanité qui a ainsi appris à faire usage, pour le meilleur ou pour le pire, de cette liberté qui s’exercera, vis-à-vis de la nature, comme une domination plus ou moins heureuse.
Curieusement, dans le domaine spécifique de la pensée scientifique, l’idée d’un monde impermanent ne s’est imposée que très difficilement, et à une époque tardive. L’établissement de lois de conservation, de la matière (Lavoisier) ou de l’énergie, relevait au départ d’une volonté d’arracher les phénomènes physiques ou chimiques à une représentation de type « créationniste » où le divin interviendrait directement dans l’apparition des phénomènes. La résistance des biologistes et médecins à la notion de génération spontanée des micro-organismes relevait d’un reste de sacralisation du vivant, contre laquelle Louis Pasteur et ses pairs ont dû batailler avec la plus grande énergie. D’autre part, l’idée d’un Univers éternel, sans commencement ni fin, permettait de s’affranchir de la représentation biblique d’un monde créé ex nihilo et promis à un achèvement. Mais au-delà de ces préjugés dont l’arbitraire ne le cédait en rien à ceux des religions dont ils prétendaient éliminer l’influence, la recherche de schémas de compréhension du monde physique mieux adaptés aux observations a conduit peu à peu à une révision profonde de ces principes de conservation et d’éternité du monde. En voici quelques exemples
- Au XIXème siècle, les intuitions de Carnot et les travaux de Boltzmann ont permis d’introduire une nouvelle fonction, appelée entropie, qui mesure l’irréversibilité de certains phénomènes physiques : le mélange de deux gaz initialement distincts dans un seul récipient est définitif, on ne peut spontanément séparer les deux types de molécules gazeuses pour revenir à leur état initial. L’énergie dissipée par les chocs successifs d’une balle sur le sol ne peut pas être récupérée. De manière générale, la nature est supposée évoluer vers une situation de désordre de plus en plus généralisé. Cette irréversibilité, qui constitue le second principe de la thermodynamique, a été mal acceptée par les physiciens eux-mêmes[7], car elle signifiait que l’Univers entier était condamné à évoluer vers un état de désorganisation totale, : l’Univers était mortel !
- En chimie, la radioactivité, puis la possibilité de transmutation d’éléments en d’autres espèces atomiques, dont certaines sont purement artificielles, a causé un grand trouble dans la communauté des chimistes, y compris chez le fondateur du Tableau périodique, Mendeléiev, qui a cherché désespérément une solution –qui s’est avérée fantaisiste – à cette instabilité de certaines espèces[8].
- En cosmologie, l’exploitation mathématique de la théorie d’Einstein, conjuguée à des observations spectroscopiques sur les galaxies, a permis de montrer que l’Univers est en expansion continue, et qu’il a un commencement (ce qu’on appelle le « Big Bang »). Cette représentation a profondément choqué certains astronomes (notamment Fred Hoyle) qui voulaient à tout prix éliminer tout modèle scientifique pouvant se rapprocher du récit biblique de la Création[9].
- Enfin, la mécanique quantique se fonde sur le fait que tout objet est affecté par ce qui permet de le mesurer. L’effet de la mesure se fait surtout sentir sur des objets dont la taille est de l’ordre du millliardième de mètre et en-dessous. On ne peut donc pas déterminer toutes leurs propriétés physiques avec une précision aussi petite que possible. On introduit alors ce qu’on appelle un « principe d’incertitude »
Tous ces développements scientifiques montrent que le monde a un commencement – et éventuellement une fin – et que ses constituants, que l’on croyait immuables jusqu’à une époque récente, peuvent être profondément altérés, soit par les processus naturels eux-mêmes, notamment via l’entropie ou la radioactivité, soit par l’action de l’homme, par exemple par la création de nouveaux éléments chimiques et bien sûr les manipulations du vivant qui ont pris leur essor depuis quelques décennies. Ainsi donc, si les lois physiques elles-mêmes peuvent entraîner des modifications majeures de notre environnement, pourquoi l’homme ne pourrait-il pas lui aussi oeuvrer à de telles transformations ? Si la nature est à ce point évolutive, pourquoi ne pas contribuer activement à son évolution ?
L’industrialisation : la nature en danger ?
L’arraisonnement sans précédent de la planète par l’homme semble donc résulter de cette plasticité confirmée depuis plus d’un siècle par les avancées scientifiques dans les domaines les plus divers, depuis la cosmologie jusqu’à la biologie et la médecine. Avancées qui se traduisent d’ailleurs par une accélération impressionnante des moyens technologiques mis à notre disposition, et donc certains peuvent conduire, si on les met en œuvre, à la destruction de la plus grande partie des êtres vivants. Paradoxalement, c’est au moment où la recherche scientifique met en évidence l’impermanence et la fragilité de la nature, que son exploitation atteint des dimensions inégalées. Peut-être l’ivresse du progrès technologique et des nouveaux pouvoirs qu’il nous confère nous fait-elle oublier qu’il s’appuie sur des ressources disponibles dans un espace limité – notre petite planète qu’il faudra bien finir par chercher à sauvegarder – si nous désirons qu’elle demeure habitable. Mais par quelles voies ? Deux pistes apparemment incompatibles et quelques peu radicales semblent s’offrir à nous :
- Seuls des progrès technologiques supplémentaires permettraient de sauver la nature de son arraisonnement actuel. On remarquera cependant que protéger la planète de sa présente surexploitation, en mettant en œuvre d’autres technologies dont on voit mal en quoi elles seraient moins dommageables que celles d’aujourd’hui, reviendrait en fait à conserver, voire à accentuer la pression actuelle de l’homme sur la nature, ou, en d’autres termes à ajouter de la domination à la domination.
- Une stratégie de conservation de ce qui peut encore être sauvé semble louable, mais doit-on aller jusqu’à mettre sous cloche que qui reste de l’espace naturel ? Les réserves naturelles ont des effets bénéfiques sur l’environnement, mais peut-on transformer la planète en un immense parc national sans en exclure l’homme ? Certains écologistes radicaux font ce choix, et proposent rien de moins que l’extinction de l’espèce humaine. D’autres prônent la rupture des liens avec la nature, par exemple en renonçant à la domestication des animaux, afin de ne pas porter atteinte à l’intégralité d’un supposé « patrimoine naturel ». Mais une vie humaine privée de sa familiarité avec les êtres vivants est-elle encore capable de vivre une véritable relation d’altérité avec le monde non humain ? Faire de la nature une entité intouchable, n’est-ce pas la re-sacraliser à un degré jamais atteint jusqu’à maintenant ?
Pour aller plus loin dans ces directions, il convient d’abord de mieux comprendre les causes des dégâts infligés à la planète par l’espèce humaine, et en quoi ce n’est pas tant le progrès scientifique et technique en soi qui en est responsable, mais plutôt un type de relation dévoyée qui affecte, non seulement le lien avec la nature, mais l’homme tout entier.
Un désenchantement du monde
Nous avons vu que le remplacement d’une conception cyclique du temps par une conception linéaire libère l’homme de l’idée que son destin serait entièrement dépendant des forces naturelles. Le développement spectaculaire de nos connaissances et des technologies associées nous donne l’illusion que nous maîtrisons suffisamment bien les lois du monde physique pour nous donner le droit de le modeler selon nos envies, et cela d’autant plus que nous en avons découvert la malléabilité. Mais les dérèglements des équilibres écologiques liés à l’activité humaine montre à quel point ces connaissances sont incomplètes. En détruisant une espèce animale supposée nuisible, nous favorisons la prolifération d’autres populations qui peuvent s’avérer encore plus dangereuses. Mais, nous le verrons, les prétentions humaines ne se sont guère embarrassées, jusqu’à récemment, de prendre en considération l’extraordinaire complexité de la nature. En cherchant à la dominer sans la comprendre vraiment, l’homme exerce sur elle une domination qui tend à la réduire aux représentations qu’il s’en donne, à ses désirs, et à ses appétits. On a pu accuser le christianisme d’avoir aggravé cette tendance, non seulement suite à l’injonction biblique « remplissez la terre et soumettez-la » (Genèse 1, 28), mais aussi pour avoir facilité ce « désenchantement du monde qu’évoque Max Weber à propos d’une vision strictement scientifique de l’univers :
L’intellectualisation et la rationalisation croissantes ne signifient pas une connaissance générale toujours plus grande des conditions de vie dans lesquelles nous nous trouvons. Elles signifient quelque chose d’autre : le fait de savoir ou de croire que, si on le veut, on peut à tout moment l’apprendre ; qu’il n’y a donc en principe aucune puissance imprévisible et mystérieuse qui entre en jeu et que l’on peut en revanche maîtriser toute chose par le calcul. Cela signifie le désenchantement du monde. »[10]
C’est d’ailleurs ce que déplore Ronsard dans Contre les bûcherons de la forêt de Gastine cité plus haut :
Ecoute, bûcheron, arrête un peu le bras !
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas :
Ne vois-tu pas le sang, lequel dégoutte à force
Des Nymphes qui vivaient dessous la dure écorce ?
Certes, ce désenchantement a été libérateur, car il délivre les hommes des superstitions et des peurs qui en résultent. Mais, s’il est mal compris, il peut balayer tout reste de respect devant ce que le christianisme doit considérer comme créature de Dieu. Si, comme sans doute Ronsard, nous ne croyons pas réellement dans la présence d’esprits de la forêt, leur évocation poétique devrait nous inciter à modérer nos ardeurs destructrices. Or, la retenue prônée par le poète sous la forme d’évocations mythologiques était motivée par des considérations beaucoup plus prosaïques : dès le Moyen Age, on l’a vu au début de cet exposé, on commençait à comprendre que les capacités de régénérations des forêts n’étaient pas infinies. Car si l’homme se conduit exclusivement en dominateur de la nature, il refuse de voir que les ressources naturelles sont limitées par le périmètre, restreint, de notre planète. Il ne veut pas admettre cette forme de dépendance liée à la finitude de notre monde.
Refuser le don de la nature
Ce refus des limites se traduit d’ailleurs par d’autres comportements dont l’impact environnemental peut sembler négligeable, mais qui relève d’une même « culture » qui n’accepte pas d’être dépendante, ou même redevable, de contraintes et de conditionnements extérieurs, y compris historiques ou biologiques. Il y a derrière le refus de ces conditionnements, de ce « donné » imposé, mais aussi offert, par l’histoire des siècles passés comme par les lois du monde physique, un rêve de « table rase », un culte aberrant d’un progrès qui ne veut rien devoir à personne, pas même au monde qui nous entoure. Sans chercher à porter de jugement sur des problèmes individuels parfois délicats et complexes, on peut cependant s’interroger si la généralisation de certaines tendances, par exemple en ce qui concerne la possibilité de choisir son « genre », ne relèvent pas de cette aspiration à nier à tout prix les limites posées par la nature. Et cette négation ne conduit-elle pas, en fin de compte, à une nouvelle forme de déni de la temporalité que la science moderne a eu tant de mal à neutraliser ?
La nature apparaît cependant, à première vue, comme extraordinairement féconde : la plus grande partie des végétaux produisent une quantité de fruits ou de graines infiniment supérieure aux besoins de régénération des espèces. Et lorsque les premiers explorateurs ont pu atteindre des zones non peuplées par l’Homme, ils y ont découvert une profusion d’être vivants inconnus. On ne peut donc s’étonner que, dans un premier temps, l’espèce humaine ait considéré les ressources naturelles comme inépuisables. Mais même cette surabondance n’est pas infinie. Les combustibles dits fossiles (charbon, pétrole, gaz) se sont formés, comme l’indique cette qualification, pendant les temps préhistoriques, il y plusieurs de dizaines de millions d’années, et les gisements les plus anciens datent de 350 millions d’années. Il faudra donc attendre très longtemps avant de reconstituer les stocks de ces précieuses sources d’énergie, mais aussi de produits chimiques indispensables à l’ensemble de la synthèse organique. Déjà Mendeleiev, à la fin de XIXème siècle, déplorait profondément l’usage du pétrole comme combustible ; la riche variété des molécules qui le constituent en fait en effet une source unique et irremplaçable pour la synthèse organique et pharmaceutique. Mais d’autres matériaux sont menacées de raréfaction : les métaux utilisés dans nos objets du quotidien sont rarement recyclés, leur consommation s’accélère au rythme de l’élévation moyenne du niveau de vie mondial, et l’impossibilité quasiment générale – décidée par les fournisseurs pour améliorer leurs marges bénéficiaires – de réparer un appareil électrique d’usage courant entraîne un immense gâchis de ces matériaux qui, laissés à l’abandon s’oxydent peu à peu et sont rendus à la terre d’où ils sont tirés, mais à des concentrations tellement faibles que leur récupération ne sera plus rentable. Le rythme de consommation de ces produits du sol dépasse celui de leur formation de plusieurs ordres de grandeur, il est sans commune mesure avec les moyens dont dispose la nature pour se régénérer.
L’impatience technologique : les solutions bâclées
D’autre part, nos réalisations techniques, aussi performantes qu’elles puissent paraître, sont grevées d’inconvénient parfois mortels. Il en est ainsi de la commercialisation des automobiles, qui fut mise en oeuvre très peu de temps après leur mise au point ; et cela pour obtenir certes un véhicule à usage individuel et relativement rapide, mais qui est resté jusqu’à récemment bruyant, polluant, consommateur de ce pétrole si précieux aux yeux de Mendeleiev, et de surcroît dangereux. L’usage d’automobiles est devenu une nécessité pour des centaines de millions d’êtres humains, mais on peut se demander s’il n’aurait pas été plus judicieux d’attendre que les nuisances qu’elles provoquent aient pu être neutralisées, au moins pour leur plus grande part, avant leur mise en circulation. Cet exemple montre que le progrès contemporain se déploie dans l’impatience : nous voulons obtenir et utiliser des outils pour bénéficier d’une performance particulière (ici la vitesse et l’autonomie pour l’automobile) mais sans prendre le temps d’en éliminer les dangers. On pourrait citer bien d’autres illustrations de ces « impatiences » technologiques, qui peuvent d’ailleurs s’avérer nuisibles au bon développement de la science elle-même : pour obtenir des applications rapidement, la résolution de certains problèmes est « bâclée », on adopte des solutions bancales en se privant du temps nécessaire à une meilleure compréhension de la nature. Ainsi, la négation du temps, si péniblement surmontée après plus de deux millénaires de formation d’une démarche scientifique, revient en force dans ce refus de considérer les limites de notre monde, limites pourtant identifiées précisément par le déploiement des sciences de la nature. Cette hâte fébrile, inadaptée aux constantes de temps de l’Univers, devient un obstacle au développement des sciences : nos connaissances en électrochimie, indispensables à la mise au point de batteries utilisables par des voitures électriques, ne se seraient-elle pas étendues plus rapidement si l’on ne s’était pas contenté, pendant des décennies, du moteur à explosion ?
Surproduction et déchets
Outre le refus des limites et contraintes temporelles imposées par la nature, une autre démesure nous guette : la production indéfinie et incontrôlée d’objets interchangeables qui sont mis au rebut dès que leur utilité ne se fait plus sentir. On assiste, depuis quelques décennies, à une avalanche de biens de « consommation », terme qui, à la réflexion, est bien mal choisi, car loin d’être assimilés ou transformés comme des aliments ou divers combustibles, ils restent souvent presque intacts après leur utilisation, ou sont faits de matériaux non recyclables tels les plastiques qui envahissent les sites les plus reculés (déserts, surface maritimes, et même l’espace !). On peut prendre pour exemple l’évolution des stylos et crayons depuis les années 50. A cette époque, on utilisait des stylos à encre rechargeables et des crayons de bois à tailler. Ces outils ne donnaient quasiment pas de déchets, à part de petits copeaux de bois biodégradables. Puis sont apparus les stylos à cartouches : celles-ci ont amorcé la phase de production de déchets en plastique, mais le corps du stylo demeurait réutilisable. On a vu naître parallèlement les stylos à bille, contre lesquels certains enseignants ont tenté un combat perdu d’avance. Au commencement, on pouvait là aussi conserver le corps du stylo et ne changer que la réserve d’encre. Mais très vite on est passé au stylo à bille non rechargeable, qu’il faut jeter en totalité une fois l’épuisement de l’encre. Il en résulte que là où un bureau ne comportait qu’un ou deux stylos à plume et autant de crayons à tailler, il est fort probable qu’il est maintenant, équipé d’un « pot à crayons » avec au moins une dizaine de stylos à bille – non recyclables, bien sûr (et cela malgré l’utilisation d’outils numériques). On pourrait multiplier les exemples. Il s’agit bien sûr d’un processus visant à stimuler l’économie en obligeant les utilisateurs à racheter sans cesse de nouveaux produits. L’obsolescence programmée d’appareils électroniques relève de la même logique. Il en résulte une production phénoménale de déchets, c’est-à-dire d’objets devenus inutilisables, ou dont les performances techniques ne satisfont plus leurs usagers. La récupération, le recyclage (voir le passage du verre au plastique pour les emballages des boissons) étaient considérés jusqu’à récemment comme trop coûteux pour être mis en œuvre. La situation est d’autant plus catastrophique que les matériaux utilisés pour leur fabrication sont, soit des plastiques quasiment impossibles à recycler, soit des métaux rares qui sont relâchés dans l’environnement sans possibilité de les récupérer ultérieurement. Notre système économique repose ainsi pour une grande part sur la production de déchets dont personne ne veut.
Uniformisation et standardisation
Ces pratiques témoignent en fait d’un grand mépris pour les objets de production de masse. Ce qui peut se comprendre : ils sont interchangeables, standardisés, peu coûteux. Ils ont perdu leur caractère unique, voire précieux, et on ne cherche plus à conserver la matière dont ils sont faits, nous avons perdu à leur égard toute considération envers la planète qui en a fourni le matériau, et envers le travail de transformation qui a conduit à leur fabrication. Encore plus préoccupant, l’uniformisation des espèces vivantes domestiques vient s’ajouter à celle des objets. La production agricole à grande échelle se restreint à un faible nombre de variétés végétales et animales, comme il suffit de le voir sur les étalages des marchés et le choix réduit qu’ils offrent en fruits et légumes, chaque espèce étant représentée par deux ou trois variétés au maximum. Jusqu’en 2020, les semences paysannes, issues de la récolte des agriculteurs, ne pouvaient même pas être vendues à des jardiniers amateurs ! La standardisation de la production agricole, même si elle est en partie justifiée pour assurer une production stable de matières premières pour l’alimentation, conduit à une réduction drastique de la biodiversité dans la sphère de la domestication, qui avait jusqu’alors fortement favorisé la différentiation des espèces en vue d’une meilleure adaptation à des environnements variés. Bref, le productivisme massif réduit sans doute le coût de l’acquisition d’objets souvent utiles, mais au prix d’un immense gâchis et d’une perte de diversité, des êtres vivants comme des choses, qui rend notre planète, non seulement fragile, mais aussi de moins en moins habitable.
Comment rétablir une relation équilibrée avec la nature telle que nous l’avons définie au début de cet exposé ? On ne prétendra pas ici proposer des solutions techniques au problème de l’épuisement des ressources de notre petite planète. Mais peut-être un changement de regard, une nouvelle forme de considération sur les dons que nous recevons de cette Terre et dont trop souvent nous oublions la valeur, pourrait constituer une étape indispensable, vers une révision en profondeur de nos relations avec l’environnement naturel.
La nature, toute autre
Un premier aspect de cette démarche serait de reprendre conscience de la profonde différence de la nature vis-à-vis de l’homme, et que c’est dans une certaine distance vis-à-vis d’elle qu’il convient de tenter de la protéger. Rappelons que l’approche scientifique du monde physique se vit dans l’expérience de sa radicale altérité, elle est d’abord la découverte d’un univers dont la relation avec l’homme est d’abord un face à face. La nature fonctionne selon ses propres lois, que le chercheur a pour mission de dévoiler, sans y introduire ses propres préjugés. L’histoire des sciences montre à quel point cette exigence, quoique impossible à respecter totalement, constitue une condition absolument nécessaire à une juste compréhension des phénomènes naturels. La démarche du scientifique doit se garder avec la plus grande vigilance d’une analyse qui réduirait la représentation du monde physique à des projections de schémas mentaux pré-établis. La nature est d’abord un donné extérieur à l’homme. La première étape d’une démarche qui viserait à la « sauver » passe donc par une désappropriation : elle n’est pas notre chose, on ne peut la modeler sans retenue, sans chercher à mieux comprendre son fonctionnement propre. On a vu que la rupture de certains équilibres environnementaux est due essentiellement à une méconnaissance de la complexité des liens qui associent les différents constituants d’un écosystème. En ce sens, l’uniformisation des espèces domestiques, la volonté de les transformer, comme les objets inanimés sortis de la production de masse, en entités complètement prévisibles et interchangeables, ignore l’extraordinaire capacité de renouvellement et d’adaptation des animaux et des plantes, ainsi que le caractère unique – ne serait-ce que par son ADN – de chaque être vivant.
Un aspect important du respect dû à cette altérité concerne la prise en compte de la temporalité propre à la nature. Nous avons évoqué plus haut les dégâts causés par l’impatience humaine face à l’exploitation des ressources de la planète. Mais le rythme du renouvellement des sources d’énergie n’en est qu’un exemple. Se pose aussi la question de la modification de l’information génétique des êtres vivants, ce qu’on appelle familièrement et souvent de façon impropre les « manipulations génétiques ». L’homme a depuis longtemps cherché à « améliorer » certaines espèces domestiques par des jeux de sélections et d’appariements susceptibles de favoriser certaines caractéristiques. L’immense variété des races de chiens témoigne du succès de telles entreprises, qui ont nécessité cependant plusieurs siècles, ou plutôt plusieurs millénaires, pour parvenir aux résultats actuels. Mais ce n’est que très récemment que l’on a démontrer la possibilité de remplacer une séquence particulière du génome à l’échelle cellulaire, en utilisant des « ciseaux moléculaires.[11] On peut donc modifier certaines caractéristiques d’animaux supérieurs (des vaches sans cornes ont vu le jour) sans passer par un long processus de sélection sur de nombreuses générations. Mais peut-on impunément accélérer à ce point l’évolution des espèces ? Au vu de la complexité des processus biochimiques et des interactions entre les diverses biomolécules qui constituent nos cellules, les résultats risquent d’être terriblement décevants, voire dangereux. Il suffit de voir l’échec relatif ou du moins le faible rendement actuel des opérations de clonage cellulaire d’êtres vivants supérieurs comme la célèbre brebis Dolly : certes, elle est née viable, mais sa mort prématurée a montré qu’aux années passées depuis sa naissance, il convenait d’ajouter l’âge – plusieurs années – de la cellule utilisée pour cloner son embryon. Même si les biologistes semblent avoir, au moins partiellement, surmonté cette difficulté, cette technique ne permet pas une diversification aussi large des patrimoines génétiques que ce que permet la reproduction sexuée ; si on peut envisager de recréer des espèces disparues par cette méthode, sa généralisation, par exemple pour l’élevage, mettrait en péril la biodiversité.
La nature, hôte et partenaire
Cependant, une fois admise l’altérité profonde qui nous sépare de la nature, on ne peut nier que nous interagissons nécessairement avec elle, pour l’utiliser, la modifier, se prémunir de ses dangers, ou simplement pour l’admirer. L’espèce humaine est issue d’un processus évolutif qui s’est déroulé sans rupture majeure sur la plan biologique et physiologique. Nous partageons avec les autres mammifères les mêmes besoins, des métabolismes voisins, des instincts analogues. Nous sommes inscrits dans une histoire naturelle, nous ne sommes pas sortis du néant, nous ne nous sommes pas construits tout seuls. Nous avons une dette, celle de notre existence même, vis-à-vis de cette nature dont nous sommes issus. Nous sommes soumis aux mêmes lois physiques et biologiques. Mais bien plus, nous sommes en relation avec elle à divers titres : par nécessité vitale tout d’abord, car c’est d’elle que nous tirons nourriture, boisson et habitat. N’oublions pas que le bois, le métal ou la pierre de nos maisons nous sont généreusement fournis par notre planète. A cet effet, nous avons même renforcé ces liens par la domestication, au point de la caractériser parfois comme un « pacte » passé entre l’homme et l’animal, dans lequel les deux parties s’influencent l’une l’autre dans un processus que Konrad Lorenz qualifiera de « co-évolution »[12].Pour les animaux familiers que nous ne mangeons pas (chiens, chats…) il semble que ce pacte soit bénéfique aux deux parties : pour l’homme, qui reçoit de leur part aide et affection ; pour l’animal, qui bénéficie d’une vie plus longue et plus sûre, libérée du souci constant de trouver la nourriture et de se garder des prédateurs. D’autre part, le spectacle de la nature attise en l’homme son besoin de connaissance et de compréhension : le déploiement d’une pensée scientifique n’aurait pas eu de raison d’être sans interactions avec le monde physique, sous le mode de l’observation, de l’expérience et de la modélisation des phénomènes. Opposer les sciences et les techniques au respect de la nature n’a, dans ce contexte, aucun sens. L’usage immodéré, voire le saccage de notre environnement résulte, non d’un excès de connaissances scientifiques, mais au contraire de ses lacunes encore béantes. Enfin, nous avons tous été bien souvent subjugués par la beauté et la surabondance que nous offre la nature, l’extraordinaire variété des créatures, leur force et leur fragilité. La nature nous inspire, non seulement la crainte devant certains de ses déchaînements, mais aussi et surtout l’admiration, l’émerveillement, l’émotion. Nous ne saurions donc « sauver la planète » en nous isolant de ce qui la constitue dans un souci d’une préservation absolue de ce qui n’est pas humain : d’abord parce que ne pouvons pas nous passer de la nourriture qu’elle nous offre, et qui, même sous un mode de production entièrement artificiel, aurait besoin de matières premières qu’elle seule peut nous fournir ; ensuite parce que l’interaction entre l’homme et les autres êtres vivants n’est pas fatalement néfaste à ces derniers, comme le montre le processus historique de la domestication. Une conception par trop radicale de l’écologie nous priverait d’une forme de communion avec la nature qui est la condition, comme on va le voir, de sa juste habitation.
Habiter la Terre
Revenons ainsi, pour conclure, au sens premier du mot « écologie » évoqué au début de cette conférence : notre planète est notre maison. Et nous n’avons pas intérêt à dégrader notre domicile. Nous avons à nous garder de deux attitudes extrêmes : d’un côté, l’établissement d’une séparation radicale – et en fait impossible – qui ne pourrait être totale qu’au prix d’une élimination de l’espèce humaine. Il existe d’ailleurs un mouvement pour l’extinction volontaire de l’humanité, qui affirme que les humains sont « incompatibles avec la biosphère »[13] et qu’ils doivent cesser de se reproduire afin de préserver intégralement les autres êtres vivants. De l’autre, apprendre à limiter notre soif de production et de consommation qui peuvent, à terme, conduire à l’extinction des espèces et à l’épuisement des ressources terrestres, et par là-même, à la disparition de l’humanité. Ces deux positions extrêmes conduisent donc à des résultats identiques…
Comment donc « habiter notre Terre »[14] ? Comment réconcilier écologie et production de richesses nécessaires à notre existence ? N’oublions pas qu’un des sens du terme « économie » – qui évoque lui aussi l’οἶκος, consiste à prévoir un usage modéré des ressources, à les préserver et à les protéger, sans pour autant tomber dans une forme d’avarice qui consisterait à les figer dans un « état de nature » qui reflèterait davantage l’idée d’un âge d’or à rétablir que la réalité d’un monde vivant qui ne s’est jamais installé dans la fixité. Mais l’analogie avec la notion de logement ne signifie pas que nous en serions propriétaires. La nature nous est avant tout donnée, elle se trouvait sur la planète bien avant nous, et elle pourrait bien continuer à exister si nous venions à disparaître. C’est ce que les religions qui pensent son origine en termes de création veulent nous faire comprendre : notre rapport au monde ne saurait se penser en termes de possession et d’exploitation sans limites, et pas davantage en le transformant en idole à qui l’on devrait sacrifier l’humanité même. Ce n’est qu’en adoptant un tel état d’esprit que nous pourrons instaurer un usage de la nature qui ne la réduise pas à ce qui en serait maîtrisable. L’image du jardin peut s’avérer éclairante : la nature n’y est pas livrée à elle-même, elle ne reste pas en friche ; elle est, dans tous les sens du terme, cultivée, et peut ainsi donner le meilleur de ses fruits si on respecte ses lois, sa temporalité et ses limites. Quelle qu’en soit l’origine, le cosmos nous est donné, et c’est à nous de mettre en œuvre un jeu de relations avec lui qui implique respect, considération, admiration et peut-être aussi une forme d’amour.
Références
[1] Bernadette Bensaude-Vincent, “La fin de la nature” , Les vertiges de la technoscience, Editions La Découverte, 2009, pp. 107-116.
[2] Rémi Brague, “De la nature à la création, et retour”, Communio, XLV6, n° 272, p. 39 (2020).
[3] G.E.R Lloyd, « The Invention of Nature » dans Methods and Problems in Greek Science, Cambridge, University Press, 1991.
[4] Eddy Fougier, « Eco-anxiété : analyse d’une angoisse contemporaine », Fondation Jean Jaurès, 2 novembre 2011.Disponible sur https://www.jean-jaures.org/publication/eco-anxiete-analyse-dune-angoisse-contemporaine/?post_id=26695&export_pdf=1
[5] Chantal Delsol, « Comment le temps fléché engendre les idéologies », Colloque « Tra utopia e declino. Una riflessione sull’Europa », Pérouse, Italie, 19 mai 2017.
[6] Abraham Heschel, Les Bâtisseurs du temps, Éditions de Minuit, 1957.
[7] L. Boltzmann, Leçons sur la théorie des gaz, Paris, Gauthier-Villars, 1905, seconde partie, pp. 251-252.
[8] Dmitri Mendeleiev, Popytka khimicheskogo ponimania mirovogo efira, Saint-Pétersbourg, 1902.
[9] F. Hoyle, « Continuous creation », The Listerner, 41, pp. 567-568 (1949).
[10] Max Weber, « La profession et la vocation de savant », in Le savant et le politique, traduction de Catherine Colliot-Thélène, La Découverte/Poche n°158, 2003, p. 83.
[11] Martin Jinek, Krzysztof Chylinski, Ines Fonfara, Michael Hauer, Jennifer A. Doudna, Emmanuelle Charpentier, «Programmable dual-RNA-guided DNA endonuclease in adaptive bacterial immunity. », Science, vol. 337, no 6096, août 2012, p. 816-821.
[12] Cité dans Marie Renoue et Pascal Carlier, « Une rencontre homme-animal face aux regards sémiotiques et éthologique : des exemples, de la pieuvre au faucon…entre autres », Actes sémiotiques, n° 117, p. 12 (2014).
[13] Stephen Jarvis. “Live long and die out: Stephen Jarvis encounters the Voluntary Human Extinction Movement”, The Independent, 24 avril 1994.
[14] Jean-Luc Marion, « Habiter notre terre », Communio, XLV6, n° 272, pp. 63-74 (2020).