Avis de l’Académie des sciences morales et politiques sur une réforme des programmes de sciences économiques et sociales (20 mars 2017)

La section Économie politique, statistique et finances ayant déposé ses propositions de réforme de l’enseignement de l’économie dans les lycées au cours d’une audition par le Conseil national éducation-économie et par le Conseil supérieur des programmes, l’Académie dans son ensemble a adopté à l’unanimité, dans sa séance du lundi 20 mars 2017, un avis qui reprend les points forts de ces propositions.

En 2008, deux rapports, rédigés respectivement à l’initiative du ministre de l’Éducation nationale et de la section Économie politique, statistique et finances de l’Académie des sciences morales et politiques, avaient souligné les graves insuffisances de l’enseignement des sciences économiques dans le secondaire ; ils avaient conduit à la mise en place d’une réforme de cet enseignement. En 2016, la section Économie politique, statistique et finances de l’Académie a chargé un panel d’économistes basés hors de France de commenter les nouveaux programmes et les manuels correspondants. Les principales conclusions de ces rapports, ainsi que des propositions de réformes, ont été présentées lors de deux séances publiques de l’Académie, les 30 janvier et 27 février 2017.

L’Académie considère que, malgré les progrès significatifs représentés par la réforme de 2010, une réforme ambitieuse de l’enseignement des sciences économiques demeure indispensable. Plusieurs aspects sont à souligner.

  • Il est essentiel non seulement de maintenir, mais en fait de renforcer le poids des sciences économiques dans l’enseignement secondaire. Il est impossible à un citoyen de participer pleinement à l’exercice de la démocratie sans une compréhension réelle des grands enjeux économiques ; et les outils nécessaires à cette compréhension devraient être offerts à l’ensemble des élèves.

  • Il est indispensable de repenser de façon globale le contenu de l’enseignement. Malgré les préconisations des rapports de 2008, malgré les intentions louables affichées par la dernière réforme des programmes, cet enseignement continue à témoigner d’une ambition encyclopédique démesurée, illusoire et finalement néfaste. Il faut renoncer à parler superficiellement de tout, pour consacrer beaucoup plus de temps, d’efforts et de pédagogie aux concepts et mécanismes de base ; en bref, apprendre aux élèves non à répéter des opinions convenues, mais bien plutôt à raisonner en économistes.

  • Le programme doit présenter une définition générale de la science économique qui mette l’accent sur le triptyque objectifs/ressources/contraintes et sur l’allocation optimale de ressources rares.

  • Il convient de réaffirmer que le savoir économique contemporain repose avant tout sur une compréhension profonde des concepts et de mécanismes fondamentaux, dont :

    • Le fonctionnement des mécanismes de marché, c’est-à-dire essentiellement la formation des prix par équilibre entre offre et demande. Ce sujet est indépendant de tout jugement normatif ; que l’on soutienne la réglementation des marchés ou que l’on s’y oppose, il est de toute façon indispensable d’en comprendre le fonctionnement.

    • Le fonctionnement de l’entreprise.

    • Les incitations économiques, et leur rôle central dans le comportement des individus.

    • Le risque, l’aversion au risque, la diversification et le partage du risque.

    • Les comportements stratégiques, tels qu’ils sont analysés dans la théorie des jeux.

  • La plupart de ces notions fondamentales que doit privilégier l’enseignement de l’économie dans les sciences économiques et sociales relèvent du champ de la microéconomie, domaine où le savoir est le mieux fondé et où un large consensus est plus facile à réaliser qu’en macroéconomie.

  • Par ailleurs, il est essentiel que les élèves puissent développer une familiarité beaucoup plus poussée qu’à présent avec les aspects empiriques. Ceci suppose à la fois l’acquisition et la maîtrise d’outils formels de base, en coopération étroite avec les enseignements de mathématiques, et une compréhension beaucoup plus profonde d’aspects essentiels liés aux recherches en sciences sociales (importance de la distinction entre corrélation et causalité ; méthodes permettant, en sciences sociales, l’établissement d’une relation causale). L’enseignement de ces notions devrait partir de l’expérience courante : « comment assurer l’équilibre du budget de la famille ? » ; « est-il possible — et comment — d’envisager d’acheter un logement ? » ; « quels sont les avantages et les inconvénients d’être propriétaire ou locataire ? » ; « pourquoi épargner et comment placer les revenus épargnés ? » ; « l’achat d’une voiture constitue-t-il un investissement ? ».

  • Il convient de favoriser l’innovation pédagogique en donnant aux enseignants les moyens de développer de nouveaux outils. Ceux-ci, qu’il s’agisse d’études de cas, de jeux de simulation ou de toute autre méthode, nécessitent un investissement initial lourd. Il est donc nécessaire de soutenir et favoriser la mise en commun de ces outils, en particulier par la création de bibliothèques de cas et de jeux pédagogiques, notamment numériques, ainsi que par une formation permanente méthodique qui permette aux enseignants de s’initier au fur et à mesure aux nouveaux outils et de les utiliser au mieux dans leur pratique pédagogique.

  • Enfin, les innovations précédentes, qui doivent être harmonisées avec les enseignements d’autres disciplines (histoire, géographie, philosophie, mathématiques), rendent nécessaires une évolution simultanée des modes de validation du savoir, tout particulièrement au niveau du baccalauréat. Aux dissertations de nature quasi philosophique sur des thèmes dont la complexité dépasse le bagage dont disposent les élèves, il convient de substituer des outils de validation plus directement liés aux savoirs fondamentaux dont les élèves doivent acquérir la maîtrise.

 

Lire l’avis (format PDF).

Lire les propositions de la section Économie politique, statistique et finances (15 mars 2017).

Rapports des économistes sur l’enseignement des sciences économiques et sociales au lycée.

L’enseignement des sciences économiques et sociales au lycée

En avril 2008, l’Académie des sciences morales et politiques a organisé un jury international pour évaluer les programmes et les manuels de sciences économiques et sociales dans les lycées français. La critique fut sévère. Pierre-André Chiappori la résuma en quelques mots : « On aimerait pouvoir dire que l’élève ne retirera de cet enseignement que peu de bénéfices. Mais même cette conclusion paraît trop optimiste ; il est difficile d’écarter l’hypothèse que cet enseignement, inadapté dans ses principes et biaisé dans la présentation, soit en fait néfaste ».

Ce rapport fut remis au ministre de l’Éducation nationale, Xavier Darcos, et à la commission présidée par Roger Guesnerie et mandatée par le ministre pour préparer une réforme des programmes. Les travaux de la Commission débouchèrent en 2010 sur un certain nombre de réformes (lire le rapport).

En avril 2016, l’Académie a décidé de renouveler l’exercice. Comme en 2008, elle a demandé à des économistes internationaux d’examiner le programme et les manuels, chacun se penchant sur les ouvrages d’une maison d’édition différente. Quoique francophones, les personnes interrogées poursuivent leur activité professionnelle en dehors de la France.

Les six maisons d’édition, membres de l’Association Savoir Lire, et les économistes désignés pour analyser leurs manuels sont les suivants :

– Belin : Yann Coatanlem, président du Club Praxis (lire le rapport).
– Bordas : Olivier Blanchard, ancien économiste en chef du FMI (lire le rapport).
– Hachette : Kevin H. O’Rourke, professeur d’histoire économique à All Souls College, Oxford (lire le rapport).
– Hatier : Salvador Barberà, professeur d’économie à l’Universitat Autònoma de Barcelona, et président de la Commission pédagogique de l’Association espagnole des sciences économiques (lire le rapport).
– Magnard : Thomas Philippon, professeur d’économie, New York University (lire le rapport).
– Nathan : Bernard Salanié, professeur d’économie, Columbia University (lire le rapport).

La Section Économie politique, Statistique et Finances de l’Académie organise deux rencontres au Palais de l’Institut de France (23 quai de Conti) afin d’encourager un débat sur les enjeux de cette enquête :

la première, intitulée « Le diagnostic », dans la matinée du 30 janvier 2017 (9 heures – 12 heures 30) ;
la seconde, intitulée « Les propositions », le 27 février 2017 (mêmes horaires).

Cette enquête a été réalisée avec le soutien de l’American Foundation for the Paris School of Economics.

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