De gauche à droite sur la photo : Jean Tarrade, Lucrezia Reichlin et Jaime Antúnez Aldunate
Jean TARRADE, né en 1948 à Saint-Jory-de-Chalais, a été élu le 29 avril 2024 correspondant à la cinquième place de la section Législation, Droit public et Jurisprudence. Il a été accueilli à l’Académie en séance ce lundi 3 juin 2024. Il succède à Rodolfo SACCO.
Notaire honoraire, il a successivement occupé les fonctions de président de la Chambre des notaires du Paris, de président du Conseil supérieur du notariat et a présidé le Conseil des Notariats de l’Union européenne.
Discours d’accueil d’Yves GAUDEMET, prononcé par Pierre DELVOLVÉ en son absence
Pierre Delvolvé (au centre), accompagné de Jean-Claude Casanova (à gauche), de François Saint-Pierre (à droite) et du fils de Jean Tarrade, Pierre Tarrade, à l’arrière plan.
Yves GAUDEMET
Il était temps… Sauf erreur de ma part, notre Compagnie à ce jour n’avait jamais accueilli de notaire. Et pourtant le notariat est au cœur de nos institutions ; et Maître Tarrade est d’abord – mais pas seulement j’y reviendrai – un grand notaire.
1/ Un grand notaire….
Je vais laisser parler ici ceux qui, au tournant de la Révolution, ont confirmé le notariat, attributaire du sceau de l’État et investi, avant la lettre, d’un véritable service public de la sécurité juridique.
Peu avant de se séparer, le 30 septembre 1791, l’Assemblée constituante prenait deux mesures, apparemment en sens inverse mais commandées en réalité par une même logique : la suppression des ordres d’avocat et la réorganisation du notariat. À cette dernière, trois séances furent consacrées, sur le rapport de Le Chapelier (avocat lui-même) au nom du comité de constitution.
Le rapport de Le Chapelier pose d’emblée la question de l’utilité du maintien du notariat au moment où l’ensemble des institutions judiciaires de l’Ancien Régime et notamment les ordres d’avocat sont supprimés ; et il conclut qu’il faut à la société des certificateurs de contrats, des officiers qui leur impriment ce caractère d’authenticité sans lequel la loi ne peut les reconnaître ni assurer les droits qui en héritent ». Il faut au citoyen « un moyen de constater son droit au moment même où il l’acquiert ; il est du devoir, il est intérêt de la société de les lui procurer. Or ce moyen existe seulement dans l’intervention de la société, à la formation même du contrat, par la présence d’un officier revêtu d’un caractère légal qui le rend propre à constater la vérité de la convention, le temps de sa rédaction, enfin d’en devenir le certificateur ».
« Nous avons donc pensé, Messieurs, que les notaires n’étaient pas seulement nécessaires comme rédacteurs des conventions ; qu’ils étaient indispensables comme certificateurs de la vérité et de la date des contrats ».
Ce sont ces principes qui seront inscrits dans la loi du 25 ventôse An XI – véritable charte du notariat en 12 articles (on savait écrire le droit à l’époque) -, et dont le rapporteur au Tribunat, Favart ouvre son rapport par la formule qui sera inscrite sur le sceau des notaires : « le notaire exercice ici une partie de l’autorité publique ; ce qu’il écrit fait la loi des parties ; lex est quod notamus ».
Ainsi investi d’une sorte de service public de la sécurité juridique, le notariat s’est organisé en conséquence et constitue même un modèle pour l’ensemble des professions réglementées.
Et Maître Jean Tarrade, quelques 40 années durant, a pris part à ce service public, à tous les niveaux, et jusqu’à la présidence et au cumul des présidences du Notariat français, du Notariat européen, du Notariat latin, et d’autres encore…
2/ Mais le président Jean Tarrade n’est pas seulement un grand notaire, une figure remarquable et remarquée de la Profession ; il est un grand juriste et, ajouterais-je, un juriste bien de son temps, prenant part à tous les débats, présent surtout les fronts, attentif à toutes les réformes – et elles n’ont pas manqué ces derniers temps – pour les apprécier, les modérer et les accompagner ; et cela chaque fois que sont en cause, non pas tant les intérêts propres du Notariat mais les intérêts de la société confiés à celui-ci, comme le disait si bien Le Chapelier.
Il est régulièrement associé, es qualité ou à titre personnel, aux réflexions de la Chancellerie sur l’évolution de plusieurs aspects du droit privé, notamment à l’occasion du bicentenaire du Code civil, ou encore aux travaux de révision de la directive sur la qualification professionnelle en Europe.
Particulièrement, il sera l’interlocuteur naturel des pouvoirs publics, puisqu’alors Président du Conseil supérieur du notariat, au moment de l’élaboration de la loi du 5 aout 2015 dite « loi Macron », laquelle, emportée par le grand mouvement de la concurrence, conduit à ce résultat contre nature d’inscrire la profession notariale dans le code de commerce.
Qu’en eût pensé Le Chapelier !
En tous les cas, on peut penser qu’il eût approuvé l’attitude du président Tarrade, toute de modération, de disponibilité mais attachée à rappeler les principes fondateurs du système français.
Jean Tarrade œuvrera encore régulièrement à la diffusion ou au rétablissement du modèle français ; plus performant à tous égards que le système anglo-saxon, ou plutôt l’absence d’un tel système dans les pays de common law et le recours au mécanisme des assurances nourrissant elles-mêmes un abandon contentieux. Il accomplit à ce titre plusieurs missions d’assistance, notamment auprès des autorités polonaises, tchèques, hongroises pour la restauration de la fonction notariale après la chute du mur de Berlin.
Et il est remarquable et particulièrement heureux que Jean Tarrade succède ainsi à notre regretté confrère Roberto Sacco, immense juriste, maitre incontesté du droit comparé, résistant de la première heure dans la division alpine italienne Val Chisone avant de devenir, dans le monde entier, le grand professeur de droit civil que l’on sait, et qui resta fidèle à nos séances jusqu’à ce qu’il nous quitte, presque centenaire.
C’est notamment notre confrère François Terré qui avait souhaité sa présence parmi nous. Nous l’accompagnerons demain pour un dernier adieu.
C’est avec François Terré en pensée que nous sommes heureux de vous accueillir aujourd’hui dans notre Compagnie, cher Président Tarrade.
Yves GAUDEMET, 3 juin 2024
Discours prononcé par Jean TARRADE, correspondant élu le 29 avril 2024 à la place de Rodolfo SACCO
Ce prix biennal créé en 1977 est décerné « à l’auteur d’un ouvrage juridique de valeur ou à l’auteur d’une action ou d’une œuvre civique méritoire ».
Le jury
Le jury est composé des membres de la section Législation, Droit public et Jurisprudence.
Les lauréats
2019 – Benjamin Lloret pour sa thèse, La protection internationale des minorités. Le regard de la doctrine française de l’entre-deux-guerres, soutenue le 18 mai 2018 à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas.
2017 – Olivier Jouanjan pour son ouvrage Justifier l’injustifiable. L’ordre du discours juridique nazi, Paris (PUF), 2017.
2015 – Athanasia Petropoulou pour son ouvrage Liberté et sécurité. Les mesures antiterroristes et la Cour européenne des Droits de l’Homme, Paris (Pedone), 2014.
2013 – Michel Troper et Dominique Chagnollaud (sous la direction de), Traité international de droit constitutionnel. Théorie de la Constitution, Paris (Dalloz), 2012, 3 tomes.
2011 – Brunessen Bertrand, pour sa thèse de doctorat Le juge de l’Union européenne, juge administratif, soutenue le 19 juin 2010 (Paris II).
2009 – prix non attribué.
2007 – François Givord, Claude Giverdon et Pierre Capoulade pour leur ouvrage La copropriété, Paris (Dalloz), 2006.
2005 – Béhibro K. Guy Claude Kouakou pour sa thèse de doctorat en droit Le contentieux de la fonction publique internationale. Contribution à l’étude du régime juridique des commissions de recours et d’appel de l’agence intergouvernementale de la francophonie, soutenue le 15 juin 2004 à l’Université René Descartes-Paris V.
2003 – Claire Bouglé – Le Roux, pour sa thèse de doctorat La cour de cassation et le code pénal de 1810. Le principe de légalité à l’épreuve de la jurisprudence (1811 – 1863), soutenue le 5 janvier 2002 à l’Université de Rennes-I
2001 – Roger -A. Lhombreaud, Mémoires et destin , fin d’une adolescence en temps de guerre, Paris (XXIe siècle – Gutenberg), 2000.
1999 – Matthieu Reeb pour l’édition du Recueil des sentences du Tribunal arbitral du sport, Berne (Stæmpfli), 1998.
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